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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 056 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 27 mars 2023

[Enregistrement électronique]

  (1545)  

[Traduction]

     Bienvenue à la 56e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
     Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 30 janvier 2023, le Comité poursuit son étude sur le système canadien de mise en liberté sous caution.
     Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride. Les membres y assistent en personne ou au moyen de l'application Zoom.
    J'ai quelques consignes à formuler à l'intention des témoins et des membres du Comité. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous désigne par votre nom. Pour ceux qui sont sur Zoom et qui souhaitent intervenir, utilisez la fonction « Lever la main » pour qu'on vous repère, puis mettez votre micro en fonction. Lorsque vous ne parlez pas, veuillez mettre votre micro en sourdine.
    En ce qui concerne l'interprétation, pour ceux qui sont dans la salle, assurez-vous simplement de choisir votre langue de préférence — anglais, parquet ou français. Il en va de même pour les personnes qui se connectent par Zoom: sélectionnez le canal de votre choix.
    Pour ceux qui l'ignorent, sachez que je me sers de cartons de rappel. Lorsqu'il ne vous reste plus que 30 secondes, je lève le carton jaune, alors essayez d'y être attentif. Lorsque votre temps de parole arrivera à sa fin, je lèverai le carton rouge et je vous demanderai de mettre fin à votre intervention dans les quelques secondes qui suivront.
    Cela étant dit, pour notre première heure, nous entendrons trois témoins, nommément Greg DelBigio du Conseil canadien des avocats de la défense — qui, je crois, nous parvient par vidéoconférence —, Garen Arnet-Zargarian, membre du conseil d'administration de la Criminal Defence Advocacy Society — qui est ici, en personne — et Melanie Webb de l'Association du Barreau canadien, section du droit pénal, par vidéoconférence.
     Je vous souhaite la bienvenue. Vous disposez chacun de cinq minutes, en commençant par M. DelBigio.
    Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître.
    Ce n'est pas la première fois que l'on se penche sur les cautions. En 1965, le professeur Martin Friedland s'est penché sur le problème de l'incarcération préalable au procès et a publié ses résultats dans son livre intitulé Detention Before Trial. La Charte canadienne des droits et libertés est entrée en vigueur en avril 1982 et la mise en liberté sous caution est garantie par le paragraphe 11(e) de ce document, qui stipule que tout inculpé a le droit « de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable ».
    En 2012, le colloque national portant sur la refonte de la justice pénale s'est penché sur la question des mises en liberté sous caution et a publié un rapport et des recommandations à ce sujet. Ces recommandations visant à réduire la population en détention provisoire et à améliorer le processus de mise en liberté sous caution indiquent entre autres que les participants du colloque ont souligné l'importance de cette étape précoce de la procédure pénale et la nécessité d'affecter des ressources adéquates à ces premières étapes du processus.
    La question de la libération sous caution a de nouveau été étudiée en 2016 par le comité directeur sur l'efficacité de la justice et l'accès au système judiciaire. Dans un rapport produit en 2016, le comité écrit:
L'identification précise des problèmes et la mise en œuvre d'une réforme efficace dépendent d'une base de données fiables. [...] Notre examen des données disponibles montre qu'il y a un manque de renseignements complets, objectifs et fiables sur la procédure de mise en liberté sous caution qui permettraient de faire des déductions rigoureuses ou d'arriver à des conclusions précises sur son fonctionnement.
L'absence de données fiables, objectives et complètes sur les différents aspects de la procédure de mise en liberté sous caution dans l'ensemble du pays a entravé l'identification précise des problèmes et les discussions sur la réforme [...]
    Le rapport souligne les avantages de la supervision de la mise en liberté sous caution par rapport à l'incarcération et fait une recommandation en ce sens.
    La question de la mise en liberté sous caution a été examinée par la Cour suprême du Canada en 2017 dans l'affaire Regina c. Antic, que vous connaissez tous, j'en suis sûr. Dans cet arrêté, la Cour évoque les travaux du professeur Kent Roach et plus particulièrement le fait qu'il ait dit que, bien que la Charte parle de façon explicite de la mise en liberté sous caution, le résultat est que les populations en détention provisoire et les refus d'accorder une mise en liberté sous caution ont augmenté de façon spectaculaire depuis l'entrée en vigueur de la Charte.
    Dans l'affaire Antic, la Cour a également reconnu que la détention avant procès avait une incidence négative sur les dispositions psychiques, la vie sociale et la santé physique de l'inculpé et de sa famille. Elle peut également avoir un effet substantiel sur le résultat du procès lui-même.
    En 2020, la Cour suprême du Canada s'est à nouveau penchée sur la question de la mise en liberté sous caution dans l'affaire Regina c. Zora. Dans cette affaire, la Cour a fait observer que les fonctionnaires judiciaires qui prennent des décisions en matière de mise en liberté sous caution sont tenus d'accorder une attention particulière à la situation des accusés qui sont autochtones ou qui appartiennent à une population vulnérable qui est surreprésentée dans le système de justice pénale et désavantagée lorsqu'il s'agit d'obtenir une mise en liberté. Autrement dit, la Cour a reconnu qu'il y a des personnes qui sont prises dans le système de justice pénale — qui se retrouvent dans ce système — et qui sont désavantagées et surreprésentées. C'est une dynamique qui fait en sorte que ces personnes partent avec une longueur de retard lorsqu'il s'agit d'obtenir une libération.
    Dans l'affaire Zora, la Cour a relevé le fait qu'il existe une culture d'aversion au risque qui pousse les tribunaux à imposer des conditions excessives.
    Je ne suis pas un élu, je suis un avocat. Je ne peux pas commenter ce qui pourrait motiver les élus à affirmer qu'une réforme des mises en liberté sous caution est nécessaire, que les rues pourraient être dangereuses ou que davantage de personnes devraient se voir refuser la mise en liberté sous caution et être gardées en prison alors qu'elles sont présumées innocentes. Toutefois, pour être clair, je suis pour cette réforme et je suis d'avis que la tenue de discussions éclairées sur des questions importantes — par opposition à des citations et des titres qui cherchent à attirer l'attention — est toujours salutaire.
    Je n'insinue pas que toute personne accusée d'un délit devrait être libérée sous caution. Ce que je dis, c'est que l'utilisation des prisons pour traiter ce qui est souvent des problèmes sociaux découlant de considérations telles que l'itinérance, la toxicomanie, les problèmes de santé mentale et la pauvreté est contre-productive. Je soutiens que les procureurs de première ligne sont déjà bien équipés pour s'opposer aux demandes de mise en liberté sous caution dans des circonstances appropriées. Les juges de première ligne sont tout à fait capables d'accorder ou de refuser la mise en liberté sous caution, le cas échéant. Les cours d'appel sont bien équipées pour réexaminer les décisions de mise en liberté sous caution.

  (1550)  

    Si une réforme est envisagée, je demande instamment qu'elle soit fondée sur des preuves et qu'elle s'appuie sur des statistiques, et non sur des suppositions ou des impressions. Combien de personnes sont actuellement en détention provisoire et pour combien de temps? Pourquoi sont-elles détenues? S'agit‑il d'une considération primaire, secondaire ou tertiaire? Combien de personnes libérées sous conditions ne respectent pas les conditions imposées? Quelles infractions commettent-elles?
    Si des personnes sont libérées et que des infractions sont commises, est‑ce dû à une défaillance du système ou cela révèle‑t‑il l'existence d'une lacune aux termes des lois existantes?
    Si l'on craint que des personnes soient libérées et commettent des infractions et que cela se révèle problématique, je vous demande instamment d'étudier les transcriptions de leurs audiences de libération sous caution afin de comprendre avec précision ce qui s'est passé et pourquoi ces personnes se sont retrouvées dans la rue.
    Je vous remercie.
    Merci.
    Nous allons maintenant passer à M. Arnet-Zargarian, pour cinq minutes.
    Je vous remercie de m'avoir invité à m'adresser à ce comité.
    Je suis avocat criminaliste à Vancouver et je suis ici au nom de la Criminal Defence Advocacy Society, un organisme qui regroupe des avocats de la défense de partout en Colombie-Britannique.
    Ce comité a devant lui la possibilité d'améliorer considérablement le système canadien de mise en liberté sous caution, de faire respecter les droits constitutionnels et de protéger la sécurité à long terme du public. Cela ne saurait être posé comme étant un choix entre deux visions possibles. Il ne s'agit pas non plus d'une chose qui pourra être réglée à la va‑vite. C'est une refonte qui reste néanmoins nécessaire.
    Comme l'a dit l'honorable ministre Lametti, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions importantes comme celle‑là, le diable se cache dans les détails.
    Ce comité a déjà entendu certains de ces détails, et mon intention n'est pas ici de répéter toutes les statistiques ou toutes les données qui ont été produites à ce sujet, même si elles sont stupéfiantes. Au cours des 30 dernières années, la criminalité dans notre pays n'a cessé de diminuer, mais nos prisons provisoires sont devenues surpeuplées de présumés innocents. Or, même quelques jours de détention préventive peuvent compromettre l'emploi d'une personne, son logement et ses relations avec son milieu, et augmenter le risque de récidive.
    Les tribunaux sont embourbés dans des affaires mineures, des infractions administratives et une culture de reports qui a été décrite comme une menace tout à fait inacceptable pour les droits constitutionnels, un déni d'accès à la justice et un coût inutile pour le système judiciaire. Le financement de l'aide juridique pour les avocats de la défense est insuffisant et la divulgation à un stade précoce est souvent inexistante ou administrée avec parcimonie. La supervision dans la collectivité manque de personnel et de fonds.
    Enfin, les Autochtones, les minorités raciales, les pauvres, les sans-abri, les toxicomanes et les malades mentaux sont tous surreprésentés dans nos prisons. Au cours des trois dernières années — et la pandémie y est pour beaucoup —, un grand nombre de dispositifs de soutien sociaux dont dépendent les membres de ces groupes ont été mis à mal. Ce n'est peut-être pas une coïncidence si au cours de cette même période, les préoccupations relatives à la récidive des infractions violentes ont pris de plus en plus de place.
    Tous ces faits se conjuguent en une réalité troublante. Notre système judiciaire est débordé et notre société est en crise. L'inversion des rôles ne résoudra toutefois pas cette crise. De nouvelles règles et définitions pour les récidivistes violents ne protégeront pas la sécurité publique à long terme.
    Les décisions relatives à la mise en liberté sous caution sont par nature des évaluations imparfaites du risque. L'inversion du fardeau de la preuve n'apprend au juge rien qu'il ne sache déjà sur la prudence dont il faut user lorsqu'un défendeur faisant face à de nouvelles accusations se présente devant le tribunal. Outre l'étiquette qui l'affuble et avec laquelle elle doit vivre, cette personne est confrontée à une bataille difficile pour être libérée. L'inversion du fardeau de la preuve risque d'ouvrir la porte à une approche applicable à tous qui pourrait mettre en péril le droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable.
    Une personne qui, normalement, pourrait être admissible à la libération sur consentement risque d'être confrontée à des délais, même de quelques jours, pour préparer un plan de libération. Elle pourrait subir des pressions pour accepter des conditions excessives et pour plaider coupable à la hâte et parfois à tort. L'histoire montre que c'est malheureusement sur ces mêmes groupes marginalisés que les conséquences seront les plus graves. Enfin, l'ajout de l'inversion du fardeau de la preuve irait à l'encontre des directives claires qu'a formulées la Cour suprême du Canada dans les affaires Antic et Zora.
    La réforme législative ne suffira pas à guérir les maux du système judiciaire ni à protéger notre société à long terme. Comme ce comité l'a entendu, une réforme efficace de la mise en liberté sous caution nécessite une approche multidisciplinaire si nous voulons comprendre et, plus important encore, prévenir les causes profondes de la criminalité. La Criminal Defence Advocacy Society encourage ce comité à examiner comment le gouvernement fédéral peut soutenir les mesures suivantes: premièrement, augmenter les ressources destinées à la santé communautaire et aux services sociaux, en particulier dans les régions rurales et nordiques; deuxièmement, créer des équipes d'intervention non policières pour répondre aux crises de santé mentale; troisièmement, décriminaliser la possession d'une petite quantité de drogues et fournir un approvisionnement sûr en drogues aux toxicomanes; quatrièmement, rendre obligatoire la divulgation en temps opportun lors des audiences de mise en liberté sous caution; et cinquièmement, continuer à maintenir les directives d'Antic et de Zora selon lesquelles la mise en liberté avant le procès est la norme et la détention, l'exception.
    Dans l'affaire Antic, la Cour suprême du Canada a commencé la présentation de sa décision en décrivant la relation qu'il y avait entre le droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable et un système de justice pénale éclairé. Un système de justice pénale éclairé doit être tourné vers l'avenir et ne pas être trop influencé par les émotions et les tragédies qui sont, malheureusement, son lot quotidien.

  (1555)  

     Au nom de la Criminal Defence Advocacy Society, je demande instamment à ce comité de privilégier les données plutôt que les émotions, de privilégier le progrès plutôt que le recul, et de privilégier la sécurité à long terme des Canadiens plutôt que les réactions à court terme à des événements tragiques.
    Merci beaucoup.

  (1600)  

    Merci, monsieur Arnet-Zargarian.
    Nous passons maintenant à Melanie Webb, de la Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien.
    Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui au sujet de cette importante question.
    L'Association du Barreau canadien représente environ 37 000 avocats, étudiants, universitaires et juristes à travers le Canada. Notre mandat consiste notamment à travailler à l’amélioration du droit et de l’administration de la justice. La Section du droit pénal est composée tant de procureurs de la Couronne que d’avocats et d’avocates de la défense de toutes les régions du pays. Nombre de nos membres représentent et conseillent fréquemment les plaignants et les familles des victimes d'actes criminels dans le cadre de poursuites pénales.
    Je suis la responsable des communications de la Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien, et au cours des 15 dernières années, j'ai été avocate criminaliste et avocate d'appel.
    En 2018, l'Association du Barreau canadien a appuyé bon nombre des modifications au régime de mise en liberté sous caution que proposait le projet de loi C‑75. L'association soutient que, lors de l'examen de toute proposition de réforme ultérieure de la mise en liberté sous caution, une approche nuancée devrait être de mise. Toute modification envisagée des dispositions relatives à la mise en liberté sous caution doit être fondée sur des preuves, conforme aux droits constitutionnels et aux principes de longue date énoncés dans la longue série d'affaires de mise en liberté sous caution de la Cour suprême du Canada.
    Il convient de rappeler que toute personne accusée d'un délit est présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. Il s'agit d'un droit protégé par la Constitution. Cette présomption continue de s'appliquer quel que soit l'objet de l'infraction et qu'il y ait ou non des antécédents ou des accusations en suspens. Cette présomption continue de s'appliquer à toutes les personnes à tous les stades de la procédure pénale, y compris celui de la mise en liberté sous caution.
    La culture de la mise en liberté sous caution a souvent été décrite comme une culture d'aversion au risque, mais la Cour suprême nous a rappelé à plusieurs reprises que la détention préalable au procès doit être l'exception et non la règle. Cela dit, il y a des cas où la détention est justifiée, et elle est effectivement ordonnée par les tribunaux des cautionnements de partout au pays. Dans nombre de régions, les prisons sont surchargées de personnes placées en détention préalable au procès.
    Des appels ont été lancés en vue d'ajouter d'autres infractions à l'inversion du fardeau de la preuve en cas de mise en liberté sous caution. Le Code criminel contient déjà une longue liste d'infractions auxquelles s'applique l'inversion du fardeau de la preuve. Cependant, qu'une infraction particulière soit oui ou non visée par l'inversion du fardeau de la preuve ou du fardeau du ministère public, les procureurs de la Couronne disposent des outils nécessaires pour faire valoir, le cas échéant, que l'accusé devrait être détenu ou qu'il n'a pas démontré les raisons pour lesquelles il devrait être remis en liberté. Il n'est pas rare qu'une personne soit détenue pour des infractions qui relèvent de la responsabilité du ministère public. En pratique, lorsque l'accusé est accusé d'avoir commis des infractions graves avec violence, et en particulier dans les affaires impliquant des armes à feu, la réalité est qu'il est très difficile d'obtenir sa libération, sans égard pour qui il est.
    Ce n'est en aucun cas facile de composer avec cela, et il ne s'agit assurément pas d'un simple procédé d'« arrêté et relâché », comme certains l'ont insinué.
    Lorsque le ministère public estime que le tribunal de première instance a commis une erreur en accordant la mise en liberté, il peut rapidement demander un réexamen de la mise en liberté sous caution, et lorsque l'accusé récidive alors qu'il est en liberté sous caution, le ministère public peut demander la révocation de la mise en liberté sous caution. Il ne s'agit pas de situations inhabituelles ou exceptionnelles, et le ministère public peut plaider avec succès ces affaires lorsque cela devient nécessaire.
    Comme nous le rappelle la Cour suprême, la fixation de la caution est un exercice très personnalisé. La loi prévoit déjà l'examen d'un large éventail de facteurs pertinents qui sont pris en compte par des officiers de justice expérimentés lors de chaque audience de mise en liberté sous caution. Modifier la formulation des dispositions du code relatives à la mise en liberté sous caution n'empêchera pas des événements tragiques tels que les récentes fusillades impliquant des agents de police ou les crimes violents dans les transports en commun. Il serait plus productif de s'attaquer aux causes profondes de la criminalité, notamment en consacrant davantage de ressources aux mesures de soutien social destinées aux populations marginalisées et vulnérables. Nous insistons particulièrement sur le fait qu'il faut accorder une attention particulière aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale, de toxicomanie, de pauvreté et de logement précaire.
    Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. Sachez que je serai heureuse de répondre à vos questions.

  (1605)  

    Merci, madame Webb.
    Commençons le premier tour de questions. Les interventions sont de six minutes.
    M. Caputo lance le bal. Vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    En toute transparence, je tiens à dire que j'ai eu affaire à M. Arnet-Zargarian et à M. DelBigio dans le cadre de mon ancien travail. Ce sont manifestement deux membres très respectés du Barreau, et je présume que Mme Webb fait elle aussi l'objet d'un très grand respect au Barreau, vu son travail au sein de l'Association du Barreau canadien.
    Monsieur Arnet-Zargarian, j'ai l'impression que vous êtes souvent sur le terrain, si je puis dire, et j'entends par là que vous êtes au 222, rue Main, à Vancouver, un tribunal réputé pour sa rapidité d'action. Est‑ce exact?
    Oui, et le rythme est probablement encore plus rapide à Surrey.
    Oui, ce sont des tribunaux au rythme rapide où il y a souvent des audiences sur la libération sous caution, voire du triage à cet effet. Cela fait partie intégrante de votre vie.
    Tout à fait.
    Avant que j'aborde la révision d'ordonnances relatives à la mise en liberté sous caution, diriez-vous que les arrêts Zora et Antic ont fondamentalement changé la façon dont nous abordons la libération sous caution? Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
    Dans beaucoup de cas, je crois qu'ils ont soit changé notre vision des choses, soit renforcé ce que beaucoup appliquaient déjà, c'est‑à‑dire que le droit à une libération sous caution raisonnable doit être protégé, jalousement protégé. Je dirais que, oui, ils ont apporté ce changement chez certains et renforcé ce que l'on savait déjà chez beaucoup d'autres.
    À titre d'avocat de la défense, vous constatez évidemment des tendances. Vous connaissez différents juges et constatez des tendances. Diriez-vous que, depuis l'arrêt Zora, par exemple, il est maintenant plus difficile ou plus facile d'obtenir une libération sous caution?
    Je ne sais pas s'il y a une tendance quant à la facilité ou à la difficulté d'obtenir une libération sous caution. Je crois sincèrement que l'établissement des conditions les moins sévères possible est devenu le point focal. Certaines personnes qui n'auraient pas été libérées avant l'arrêt Zora ne le seront probablement pas plus maintenant. Pour répondre très brièvement à votre question, je ne crois pas avoir cerné de tendance précise où les tribunaux de cautionnement font preuve de plus de clémence. Ils semblent en fait approcher les cas de façon plus ciblée.
    Les conséquences de cela, toutefois, peuvent être l'imposition de six conditions au lieu de 12, par exemple. Ce n'est pas tout le monde qui contrevient à une disposition sur les substances intoxicantes ou ce genre de choses.
    Certes.
    Nous pourrions débattre à quel point cet accent mis par les tribunaux est bon ou mauvais, mais une partie de celui‑ci vise à favoriser la libération, compte tenu des arrêts Antic et Zora. Êtes-vous d'accord?
    Je crois que l'accent est mis sur la nécessité de se souvenir que nous devons opter pour les conditions véritablement nécessaires en vertu des motifs invoqués. Celui qui nous préoccupe le plus aujourd'hui est le motif secondaire, soit celui de la protection du public, donc, je le répète, il faut d'abord établir s'il y a des conditions permettant la libération de cette personne sans nuire grandement à la sécurité du public. Si tel est le cas, quelles sont les conditions les moins sévères? En pratique, comme vous l'avez dit, il pourrait en résulter la libération d'une personne sans interdiction générale de consommation d'alcool ou sans une restriction générale d'accéder à une zone donnée.
    Je ne crois pas avoir de données pour appuyer chaque point que j'avance ici, et je crois que c'est l'un des problèmes du Comité, soit que nous n'avons pas toutes ces données sur la libération sous caution, mais je ne crois pas, du moins au sein des instances où j'exerce le plus souvent, en Colombie-Britannique, que cela a entraîné une tendance de libération accrue; les conditions ciblent tout simplement davantage ces risques.
    Merci.
    Je vais vous poser quelques questions sur l'arrêt Myers, que vous connaissez sûrement. L'arrêt Myers aborde les articles sur la révision d'une ordonnance relative à la mise en liberté sous caution, soit la révision systématique après 90 jours dans le cas d'un acte criminel. Êtes-vous d'accord?
    On constate souvent que les circonstances du prévenu ont changé après 90 jours, puisqu'il est maintenant possible pour lui d'obtenir un traitement ou qu'il est en attente de celui‑ci, ce genre de choses.
    Cela fait assurément partie de l'approche.
    Votre travail à titre d'avocat de la défense est de voir à ce traitement ou de prendre les mesures nécessaires concernant la libération sous caution, ce genre de choses. C'est exact?
    Il revient habituellement à l'avocat de la défense de faire toutes les démarches, c'est‑à‑dire trouver un centre de réadaptation, trouver un traitement, ce genre de choses, oui.
    En règle générale, dans le cas d'une détention initiale, une révision d'ordonnance relative à la mise en liberté sous caution est souvent positive quand une première demande de mise en liberté sous caution a été refusée. Êtes-vous d'accord?
    Je n'ai pas de statistiques là‑dessus.
    De manière empirique, j'entends.
    De manière empirique, c'est difficile à dire. Il faudrait vraiment se pencher sur des cas précis. Pour être bien franc, selon mon expérience, je n'ai constaté aucune tendance à la hausse ou à la baisse. Évidemment, tout se résume aux problèmes de cette personne. Pour certaines, peu importe le nombre de centres de traitement prêts à les recevoir, elles n'obtiendront tout simplement pas leur libération.
    Fort bien.
    Je vais vous poser quelques questions sur... Vous avez parlé des données par rapport aux émotions...
    ... et, je ne sais pas si c'est aussi votre cas, mais je présume que tout le monde au sein de ce groupe de témoins serait d'accord pour dire que c'est la sécurité du public qui nous préoccupe le plus, et que la violence interpersonnelle et les armes à feu nuisent à la sécurité du public. Ce sont les deux aspects clés. Je vais mettre de côté la violence conjugale pour l'instant, mais ce sont les deux aspects. Êtes-vous d'accord?
    Je suis d'accord.
    S'il y a réforme du système de mise en liberté sous caution... Nous parlons de données, et, de ce que j'en comprends, monsieur, c'est qu'il y a eu une augmentation de 32 % des crimes violents et que les homicides associés aux gangs, surtout avec des armes à feu, ont presque doublé.
    Si nous parlons de ces données, j'en conclus que nous sommes d'accord que, si nous devons nous concentrer sur quelque chose, ce serait là qu'il faudrait dire: « Vous savez quoi? Nous allons nous retrouver avec de la violence, et des armes à feu vont tomber entre de mauvaises mains. »
    Voyez-vous où je veux en venir?

  (1610)  

    Tout à fait, et ce que nous faisons dans le cas de ce genre de crimes extrêmement graves doit être au cœur de l'étude du Comité.
    Je crois qu'il faudra trouver un équilibre entre adopter la bonne approche qui cible ces crimes, qui sont manifestement dangereux pour la société, et éviter ce que je qualifierais de « prises accessoires », ce qui comprend les personnes qui ne devraient pas être comprises dans cette approche, et que ce sera difficile d'y arriver.
    Je ne vais pas vous contredire là‑dessus. Il y a tout à fait une différence entre un voleur à l'étalage ou de voitures chronique et quelqu'un qui possède une arme comme outil de travail.
    C'est exact.
    Pour brièvement conclure sur ce point, l'un des cas où l'on propose que le fardeau de la preuve incombe au prévenu a trait aux infractions en vertu du paragraphe 95(1). Les tribunaux ont clairement établi que, à cette extrémité du continuum d'application, un outil employé par un criminel dans ses activités est une infraction grave et dangereuse, et que cela n'englobe pas tous les contrevenants.
    C'est l'un des exemples du risque, puisque quelqu'un pourrait être visé alors qu'il ne le devrait pas.
    J'avancerais que, si vous portez une arme à feu chargée, c'est habituellement une arme et un outil de travail. En tous les cas...
    Pourrais‑je vous référer au paragraphe 82 de l'arrêt Nur, qui parle de l'autre extrémité du continuum, soit du propriétaire responsable d'une arme à feu qui serait visé, mais...
    Je ne vais pas du tout vous contredire sur ce paragraphe.
    Merci, monsieur Caputo.
    Passons maintenant à Mme Diab pendant six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Bienvenue à tous les témoins. Merci d'être des nôtres aujourd'hui alors que nous poursuivons notre étude sur la réforme du système de mise en liberté sous condition. La séance d'aujourd'hui est probablement l'une des dernières, alors nous vous sommes très reconnaissants de partager avec nous votre vaste expérience.
    Madame Webb, ma question s'adresse à vous, puisque vous avez 15 ans d'expérience, mais aussi de l'expérience au sein de l'Association du Barreau canadien, dont vous êtes l'une des membres ayant une expérience remarquable. Vous avez déclaré que l'Association du Barreau canadien a appuyé le projet de loi C‑75. C'était avant mon temps.
    Pouvez-vous décrire les visées du projet de loi C‑75 et l'incidence qu'il a eue, selon vous, sur notre système de mise en liberté sous caution?
    Oui. Le projet de loi C‑75 a apporté diverses modifications, non seulement au système de mise en liberté sous caution, mais à beaucoup d'autres aspects de la justice pénale. Nous avons présenté nombre de mémoires détaillés là‑dessus. Nous avons appuyé beaucoup des modifications apportées au système de mise en liberté sous caution. Nous estimions qu'elles se traduiraient par des audiences plus rapides, tout en demeurant conformes à la jurisprudence et aux préoccupations constitutionnelles.
    Par exemple, nous étions en faveur de la codification du principe de la retenue, le principe de l'échelle, qui avait déjà été codifié dans le Code criminel, de même que de l'article 493.1, qui demande que le fonctionnaire judiciaire cherche en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possible dans les circonstances. Je fais une fois de plus référence aux principes de la retenue et de l'échelle.
    L'article 493.2 exige quant à lui que l'on tienne compte de la surreprésentation des prévenus autochtones, de même que des prévenus appartenant à d'autres populations vulnérables qui sont surreprésentées au sein du système de justice pénale.
    Nous avons également appuyé les modifications qui décourageraient explicitement l'utilisation de dépôts en espèces et de cautions. Cette position s'appuie sur nombre de jugements et de rapports au fil des ans selon lesquels on a trop recours à la caution comme mode de libération.
    Nous avons également appuyé les mécanismes de déjudiciarisation, y compris la comparution pour manquement. Je devrais préciser que, strictement selon mon expérience, ces mécanismes n'ont pas été utilisés autant qu'ils auraient pu l'être.
    Plus particulièrement, nous avons soutenu l'élargissement des pouvoirs de la police afin de lui permettre de libérer un prévenu après son arrestation. Ainsi, il y aurait moins d'audiences sur la libération sous caution et, espérons‑le, de personnes en détention et en détention sous garde.
    Nous avons également remarqué que le projet de loi C‑75 a quelque peu compliqué la tâche des personnes accusées d'infractions relatives à la violence conjugale qui ont déjà un casier judiciaire en raison de telles infractions avec violence, un autre sujet sur lequel nous avons déposé des mémoires.
    Voilà la portée générale des modifications apportées au système de mise en liberté sous caution dans la foulée du projet de loi C‑75.
    Merci beaucoup pour cette réponse. La clarification de tout cela nous sera très utile.
    Vous avez dit, tout comme d'autres témoins, que toute modification qui sera apportée doit être fondée sur les preuves et les statistiques.
    La question que j'ai pour vous est la suivante: avez-vous des preuves provenant de l'Association du Barreau canadien ou de toute autre source, que d'autres ou vous auriez recueillies et qui indiquent que nous devrions apporter des modifications? Le cas échéant, quel type de modifications devrions-nous apporter?

  (1615)  

    De ce que j'en sais, l'Association du Barreau canadien ne collige pas de statistiques. Dans notre mémoire, nous avons fait référence à celles de Statistique Canada, qui sont accessibles en ligne. Nous avons utilisé celles‑là en particulier pour mieux cerner s'il y a eu ou non une augmentation des crimes et, dans l'affirmative, de quel type de crimes il s'agit et quelles pourraient en être les raisons.
    Je ne peux pas être bien précise... Je ne suis pas criminologue. Je ne suis pas statisticienne non plus. Je suis simplement une avocate criminaliste et quelqu'un qui participe assez activement aux activités de réforme des lois et de défense des droits.
    Toutefois, nous avançons que, s'il doit y avoir des modifications au système de mise en liberté sous caution, nous devons éviter de réagir... Je reprendrais les propos de mon collègue, M. Arnet, soit que nous ne devons pas réagir de manière émotive, que nous ne devons pas réagir de façon instinctive à des événements forts tragiques et émotifs, mais que nous devons consulter la doctrine. Par exemple, j'ai l'impression que le mémoire de Mme Nicole Myers soumis plus tôt dans le cadre des réunions de ce comité serait très utile. J'ai l'impression que ce pourrait être un très bon point de départ.
    Merci pour cette réponse.
    Monsieur Greg DelBigio, puis‑je vous poser la même question? Vous avez aussi fait allusion au fait que ces modifications devraient être fondées sur des données probantes.
    D'emblée, vous avez déclaré que l'étude du système de mise en liberté sous caution n'a rien de nouveau, puisqu'elle dure depuis plusieurs décennies déjà, ce que j'ai apprécié.
    Avez-vous des recommandations pour nous, au sein de ce comité, quant aux modifications à apporter? Quel type de preuves ou de statistiques avez-vous vues, vous ou des gens autour de vous, d'après votre expérience?
    Nous ne colligeons pas de statistiques. Nous ne sommes tout simplement pas équipés pour cela.
    Selon mon expérience, à titre de membre de différents comités et de participant à différentes réunions où ces questions ont été abordées, ce sont toujours les institutions gouvernementales qui sont les mieux placées pour colliger des statistiques. Évidemment, ce qui est gardé dépend de ce que l'on veut mesurer. Colliger des statistiques demande du temps, de même que les compétences nécessaires.
    Toutefois, j'estime que ces questions... Nous parlons de la liberté des gens. Si vous pensez que davantage de personnes devraient être en prison tout en étant présumées innocentes ou avant la tenue de leur procès, et s'il est proposé qu'il y a un besoin en ce sens, je vous proposerais de ne pas fonder cette justification sur des impressions, mais plutôt sur un besoin démontré par des statistiques.
    Merci.
    Merci, madame Diab. Le temps est écoulé.
    Merci beaucoup.
    Passons maintenant à M. Fortin pendant six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Mesdames et messieurs les témoins, je vais d'abord vous remercier de votre présence. Comme le disait ma collègue Mme Diab, nous vous en sommes très reconnaissants. Nous étudions un sujet important et c'est peut-être aujourd'hui la dernière réunion que nous aurons pour entendre des témoins. Vos témoignages sont donc importants.
    Nous sommes confrontés à deux façons de voir les choses, vous vous en doutez, puisque vous êtes des parties importantes du système judiciaire. Il y a les tenants de la doctrine de base, selon laquelle la règle est la remise en liberté, la détention étant l'exception. Il y a ceux pour qui certains cas exigent la détention, parce qu'il serait sinon dangereux de remettre les personnes visées en liberté.
    Je crois que c'est M. Arnet‑Zargarian qui disait tantôt que le recours à une arme à feu dans la commission d'un crime est un aspect important. Il y a aussi la question des récidivistes, dont on peut difficilement justifier la remise en liberté à cause de leur risque de récidive.
    À mon avis, il y a des moments où la détention s'impose, et d'autres où il faut remettre les gens en liberté. C'est là que j'en suis dans mon raisonnement. J'entendais tantôt que c'est vraiment du cas par cas et que le tribunal doit prendre sa décision à la lumière de la preuve qui lui est soumise. Je pense que c'est sage.
    C'était un long préambule à ma question, qui porte sur le fait que cette décision du tribunal pourrait varier selon les époques en fonction d'un certain nombre d'éléments et des règles adoptées par le législateur.
    Par exemple, le Parlement fédéral a récemment adopté le projet de loi C‑5, qui élimine les peines minimales obligatoires en lien avec certaines infractions, notamment commises avec une arme à feu. Ainsi, nous avons supprimé la peine minimale obligatoire auparavant imposée en cas de décharge d'une arme à feu avec intention. Évidemment, la peine maximale existe toujours et il y a toujours possibilité d'imposer une peine plus grave, mais nous avons quand même, comme législateurs, décidé que la peine minimale ne s'appliquerait plus à ce type de crime.
    Monsieur Arnet‑Zargarian, selon vous, cela aura-t-il un impact sur l'appréciation que le tribunal va faire d'une situation au moment de décider si, oui ou non, il y a lieu de remettre un individu en liberté?

  (1620)  

     Merci beaucoup pour cette question.
    Pour m'assurer que ma réponse est claire et compréhensible, je vais vous répondre en anglais.

[Traduction]

    Je suis heureux que vous posiez cette question. Je vous ai entendu plus tôt la poser à un autre témoin et je trouvais que c'était une question très importante.
    Votre abordez le fait que les audiences sur la libération sous caution sont essentiellement du cas par cas. Différents faits auront une incidence sur le résultat. Je crois que l'abolition des peines minimales obligatoires a axé chaque peine sur les questions propres à chaque cas.
    Pour répondre brièvement à votre question, non, selon mon expérience, l'élimination des peines minimales obligatoires n'a pas entraîné la prononciation de peines moins sévères ni le traitement de certains crimes de façon moins sérieuse par les juges. La common law explique déjà que les juges doivent traiter la question en tenant compte de la peine maximale. À mon avis, éliminer les peines minimales obligatoires n'envoie pas le message que certains crimes sont moins graves qu'avant. Elle tient seulement compte du fait qu'un éventail de circonstances différent peut mener la personne à commettre une infraction.
    Pour utiliser l'exemple de la possession d'une arme à feu prohibée, il est très inhabituel de voir une peine bien inférieure à l'ancien minimum obligatoire de trois ans. Cette durée demeure, de fait, le minimum obligatoire, à tout le moins en Colombie-Britannique.

[Français]

    N'êtes-vous pas d'accord avec moi pour dire que le législateur a quand même donné une indication aux tribunaux en abolissant les peines minimales? Cette abolition veut dire quelque chose. Elle n'est pas sans raison.
    Au cours des derniers mois, particulièrement au Québec, on a vu des causes où le juge demandait l'opinion des avocats en lien avec l'abolition de la peine minimale. Il est sûr que la défense va s'empresser de dire que cela indique que l'infraction est moins grave qu'elle ne l'était avant, alors que la poursuite va plutôt dire l'inverse.
    Cette abolition n'a-t-elle pas de répercussions? N'est-ce pas une indication claire aux tribunaux? Sinon, à quoi a-t-elle servi? Pourquoi, à votre avis, avons-nous aboli ces peines minimales si cela n'a pas de conséquences?

[Traduction]

    Cette abolition permet aux tribunaux de tenir compte des circonstances pouvant mener à l'infraction. Cela ne signifie absolument pas que cette infraction est moins grave. Cela veut dire qu'une peine différente peut être appropriée, selon les circonstances entourant la commission, y compris les faits qui l'ont précédée et la situation du contrevenant.
    À mon humble avis et d'après mon expérience, cette abolition ne laisse absolument pas entendre qu'un crime est moins grave.

[Français]

    Monsieur Arnet‑Zargarian, si j'ai bien compris, vous êtes un avocat de la défense. Supposons que vous représentez un individu accusé d'un crime commis avec une arme à feu. Vous vous retrouvez devant un juge pour demander la libération sous caution de votre client, mais le procureur de la Couronne prétend que le crime est grave, qu'une arme à feu a été manipulée et qu'il faut emprisonner votre client au nom de la sécurité publique.
    Ne rappelleriez-vous pas au juge qu'il y a une tendance jurisprudentielle et que le législateur a décidé qu'il ne faut plus appliquer de peine minimale dans pareil cas? Ne le plaideriez-vous pas?

[Traduction]

    Non. Je ne pense pas que j'aurais beaucoup de succès si je le faisais. C'est ce que j'en dis.
    Soyez très bref.
    Vous n'auriez pas beaucoup de succès, mais est‑ce que vous opteriez pour cette plaidoirie?
    Non, je ne le pense pas.
    Je vous remercie, monsieur Fortin.
    Nous accordons maintenant la parole à M. Garrison pour six minutes.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
    Je suis heureux d'avoir l'occasion de nous ramener au sujet d'aujourd'hui, c'est‑à‑dire les mises en liberté sous caution et non les peines minimales obligatoires.
    Monsieur DelBigio, vous avez indiqué que des programmes de surveillance des personnes en liberté sous caution sont recommandés depuis 2016. Je me demande si vous pourriez nous parler des effets que pourrait avoir, selon vous, une offre élargie de programmes de supervision.

  (1625)  

    Les programmes de surveillance des personnes en liberté sous caution peuvent contribuer à évaluer le risque. Dans la mesure où le risque découle de l'instabilité dans la vie d'une personne, que ce soit en raison de problèmes de logement, de toxicomanie ou de pauvreté, tous ces facteurs peuvent être évalués au cours du programme de surveillance plutôt qu'en prison.
    La prison est un endroit très inadéquat pour évaluer le risque et on ne devrait l'y évaluer qu'en tout dernier recours. Ce n'est pas sans frais, financièrement et socialement. Je pense que certains ont comparé le coût d'évaluer les gens à l'intérieur et à l'extérieur des prisons. Je doute que le coût financier soit moins élevé quand l'évaluation est réalisée hors de la prison. C'est certainement avantageux du point de vue social.
    Pensez-vous qu'une offre élargie des programmes de supervision contribuerait à résoudre le problème de surreprésentation des Autochtones et des personnes marginalisées en détention préventive?
    Je n'ai aucun doute à ce sujet, car lorsqu'un avocat de la défense demande une libération sous caution, il doit présenter un plan qui convaincra le juge que le prévenu mènera une vie stable qui lui permettra de respecter les conditions de sa mise en liberté. En l'absence de stabilité, si le programme de surveillance peut permettre d'assurer cette stabilité, alors le prévenu est plus susceptible d'obtenir une libération sous caution et de réussir à en respecter les conditions.
    Je vous remercie.
    Je veux maintenant m'adresser à Mme Webb.
    Certains témoins qui ont comparu devant le Comité... Certains médias n'ont pas manqué d'alléguer que les juges et les juges de paix ne disposent pas toujours de tous les renseignements sur l'accusé quand ils rendent une décision dans un dossier de mise en liberté sous caution.
    Pouvez-vous nous indiquer si c'est ce que vous ou l'Association du Barreau avez observé? Les juges ont-ils réellement toute l'information dont ils ont besoin, y compris sur les infractions contre l'administration de la justice?
    Oui.
    Je parlerai à titre d'avocate de la défense possédant de l'expérience dans les enquêtes sur remise en liberté. En Ontario, le procureur de la Couronne remet invariablement au tribunal une liste des accusations criminelles figurant au casier judiciaire de l'accusé. Certains iront même jusqu'à fournir des rapports d'incident afin d'établir une tendance aux comportements criminels continus, une pratique qui n'est pas sans susciter une certaine controverse chez les avocats de la défense, bien entendu.
    Il n'est pas inhabituel de la part des officiers de justice, des juges de paix ou des juges saisis d'affaires de mise en liberté sous caution de poser diverses questions pendant l'audience afin d'atténuer des préoccupations persistantes ou de répondre aux questions qu'ils pourraient avoir.
    Nous y faisons allusion dans notre mémoire, mais nous ne pensons pas que les juges reçoivent fréquemment des renseignements inadéquats ou que ce soit un problème répandu qui exige une modification précise du Code.
    Y a‑t‑il des indications selon lesquelles la personne qui prend une décision dans un dossier de mise en liberté sous caution ne serait pas informée en temps opportun des infractions contre l'administration de la justice antérieures?
    Tous ces renseignements sont évidemment connus des procureurs de la Couronne et figurent souvent en bonne place dans leur argumentaire. Les infractions contre l'administration de la justice paraîtront au casier judiciaire.
    Bien entendu, je ne pense pas devoir rappeler au Comité les observations de la Cour suprême — dans l'arrêt Regina c. Zora, par exemple —, où la Cour indique que les infractions contre l'administration de la justice peuvent faire en sorte qu'il soit beaucoup plus difficile d'obtenir une mise en liberté sous caution.
    Rien ne nous indique que cela constitue un problème important qui nuit aux officiers de justice quand ils doivent rendre des décisions éclairées.
    Je vous remercie beaucoup d'avoir éclairci ce point.
    Je m'adresserai maintenant à M. Arnet-Zargarian. Je veux revenir à la question des programmes de surveillance des personnes en liberté sous caution et à leur incidence sur la sécurité des individus et de la communauté, et vous poser une question semblable à celle que j'ai posée plus tôt à M. DelBigio.
    Voulez-vous savoir si ces programmes contribueraient à réduire les taux d'incarcération excessive?
    Je veux savoir s'il y a une incidence sur l'incarcération excessive et la sécurité publique, ainsi que sur l'opinion et la confiance de la population à l'égard du système de justice.

  (1630)  

    Je répondrais brièvement par l'affirmative dans les deux cas.
    Je dirai qu'en Colombie-Britannique, nous n'avons pas tout à fait les genres de programmes solides qui existent en Ontario, avec la Société John Howard. À titre d'anecdote, j'ai eu le privilège d'assurer la liaison avec la Société John Howard pour un client vivant à Toronto, qui était visé par des accusations en Colombie-Britannique. J'ai été fortement impressionné par la vaste gamme de services et le genre d'aide qu'elle peut offrir à d'autres personnes faisant l'objet d'accusations semblables qui sont peut-être démunies et qui éprouvent peut-être des problèmes de santé mentale ou de dépendance.
    Si on veut élaborer un programme de surveillance des personnes libérées sous caution qui est réaliste et qui protège la sécurité publique, cependant, le surpeuplement et la rareté des centres de réadaptation et l'absence de surveillance posent un problème. En d'autres mots, les avocats se retrouvent à présenter au tribunal un plan qui pourrait bien s'avérer inefficace. Ces genres de programmes pourraient certainement être utiles à cet égard.
    Je vous remercie, monsieur Garrison.
    Nous accordons maintenant la parole à M. Van Popta pour cinq minutes.
     Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie également les témoins de comparaître.
    Je pense que ma question s'adressera à M. DelBigio, mais d'autres témoins pourraient intervenir également.
    Vous avez souligné le manque de données sur l'incarcération préventive, un problème également mis en lumière par d'autres témoins, et j'aimerais avoir votre avis sur la question. Quels genres de statistiques et de données devrions-nous avoir et que nous n'avons pas en ce moment? Je sais que des témoins précédents ont fait remarquer que plus de la moitié des personnes incarcérées actuellement sont en détention préventive.
    Je me demande pendant combien de temps ces personnes sont incarcérées et combien d'entre elles sont finalement libérées sous caution. Nous avons aussi eu vent d'une culture de reports. À quel point cette culture est-elle la cause des longues incarcérations préventives?
    Ma question, de façon générale, est la suivante: quelles données que nous devrions avoir font actuellement défaut alors que nous, les parlementaires, tentons d'établir une politique publique à cet égard?
    Il vous faudrait certainement des données sur le nombre de personnes en détention provisoire, mais si vous voulez effectuer des recherches sur la sécurité publique, je pense que vous aurez besoin d'autres sortes de données, notamment sur ce qu'il se passe quand certaines personnes sont libérées sous caution. Il vous faut des données pour déterminer si, en cas de nouvelle arrestation, le système a fonctionné comme il se doit et cette nouvelle arrestation était un risque imprévisible, ou si elle découle d'un problème survenu lors de l'audience pour la mise en liberté initiale sous caution qui aurait pu être corrigé avec un appel ou d'une lacune des lois existantes qui encadrent les mises en liberté sous caution.
    J'ai certainement le sentiment que ces lois confèrent aux procureurs tous les outils dont ils ont besoin pour s'opposer à la libération sous caution dans des affaires graves. Quand les personnes libérées sous caution sont arrêtées de nouveau et font l'objet de nouvelles accusations, cela ne signifie pas nécessairement que les lois actuelles ne fonctionnent pas.
    Comment évaluer ce qu'il en est? Ici encore, comme je suis avocat et non criminologue ou statisticien, je ne peux qu'émettre des suppositions à ce sujet, mais je pense que des personnes travaillant dans le domaine de l'évaluation pourraient probablement répondre à cette question mieux que moi.
    Juste pour que tout soit clair, je ne vous interrogeais pas sur l'évaluation, mais seulement sur le genre de données qui font défaut et sur ce qui manque.
    Je pourrais peut-être me tourner vers M. Arnet-Zargarian. Pourriez-vous répondre à cette question?
    Il est difficile de dire ce qui manque. Il est difficile de répondre à cette question. Je reprendrai certains des points que vous avez soulevés, comme connaître la durée moyenne de la détention préventive.
    Je pense que nous avons abordé un problème important: celui de la culture de reports. Nous avons traité ici de cette culture, nous demandant qui est responsable du problème. C'est un débat difficile dans lequel s'engager. Je pense que nous faisons fausse route. Au lieu de chercher des coupables, nous devrions nous demander pourquoi les audiences sont reportées. Est‑ce en raison d'un manque de ressources? Est‑ce parce qu'il faut trouver un logement, une thérapie? Est‑ce parce que l'avocat de la défense ou le procureur de la Couronne ne sont pas disponibles? Ces réponses peuvent nous aider à déterminer où nous pouvons éliminer un obstacle qui entrave l'accès à la justice et qui porte atteinte au droit de passer un temps raisonnable en détention préventive.

  (1635)  

    Je vous remercie, monsieur Arnet-Zargarian. J'ai une autre question pour vous.
    Vous avez indiqué pendant votre témoignage — et j'ai également lu dans vos écrits — que toute politique que nous instaurerons sur la réforme de la mise en liberté sous caution doit s'accompagner d'une directive concordante de la Cour suprême du Canada, qui indiquerait qu'une libération sous caution raisonnable constitue la norme et que la détention en prison est l'exception, mais il a certainement de la place pour quelques exceptions.
    Je pense à la personne qui est maintenant accusée d'avoir tué l'agent Pierzchala. Il s'agit d'un récidiviste violent, qui a été accusé de violence contre une partenaire intime par le passé, il me semble. Il était en liberté sous caution en attendant son procès pour des accusations semblables. Il aurait certainement dû faire l'objet d'une exception.
    Qu'en pensez-vous?
    Je veux revenir à la description de l'audience que j'ai donnée pour la mise en liberté sous caution. Selon cette description, qui n'est pas la mienne, mais qu'on voit couramment, il s'agit d'une évaluation imparfaite du risque. J'ai tenté de trouver les transcriptions, mais je ne les ai pas trouvées avant la réunion. D'après ce que je comprends — et je fais peut-être une paraphrase —, quelqu'un a indiqué à propos de cette audience que la libération sous caution était incertaine et qu'elle avait été accordée de justesse.
    Que faut‑il en comprendre? Que ce prévenu n'avait pas nécessairement besoin d'une inversion du fardeau de la preuve supplémentaire pour rester détenu. Cela n'aurait peut-être rien changé. La décision était déjà très incertaine. Sans connaître précisément les informations que le juge a examinées dans cette affaire, il m'est difficile de dire si l'inversion du fardeau de la preuve aurait permis de sauver la vie de l'agent de police.
    Le problème qui se pose au chapitre des libérations sous caution, c'est qu'on ne peut pas dire si la décision est bonne ou mauvaise. C'est une évaluation du risque. Les juges s'efforcent tous d'assurer un juste équilibre entre la protection de la population et le respect des droits constitutionnels.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie.
    Nous accordons maintenant la parole à Mme Brière pour cinq minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Bonjour à tous les témoins. Je vous remercie de vous joindre à nous pour ce qui est probablement notre dernière réunion sur le sujet.
    Maître Arnet‑Zargarian, j'ai des préoccupations concernant les questions de sécurité publique et le droit constitutionnel à la mise en liberté.
    Le procureur général de la Colombie‑Britannique a récemment publié une directive modifiant la politique sur la mise en liberté sous caution du Service des poursuites de la Colombie‑Britannique. Parmi les principaux changements apportés à cette politique, on retrouve le retrait d’une disposition qui obligeait le procureur de la Couronne à ne demander la détention que si la peine appropriée à la suite d’une déclaration de culpabilité comprenait l’incarcération.
     J'aimerais entendre votre point de vue à ce sujet: est-ce que cela va améliorer le système de mise en liberté?

[Traduction]

    À titre de référence, sachez qu'une politique précédente stipulait que si un prévenu était peu susceptible de recevoir une peine d'incarcération, les procureurs de la Couronne devaient se demander s'ils devraient réclamer la détention. Voilà qui devrait nous préoccuper. Le fait que quelqu'un puisse être détenu pour une infraction extrêmement ou relativement mineure, simplement parce qu'il présente un risque pour la sécurité publique, devrait nous inquiéter. Dans mon mémoire, j'indique que cette politique ne cadre pas avec le thème de la directive de la Cour suprême du Canada, car elle risque évidemment de faire en sorte qu'un prévenu purge une peine d'incarcération plus longue que celle à laquelle il aurait été condamné.

[Français]

    Merci.
    Qu'est-ce qui pousse les gens à ne pas respecter les conditions de leur mise en liberté? Qu'est-ce qu'on pourrait mettre en place pour que ces conditions soient mieux respectées?

[Traduction]

    Je pense qu'il faut procéder au cas par cas pour déterminer qui respectera ses conditions, et comment et pourquoi cette personne le fera. Je pense que votre comité rencontrera un défi, car la question relève en grande partie des provinces, mais il faut que les gouvernements collaborent, car la question est tout simplement trop importante.
    Nous devons fournir les ressources qui, nous le savons, peuvent s'attaquer aux causes sous-jacentes de la criminalité, qu'il s'agisse du logement ou du traitement de la toxicomanie ou de la santé mentale. Tous ces questions et ces termes sont très vastes, mais nous devons affecter des ressources pour prévenir la criminalité. Cette approche contribuera également à prévenir des violations futures, notamment grâce à l'augmentation de la surveillance et de l'accès aux traitements, dans l'espoir d'intervenir avant que les gens ne se retrouvent devant le système de justice, mais après également.
    Nous ne pourrons jamais empêcher tout le monde de violer la loi, mais cela aidera considérablement.

  (1640)  

[Français]

    Merci.
    Je suis d'accord avec vous: plus il y aura de services pour aider ces gens, mieux ce sera pour tout le monde.
    Quel est l'impact d'une détention, peu importe la durée, sur des gens qui souffrent de problèmes de dépendance ou de santé mentale, par exemple?

[Traduction]

    C'est une excellente question.
    Une témoin précédente, Mme Nicole Myers, et d'autres représentants de diverses organisations ont parlé des statistiques et des répercussions de la détention préventive. Pour les personnes aux prises avec des problèmes de dépendance ou de santé mentale, les centres de détention préventive sont des endroits pénibles. Ils sont pénibles pour tout le monde, mais particulièrement pour eux. S'ils ont des symptômes de sevrage ou une crise de santé mentale à cet endroit, leur sécurité et celle de toutes les autres personnes présentes — qu'il s'agisse de membres du personnel et d'autres détenus — sera menacée.
    La détention préventive ne réglera pas le problème; elle l'aggravera pour le prévenu, pour les autres et — c'est tout aussi important — pour la société quand il sera libéré.

[Français]

     Merci.

[Traduction]

     Je vous remercie, madame Brière.
    Nous accordons maintenant la parole à M. Fortin pour deux minutes et demie.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame Webb, à votre avis, dans le cas de crimes commis avec une arme à feu, devrait-on être plus sévère quant à la remise en liberté? Le cas échéant, quels critères le tribunal devrait-il examiner dans de tels cas?

[Traduction]

    Heureusement, le Code criminel contient déjà des dispositions sur les infractions commises avec une arme à feu. Ces critères sont codifiés dans les dispositions sur la mise en liberté sous caution.
    Je sais que certains ont proposé de voir s'il conviendrait ou non d'ajouter une inversion du fardeau de la preuve, pour la possession d'arme à feu, par exemple. Je pense que cela figure de façon générale dans la lettre des premiers ministres. Sans aller jusqu'à dire s'il faudrait inverser ou non le fardeau de la preuve pour cette infraction, nous parlons dans notre mémoire du fait que les circonstances entourant la possession d'une arme à feu peuvent varier. Dans certains cas, il peut être assez facile d'établir que la personne est responsable d'avoir possédé une arme à feu, alors que dans d'autres cas, le lien entre l'accusé et l'objet comme tel est plus ténu. La personne se trouvait peut-être simplement dans le véhicule ou le logement, par exemple.
    De façon générale, je pense qu'il est juste de dire que dès qu'une personne comparaît devant le tribunal et est accusée de crimes violents ou de crimes commis à l'aide d'une arme à feu, il lui est très difficile de réussir à se faire libérer.
    J'encouragerais fortement le Comité à ne pas trop se laisser distraire par les observations empiriques présentées, je pense, lors de réunions précédentes. De façon générale, si vous assistiez à des audiences pour la libération sous caution à Toronto, par exemple — les tribunaux des cautionnements de Toronto et de Peel sont extrêmement occupés —, vous constateriez que les officiers de justice expérimentés qui s'occupent de ces affaires à cœur de jour connaissent fort bien les principes de la mise en liberté sous caution. Ils savent pertinemment qu'ils doivent composer avec la sécurité publique et la confiance à l'égard de l'administration de la justice. La vaste majorité d'entre eux exercent cette responsabilité avec brio.
    Je vous remercie.

[Français]

    Merci, madame Webb.

[Traduction]

    Je vous remercie, monsieur Fortin.
    Monsieur Garrison, vous disposez de deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je veux interroger de nouveau M. Arnet‑Zargarian.
    Le débat public sur la libération sous caution porte souvent sur les récidivistes violents et sur la facilité avec laquelle ils obtiennent une libération sous caution. Bien sûr, je pense que vous vous entendrez probablement avec moi pour dire que cette catégorie n'existe pas dans la loi. C'est ce qui rend les choses difficiles.

  (1645)  

    Non, elle n'existe pas.
    Cependant, d'après votre expérience de travail avec les personnes qui pourraient communément appartenir à cette catégorie, pensez-vous qu'il est facile pour elles d'obtenir une libération sous caution?
    Certainement pas. Pour parler franchement, ce n'est pas du tout le cas. Il est nécessaire d'élaborer un plan détaillé. Là encore, il y a toujours un éventail de scénarios. Si une série d'accusations graves et violentes a récemment été portée contre une personne, il est plus qu'ardu de la faire libérer. Il est presque certain qu'elle sera détenue.
    Je poserai la même question à M. DelBigio.
    D'après mon expérience, ces personnes sont détenues.
    Écoutez, les transcriptions des audiences de mise en liberté sous caution sont disponibles. Si les gens peuvent citer des audiences de mise en liberté sous caution particulières et soutenir que « cette audience de mise en liberté sous caution illustre un problème »... J'invite les gens à se procurer les transcriptions pour comprendre concrètement ce qui s'est produit au cours de l'audience de mise en liberté sous caution et la raison pour laquelle une personne a été libérée. Les décisions de ce genre ne devraient pas être prises en fonction d'impressions, d'émotions ou de suppositions lorsque des données sont disponibles. Les données des transcriptions sont disponibles. J'invite ceux qui laissent entendre qu'il y a un problème à obtenir et à présenter les transcriptions qui illustrent le problème.
    Enfin — et je sais que je n'ai presque plus de temps —, je voudrais m'adresser à Mme Webb.
    Nous avons beaucoup entendu parler de la Cour suprême, qui a déclaré que les personnes devaient être libérées le plus tôt possible, avec le moins de conditions possible. Comment pouvons-nous concilier cela avec le très grand nombre de personnes en détention provisoire dans notre pays?
    Je vous remercie de votre question. Je me rends compte que le temps qui m'est imparti pour y répondre est très limité.
    Il y a une chose que je voudrais signaler, et je ne pense pas qu'elle ait été mentionnée plus tôt. Pendant les premiers jours de la pandémie en 2020, la Couronne et les avocats de la défense ont déployé des efforts considérables et concertés pour tenter de consentir à la libération sous caution et pour établir des conditions raisonnables, en particulier dans un contexte de grande incertitude. Il n'y avait pas de vaccin disponible et les conditions de détention, en plus d'être très mauvaises en général, n'étaient certainement pas adaptées à des personnes qui résident dans des espaces fermés et qui sont incapables de s'isoler.
    Je dirais qu'après les premiers mois de 2020, nous avons observé un retour un peu plus marqué à une plus grande opposition à la mise en liberté sous caution et à des conditions raisonnables. Je dirais donc qu'à mon avis, nous assistons à un certain retour du balancier. Je ne peux pas nécessairement parler pour toutes les provinces et tous les territoires du pays, mais j'ai remarqué cela, et là encore, je m'abstiendrai vraiment de citer des anecdotes, mais c'est ce qui a été vécu en général et certainement dans la région du Golden Horseshoe du Sud-Ouest de l'Ontario.
    Merci.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Garrison.
    Cela met fin à l'audience du premier groupe de témoins.
    Je tiens à remercier chacun de nos trois témoins et, en particulier, ceux qui habitent Vancouver. Je vous remercie d'avoir comparu devant nous et de vous être déplacés.
    Je vais maintenant suspendre la séance pendant environ une minute afin d'effectuer deux ou trois vérifications sonores. Ensuite, nous amorcerons la deuxième partie de la réunion.

  (1645)  


  (1650)  

    Nous sommes de retour pour la deuxième heure de notre étude du système de mise en liberté sous caution.
    Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins.
     Nous accueillons Michael Spratt, qui témoignera à titre personnel. Il est associé au cabinet Abergel, Goldstein and Partners.
    Nous recevons également Sylvie Bordelais, qui est avocate et qui représente l'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec.
    Enfin, nous accueillons Kevin Davis, qui est maire de la ville de Brantford.
    Soyez les bienvenus.
    Pour ceux qui ne m'ont pas entendu auparavant, j'utilise des cartons aide-mémoire. Donc, lorsqu'il ne vous reste que 30 secondes, je lève celui‑ci, et lorsque votre temps est écoulé, je lève le carton rouge. Veuillez donc prêter attention au temps qui passe.
    J'espère que vous réglerez vos écouteurs sur le bon canal afin de pouvoir entendre les délibérations. Madame Bordelais, assurez-vous de sélectionner la bonne langue d'interprétation dans l'application Zoom pour pouvoir entendre tout le monde.
    Monsieur Fortin, on m'a dit que les vérifications sonores avaient été effectuées. Nous allons donc commencer l'audience.
    Les vérifications sont-elles satisfaisantes?
    On m'a dit qu'elles étaient satisfaisantes.
    Merci.
    Nous allons commencer par entendre M. Spratt, pendant cinq minutes.
    Je m'appelle Michael Spratt. Je suis un spécialiste en droit pénal reconnu par le Barreau de l'Ontario. Je suis un associé du cabinet AGP Law, ici à Ottawa. Je pratique exclusivement le droit pénal depuis 2005.
    Toute discussion concernant notre système de mise en liberté sous caution doit commencer par tenir compte des principes constitutionnels fondamentaux inscrits dans la Charte des droits et libertés, à savoir la présomption d'innocence et le droit de ne pas se voir refuser une libération sous caution raisonnable sans motif valable.
    Nous devons nous rappeler que les personnes qui se voient refuser la liberté sous caution sont présumées innocentes. Nous ne devrions pas chercher à punir des personnes avant qu'elles n'aient été déclarées coupables. La détention provisoire est une punition de la pire espèce.
    Je veux que vous imaginiez une prison si dépourvue d'humanité que les gardiens restent les bras croisés pendant qu'une femme enceinte accouche dans sa cellule, une prison si anarchique que les gardiens peuvent brutaliser les détenus et camoufler les mauvais traitements en toute impunité, une prison si surpeuplée que les détenus sont forcés de dormir dans une cellule de douche humide, une prison si sale que les vêtements et la literie sont tachés d'urine, d'excréments et de sang, et où il y a des infestations de punaises de lit et d'autres conditions insalubres qui causent des infections impossibles à traiter. Ce n'est pas une exagération. C'est la réalité.
    Plus de 70 % de la population carcérale de l'Ontario est constituée de personnes en attente de procès. Nous enfermons des personnes parce qu'elles sont pauvres, sans abri, toxicomanes, malades ou marginalisées. Malheureusement, la plupart des détenus en détention provisoire n'ont pas accès à des programmes de réadaptation, du counselling en matière de toxicomanie ou à des traitements de santé mentale.
    Le sale secret du système judiciaire, c'est que les gens sortent généralement de prison en pire état que lorsqu'ils y sont entrés.
    Nos prisons sont des fabriques de la souffrance de plus en plus coûteuses qui entravent la réinsertion sociale, privent les accusés de leur famille et du soutien de leur communauté, entraînent l'itinérance et le chômage, et rendent nos communautés moins sécuritaires.
    Le plus inquiétant, c'est que la détention provisoire a pour effet pervers d'inciter les gens à reconnaître leur culpabilité afin d'échapper à ces horribles conditions de détention et de ne pas avoir à attendre leur procès pendant des mois. Je l'ai constaté à maintes reprises.
    Toute étude du système de mise en liberté sous caution devrait examiner ces questions. Nous devons parler de sa réforme, mais je pense que ce n'est pas le type de réforme que vous cherchez ou le type de questions que vous me poserez.
    Le débat actuel sur la libération sous caution et les infractions commises avec une arme à feu a été alimenté par des tragédies très médiatisées, comme le meurtre de l'agent de la PPO Pierzchala et, plus récemment, les décès par balle des agents de police d'Edmonton Jordan et Ryan.
    Il est peut-être facile d'ignorer des faits importants face à de telles tragédies. Voilà pourquoi je voudrais brièvement commencer par vous mentionner quelques faits.
    Premièrement, les statistiques sur la criminalité sont très complexes.
    Deuxièmement, le fait est que, d'un point de vue historique, nous vivons l'une des périodes les plus sécuritaires de l'histoire du Canada. Les taux de crimes violents sont à la baisse depuis des années; nous avons observé une diminution de 11 % au cours des 20 dernières années.
    Le taux d'infractions commises avec une arme à feu a augmenté depuis l'an 2000, mais l'utilisation d'armes à feu dans les homicides est restée relativement stable au cours des 20 dernières années. Selon Statistique Canada, le nombre d'homicides liés à des gangs a diminué de près de 10 % en 2020, et les crimes violents commis avec une arme à feu ont diminué de 5 % en 2021.
    Troisièmement, le fait est qu'il n'y a pas de tendance à la hausse du nombre de décès de policiers en service.
    Quatrièmement, le fait est que la détention provisoire accroisse les taux de récidive.
    Cinquièmement, le fait est que le projet de loi C‑75 ne prévoyait pas de politique de mise en liberté sous caution. Rien de cela n'est mentionné dans la mesure législative. Ce type de discours est une escroquerie politique.
    Le projet de loi C‑75 inscrit dans la loi les décisions récentes de la Cour suprême, comme les principes de restriction de la liberté sous caution, et permet en fait aux agents de police d'imposer des conditions de mise en liberté sous caution plus strictes, lorsqu'ils libèrent des accusés. Il a également inversé le fardeau de la preuve en ce qui concerne les cautionnements pour de nombreuses infractions liées à la violence entre partenaires intimes.
    Sixièmement, le fait est que les infractions commises avec une arme à feu sont prises très au sérieux par nos tribunaux. D'après mon expérience, la police libère rarement les accusés, sauf s'il s'agit d'un agent de police; les procureurs consentent rarement à cette libération, et les enquêtes sur le cautionnement sont toujours longues et très contestées.
    Septièmement, le fait est que le renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution pour les infractions commises avec une arme à feu est très probablement constitutionnel et pourrait prévenir certaines infractions.
    Huitièmement, le fait est que ce renversement ne dissuadera pas les délinquants de commettre des infractions, tout comme l'augmentation de la durée des peines ne les dissuade pas.
    Neuvièmement, le fait est que les dispositions liées au renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution pour les infractions commises avec une arme à feu n'auraient pas empêché la mort des agents de police Pierzchala, Jordan et Ryan.
    Les solutions à trouver ne consistent pas à modifier la loi sur la mise en liberté sous caution, mais à envisager un financement accru de l'accès à la justice, des services d'aide sociale en amont et de l'application de la loi sur la mise en liberté sous caution.

  (1655)  

    Une crise sévit dans notre système de mise en liberté sous caution, mais ce n'est pas celle que vous pensez. Notre système de mise en liberté sous caution n'est pas trop clément. L'expression calomniatrice « capture et remise en liberté » n'est pas vraie. La récente mesure législative n'est pas à l'origine de la récente tragédie, et je vous exhorte à examiner les réalités et les données probantes et à ne pas utiliser le système de justice pénale comme une sorte de levier politique.
    Merci, monsieur Spratt.
    Nous allons maintenant passer à Mme Bordelais, qui prendra la parole pendant cinq minutes.

[Français]

     Au nom de l'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec, je tiens à remercier le Comité de l'invitation qu'il nous a lancée.
    Au Québec, les avocats en droit carcéral sont un petit groupe d'avocats et d'avocates qui, depuis plus de 30 ans, représentent une clientèle de personnes incarcérées, tant dans les prisons que dans les pénitenciers.
    En l'occurrence, je m'attarderai aux personnes en attente de procédures judiciaires qui se trouvent dans les prisons, puisque c'est là que se trouvent les personnes pour lesquelles une caution a été refusée ou qui y ont renoncé. En effet, pour ne pas répéter ce que nos collègues de la défense vous ont déjà expliqué, j'ai choisi de vous entretenir surtout de ce qui se passe dans les milieux carcéraux, alors que des personnes présumées innocentes se retrouvent derrière les barreaux.
    Les statistiques qui suivent sont tirées du site Web du ministère de la Sécurité publique du Québec. Elles nous donnent un aperçu de la situation et de son évolution au cours des années. Il faut toutefois souligner qu'en raison de la pandémie de la COVID‑19, les chiffres pour 2020‑2021 sont en forte décroissance, puisque les autorités ont tenté de juguler la propagation du virus en évitant de surpeupler les prisons. Je ne reprendrai pas l'ensemble des statistiques, puisque vous y avez certainement accès.
    Les statistiques pour 2020‑2021 indiquent que 26 139 personnes ont été incarcérées, ce qui représente à peu près 378 personnes sur 100 000 habitants, dont 50 % étaient prévenues, 10 % présentaient des problèmes de santé mentale, plus de 37 % prenaient des médicaments d'ordonnance, 11 % étaient des femmes, un peu plus de 4 % étaient des Autochtones et près de 3 % étaient des Inuits.
    En 2018‑2019, avant la pandémie, 25 555 personnes étaient prévenues, dont 12 % de femmes, 4,4 % d'Autochtones et 3,5 % d'Inuits. Parmi elles, 8 % avaient des problèmes de santé physique, 11 % avaient des problèmes de santé mentale, 35 % prenaient des médicaments, 2,6 % présentaient un risque suicidaire, 91 % étaient célibataires, 76 % n'avaient pas de diplôme scolaire, 59 % vivaient seules et 36 % avaient des antécédents judiciaires.
    Les infractions les plus fréquentes ayant entraîné l'incarcération sont le non-respect d'un engagement ou de conditions de probation, la possession et le trafic de stupéfiants et les vols d'une valeur de plus de 5 000 $. Dans 55 % des cas, il y a eu acquittement, 43 % des prévenus sont demeurés incarcérés à la suite d'un procès ou d'un plaidoyer de culpabilité, et 2 % ont reçu une peine dans la communauté.
    La durée moyenne des séjours est de 55 jours en détention provisoire, soit 24 % et 22 % dans les deux établissements de Montréal et 12 % dans la prison de Québec.
    Quoique les décès de personnes incarcérées ne sont pas toujours publicisés, on ne peut oublier qu'un jeune homme qui aurait dû être libéré à la suite de l'ordonnance d'un juge lui accordant une liberté sous caution est mort la veille de Noël 2022 sous la responsabilité des services correctionnels du Québec. Un peu plus tôt la même année, un autre individu incarcéré provisoirement sous la responsabilité des services correctionnels du Québec a été tué par un codétenu. Cela témoigne des conditions de détention particulièrement difficiles dans certains établissements provinciaux.
    Selon les données obtenues par TC Media, les établissements carcéraux du Québec ont été le théâtre de 73 décès violents entre 2010 et 2015, et le suicide constitue la principale cause de disparition des détenus. Selon les statistiques que je vous ai mentionnées, pour l'année 2022‑2023, en date du 21 octobre 2022, 43 personnes avaient fait une tentative de suicide et 7 personnes en étaient décédées.
    Il ne m'a pas été possible de déterminer si ces situations survenaient autant parmi les détenus que parmi les prévenus, mais tous les centres de détention sont touchés, y compris chez les femmes, quelle que soit la taille de la population carcérale. Cela témoigne de la détresse profonde des personnes placées dans les prisons, particulièrement dans un contexte de pénurie de personnel, qui entraîne le maintien des détenus dans des conditions de détention qui s'apparentent à de la torture. Je vous rappelle aussi que des actions collectives visant l'isolement ont été gagnées, notamment parce que ce genre de traitement, qui s'apparente à de la torture, a encore cours dans certaines prisons provinciales.

  (1700)  

     Actuellement, les juges sont choisis en raison de leur expertise. C'est la raison pour laquelle, à mon avis, il importe de leur donner la latitude nécessaire pour déterminer qui peut ou ne devrait pas être remis en liberté sous condition.

[Traduction]

    Je vous remercie, madame Bordelais.
    Nous allons maintenant céder la parole à M. Davis, qui est maire de la ville de Brantford.
    Je vous remercie infiniment, monsieur le président, de m'avoir invité à participer à cette audience du Comité.
    Je suis le maire de la ville de Brantford. J'ai été élu en octobre 2018, après avoir exercé le droit pendant 38 ans.
    J'étais avocat du contentieux des affaires civiles. Je ne pratiquais pas le droit pénal, et je ne comparais donc pas devant vous en tant qu'expert dans ce domaine. Je ne prétends pas être un expert en droit pénal.
    Cependant, je suis ici pour parler au nom de ma collectivité et de ses nombreux habitants qui sont très préoccupés par ce qu'ils considèrent comme une détérioration de l'ordre social et par ce qu'ils vivent au quotidien. Heureusement, la plupart d'entre eux ne sont pas exposés à des crimes violents, mais nous lisons les gros titres. Nous les voyons. Il y a des crimes violents dans notre collectivité, mais ce que la plupart des habitants observent dans leur vie quotidienne, c'est une augmentation très visible de ce que j'appellerais la criminalité non violente.
    Ils constatent que leurs voitures ont été cambriolées à plusieurs reprises. Leurs maisons et leurs biens sont vandalisés et volés. Ils voient la consommation et le trafic de drogue au grand jour. Ils voient notre police locale — dirigée par le chef de police Davis, qui a témoigné devant votre comité au début du mois, je crois — faire un excellent travail d'enquête et d'arrestation. Comme notre ville est relativement petite, les habitants reconnaissent généralement les gens. Ils constatent que les personnes qui commettent des crimes de ce genre sont remises en liberté à plusieurs reprises, même si elles ont déjà manqué à nombreuses reprises aux conditions de leur probation et aux conditions de leurs ordonnances de mise en liberté antérieures.
    Je peux vous donner quelques exemples. Je sais que le Comité a distribué certaines de mes diapositives, qui proviennent en fait du chef de police Davis et du service de police de Brantford. Elles font allusion à 10 des délinquants que le service de police considère comme les plus prolifiques. Il y en a deux ou trois ici.
    Il y a l'exemple d'une personne qui, au moment où l'enquête a été réalisée, avait fait l'objet de 73 accusations de fond, neuf défauts de se conformer, 25 manquements aux conditions de sa probation et de multiples mises en liberté —  plus de 20 —, mais qui continuait de commettre des infractions certes non violentes.
    Cette situation était intéressante. L'année dernière, nous avons eu affaire à une personne qui a plaidé coupable à plusieurs chefs d'accusation d'introductions par effraction. Au cours de la détermination de sa peine, il a fait remarquer qu'il avait été arrêté huit fois au cours des 12 mois précédents. Il estimait qu'en ne le gardant pas en détention, le système avait une part de responsabilité dans cette série d'infractions. Un délinquant a mentionné cela.
    Un autre type, aperçu sur plusieurs vidéos de surveillance dans les médias sociaux, a détruit dans notre centre-ville des vitres en verre laminé d'une valeur de 70 000 $. Il a été arrêté très rapidement, puis relâché tout aussi rapidement. Plus tard dans la journée, il a détruit d'autres vitres en verre laminé d'une valeur de 20 000 $. Il a été arrêté et relâché de nouveau, mais sa série d'infractions a été interrompue, parce qu'il avait commis une infraction criminelle plus grave. Il a donc été détenu.
    Je sais que je vous présente des incidents ponctuels, mais c'est ce que les citoyens vivent pratiquement tous les jours ou toutes les semaines. Ils sont désillusionnés par le système judiciaire et ne lui font plus confiance. Oui, ils utilisent des expressions comme la « porte tournante de la justice », mais cela reflète une perception selon laquelle le système judiciaire ne les protège pas et ne protège pas leurs biens.
    En tant qu'avocat, je suis très préoccupé par les conséquences que cela aura au fil du temps. Il s'agit d'une érosion progressive de la valeur de la primauté du droit et de l'idée selon laquelle la loi s'applique à tous de la même manière, que ceux qui enfreignent la loi subissent des conséquences et que les gens ne doivent pas se faire justice eux-mêmes.
    En fait, le chef de police Davis vient de déclarer, dans un article de journal qui a paru cette semaine à Brantford, qu'il est très préoccupé par la frustration croissante des résidants à l'égard du système judiciaire, et de la mise en liberté sous caution en particulier. Il est très préoccupé par le fait que les médias sociaux parlent d'autojustice. Il est très préoccupé par le fait qu'au fil du temps, si l'érosion de la confiance des gens dans le système judiciaire se poursuit, cela pourrait entraîner des actes de justicier. Nous espérons évidemment que ce ne sera pas le cas.
    Je ne préconise pas de garder les gens en prison plus fréquemment. Il y a d'autres suggestions que je serais heureux de vous communiquer si l'on me pose des questions à sujet, même si ces suggestions sont formulées de manière non experte.

  (1705)  

    Mes cinq minutes seront bientôt écoulées, mais je tenais, pendant ce laps de temps, à vous faire part d'un sentiment général éprouvé dans ma collectivité. C'est la principale plainte et la principale demande que je reçois à mon bureau, semaine après semaine, depuis que je suis maire, c'est‑à‑dire depuis quatre ou cinq ans. Aucun autre enjeu ne suscite autant de commentaires et n'entraîne l'envoi d'autant de plaintes au bureau du maire, des plaintes dans lesquelles on demande que nous fassions quelque chose.
    Je vous remercie, maire Davis.
    Nous allons maintenant passer à notre première série de questions, en commençant par donner la parole à M. Moore pendant six minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins pour leur précieuse contribution à cette importante étude.
    Monsieur Davis, je vais vous poser la première question.
    Je vous transmets également les salutations de votre député, Larry Brock, qui est un membre régulier de ce comité.
    Vous avez entendu aujourd'hui que certaines personnes semblent adopter l'approche suivante: « Il n'y a rien à voir. Il n'y a aucun problème. » Aussi incroyable que cela puisse paraître, j'ai entendu un témoin dire qu'il n'y avait pas de remise en liberté. Comment appelez-vous alors le fait d'attraper quelqu'un, puis de le relâcher.
    À la une des journaux, dans votre propre collectivité, je vois un communiqué du service de police de Brantford datant d'aujourd'hui, le jeudi 23 mars 2023. On y rapporte un cambriolage et le fait que « l'enquête a révélé que quatre suspects de sexe masculin, munis d'armes à feu, ont pénétré dans une résidence [...] ont agressé, volé et séquestré deux [...] victimes avant de s'enfuir à bord d'un véhicule conduit par [un autre] suspect ». Sur les cinq suspects, quatre ont enfreint un certain nombre d'ordonnances de mise en liberté, y compris plusieurs ordonnances d'interdiction de port d'armes à feu.
    C'est là le cœur du problème dont votre collectivité vous parle à juste titre et dont ma collectivité, au Nouveau-Brunswick, me parle également. Ces délinquants ne sont pas très nombreux. Il s'agit d'un petit nombre de délinquants qui entrent en contact avec le système, font l'objet d'une libération sous caution irresponsable alors qu'ils devraient être détenus dans l'intérêt de la sécurité publique, et qui commettent ensuite un autre crime.
    Le service de police de Toronto nous a fourni des statistiques sur les personnes qui sont arrêtées pour une infraction liée aux armes à feu, puis libérées sous caution, et qui sont de nouveau arrêtées pendant leur liberté sous caution pour une nouvelle infraction liée aux armes à feu, et de nouveau libérées sous caution.
    Vous avez parlé de porte tournante. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Inutile d'entrer dans les détails, mais j'aimerais que vous parliez de la question que je viens de soulever. Est‑ce le genre de chose qui préoccupe votre collectivité?

  (1710)  

    Notre collectivité est très préoccupée par cette question. Vous avez entendu tout à l'heure le chef Rob Davis et le chef Darren Montour des Six Nations. Cette question suscite chez eux de vives inquiétudes sur le plan de la sécurité publique, et je pense que ces préoccupations sont justifiées.
    Le système a‑t‑il trouvé un juste équilibre entre la protection du public et la protection des droits des personnes qui n'ont pas encore été condamnées? Les membres de la collectivité — du moins de la mienne et des collectivités environnantes — ont de plus en plus l'impression que l'équilibre est rompu et que l'on accorde plus d'importance aux intérêts des personnes qui ont manifestement un penchant pour la criminalité, si l'on en croit leur casier judiciaire, qu'à ceux des personnes de se sentir protégées par le système.
    Lorsque les gens perdent confiance dans le système, on voit les vitres brisées des services de police. Si les gens voient qu'il n'y a pas de conséquences, ils commencent à se demander s'ils doivent suivre les règles, car c'est là le principe de l'État de droit. Si nous dépendons d'un système d'État de droit qui dit aux gens...
    Je veux être clair. L'État de droit dépend fortement du fait que la plupart des citoyens obéissent aux règles et agissent comme des citoyens respectueux de la loi, honnêtes et responsables. Dès que vous devez contrôler tout le monde, votre système s'effondre. C'est ce qui me préoccupe. Nous assistons à une augmentation générale de ce type d'activités, qu'elles soient très violentes ou non violentes, ce qui amène les gens à remettre en question l'administration de la justice.
    Je me demande ce qu'il est advenu de l'alinéa 515(10)c). N'est‑ce pas l'un des trois motifs? On n'entend jamais parler de cette question, ou très peu, mais il semble qu'on lui accorde un intérêt de pure forme.
    Je pense qu'il serait utile que le Comité se penche sur ce paragraphe. Devrions-nous développer les sous-sections pour l'améliorer, afin d'en accroître l'importance et pour qu'on en tienne compte?
    Par ailleurs, le système de cautionnement a posé de nombreux problèmes à notre collectivité. Dans le même article, le chef Davis évoque la possibilité de recourir à des cautions professionnelles. Le problème des cautions... Je pense qu'au fil du temps, le système a remplacé l'incarcération par des cautions qui sont censées surveiller et contrôler le comportement de l'accusé. De nombreuses cautions ne prennent pas leurs responsabilités très au sérieux, car le système ne prévoit aucune conséquence pour les personnes qui ne font pas ce qu'elles sont censées faire en tant que caution.
    J'encourage vivement le Comité à envisager un renforcement des règles relatives aux cautions, afin de rendre ce système plus efficace et plus responsable.
    Vous n'êtes pas le seul dans ce cas, monsieur. Les 13 premiers ministres de tout le pays — ils représentent tous les partis; il ne s'agit pas d'une question partisane — au niveau provincial, demandent au gouvernement fédéral de jouer son rôle pour remédier à ce que je considère être un système de mise en liberté sous caution défaillant, qui permet aux récidivistes violents, en particulier dans le cas de crimes commis avec des armes à feu, de retourner dans les rues de votre collectivité et des collectivités de tout le pays.
    Vos services de police ont effectué des recherches. Ils ont examiné certaines personnes. Vous avez dit quelque chose qui n'avait jamais été dit auparavant. Nous comptons sur le fait que la plupart des gens font ce qui est juste au Canada. Personne, au sein de ce comité, ne suggère — d'après ce que j'ai entendu — que la plupart des gens choisissent de faire ce qui n'est pas juste. Ce que nous disons, c'est qu'il y a un petit nombre de personnes qui le font, mais que ce petit nombre peut avoir des conséquences dévastatrices, comme dans le cas de l'agent Pierzchala, qui a été tué pendant les Fêtes.
    Souhaitez-vous nous parler un peu plus des suggestions ou des données qui ont été fournies au sujet des délinquants prolifiques que vous trouvez dans votre collectivité et de ce que nous pourrions faire pour remédier à ce problème au niveau fédéral?

  (1715)  

    Malheureusement, monsieur Moore, nous avons dépassé d'une minute le temps imparti, mais je vous accorde 10 secondes.
    J'espère que vous pourrez répondre à cette question lors du prochain tour.
    En 10 secondes, en ce qui concerne les délinquants violents, je crois que le chef Montour et le chef Davis ont tous deux parlé en détail de cette question. Ils sont mieux qualifiés et plus expérimentés que moi pour formuler des commentaires à ce sujet.
    Je parle de mes interactions hebdomadaires avec les résidents de ma collectivité, qui me parlent de ce qui se passe dans leur vie — pour la plupart d'entre eux — et de ce qu'ils vivent. Ils me disent ce qu'ils pensent du système judiciaire.
    Merci, monsieur Moore.
    La parole est à Mme Dhillon pour six minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins d'être présents.
    Je vais commencer par M. Spratt.
    Vous avez donné une description terrifiante des conditions de détention au Canada. Pouvez-vous nous fournir des précisions sur ce que vous voulez dire lorsque vous affirmez que les gens sortent plus mal en point de leur incarcération?
    D'accord. Je ne suis pas criminologue. Je sais que vous avez entendu M. Myers et probablement d'autres criminologues qui pourraient vous fournir des données qui suggèrent que c'est le cas, mais ce que nous observons dans les prisons est un système déshumanisant qui brise les gens. Les personnes à qui l'on refuse la liberté sous caution perdent leur emploi, leur logement et leurs liens avec leur famille. Elles ne sont pas en mesure de maintenir ces liens, car il est coûteux de passer des appels à frais virés en prison. Elles ne sont pas en mesure d'obtenir un traitement et des services de counseling lorsqu'elles sortent de prison, parce qu'elles ne disposent pas de ces soutiens de base.
    Si l'on conjugue cela à l'absence totale de services de réhabilitation pour les personnes en détention provisoire, cela signifie que les personnes détenues... ne sont pas en mesure de se réinsérer dans la société. Nous le savons depuis des décennies. Le rapport Ouimet nous a appris que nous sommes réticents à prendre des risques lorsqu'il s'agit de libérer des personnes. Si la libération sous caution est trop difficile à obtenir, si elle est trop onéreuse, et si nous utilisons des tragédies isolées pour élaborer une loi générale qui s'applique à tout le monde... Nous ne devrions pas procéder de cette façon.
    Nous devons légiférer de manière générale et assurer une application précise, en tenant compte de la nature des allégations, de la situation de la personne et des aides dont elle dispose, car lorsque l'on se trompe en matière de libération sous caution, c'est la collectivité qui en pâtit. Si vous êtes conservateur et que vous vous souciez de l'argent dépensé, sachez qu'il coûte 80 000 $ par an de garder une personne en détention provisoire dans un établissement provincial, ce qui devrait vous préoccuper.
    Si vous vous souciez simplement de l'humanité, comme tout le monde, j'en suis sûr, vous devriez être préoccupé par le fait que nous traitions les gens de la sorte. Si vous vous intéressez simplement à ce que pensent vos électeurs et les membres de votre collectivité, vous devriez être préoccupé, car une personne qui sort de prison dans de telles conditions représente un danger pour votre collectivité.
    Je vous remercie pour vos commentaires. J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos de la nécessité de ne pas faire de généralisations sur l'ensemble de la population en se fondant sur des cas très précis et tragiques.
    Pourriez-vous nous parler des effets positifs de la libération d'un accusé par rapport à son maintien en détention pendant toute la durée de la procédure de mise en liberté sous caution?
    J'irai même plus loin. Le problème des généralisations basées sur des cas précis est que personne ne semble même se soucier d'obtenir les faits exacts relatifs à ces cas particuliers.
    En ce qui concerne la mort tragique de l'agent Pierzchala, l'inversion de la charge de la preuve réglerait le problème, mais c'était la révision de sa libération sous caution. La charge de la preuve lui revenait déjà, donc l'inversion de la charge de la preuve n'aurait rien changé.
    Si nous voulons vraiment résoudre ce problème, nous devons nous pencher sur des questions systémiques plus vastes. Lorsqu'une personne fait l'objet d'une mise en liberté sous caution strictement surveillée, dont la supervision pourrait être assurée par la police, par un programme de mise en liberté sous caution pouvant accéder aux ressources de la justice permettant d'assurer un contrôle et un soutien. Il s'agit d'une façon idéale — puisqu'une personne est présumée innocente — de contribuer à la réinsertion, car la personne peut être supervisée et contrôlée.
    Rassurez-vous, d'après tout ce que nous avons observé au tribunal, nos tribunaux prennent les infractions violentes graves très au sérieux. Lorsque nous nous intéressons aux délinquants prolifiques et aux personnes ayant un casier judiciaire chargé, nous constatons que ces cas sont pris très au sérieux. La mise en liberté sous caution est le moment idéal pour s'assurer que la situation de ces personnes n'empire pas; en fait, elle nous aide à nous assurer que les gens font un pas en avant.

  (1720)  

    Pouvez-vous nous parler des préjugés raciaux et de leur incidence? Vous en avez parlé dans vos observations liminaires.
    Oui. Nous l'avons vu dans des cas de mise en liberté sous caution comme l'arrêt Antic, mais aussi dans des affaires de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire R v. Morris, et de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, dans l'affaire R v. Anderson. Il existe des problèmes systémiques liés à la surpénalisation et à la surincarcération des personnes racisées, en particulier des Autochtones. En ce qui concerne les armes à feu en particulier, il est facile d'aborder la question dans le contexte urbain des centres-villes, même si, dans bon nombre de ces contextes urbains, nous avons constaté une diminution des infractions liées aux armes à feu ces dernières années.
    Comme je l'ai dit, les statistiques sont dangereuses et il faut se méfier des échantillons de petite taille.
    Je reviens tout juste d'un circuit que j'ai effectué dans les Territoires du Nord-Ouest, où l'utilisation des armes à feu, la culture des armes à feu et le type de personnes qui possèdent des armes à feu sont très différents de ce que l'on observe dans le Sud.
    L'adoption de règles uniformes peut être source d'injustice pour certaines personnes dont la situation est incompatible et n'a jamais été compatible avec l'idée que nous nous faisons du système de justice pénale.
    J'ai une question complémentaire: avez-vous vu, par exemple, des Autochtones ou des membres de la communauté noire...? Les faits qui leur sont reprochés sont moins graves, mais on leur refuse tout de même la libération sous caution, alors qu'elle est accordée pour des crimes plus violents.
    Oui. Nos tribunaux ont été très clairs au stade de la mise en liberté sous caution et au stade de la détermination de la peine. Si vous êtes accusé d'un crime grave, ce n'est pas parce que vous êtes racisé ou autochtone que vous allez être facilement libéré. En fait, les peines sont très sévères, mais nous constatons que le système est biaisé.
    Si vous êtes un enfant blanc et riche de Bridle Path ou de Rockcliffe Park, vos parents peuvent trouver un traitement privé. Ils peuvent verser une grosse somme d'argent. Ils peuvent prendre un jour de congé pour venir vous faire libérer sous caution. Si vous êtes un enfant pauvre issu d'une famille ouvrière, vous n'avez pas les mêmes avantages, ce qui se traduit par une incarcération disproportionnée des membres de plusieurs groupes.
    Merci beaucoup.
    Merci, madame Dhillon.
    Nous passons maintenant à M. Fortin pour six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui. Nous discutons d'un sujet important, et je pense que nous n'aurons jamais entendu trop de points de vue.
    Madame Bordelais, j'ai bien écouté votre description des affres de la détention. D'ailleurs, vous n'êtes pas la seule à en avoir parlé, puisque M. Spratt et d'autres témoins les ont aussi soulevées. Je suis conscient que les prisons sont loin d'être un endroit sécuritaire et un lieu d'épanouissement. Il est évident que ce n'est pas à cela qu'elles servent. Je suis aussi conscient qu'il y a beaucoup de travail à faire si nous voulons que les prisons deviennent de véritables centres de réhabilitation.
    Cela dit, selon une bonne partie de la population, le taux de récidive est terrible. Il faut faire en sorte que les gens libérés sous caution après avoir été accusés de crimes graves, par exemple ceux commis à l'aide d'une arme à feu, ne récidivent pas. Je vous épargne les récits de récidive, puisque vous les connaissez probablement aussi bien que moi. Ce risque inquiète la population. Tantôt, mon collègue M. Moore disait que l'ensemble des premiers ministres des provinces demandent au fédéral d'agir à cet égard.
    Si on n'augmente pas le nombre d'individus placés en détention provisoire dans l'attente de leur procès, que peut-on faire pour répondre à cette demande des premiers ministres? On veut calmer les inquiétudes de la population et rendre les milieux plus sécuritaires, et ce, sans être plus sévères envers les gens qui sont accusés de crimes graves commis avec des armes à feu, entre autres.
    Merci beaucoup pour la question.
    Pour commencer, je fais miens les propos tenus plus tôt par M. Spratt, puisque la réalité du Québec est la même que celle qu'il a décrite tantôt.
    Je vais maintenant répondre de façon plus précise à votre question. J'ai l'impression que l'importance de l'information est négligée, c'est-à-dire qu'on a souvent malheureusement tendance à monter en épingle des cas spécifiques. Cela dit, je ne dis pas que ce ne sont pas des cas graves. Je ne veux surtout pas diminuer la douleur des personnes qui perdent un être cher ou qui sont victimes de violence. Toutefois, on a tendance à se concentrer sur ce genre de situation, ce qui donne l'impression que la majorité des gens qui commettent des crimes graves sont des récidivistes. Or, ce n'est pas du tout le cas, au contraire.
    Les juges et les procureurs de la Couronne sont tout à fait sensibles aux préoccupations de la population. On va traiter de façon beaucoup plus sévère quelqu'un qui a des antécédents de violence et on va regarder avec beaucoup plus d'attention s'il s'agit d'une personne qui peut être remise en liberté. Alors, pour répondre de façon...

  (1725)  

    Madame Bordelais, excusez-moi de vous interrompre, mais mon temps de parole est limité.
    Répondriez-vous donc aux premiers ministres des provinces que les législateurs fédéraux ne peuvent ou ne devraient rien faire pour changer la situation?
    Ce n'est pas la réponse que je leur donnerais, non.
    Je leur dirais qu'il faut qu'ils fassent deux choses. Premièrement, il faut qu'ils prennent connaissance et conscience de la réalité de la situation. Deuxièmement, il faut qu'ils s'assurent en amont de ce qui peut être fait. Les gens qui sont visés par ce genre d'accusation ont un passif qui doit être pris en considération. Le cas échéant, et si on fait de la prévention avant tout, peut-être que...
     Excusez-moi, madame Borderlais. Je ne veux pas être impoli, mais mon temps de parole est limité à six minutes et il y en a plus de la moitié de passée. Je vous remercie.
    Monsieur Davis, j'ai la même question pour vous. Que devrait-on faire, en tant que législateurs, pour répondre à cette demande des premiers ministres et calmer l'inquiétude au sein de la population?

[Traduction]

    Comme je l'ai dit précédemment, je suis ici pour exprimer les préoccupations de ma collectivité et d'un sujet dont je ne pense pas que le Comité ait beaucoup entendu parler. Il s'agit des crimes non violents et de la situation dans ce domaine.
    De nombreux témoins ont parlé des crimes violents et des crimes liés aux armes à feu. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce sujet, si ce n'est ce que vous ont déjà dit notre chef et le chef du service de police des Six Nations.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Je parle d'un sous-ensemble de cela. En tant qu'avocat, je m'inquiète de la perte de confiance des citoyens dans l'administration de la justice. Elle est en partie aux gros titres qu'ils lisent relatifs à des crimes violents...

[Français]

    Merci, monsieur Davis.
    Je vais rapidement vous poser une autre question, si vous me le permettez. L'Ontario, votre gouvernement en l'occurrence, a dépensé 7,6 millions de dollars récemment pour qu'une équipe spéciale veille à ce que les personnes accusées de crimes violents faisant usage d'une arme à feu n'obtiennent pas de libération conditionnelle.
     À votre avis, est-ce une mesure que le gouvernement fédéral devrait adopter afin que l'ensemble des provinces ait la même approche? Sinon, est-ce une mesure qui ne devrait s'appliquer qu'en Ontario?

[Traduction]

    Si cette mesure est couronnée de succès et qu'elle permet de réduire le nombre de crimes violents, on peut évidemment espérer qu'elle soit mise en œuvre dans tout le pays. La réussite ne se discute pas.

[Français]

    Merci, monsieur Davis.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Monsieur Garrison, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je voudrais m'adresser à Mme Bordelais.
    Vous avez parlé des conditions assez inquiétantes de la détention avant jugement au Québec.
    J'aimerais que vous répondiez à cette question évidente: Quelle est, selon vous, l'incidence des conditions de détention avant jugement et du grand nombre de personnes placées en détention avant jugement sur la sécurité publique?

[Français]

    Je reprends ce que le ministre Lametti a dit quand il parlait d'une commission qui examinerait les demandes de personnes qui se disent victimes d'une erreur judiciaire.
    Lorsqu'une personne se retrouve dans une situation dont elle veut se sortir, elle va plaider coupable à n'importe quelle proposition qui lui sera favorable, même si elle n'a pas commis le délit en question. C'est probablement l'élément qui me fatigue et me désole le plus. Les personnes racisées, les Inuits et les femmes ont plus souvent tendance à plaider coupables à des infractions qu'ils n'ont pas nécessairement commises, simplement pour échapper à la jungle dans laquelle ils se retrouvent. Comme citoyenne et comme avocate, je trouve que c'est particulièrement problématique.

  (1730)  

[Traduction]

    D'après votre expérience du système, quels seraient les meilleurs moyens de réduire la surincarcération des personnes marginalisées et racisées dans le système? Comment pouvons-nous régler ce problème qui semble contredire les décisions de la Cour suprême?

[Français]

    Si on tient principalement compte des personnes racialisées, des Autochtones et des femmes, on constate que ce ne sont pas nécessairement ces personnes qui commettent les crimes les plus violents. En ce qui concerne la communauté noire, il y a parfois la question des armes à feu. Toutefois, je ne reviendrai pas sur cet aspect.
    Commençons par examiner les faits. Dans les statistiques que je vous mentionnais, on parle du fait que la réincarcération résulte le plus souvent du non-respect d'un engagement ou de conditions. Par exemple, si on demande à une personne de ne pas consommer, mais qu'elle consomme, on finira par la remettre en prison, même si aucune infraction substantielle n'a été commise. Si on commençait par examiner les conditions qu'on impose aux gens quand on veut les remettre en liberté, cela pourrait faire diminuer le taux de réincarcération, particulièrement s'il n'y a pas de récidive en tant que telle, mais qu'il s'agit plutôt d'un non-respect de conditions.

[Traduction]

    Les programmes de supervision de la mise en liberté sous caution sont‑ils largement accessibles aux personnes marginalisées au Québec?

[Français]

    Je ne pourrais pas nécessairement répondre à cette question.
     Par contre, je peux vous dire qu'une personne sans domicile fixe, qui a peu de moyens ou qui n'est pas en mesure de communiquer facilement avec son avocat sera plus à risque de ne pas respecter les conditions qui lui ont été imposées et de ne pas se présenter devant le tribunal. Par conséquent, à un moment ou un autre, elle se retrouvera en situation de non-respect des conditions et sera incarcérée. Ce cercle vicieux a pour conséquence que les personnes les plus marginalisées, les plus pauvres et les moins scolarisées sont celles qui vont le plus souvent être réincarcérées.

[Traduction]

    Merci.
    Je voudrais poser une question semblable à M. Spratt au sujet des effets des conditions de détention avant jugement sur la sécurité publique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous avez observé.
    L'une des situations les plus décourageantes que j'ai vues — et je pense que tous les avocats de la défense l'ont vue — est celle où des personnes plaident coupables non pas parce qu'elles sont coupables ou qu'elles ont des remords, mais parce qu'elles sont prêtes à faire n'importe quoi pour sortir de prison. Je pense que je ferais de même, étant donné ce que je connais des conditions en prison.
    C'est ce type d'incitatif à effet pervers, qui a été bien étudié dans le contexte des peines minimales, qui est le plus préoccupant, parce que vous vous retrouvez non seulement avec des gens qui ont perdu confiance dans le système de justice en raison de la façon dont ils ont été traités, de ce qu'ils ont été forcés de faire et des conditions dans lesquelles ils se trouvaient, mais aussi avec des gens que nous considérons, malheureusement de manière disproportionnée, comme appartenant aux communautés racisées et marginalisées, qui ont maintenant un casier judiciaire, ce qui rend d'autant plus difficile l'obtention d'un emploi, la réintégration dans la société, le bénévolat et la pleine participation à la société, que tout le monde souhaite.
    Nous devons mettre un terme à cette prophétie cyclique qui s'auto-réalise. Nous devons le faire en finançant des mesures comme les thérapies, en supervisant la mise en liberté sous caution et en insistant pour que nos forces policières municipales et d'autres affectent ce genre de ressources de manière responsable, de sorte que si une personne ne respecte pas sa mise en liberté sous caution et ne se présente pas au tribunal, nous soyons alertés avant qu'une tragédie ne se produise.
    Le maire Davis a soulevé la question des infractions non violentes, des récidives d'infractions non violentes. Ce que vous nous dites, c'est que le système que nous avons actuellement contribue aux récidives plutôt que d'aider à régler le problème.
    C'est vrai, et la perception de la population est aussi un élément important. Lorsque nous n'avons pas de discussions sérieuses qui traitent réellement des faits et des problèmes sous-jacents, et que nous nous tournons vers le Code criminel pour trouver des solutions rapides, la population voit les choses comme étant terribles et dangereuses, alors qu'en réalité, nous savons d'après les statistiques, en particulier lorsqu'il s'agit de ces crimes mineurs, que nous n'avons jamais été aussi en sécurité.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, monsieur Garrison.
    Nous allons commencer notre deuxième série de questions. Faute de temps, nous ferons des tours de trois minutes, si vous êtes d'accord.
    Monsieur Van Popta, vous disposez de trois minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les témoins de leur présence.
    Puisque nous n'avons que trois minutes, j'adresserai toutes mes questions à M. Davis.
    Je vous remercie de votre présence et de votre témoignage plus tôt.
    Le conseil municipal de Brantford a récemment présenté deux propositions. L'une d'entre elles exhortait le gouvernement fédéral à renforcer le système de mise en liberté sous caution. L'autre concernait des initiatives provinciales. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

  (1735)  

    C'est exact. Il y avait deux éléments. La première proposition visait le ministère de la Justice du gouvernement fédéral. Plus précisément, elle renvoyait à certains dossiers dont j'ai parlé plus tôt et demandait au gouvernement fédéral d'envisager des changements à l'article 515, en resserrant certaines règles relatives aux cautions et en accordant également une plus grande attention au troisième motif.
     Cette proposition ne visait pas uniquement le gouvernement fédéral. Il y avait aussi une résolution qui portait sur le gouvernement provincial, et demandait que des ressources plus importantes soient investies dans le système judiciaire afin de réduire les délais qui peuvent créer bon nombre des préjudices et des inégalités que d'autres intervenants ont mentionnés. Le but de cette proposition était d'encourager le gouvernement provincial à examiner la directive qu'il donne aux avocats de la Couronne en ce qui concerne les audiences de mise en liberté sous caution, mais plus important encore, d'investir davantage dans le système pour l'améliorer.
    Il y avait ces deux éléments.
    Je vous remercie.
    La personne qui a été accusée du meurtre de l'agent Pierzchala était soumise à des exigences strictes en matière de caution de surveillance, mais elle ne les a tout simplement pas respectées.
     Nous avons entendu le témoignage du chef Montour du service de police de la réserve des Six Nations. Ce service était responsable de la surveillance, mais le chef a dit aux membres du Comité qu'il ne disposait tout simplement pas des ressources nécessaires pour s'acquitter de cette tâche. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?
    Oui, j'en ai parlé avec le chef Davis.
    Je ne voulais pas donner l'impression que je ne suis pas préoccupé par les crimes violents. Je le suis, et j'appuie certainement la position que le chef Davis a défendue en comité et les préoccupations qu'il a exprimées. Quant à ceux qui parlent de l'inversion du fardeau de la preuve pour ce genre de crimes, je suis d'accord avec eux.
     Comme je l'ai dit, je pensais que mon rôle ici était de parler d'un sujet qui, à mon avis, n'a pas été beaucoup abordé, et je crois qu'il s'agit d'un autre aspect de la question qui devrait être étudié.
    Je suis d'accord. [Inaudible]
    Je vous remercie, monsieur Van Popta.
    Madame Brière, vous disposez de trois minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de ce deuxième groupe.
    Maître Spratt, je vous remercie de vos commentaires. Chacun des points que vous avez soulevés aurait mérité en soi au moins six minutes.
    Nous avons entendu le maire Davis nous dire que l'équilibre n'était pas atteint entre la sécurité publique et le droit à la liberté de l'accusé. J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

    Je pense que nous avons établi un très bon équilibre. Cela ne veut pas dire que le système est parfait. La recherche d'un système de mise en liberté sous caution parfait a abouti à ce que nous avons observé en Ontario. Je vois que M. Naqvi est ici. Lorsqu'il était procureur général, il a lancé quelques études et a constaté que lorsque nous sommes peu enclins à prendre des risques et que nous recherchons la perfection, nous finissons par détenir les gens à tort. Cela peut entraîner, comme je l'ai décrit, des conséquences néfastes.
    Le système ne sera jamais parfait. Les gens commettront des infractions pendant leur mise en liberté, mais nous devons faire de notre mieux pour essayer d'atténuer ce phénomène. Pour cela, il faut notamment veiller à ce que la police affecte correctement ses ressources aux vérifications de conformité. Il faut également s'assurer que nous disposons d'un bon système de surveillance des mises en liberté sous caution et d'autres programmes.
    Je peux vous assurer que pour les infractions graves, les tribunaux soupèsent — c'est un facteur secondaire — la sécurité et la sûreté de la population. Ils examinent le casier judiciaire de la personne et ses antécédents de non-conformité. Ils envisagent un plan. Les cautions sont contre-interrogées. Des questions difficiles sont posées. Cet exercice de mise en balance est accompli. S'il n'est pas exécuté correctement, la Couronne a toujours la possibilité de faire appel.
    Cet exercice prend en compte tous ces facteurs, et permet de se pencher sur des aspects précis des allégations et de la personne. C'est vraiment lorsque vous essayez de viser la perfection, lorsque vous examinez des exemples et que vous ne faites pas nécessairement, d'une manière intellectuellement honnête... Écoutez, si les solutions que vous proposez avaient réellement eu une incidence sur cette situation précise, nous nous retrouverions face à des problèmes d'érosion des objectifs fondamentaux de la mise en liberté sous caution et de la façon dont elle interagit avec les protections garanties par la Charte des droits et libertés.

  (1740)  

[Français]

    Merci beaucoup. Vos propos sont vraiment très intéressants.
    Vous avez dit tantôt que l'incarcération provisoire augmentait le risque de récidive. J'aimerais entendre vos commentaires en lien avec ce que vous venez de nous dire.

[Traduction]

    C'est bien documenté, non seulement dans le contexte de la mise en liberté sous caution, mais aussi dans le contexte de la détermination de la peine. Ce n'est pas une mise en liberté sous caution stricte qui va empêcher quelqu'un de commettre une infraction, tout comme ce n'est pas une longue peine qui va dissuader quelqu'un de commettre une infraction. Si nous pensons qu'il existe un tel niveau de prescience et de planification lorsqu'une personne a des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, nous nous berçons d'illusions. C'est ce que confirment les preuves.
    Je vous remercie.
    Merci, madame Brière.
    Voilà qui met fin à ce groupe de témoins. Je vous remercie de votre participation.
    Je pense qu'il s'agit également de notre dernière réunion sur le système canadien de mise en liberté sous caution. Nous y reviendrons plus tard.
    Je vous remercie encore une fois.
    La séance est levée.
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