Le processus législatif / Forme des projets de loi

Projets de loi omnibus : demande en vertu de l’article 69.1 du Règlement

Débats, p. 17550–17552

Contexte

Le 27 février 2018, Ruth Ellen Brosseau (Berthier—Maskinongé) invoque le Règlement au sujet de l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois[1]. Elle souligne que le projet de loi abroge deux lois, édicte de nouvelles lois et en modifie une trentaine d’autres. Elle soutient que les trois parties principales du projet de loi relèvent de thèmes différents et devraient faire l’objet de votes distincts en vertu de l’article 69.1 du Règlement. L’évaluation d’impact relèverait du domaine de l’environnement, tandis que la Régie canadienne de l’énergie relèverait des ressources naturelles. Enfin, la navigation se rapporterait aux transports. Le même jour, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) affirme que le projet de loi est le fruit d’une démarche globale en matière d’environnement et qu’il n’y a donc pas lieu de l’assujettir à l’article 69.1.

Résolution

Le 1er mars 2018, le Président rend sa décision. Il affirme que le nombre de lois modifiées n’est pas un facteur important pour établir si un projet de loi revêt un caractère omnibus. La question fondamentale demeure la mesure dans laquelle les divers éléments d’un projet de loi sont liés. Bien que l’ensemble du projet de loi relève du domaine de l’environnement, cela n’est pas automatiquement suffisant pour établir un fil conducteur en vertu de l’article 69.1 du Règlement. En l’espèce, les deux nouvelles lois édictées par le projet de loi créent des régimes étroitement liés, comme en témoigne les nombreux renvois entre les deux premières parties. Par contre, la partie 3, qui concerne la navigation, est suffisamment différente des autres pour justifier la tenue d’un vote distinct. Finalement, le Président précise que la partie 4 du projet de loi est composée de modifications corrélatives et de dispositions de coordination découlant des trois autres parties. En conséquence, le Président détermine que chacune de ces modifications corrélatives et de ces dispositions de coordination sera regroupée, pour les fins du vote, à l’une des trois autres parties du projet de loi à laquelle elle est spécifiquement liée.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 27 février 2018 par l’honorable députée de Berthier—Maskinongé concernant la deuxième lecture du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, conformément aux dispositions de l’article 69.1 du Règlement.

Je remercie l’honorable députée d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes de ses observations à ce sujet.

L’honorable députée a fait valoir que le projet de loi C-69 est un projet de loi omnibus puisqu’il contient, selon elle, différentes mesures qui devraient faire l’objet de votes distincts. Elle a signalé que le projet de loi abroge deux lois, édicte de nouvelles lois et modifie une trentaine d’autres lois. La députée a demandé que la présidence divise les questions à l’étape de la deuxième lecture afin que chacune des trois parties principales du projet de loi puissent être mises aux voix.

La partie 1 édicte la Loi sur l’évaluation d’impact et abroge la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale.

La partie 2 édicte la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie et abroge la Loi sur l’Office national de l’énergie. L’honorable députée a fait valoir que la deuxième partie concerne davantage les ressources naturelles que l’environnement et devrait donc faire l’objet d’un vote distinct.

La partie 3 modifie la Loi sur la protection de la navigation, qui devrait être renommée la Loi sur les eaux navigables canadiennes. Étant donné que cette loi porte sur des questions qui concernent les transports, la députée estime que cette partie devrait également faire l’objet d’un vote distinct.

L’honorable députée a indiqué les modifications corrélatives et les dispositions de coordination, contenues dans la partie 4, qui, selon elle, concernent chacune des autres parties. Je lui suis reconnaissant de la rigueur dont elle a fait preuve à cet égard. Je signale que ces modifications corrélatives et ces dispositions de coordination correspondent aux changements apportés aux 30 autres lois mentionnées par l’honorable députée. Dans la vaste majorité des cas, les changements reflètent la nouvelle terminologie concernant les noms de nouveaux organismes ou de nouvelles lois créés par le projet de loi. Le fait qu’il y en a plusieurs n’est pas un facteur important pour établir si ce projet de loi est un projet de loi omnibus.

L’honorable secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes a convenu que le projet de loi modifie plusieurs lois, mais il a soutenu qu’un fil directeur relie effectivement toutes les modifications. Il a indiqué que le projet de loi est le résultat de l’examen exhaustif des mécanismes fédéraux en matière d’environnement et de réglementation et que le fait de les examiner séparément susciterait une incertitude inutile par rapport au cadre général.

Les députés se souviendront que l’article 69.1 du Règlement est entré en vigueur en septembre dernier. Il donne au Président le pouvoir de diviser les questions à l’étape de la deuxième ou de la troisième lecture d’un projet de loi « dans les cas où le projet de loi n’a aucun fil directeur ou porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres ». La question fondamentale pour la présidence consiste donc à déterminer dans quelle mesure les divers éléments d’un projet de loi sont liés.

À ce jour, on m’a demandé d’appliquer cette disposition du Règlement à deux reprises. Le 7 novembre 2017, j’ai refusé de permettre la tenue de votes multiples concernant le projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels, car j’estimais que les deux questions traitées dans le projet de loi avaient suffisamment d’éléments en commun et qu’il était essentiel qu’elles relèvent de la même Loi. Le 8 novembre, j’ai accepté d’appliquer cette disposition au projet de loi C-63, Loi no 2 d’exécution du budget de 2017, car j’estimais que le projet de loi contenait plusieurs mesures qui n’avaient pas été annoncées lors de l’exposé budgétaire. Le 20 novembre, dans le cas du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale de 2017, j’ai jugé que cette disposition ne pouvait s’appliquer à une motion visant à renvoyer un projet de loi à un comité avant l’étape de la deuxième lecture, mais j’ai invité les députés à soulever la question à nouveau, avant l’étape de la troisième lecture du projet de loi au besoin.

Je tiens à souligner, comme je l’ai fait dans ma décision sur le projet de loi C-63, que la présidence n’a pas le pouvoir de diviser un projet de loi en différentes mesures législatives devant être étudiées séparément. La disposition du Règlement me permet seulement de diviser les questions, aux fins du vote, sur les motions portant deuxième et troisième lecture.

Le projet de loi C-69 contient clairement plusieurs initiatives différentes. Il établit deux nouveaux organismes, l’Agence canadienne d’évaluation d’impact et la Régie canadienne de l’énergie, et apporte une série d’amendements à la Loi sur la protection de la navigation. On pourrait soutenir, comme l’a fait le secrétaire parlementaire, qu’il existe effectivement un fil directeur qui relie ces différentes initiatives, parce qu’elles sont toutes liées à la protection environnementale. Toutefois, la présidence doit se demander si la disposition du Règlement vise seulement à traiter les éléments qui n’ont manifestement rien en commun ou si elle vise à donner aux députés l’occasion de se prononcer sur des initiatives précises lorsqu’un projet de loi renferme un éventail de mesures.

Dans ses observations concernant le projet de loi C-63, l’honorable député de Calgary Shepard a parlé d’une notion intéressante tirée de la pratique de l’Assemblée nationale du Québec. Le député a repris un passage de la page 433 de la Procédure parlementaire du Québec :

Il ne faut pas confondre le ou les principes qu’un projet de loi peut contenir avec le domaine sur lequel il porte. En venir à une conception différente de la notion de principe ferait en sorte que la plupart des projets de loi ne pourraient faire l’objet d’une motion de scission, en raison du fait qu’ils portent sur un domaine précis.

La procédure adoptée au Québec pour la scission des projets de loi est très différente de la nôtre, mais l’idée selon laquelle il faut faire une distinction entre le principe du projet de loi et de son domaine m’a particulièrement marqué. Bien que chaque projet de loi soit différent et que, de ce fait, chaque affaire soit différente, j’estime que l’article 69.1 du Règlement peut en effet s’appliquer aux projets de loi dont toutes les mesures concernent un domaine donné, à la condition que les mesures soient si différentes que cela justifie que la Chambre prenne des décisions distinctes à leurs égards.

Dans la présente affaire, je n’ai aucune réticence à convenir que toutes les mesures du projet de loi C-69 concernent la protection de l’environnement. Cependant, j’estime que certaines mesures ont si peu en commun entre elles que cela justifie la tenue de plusieurs votes. Par conséquent, je suis disposé à permettre la tenue de plus d’un vote sur la motion portant deuxième lecture du projet de loi.

Puisque chacune des deux premières parties du projet de loi prévoit l’édiction d’une loi nouvelle, je comprends pourquoi la députée de Berthier—Maskinongé souhaiterait qu’elles soient mises aux voix séparément. Cependant, d’après mon interprétation du projet de loi, les régimes prévus dans la Loi sur l’évaluation d’impact (soit la partie 1) et dans la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie (soit la partie 2) sont étroitement liés, comme en témoigne le nombre de renvois entre ces deux parties. Par exemple, la Loi sur l’évaluation d’impact prévoit un processus d’évaluation de l’impact de certains projets, mais elle comporte des dispositions visant des projets dont les activités tombent sous le régime de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie. En outre, certaines obligations prévues à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie sont visées par des dispositions de la Loi sur l’évaluation d’impact. Puisque chacune de ces parties renferme un grand nombre de renvois visant des entités et des processus établis dans l’autre partie, j’estime qu’une mise aux voix commune de ces deux parties est conforme au Règlement.

En ce qui concerne la partie 3, laquelle modifie la Loi sur la protection de la navigation, je conclus qu’elle est suffisamment différente des autres parties pour justifier la tenue d’un vote distinct. Bien que la partie 2 comporte quelques renvois à des modifications qu’apporte la partie 3, je ne crois pas que ces parties soient si étroitement liées qu’elles doivent être prises en considération ensemble. Ces renvois pourraient être corrigés dans le cadre du processus d’amendement si la partie 3 n’était pas adoptée par la Chambre.

Comme je l’ai dit plus tôt, la partie 4 du projet de loi est composée de modifications corrélatives et de dispositions de coordination découlant des trois autres parties. Dans ma décision concernant le projet de loi C-56 j’ai reconnu que l’analyse d’un projet de loi visant à le diviser en différentes parties peut parfois se révéler très complexe. D’après ma lecture de la partie 4, laquelle est légèrement différente de celle de la députée de Berthier—Maskinongé, les articles 85, 186, 187 et 195 semblent être liés à la partie 3 et ils seront mis aux voix en même temps que cette partie. Les autres dispositions de la partie 4, à l’exception de la disposition d’entrée en vigueur, soit l’article 196, semblent être uniquement liées aux parties 1 et 2, et elles seront donc jointes à ces parties. L’annexe ne vise que la partie 1 et elle sera donc, elle aussi, jointe à ce groupe.

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[1] Débats, 27 février 2018, p. 17406–17407.