Le privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction et l’ingérence : secret du budget; distribution hâtive à la Chambre des documents de présentation du budget du ministre des Finances

Débats, p. 10244–10245.

Contexte

Le 22 mars 2017, soit le jour de la présentation du budget, Gérard Deltell (Louis-Saint-Laurent) soulève une question de privilège au sujet de la distribution hâtive à la Chambre des documents de présentation du budget du ministre des Finances. Alors qu’un vote par appel nominal imprévu se tient au moment où le ministre des Finances devait commencer son discours à la Chambre, les pages commencent à distribuer les documents pendant le vote. Les pages avaient reçu la directive de commencer la distribution à 16 heures, comme le veut la pratique qui vise à distribuer les exemplaires à tous les députés juste avant que le ministre des Finances prenne la parole. Dès qu’il constate qu’elle a lieu, le Président ordonne que la distribution des documents cesse. M. Deltell soutient que la distribution, cette fois-ci, constitue une atteinte au privilège, puisque seulement certains députés du gouvernement ont eu un accès privilégié à des renseignements confidentiels sur le budget. Le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 6 avril 2017, le Président rend sa décision. Il explique que les événements qui se sont produits le jour de la présentation du budget étaient exceptionnels, à savoir la tenue d’un vote par appel nominal à l’heure exacte où le ministre des Finances devait commencer son discours. Il est d’avis que la distribution des documents du budget qui a permis à certains députés du gouvernement d’y avoir accès plus tôt que prévu, quoique brièvement, n’auraient pas dû se produire au moment du vote. Il déclare que cela relevait d’une erreur administrative et que rien ne laisse croire que le contenu du budget n’ait été divulgué de quelque façon. Le Président explique aussi que le secret budgétaire tenait davantage à une convention parlementaire qu’au privilège et qu’il ne revient pas au Président de juger de la valeur de cette convention parlementaire. À son avis, il n’existe aucune preuve qui tend à démontrer que les députés ont été empêchés d’exercer leurs fonctions parlementaires et, par conséquent, il ne peut trouver, de prime abord, qu’il y a atteinte au privilège. Il conclut en soulignant le professionnalisme et le travail extraordinaire des pages de la Chambre des communes.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 22 mars 2017 par l’honorable député de Louis-Saint-Laurent concernant la distribution hâtive à la Chambre des documents de présentation du budget du ministre des Finances.

Je remercie le député de Louis-Saint-Laurent d’avoir soulevé cette question à la Chambre et les députés de Victoria, Flamborough—Glanbrook, Carleton et Banff—Airdrie d’avoir fait des observations.

Lors de son intervention, le député de Louis-Saint-Laurent a soutenu qu’il y avait eu atteinte inacceptable au privilège lorsque des exemplaires de la présentation du budget ont été distribués seulement à des députés du gouvernement pendant qu’un vote avait lieu à la Chambre, et ce, avant que le ministre des Finances fasse son exposé. Ainsi, affirme-t-il, des députés du gouvernement ont eu un accès privilégié à des renseignements confidentiels sur le budget.

Les députés se rappelleront sûrement que ce qui s’est produit à la Chambre le 22 mars 2017, le jour de la présentation du budget, était plutôt exceptionnel sur le plan de la procédure, c’est-à-dire qu’un vote par appel nominal imprévu était en cours à l’heure où il était prévu que le ministre des Finances commence son discours. C’est dans ce contexte que les pages, qui avaient plus tôt dans la journée reçu la directive de commencer la distribution à 16 h, ont commencé à distribuer des exemplaires du document budgétaire durant le vote plutôt que juste avant que le ministre des Finances prenne la parole, comme le veut l’usage. Les documents n’auraient pas dû être distribués durant le vote, et la distribution a cessé dès que je me suis rendu compte qu’elle avait lieu. Il s’agit d’une erreur purement administrative qui, malheureusement, a permis à certains députés du gouvernement d’avoir accès plus tôt que prévu, quoique brièvement, aux documents budgétaires.

Selon la pratique, les renseignements contenus dans le budget demeurent confidentiels jusqu’à ce que le ministre des Finances prononce à la Chambre son discours du budget. Pourtant, la pratique veut également que le ministère des Finances tienne des séances d’information à huis clos avant la présentation du budget à la Chambre des communes. Ces huis clos ont longtemps joué un rôle dans la conduite des travaux parlementaires, car ils permettent à des députés, de même qu’aux médias, de prendre connaissance à l’avance des renseignements confidentiels contenus dans le budget pour se préparer à répondre aux questions une fois le budget rendu public. Cependant, la convention parlementaire dicte également que les députés doivent s’abstenir de divulguer des renseignements confidentiels avant leur publication par le ministre des Finances plus tard dans la journée. Or, rien ne montre que les députés à qui les documents budgétaires ont été distribués par erreur le 22 mars en ont divulgué le contenu de quelque façon que ce soit.

Par conséquent, la question en l’espèce est donc de savoir si le fait que des députés aient pu prendre connaissance à l’avance, bien que brièvement, de renseignements sur le budget constitue une atteinte au privilège des députés qui entrave l’exercice de leurs fonctions parlementaires. Dans l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, à la page 894, il est écrit, et je cite :

[…] les Présidents des Communes canadiennes ont jugé que le secret tenait davantage à une convention parlementaire qu’au privilège.

Il est arrivé par le passé que des Présidents aient dû se pencher sur cette relation entre la convention parlementaire et le privilège parlementaire. Le 18 novembre 1981, à la page 12898 des Débats, la Présidente Sauvé a déclaré :

Un manquement au secret du budget ne peut pas être considéré comme une atteinte aux privilèges. C’est peut-être pour les députés un très grave sujet de grief. Cela peut avoir des répercussions néfastes sur les affaires et la bourse. Cela peut rapporter à des gens des revenus qu’ils n’auraient pas obtenus autrement. Ce sont là des conséquences possibles d’indiscrétions qui n’ont cependant aucune incidence sur les privilèges des députés. Elles peuvent causer un tort parfois irréparable à des personnes ou à des établissements, mais elles ne concernent en rien les privilèges.

Pour sa part, le Président Fraser a déclaré dans une décision rendue le 18 juin 1987, à la page 7315 des Débats, ce qui suit, et je cite :

Le secret budgétaire est une convention parlementaire. Il s’agit d’empêcher quiconque de tirer un avantage de l’obtention à l’avance de renseignements budgétaires.
Les limites du privilège parlementaire sont très restreintes et il n’incombe pas à la présidence de décider si oui ou non une convention parlementaire est justifiée ou si on l’a bel et bien violée. Cette question doit faire l’objet d’un débat politique auquel la présidence ne voudrait pas être mêlée.

Bien qu’il n’incombe pas à la présidence de juger du caractère approprié d’une convention parlementaire, comme l’a fait valoir le Président Fraser, il est de mon devoir de Président de veiller à ce que les députés ne soient en aucune façon gênés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. En réponse à une question de privilège soulevée à l’égard de la divulgation hâtive de renseignements contenus dans le Budget principal des dépenses, le Président Milliken a rappelé aux députés ce qui suit, dans sa décision du 22 mars 2011, qui se trouve à la page 9113 des Débats :

[…] dans les cas où il y a manquement à [une] pratique bien établie, la présidence doit établir si, par voie de conséquence, les députés ont été entravés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires.

Dans le cas qui nous occupe, quoiqu’il puisse y avoir matière à grief, il n’existe aucune preuve donnant à penser que des députés ont été incapables d’exercer leurs fonctions parlementaires. Par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a, de prime abord, atteinte au privilège.

Avant de terminer, je souhaite prendre quelques instants pour dire à quel point je sais gré, comme tous les députés, aux pages de la Chambre des communes de leur professionnalisme sans failles. Ils accomplissent du travail extraordinaire au service des députés et, pour cela, ils méritent notre soutien et notre reconnaissance, et ils l’ont évidemment.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 22 mars 2017, p. 9904–9905.