La procédure financière / La législation

Projet de loi du Sénat : enfreindre la prérogative de la Couronne en matière financière

Débats, p. 15409-15411

Contexte

Le 4 octobre 1995, George Baker (Gander—Grand Falls) invoque le Règlement au sujet du projet de loi S‑9, Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada—États-Unis en matière d’impôts, et affirme que comme le projet de loi oblige le gouvernement du Canada à procéder à des dépenses, il requiert une recommandation royale, qui ne peut être obtenue que par un ministre. Il soutient que le projet de loi obligerait le gouvernement à faire des dépenses en réduisant les impôts payés sur leurs profits par les sociétés multinationales américaines et à accorder un crédit d’impôt aux particuliers assujettis aux droits de succession aux États-Unis, ce qui entraînerait une perte de recettes fiscales. Après avoir entendu les interventions du secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes (Peter Milliken), Jim Peterson (le député pour Willowdale), John Salomon (Regina-Lumsden) et John Nunziata (député de York-Sud—Weston), le Président prend l’affaire en délibéré[1].

Résolution

Le 16 octobre 1995, le Président se prononce sur le rappel au Règlement. Il déclare le projet de loi recevable. Les modifications de fond que le projet de loi apporte à la Convention fiscale ont trait à la réduction des taux des retenues d’impôt. Le projet de loi n’affecte pas de recettes fiscales, mais exempte ou réduit plutôt certains impôts jusque-là exigibles, de manière rétroactive dans certains cas.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé par le député de Gander—Grand Falls le 4 octobre 1995 au sujet de la recevabilité quant à la procédure du projet de loi S‑9, Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada—États-Unis en matière d’impôts.

Le député a alors signalé à la présidence la possibilité que le projet de loi venant du Sénat, qui avait reçu la deuxième lecture à la Chambre et avait été renvoyé au comité, ait pour effet d’imposer des dépenses au gouvernement du Canada.

Comme tous les députés le savent, selon [l’article] 79(1) du Règlement et l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867, il n’est loisible à la Chambre d’adopter aucune résolution, adresse ou projet de loi pour l’appropriation d’une partie quelconque d’un revenu public ou d’aucune taxe ou impôt à un objet qui n’aura pas, au préalable, été recommandé à la Chambre par un message du gouverneur général. En bref, il faut obtenir la recommandation royale.

De plus, l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 dit :

Tout bill ayant pour but l’appropriation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra originer dans la Chambre des communes.

Il incombe à tous les députés d’être vigilants à cet égard et d’examiner soigneusement les projets de loi, d’où qu’ils proviennent.

Le projet de loi S‑9 ne vient pas d’arriver à la Chambre. Le message du Sénat a été reçu le 3 mai 1995[2]. Le projet de loi a été lu pour la première fois le 14 juin[3], lu pour la deuxième fois et renvoyé au Comité permanent des finances le 21 septembre[4].

Bien que le projet de loi arrive maintenant à la Chambre pour l’étape du rapport et celle de la troisième lecture, la présidence accepte l’explication donnée par le député pour avoir attendu si tard dans le processus législatif pour soulever cette question, puisque son rappel au Règlement se fonde sur des renseignements reçus au cours des délibérations du Comité des finances sur le projet de loi.

Je rappelle à tous les députés le commentaire 319 de la 6e édition de Beauchesne qui prescrit que les rappels au Règlement doivent être soumis à la présidence le plus tôt possible.

Je remercie le député de Gander—Grand Falls d’avoir soulevé la question. Je remercie également les députés de Willowdale (Jim Peterson), de Regina-Lumsden (John Solomon) et de York-Sud—Weston (John Nunziata), ainsi que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre (Peter Milliken), de s’être intéressés à la question et d’avoir exposé à la présidence leurs points de vue sur ce qu’on décrit dans la 21e édition de Erskine May comme « le pouvoir le plus important conféré à quelque organe du corps législatif, c’est-à-dire le droit d’imposer des taxes aux citoyens et de voter les sommes nécessaires au service public ».

Je tiens à donner à la Chambre l’assurance que je considère cette question comme très grave et que j’ai soigneusement étudié la situation.

Dans son intervention, l’honorable député de Gander—Grand Falls a soutenu que les dispositions du projet de loi S‑9 imposaient des dépenses au gouvernement en diminuant les impôts sur les profits réalisés par les sociétés multinationales américaines au Canada. Il a aussi mentionné que le projet de loi exigerait du gouvernement qu’il paie un crédit d’impôt aux personnes assujetties aux droits de succession aux États-Unis. En conséquence, le gouvernement subirait, et je cite « une perte constante de recettes fiscales à l’avenir ». L’honorable député de York-Sud—Weston a aussi mentionné ce point.

Dans son intervention, l’honorable député de Gander—Grand Falls a mentionné deux décisions rendues par mon prédécesseur, le Président Lamoureux, le 12 novembre 1969[5] et le 12 juin 1973[6]. J’ai très soigneusement examiné ces décisions. Dans les deux cas, les projets de loi venaient du Sénat et comportaient manifestement des dispositions exigeant des dépenses de la part du gouvernement. Aussi, le Président Lamoureux a, à bon droit, statué que ces projets de loi enfreignaient les privilèges de la Chambre des communes. Les deux projets de loi ont été mis de côté. Cependant, à mon avis, ces deux précédents ne s’appliquent pas aux circonstances de notre cas.

Selon mes recherches, le changement de fond à la Convention fiscale Canada—États-Unis semble avoir trait à la réduction des taux des retenues d’impôt applicables à différents types de paiements, par exemple aux dividendes payés par une société résidente dans un pays à une société de l’autre pays et détentrice de plus d’une proportion déterminée des actions comportant droit de vote de la première société.

Le projet de loi aura aussi pour effet d’accorder certains dégrèvements fiscaux de manière rétroactive, et il pourrait y avoir des remboursements à faire pour les impôts payés en vertu de la loi dans sa version présente, si le projet de loi S‑9 est adopté par la Chambre et reçoit la sanction royale.

Le projet de loi ne comporte pas d’affectation de recettes fiscales, mais il prévoit plutôt l’exemption de certains impôts normalement exigibles ou leur réduction, de manière rétroactive dans certains cas.

Les députés le savent, lorsque la Chambre étudie des mesures fiscales, les députés peuvent proposer des amendements à ces projets de loi, pourvu que ces amendements ne dépassent pas la portée des charges imposées au public, n’augmentent pas leur valeur, ni n’étendent leur incidence.

Il ne peut être proposé d’amendement qui augmenterait le taux d’un impôt ou étendrait son incidence à de nouvelles classes de contribuables sans une recommandation de la Couronne. Les comités qui étudient des mesures analogues peuvent aussi proposer de semblables réductions. Je renvoie les députés aux commentaires 988 à 991 de la 6e édition de Beauchesne sur ce point.

Le commentaire 992, qui traite aussi des pouvoirs des comités de la Chambre relativement aux projets de loi d’impôt, dit ceci :

Tant que l’impôt en vigueur n’est pas augmenté, on peut proposer au comité chargé de l’examen du projet de loi n’importe quelle modification de la réduction proposée et la proposition est considérée non pas comme une demande d’augmentation des charges imposées aux contribuables, mais comme un moyen de déterminer dans quelle mesure ces charges seront allégées.

Il faut aussi se rappeler que des députés peuvent prendre et ont déjà pris l’initiative de projets de loi qui diminuaient les impôts. Le Sénat peut aussi le faire. En outre, il existe depuis longtemps une coutume voulant que le gouvernement présente ces projets de loi à l’autre endroit, à sa discrétion.

Le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a souligné dans son intervention que le projet de loi S‑9 n’est pas une mesure comportant l’appropriation d’une partie quelconque du revenu public, ou d’aucune taxe ou impôt et que, en conséquence, il n’exige pas de recommandation royale. Il n’y aura pas de dépense de derniers publics, bien que des sommes déjà perçues de citoyens canadiens en vertu des lois fiscales du Canada pourront leur être remboursées.

Comme l’a signalé le secrétaire parlementaire, le remboursement de recettes fiscales déjà perçues n’est pas une affectation de deniers publics. En conséquence, le projet de loi pouvait être présenté d’abord au Sénat.

En conclusion, il n’y a pas eu manquement aux articles 79 et 80 du Règlement, puisque le projet de loi S‑9 n’impose pas de taxe, ni n’affecte de fonds publics à quelque fin que ce soit. Puisque le projet de loi libère des sommes qu’il aurait permis de percevoir, il n’affecte pas de fonds, mais il renonce à des revenus qu’il aurait permis de percevoir, n’eût été de ces modifications.

Encore une fois, je remercie le député de Gander—Grand Falls pour son empressement à sauvegarder les privilèges de la Chambre en portant cette question à mon attention.

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1995-10-16

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[1] Débats, 4 octobre 1995, p. 15219-15221.

[2] Journaux, 3 mai 1995, p. 1413.

[3] Journaux, 14 juin 1995, p. 1723.

[4] Débats, 21 septembre 1995, p. 14705-14714.

[5] Journaux, 12 novembre 1969, p. 79-80.

[6] Journaux, 12 juin 1973, p. 401-402.