Historique

Royaume-Uni

Les origines du processus législatif remontent à la fin du Moyen Âge. Dans les premiers temps de la formation du Parlement anglais, les requêtes des Communes en matière de législation étaient soumises au roi sous la forme de pétitions5. Lorsque le roi convoquait le Parlement pour obtenir des crédits (du financement), les Communes lui présentaient en retour des pétitions orales et écrites à l’égard desquelles elles sollicitaient son assentiment. Les pétitions accueillies favorablement par le roi6 étaient ensuite rédigées par ses conseillers sous forme de statuts7 consignés dans un registre (les Statute Rolls). Ces statuts étaient censés reprendre le libellé des pétitions et des réponses du roi, mais le roi et ses conseillers prenaient souvent des libertés quant à la formulation et, dans certains cas, ne respectaient même pas la réponse donnée8.

Un moment décisif dans l’élaboration du processus survint en 1414 lorsque les Communes demandèrent à Henri V (1413-1422) de les considérer « autant comme partie consentante que comme pétitionnaires » et de ne plus modifier leurs pétitions sans leur consentement une fois que ces dernières avaient été rédigées sous forme de statut9. Quelques années plus tard, sous le règne d’Henri VI (1422-1461 ; 1470-1471), les Communes réussirent à faire instaurer la pratique voulant que leurs requêtes en matière de législation soient présentées au roi sous la forme de projets de loi et elles obtinrent du roi l’assurance que ceux-ci ne seraient pas modifiés sans leur consentement10.

Les changements apportés à la formule d’édiction des statuts témoignent aussi de l’évolution du rôle des Communes dans le processus législatif. Au début du règne d’Édouard III (1327-1377), les mots « à la demande des Communes » étaient utilisés comme formule d’édiction. Sous le règne d’Henri VI, les mots « par autorité du Parlement » firent leur apparition dans les textes de loi, consacrant ainsi l’influence grandissante des Communes dans le processus législatif11.

À partir du moment où il fut admis que les statuts devaient refléter fidèlement les requêtes des Communes en matière de législation, il devint nécessaire de formuler des règles de procédure devant guider la présentation et l’adoption des projets de loi. À la fin du règne d’Elizabeth I (1558-1603), la pratique consistant à effectuer trois lectures, dont la première sans débat, et à renvoyer les projets de loi à un comité après la deuxième lecture était déjà fermement ancrée12.

Canada

Avant la Confédération

Dans les années précédant la Confédération, les assemblées des colonies canadiennes s’appuyaient sur les traditions parlementaires britanniques pour la conduite de leurs délibérations. Les Assemblées législatives du Haut-Canada et du Bas-Canada qui furent instituées par l’Acte constitutionnel de 1791 s’inspirèrent de la procédure parlementaire britannique13. Le processus législatif de la Chambre d’Assemblée du Haut-Canada était cependant moins élaboré que celui de la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, qui avait adopté un plus grand nombre de règles de procédure en 179214.

Le premier code de procédure canadien, paru en mars 1793 sous le titre Règles et règlements de la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada15, renfermait des dispositions régissant la présentation et l’adoption des projets de loi. À cette époque, on confiait souvent à des comités le soin d’élaborer un projet de loi16. Tout projet de loi devait être présenté par voie de motion, recevoir trois lectures dans les deux langues17 et ne pouvait faire l’objet d’amendements ni être renvoyé à un comité avant d’avoir franchi l’étape de la deuxième lecture18. Tout projet de loi devait également avoir été imprimé avant la deuxième lecture. Une fois agréés par l’Assemblée, les projets de loi étaient soumis au Conseil législatif pour adoption et, enfin, au représentant du souverain pour la sanction royale19.

Lors de l’union du Haut-Canada et du Bas-Canada en 1840, les législateurs furent obligés de s’entendre sur une même procédure. La plupart des règles adoptées à ce moment-là étaient celles qui étaient déjà en vigueur à l’Assemblée du Bas-Canada20. La procédure relative à l’adoption des projets de loi d’intérêt public demeura essentiellement la même21. On adopta cependant plusieurs nouvelles dispositions pour traiter des projets de loi d’intérêt privé22.

Depuis la Confédération

Lorsque la Chambre des communes du Canada a commencé à se réunir, le 6 novembre 1867, le déroulement de ses travaux, y compris l’examen des projets de loi, était assujetti aux règlements de l’Assemblée législative de la Province du Canada. Le 20 décembre 1867, la Chambre entérina le rapport d’un comité spécial qui avait été chargé d’aider le Président à formuler les règles de procédure. La seule innovation majeure par rapport aux règles de l’ancienne Assemblée législative portait sur le processus d’examen des projets de loi d’intérêt privé23. D’ailleurs, les articles du règlement de l’ancienne Assemblée législative figurant sous la rubrique « Délibérations sur les Bills »24 furent reproduits intégralement dans la première édition du Règlement de la Chambre des communes.

Plusieurs des règles régissant le processus législatif qui étaient en vigueur à la Confédération le sont encore de nos jours. C’est le cas notamment des articles du Règlement interdisant la présentation de projets de loi en blanc ou incomplets, de ceux disposant que tout projet de loi doit faire l’objet de trois lectures ne pouvant pas avoir lieu le même jour, et de ceux exigeant que les projets de loi soient imprimés dans les deux langues officielles et certifiés par le Greffier de la Chambre à chacune des lectures25.

Dans l’ensemble, l’évolution du processus législatif depuis la Confédération s’explique par l’augmentation du volume et de la complexité des travaux législatifs menés par le Parlement. À cela s’ajoute la nécessité d’accélérer l’étude des affaires émanant du gouvernement, auxquelles la Chambre consacre maintenant la plus grande partie de son temps, sans compromettre la capacité des simples députés de présenter leurs propres projets de loi avec l’attente raisonnable qu’ils puissent un jour devenir loi.

Depuis 1867, les règles qui régissent le processus législatif ont fait l’objet de nombreuses modifications visant à faciliter l’examen des projets de loi d’intérêt public, à élargir le rôle des comités et à encourager une plus grande participation des députés. Par exemple, jusqu’en 1913, un député devait solliciter l’autorisation de la Chambre pour présenter un projet de loi et sa motion pouvait faire l’objet d’un débat et d’amendements26. En avril 1913, la Chambre ordonna que les motions demandant la permission de présenter un projet de loi ne soient plus débattues ni modifiées27. En 1955, la Chambre modifia son Règlement pour autoriser le député qui propose une telle motion à présenter une brève description orale du projet de loi28. En 1991, la Chambre modifia à nouveau le Règlement pour faire en sorte que les motions demandant la permission de présenter un projet de loi soient dorénavant réputées adoptées sans débat ni amendement et sans être mises aux voix29.

Certaines règles de procédure furent également modifiées afin d’accélérer les travaux de la Chambre. Par exemple, jusqu’en 1927, il n’y avait pratiquement aucune limite à la durée des discours des députés. Les débats sur les projets de loi pouvaient parfois s’étendre sur plusieurs jours30. En 1927, la Chambre adopta une règle limitant la durée des discours de la majorité des députés31. Cette règle fondamentale demeura inchangée jusqu’en 1982, l’année où l’on greffa aux articles du Règlement régissant le processus législatif des dispositions expresses concernant la durée des discours et de la période de questions et observations32.

Au fil des ans, divers comités spéciaux se sont penchés sur les règles de procédure devant régir le processus législatif33. En 1968, la Chambre confia au Comité spécial de la procédure et de l’organisation de la Chambre le soin de réviser en profondeur le processus législatif34. Dans son troisième rapport, le Comité recommanda des changements visant à supprimer les pratiques désuètes35, à donner aux députés l’occasion de prendre part de façon plus significative à l’étude et à la mise en forme des projets de loi, et à définir les étapes décisives de l’adoption d’un projet de loi36. Les changements subséquemment apportés à la procédure prévoyaient le renvoi systématique à un comité permanent ou spécial des projets de loi autres que ceux fondés sur des motions de subsides et des voies et moyens ; le rétablissement de l’étape du rapport comme stade de délibérations dans le processus législatif ; la réduction de la durée maximale de la majorité des discours à l’étape du rapport ; et l’habilitation du Président à choisir et à regrouper les amendements à l’étape du rapport37.

Au début des années 1980, des comités spéciaux ayant comme mandat d’examiner la procédure de la Chambre se sont de nouveau attaqués au double enjeu de l’accélération et de l’approfondissement de l’examen des projets de loi et de l’élargissement du mandat des comités. En mars 1983, une étude recommandait la création de comités législatifs qui seraient chargés d’examiner à fond les projets de loi38. Bien que les recommandations résultant de cette étude n’aient pas été adoptées, le Comité spécial sur la réforme de la Chambre recommanda à nouveau, en 1984, que des comités législatifs soient créés et que les projets de loi fondés sur des motions des voies et moyens soient aussi renvoyés à des comités législatifs. Ce comité fit valoir que l’étude de projets de loi complexes, en petits comités constitués de députés spécialisés, était préférable à leur examen en comité plénier39. Ces deux recommandations furent prises en compte dans les modifications apportées au Règlement le 27 juin 198540.

Quelques années plus tard, en avril 1991, la Chambre apporta des changements substantiels au Règlement dans le but notamment de permettre l’adoption automatique des motions de dépôt et de première lecture de projets de loi ; de renvoyer, sur proposition d’un ministre après consultation, un projet de loi à un comité permanent ou spécial plutôt qu’à un comité législatif ; d’exiger un délai de deux jours de séance (plutôt que de 48 heures) entre le moment où l’on fait rapport d’un projet de loi et celui où peut commencer l’étude à l’étape du rapport ; et d’exiger un préavis écrit de 24 heures pour toute motion relative à des amendements apportés à un projet de loi par le Sénat41.

Au début de la 35e législature, en 1994, on modifia à nouveau le Règlement pour assouplir le processus législatif42. Le Règlement autorisait désormais les comités à élaborer et à présenter des projets de loi et offrait l’option de renvoyer les projets de loi à des comités permanents, spéciaux ou législatifs. L’obligation de renvoyer à un comité plénier tout projet de loi fondé sur une motion des subsides a cependant été maintenue. Par ailleurs, il est devenu possible pour un ministre de proposer le renvoi d’un projet de loi émanant du gouvernement à un comité avant la deuxième lecture.

Néanmoins, la Chambre a, peu de temps après, rétabli la pratique qui consistait à renvoyer les projets de loi uniquement à des comités permanents ou spéciaux. Ce n’est qu’en février 2000 qu’on établit à nouveau un comité législatif pour étudier un projet de loi (C-20, Loi sur la clarté)43. Le Parlement continue de faire appel à des comités législatifs à l’occasion, le plus souvent pour étudier des mesures législatives controversées44.