Le privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction et l’ingérence : députés se voyant refuser l’accès à l’enceinte parlementaire; question fondée de prime abord

Débats, p. 10245–10247.

Contexte

Le 22 mars 2017, Lisa Raitt (Milton) soulève une question de privilège. Elle allèguequ’on l’a empêché d’accéder à l’enceinte parlementaire et, par conséquent, que l’on a porté entrave à l’exercice de ses fonctions parlementaires. Mme Raitt soutient que, en ce jour de la présentation du budget, des véhicules vides attendaient le premier ministre et bloquaient son transport habituel au moment où les députés étaient appelés à se rendre à la Chambre pour un vote. Maxime Bernier (Beauce) soutient que, lui aussi, s’est vu empêcher d’exercer son droit de vote. Le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 6 avril 2017, le Président rend sa décision. Il est d’avis que le droit au libre accès des députés à l’enceinte parlementaire ne peut être exagéré et que bloquer l’accès, même de façon temporaire, ne peut être toléré. Il explique qu’il a reçu deux rapports internes portant sur les événements du 22 mars 2017. Ces rapports établissent que des députés ont été gênés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. Le Président rappelle que, dans le but d’éviter des incidents comme celui-ci, il avait déjà demandé qu’une formation continue obligatoire soit offerte aux membres du Service de protection parlementaire relativement aux privilèges, aux droits, aux immunités et aux pouvoirs de la Chambre des communes, y compris l’accès, sans entrave, des députés à la Cité parlementaire. Enfin, le Président détermine qu’il existe des motifs suffisants pour conclure qu’il y a, de prime abord, atteinte au privilège et il invite Mme Raitt à proposer sa motion.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 22 mars 2017 par la députée de Milton, concernant un incident où son accès à la Cité parlementaire a été entravé.

Je remercie l’honorable députée d’avoir soulevé cette question, de même que les députés de Beauce, de Perth—Wellington et d’Hamilton-Centre de leurs observations.

Lorsqu’elle a soulevé la question, la députée de Milton a indiqué qu’on l’avait empêchée de se rendre à la Chambre des communes pour voter et, par conséquent, qu’on avait entravé l’exercice de ses fonctions parlementaires, et ce parce que son moyen de transport habituel avait été arrêté temporairement à l’entrée de la Colline du Parlement. Le député de Beauce a confirmé qu’il avait été retardé de la même façon.

Il m’incombe, à titre de Président, de veiller à la protection des privilèges de la Chambre et de ceux des députés à titre individuel, ce qui comprend la protection contre l’obstruction, car c’est grâce à ce privilège permettant aux députés d’accéder sans entraves à la Cité parlementaire qu’ils peuvent s’acquitter de leurs responsabilités en tant que représentants élus. Je prends mon rôle à cet égard très au sérieux. C’est pourquoi j’ai fait savoir, dès que l’honorable députée de Milton a soulevé sa question de privilège, que je demanderais un rapport sur ce qui s’est produit.

En fait, j’ai reçu deux rapports sur l’incident. Le premier, du sergent d’armes adjoint et agent de la sécurité institutionnelle, expose d’excellente façon le déroulement des faits minute par minute et est accompagné de déclarations de témoins. Le deuxième rapport provient du directeur par intérim du Service de protection parlementaire.

D’après ces rapports, voici ce qui semble s’être passé le 22 mars dernier. À 15 h 47 environ, les bornes de protection au poste de contrôle des véhicules ont été abaissées pour laisser passer un autobus transportant des journalistes se rendant à l’Édifice du Centre pour la présentation du budget. L’autobus des médias, qui était escorté par le Service de protection parlementaire, s’est rendu immédiatement à l’Édifice du Centre. Quelques secondes après le passage de cet autobus, un bus navette de la Chambre des communes est arrivé au poste de contrôle des véhicules, mais on ne lui a pas permis de poursuivre son chemin jusqu’à l’Édifice du Centre. Dans les minutes qui ont suivi, deux autres bus-navettes sont arrivés au poste de contrôle des véhicules et ont été retardés de la même façon. Selon l’information qu’on m’a fournie, des députés se trouvaient à bord de certains de ces véhicules.

Pendant cette interruption, qui a duré neuf minutes au total, deux députés, la députée de Milton et le député de Beauce, attendaient à l’arrêt d’autobus près du poste de contrôle des véhicules. Vers 15 h 54, le député de Beauce est entré dans le poste de contrôle des véhicules et a demandé des explications sur le retard au personnel du Service de protection parlementaire puis, à 15 h 55, il a décidé de quitter l’arrêt d’autobus et de terminer sa route à pied. Comme les députés le savent, c’est à peu près à cette heure-là que le vote a commencé à la Chambre.

Dans l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, il est écrit ceci à la page 110 :

La présidence estime qu’il y a de prime abord atteinte aux privilèges pour des cas d’obstruction physique — comme des barrages routiers, des cordons de sécurité et des piquets de grève qui empêchent un député d’accéder à l’enceinte parlementaire ou nuit à sa liberté de mouvement dans cette enceinte […]

On ne saurait exagérer l’importance de la question du libre accès des députés à la Cité, particulièrement quand les députés sont appelés à voter. C’est un principe qu’il vaut la peine de répéter : bloquer l’accès, même de façon temporaire, ne peut être toléré. Les Services de protection parlementaire doivent mieux comprendre le fonctionnement de la Chambre pour que l’on puisse voir par leurs actes qu’ils donnent priorité aux besoins de la Chambre, de ses comités et des députés, et ils doivent veiller à ce que les membres du Service de protection parlementaire demeurent vigilants et sachent s’adapter aux circonstances à cet égard.

Ce n’est pas d’hier qu’on insiste sur ce point. Déjà en 2004, dans son 21e rapport, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre déclarait ce qui suit :

Il est inouï qu’on ait empêché — même temporairement — des députés d’accéder à la Colline, et cela constitue un outrage à la Chambre. Les députés ne doivent pas être entravés lorsqu’ils se rendent à la Chambre ni dans les allées et venues exigées par leurs fonctions parlementaires. Le permettre serait entraver le fonctionnement de la Chambre des communes et affaiblirait le droit prééminent qu’elle a de compter sur la présence et les services des députés.

Comme mon prédécesseur l’a affirmé le 15 mars 2012, à la page 6333 des Débats :

[…] la mise en place de mesures de sécurité ne peut avoir préséance sur le droit des députés d’avoir libre accès à la Cité parlementaire sans entrave ni obstruction.

Clairement, des faits comme ceux qui ont donné lieu à la question à l’étude ne se produisent que trop souvent. C’est d’ailleurs pour cette raison que mon prédécesseur a déclaré, le 12 mai 2015, à la page 13760 des Débats :

[…] les agents chargés des services de protection doivent connaître les gens qu’ils servent. Ils doivent se montrer sensible à leur situation et agir en conséquence. Ils doivent en outre être bien au fait de leurs attentes, ce qui veut dire notamment qu’ils doivent garder à l’esprit le rôle principal de l’endroit lorsqu’ils exercent leurs fonctions.

De toute évidence, il y a eu manquement à cet égard lors de l’incident en cause.

C’est justement pour éviter des incidents comme celui du 22 mars que, il y a quelques mois, j’ai demandé au directeur du Service de protection parlementaire, dans le cadre de ses objectifs annuels, qu’il offre de la formation continue obligatoire pour tous les membres du Service sur les privilèges, droits, immunités et pouvoirs de la Chambre des communes, y compris l’accès sans entrave pour les députés à la Cité parlementaire.

La présidence est convaincue que les hauts placés du Service de protection parlementaire parviendront à bien comprendre le milieu parlementaire qu’ils sont appelés à servir et qu’ils saisiront toutes les occasions de suivre la formation pertinente, notamment celle qui a déjà été offerte par les greffiers à la procédure de la Chambre.

Entre-temps, vu la preuve établissant que des députés ont été gênés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires et compte tenu des précédents, la présidence ne peut que constater l’existence de motifs suffisants pour conclure qu’il y a, de prime abord, atteinte au privilège. J’invite maintenant la députée de Milton à présenter la motion appropriée.

Post-scriptum

Alors que la Chambre débattait la motion de privilège de Mme Raitt, le 6 avril 2017, la motion « Que la Chambre passe maintenant à l’Ordre du jour » a été proposée par Alexandra Mendès (Brossard—Saint-Lambert). La Chambre a adopté la motion, ayant pour conséquence de remplacer la motion de privilège et de la rayer du Feuilleton[2]. Le lendemain, une nouvelle question de privilège a été soulevée par John Nater (Perth—Wellington), demandant au Président si et comment une question de privilège remplacée pouvait être relancée. Dans sa décision du 11 avril 2017, le Président a déterminé qu’il était possible, sur le plan procédural, de relancer une question de privilège. Il a donc conclu de nouveau que, dans le cas de la question de privilège de Mme Raitt, il y avait, de prime abord, matière à question de privilège[3].

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[1] Débats, 22 mars 2017, p. 9905.

[2] Journaux, 6 avril 2017, p. 1590–1592.

[3] Débats, 7 avril 2017, p. 10309–10311 ; 11 avril 2017, p. 10450–10451.