Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : divulgation alléguée du texte d’un projet de loi avant sa présentation à la Chambre

Débats, p. 19179–19180.

Contexte

Le 17 avril 2018, Rob Nicholson (Niagara Falls) soulève une question de privilège relativement à la divulgation prématurée alléguée du contenu du projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois. M. Nicholson explique que, huit minutes après la présentation du projet de loi C-75 à la Chambre, un article détaillé est publié sur le site web de la CBC, ce qui porte à croire que des journalistes avaient été informés d’avance de son contenu. Pour lui, cela constitue un outrage à la Chambre et une atteinte aux privilèges, puisque la Chambre détient le droit de prendre connaissance en premier du texte des projets de loi. Le Président prend la question en délibéré[1]. Le 23 avril 2018, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) intervient pour affirmer que le projet de loi n’a pas été divulgué prématurément, que toutes les règles ont été respectées et qu’aucun député n’a été empêché de s’acquitter de ses responsabilités parlementaires. La vice-présidente adjointe (Carol Hughes) prend de nouveau la question en délibéré[2]

Résolution

Le 7 mai 2018, le Président rend sa décision. Il réitère d’abord qu’il doit y avoir un équilibre entre le droit des députés d’être informés en premier du contenu des projets de loi inscrits au Feuilleton et d’autres considérations, comme la complexité du processus d’élaboration des politiques qui accompagne la rédaction d’une mesure législative. Il souligne que, dans ce cas-ci, il n’existe pas de preuves irréfutables que des détails du projet de loi ont été divulgués prématurément, d’autant plus que certains détails dans l’article auraient pu être tirés du sommaire du projet de loi ou des renseignements obtenus pendant les consultations. Vu que le gouvernement a assuré à la Chambre qu’il n’avait pas divulgué les détails du projet de loi, le Président conclut donc qu’il n’y a pas matière à question de privilège, bien que la situation soit néanmoins troublante. Enfin, malgré les avancées technologiques facilitant le partage de l’information, il rappelle que ceux qui sont responsables des mesures législatives sont aussi responsables d’assurer la primauté du droit de la Chambre à connaître en premier lieu le contenu des mesures législatives.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 17 avril 2018 par l’honorable député de Niagara Falls concernant la présumée divulgation prématurée du contenu du projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.

Je remercie le député de Niagara Falls d’avoir soulevé la question, ainsi que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes et la députée de Berthier—Maskinongé de leurs observations.

Le député de Niagara Falls a expliqué qu’un article de la CBC avait été publié en ligne huit minutes après la présentation du projet de loi C-75, ce qui donne à penser que le service d’information a nécessairement dû avoir accès au contenu du projet de loi à l’avance pour réagir aussi rapidement.

Tout en soulignant l’importance du droit de la Chambre de prendre connaissance en premier des projets de loi, le député a soutenu qu’il était inacceptable que les députés soient forcés de faire du rattrapage dans le cadre d’un débat public qui se tient sur un projet de loi d’initiative ministérielle entre des médias et une ministre de la Justice bien renseignés.

Le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes a dit à la Chambre que le projet de loi n’avait pas été divulgué prématurément et que le gouvernement avait respecté toutes les règles. Par conséquent, il était d’avis que les députés n’avaient pas été gênés dans l’exercice de leurs fonctions, et qu’aucune atteinte n’avait été portée à l’autorité de la Chambre.

J’aimerais d’abord souligner que, dans le cas présent, le droit des députés d’être informés en premier du contenu des projets de loi inscrits au Feuilleton n’est pas remis en question. Ce qui est en cause, c’est plutôt de savoir si ce privilège, cette coutume, a été bien respecté.

Le 8 juin 2017, j’ai expliqué qu’il devait y avoir un équilibre entre le droit de prendre connaissance en premier des textes législatifs et d’autres considérations, comme la complexité du processus d’élaboration des politiques qui accompagne la rédaction d’une mesure législative. Comme j’ai fait valoir à la page 12320 des Débats de la Chambre des communes :

Le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier des mesures législatives est l’une de nos plus vieilles conventions. Il faut toutefois que ce droit s’arrime à la nécessité, pour le gouvernement, de mener, avant l’élaboration des mesures législatives, de vastes consultations auprès du public et des intéressés sur diverses questions et politiques.

La présidence doit donc soupeser ces considérations avec les autres éléments de preuve qui lui sont fournis; autrement dit, existe-t-il des preuves irréfutables selon lesquelles des détails précis du projet de loi C-75, à l’exception des renseignements qui ont pu être communiqués à des fins de consultation, ont été divulgués délibérément et prématurément aux médias ? Par suite de l’appréciation de la preuve en l’espèce, aussi troublante soit-elle, il est difficile pour la présidence d’en arriver à cette conclusion, d’autant plus que certains détails dans l’article en question auraient pu être tirés du sommaire du projet de loi ou des renseignements généraux fournis dans les discussions tenues lors du processus de consultation.

Pour cette même raison, je ne peux qu’être d’accord avec mon prédécesseur lorsqu’il a déclaré le 18 avril 2013, à la page 15610 des Débats, au sujet d’une question de privilège soulevée par rapport à la divulgation prématurée d’un projet de loi du gouvernement, ce qui suit :

[…] la pratique bien établie consist[e] à préserver la confidentialité du contenu d’un projet de loi jusqu’à ce qu’il soit présenté au Parlement. Il s’ensuit que la divulgation prématurée constitue une question grave. Cependant, dans le cas qui nous occupe, un examen attentif des arguments soumis à la présidence au sujet des allégations révèle que celles-ci semblent fondées davantage sur des conjectures et des hypothèses que sur des faits avérés.

En outre, le secrétaire parlementaire a assuré à la Chambre que le gouvernement n’avait aucunement divulgué ni le contenu ni les détails du projet de loi avant sa présentation à la Chambre. Par conséquent, bien que la situation me semble troublante, je ne puis conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

Les preuves présentées dans ce cas-ci ne sont peut-être pas irréfutables, mais la présidence demeure préoccupée par le fait que, d’une manière évidente, des députés ont eu l’impression d’avoir été désavantagés quant à leur capacité de remplir leurs fonctions.

De nouveaux moyens de partager de l’information, grâce à la technologie entre autres, sont maintenant disponibles, mais il incombe toujours à ceux qui sont responsables des mesures législatives de respecter la primauté du Parlement en respectant le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier de ces mesures. Les députés ne devraient jamais avoir à se demander si d’autres personnes ont reçu avant eux des renseignements sur des mesures législatives.

Je remercie les députés de leur attention.

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[1] Débats, 17 avril 2018, p. 18438–18440.

[2] Débats, 23 avril 2018, p. 18618.