Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : critères d’admissibilité à un programme gouvernemental

Débats, p. 18613–18614.

Contexte

Le 27 mars 2018, Mark Warawa (Langley—Aldergrove) soulève une question de privilège au sujet de l’accès au programme Emplois d’été Canada. M. Warawa avance qu’une nouvelle exigence interdit à de nombreuses personnes et organisations d’accéder au programme gouvernemental et l’empêche de l’administrer au nom de ses concitoyens, ce qui constitue un outrage au Parlement. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 23 avril 2018, le Président rend sa décision. Il souligne d’abord que, parce que l’exigence selon laquelle une question de privilège doit être soulevée à la première occasion pour être fondée de prime abord n’a pas été respectée, il ne pouvait pas conclure qu’elle constitue de prime abord un outrage à la Chambre. Il ajoute que les arguments de M. Warawa sont plutôt liés aux critères d’admissibilité à un programme gouvernemental et ne portent pas sur une question de procédure qui touche la Chambre; la question ne relève donc pas des pouvoirs de la présidence. Comme le Président n’est pas convaincu que les députés aient été gênés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires, il conclut qu’il n’y a pas matière à question de privilège ou d’outrage au Parlement.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 27 mars 2018 par l’honorable député de Langley—Aldergrove concernant le programme Emplois d’été Canada.

Je remercie le député de Langley—Aldergrove d’avoir soulevé la question, ainsi que le député de Cypress Hills—Grasslands de ses observations.

Lors de son intervention, le député de Langley—Aldergrove a expliqué que bon nombre de personnes et d’organismes de sa circonscription ne figuraient pas sur la liste des projets recommandés cette année au titre du programme Emplois d’été Canada en raison de leurs croyances, de leur foi, de leur conscience personnelle ou de leurs opinions, toutes des libertés garanties par la Charte canadienne des droits et libertés. Selon le député, cela nuit à sa capacité de gérer le programme au nom des électeurs de sa circonscription et, par conséquent, constitue un outrage au Parlement.

Les députés se souviendront que, immédiatement avant que la question soit soulevée, j’ai rappelé à la Chambre, et en particulier au député de Langley—Aldergrove, que, pour être jugée fondée de prime abord, une question de privilège doit notamment avoir été soulevée à la première occasion. À la page 145 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3e édition, il est question de l’exigence relative au moment où un député peut soulever une question de privilège. Voici ce qu’on peut y lire :

La question de privilège dont sera saisie la Chambre doit porter sur un événement survenu récemment et requérir l’attention immédiate de la Chambre. Le député devra donc convaincre le Président qu’il porte la question à l’attention de la Chambre le plus tôt possible après s’être rendu compte de la situation.

Afin de montrer qu’il avait agi en temps opportun, le député a affirmé qu’il « [venait] de recevoir la liste ». Pourtant, il a aussi donné un compte rendu très détaillé de ses échanges avec Service Canada relativement au programme, ce qui prouve qu’il était au courant de la situation depuis un certain temps.

Je me souviens aussi que le député a abordé le sujet à la Chambre à plusieurs reprises avant de donner avis à la présidence de son intention de soulever une question de privilège. Il l’a fait notamment le 13 février, pendant la période des déclarations de députés, le 1er mars, pendant le débat sur la motion de l’opposition présentée par son parti, et le 20 mars, lors du débat sur le budget. Il est donc très difficile pour la présidence de croire que la question ne pouvait pas être soulevée plus tôt. L’affirmation du député de Cypress Hills—Grasslands selon laquelle les députés ne voulaient pas me faire perdre mon temps ne me convainc pas davantage.

Qu’on ne se méprenne pas : le fait de soulever une question de privilège à la première occasion n’est pas une exigence arbitraire. Dans une décision rendue le 30 janvier 2018, je me suis prononcé sur cet aspect. Voici ce qu’on peut lire à la page 16516 des Débats :

Il est tenu pour acquis que les questions qui touchent l’essence même des privilèges et immunités des députés ou de la Chambre — tout comme les questions d’outrage à la Chambre — sont de la plus haute importance et doivent être traitées sans tarder.

La Présidente Sauvé l’a bien expliqué dans la décision rendue le 26 mai 1981. À la page 9924 des Débats, elle a dit :

Il faut peser le pour et le contre dans un tel cas. Si un député a une question de privilège à soulever, il faut que l’affaire soit réglée rapidement. Si nous renvoyons l’étude des questions de privilège alors que celles-ci sont importantes, je ne vois pas à quoi sert […] une question de privilège. Si c’est vraiment une affaire urgente, il importe qu’on la règle immédiatement.

Ne serait-ce que pour cette raison, la présidence ne peut conclure que la question de privilège constitue de prime abord un outrage à la Chambre.

Un examen approfondi des arguments de fond qui ont été avancés révèle que le député de Langley—Aldergrove conteste, en réalité, les critères d’admissibilité d’un programme gouvernemental.

Ce qui est contesté, ce n’est ni une règle ni une pratique de la Chambre. Ainsi, la question soulevée ne relève pas des pouvoirs de la présidence. Le 22 novembre 2016, j’ai déclaré, à la page 7084 des Débats :

Il est tout aussi manifeste que, lorsque les députés demandent réparation au titre de règles auxquelles la Chambre n’est pas assujettie, la présidence ne peut ni interpréter ni appliquer ces règles. Il est établi de longue date que le rôle du Président se limite à s’assurer que les règles et pratiques adoptées par la Chambre sont respectées et maintenues.

Mon prédécesseur a lui aussi fait valoir cet argument le 12 mai 2014, à la page 5520 des Débats, et je cite :

Il est tout aussi clair que le Président n’a pas le pouvoir de se prononcer sur les politiques ou les processus établis par le gouvernement […]
[L]a distinction entre les procédures établies par le gouvernement et celles établies par la Chambre demeure bien réelle et il faut la respecter.

Par ailleurs, pour qu’il y ait matière à question de privilège, il faut démontrer que le député, ou la Chambre au complet, a été gêné dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, c’est-à-dire les activités qui touchent aux travaux du Parlement. Comme il est indiqué à la page 118 du Bosc et Gagnon, et je cite :

Les fois où des députés ont allégué avoir été victimes d’obstruction ou de harcèlement, non pas directement dans le cadre de leurs rôles parlementaires, mais à l’occasion d’un incident à caractère politique ou survenu dans leur circonscription, la présidence a toujours jugé qu’il n’y avait pas là de prime abord matière à question de privilège.

Par conséquent, je ne puis conclure qu’il y a, de prime abord, outrage à la Chambre.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

Note de la rédaction

Avant même de donner la parole à M. Warawa, le Président avait émis des réserves quant au moment où la question de privilège avait été soulevée. Il avait alors rappelé aux députés l’exigence voulant que ces questions soient portées à son attention à la première occasion. Il répète ses réserves à la fin des interventions de M. Warawa et d’autres députés.

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[1] Débats, 27 mars 2018, p. 18166–18168.