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FOPO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FISHERIES AND OCEANS

COMITÉ PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 novembre 1999

• 0905

[Traduction]

Le vice-président (M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Réf.)): Tout le monde est à sa place. Le président habituel sera ici dans une demi-heure. Entre-temps, nous allons commencer la réunion.

Nous avons avec nous M. Larry Chartrand.

Êtes-vous le président actuel ou l'ancien président?

M. Larry Chartrand (président sortant, Indigenous Bar Association): Je suis le président sortant.

Le vice-président (M. John Duncan): Larry Chartrand est président sortant de l'Indigenous Bar Association.

Madame Martin, faites-vous aussi partie de l'Indigenous Bar Association?

Mme Melinda Martin (représentante, Indigenous Bar Association): Oui. Je suis étudiante en droit.

Le vice-président (M. John Duncan): Je crois savoir qu'on vous a dit que vous aviez dix minutes pour faire un exposé. Nous allons ensuite passer aux questions et aux commentaires.

Nous avons également avec nous M. Stephen Patterson de l'Université du Nouveau-Brunswick.

Bonjour tout le monde. À titre d'information, la réunion est télédiffusée. Je ne sais pas au juste quand elle sera présentée. Elle est diffusée en direct sur la Colline et sera rediffusée à l'échelle nationale à la chaîne parlementaire à un moment donné.

Bienvenue. Allez-y, monsieur Chartrand.

M. Larry Chartrand: Merci beaucoup.

Je vais vous dire brièvement qui nous sommes mes collègues et moi-même et ce qu'est au juste l'Indigenous Bar Association. Je passerai ensuite directement à l'essentiel de notre exposé.

J'enseigne à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Je me spécialise dans les droits des Autochtones depuis à peu près sept ans. Ma collègue, Melinda Martin, est étudiante en troisième année à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa et membre, comme moi, de l'Indigenous Bar Association.

L'Indigenous Bar Association regroupe des avocats, des juges et des étudiants en droit de toutes les régions du Canada. Nous comptons environ 350 membres à l'heure actuelle. Un de nos objectifs ou mandats est de promouvoir l'éducation juridique à propos des droits des Autochtones et de le faire dans un contexte qui tient compte des lois autochtones—et, lorsque je parle des lois autochtones, je veux parler des lois des nations indigènes ainsi que de leurs institutions—tout en conciliant les intérêts des Autochtones avec ceux des Canadiens en général. En un mot, c'est là le rôle de l'Indigenous Bar Association.

Dans notre exposé d'aujourd'hui, nous voulions mettre l'accent sur certaines questions qui ont été soulevées dans l'affaire Marshall et nous interroger sur le sens des expressions «subsistance convenable», «assujetti à la réglementation» et «conditions applicables». Avant d'entrer dans les détails, je pense qu'il serait important de définir le contexte global dans lequel nous devrions examiner les Premières nations qui ont entamé avec la Couronne des négociations qui ont mené à des traités.

Une des choses les plus importantes à se rappeler, selon moi, lorsqu'on parle de traités ou de négociations avec les peuples autochtones et la Couronne, c'est qu'on ne parle pas de l'établissement de droits fondés sur des motifs raciaux ou des différences culturelles. Il s'agit de droits issus de négociations avec une communauté politique autonome distincte—dans ce cas-ci, les Micmacs, les Malecites et les Pescomodys. Il est important de comprendre que c'est dans cette perspective que leurs droits devraient être interprétés: comme des droits politiques et non comme des droits fondés sur la culture ou la race que posséderaient des peuples distincts.

• 0910

Je dis cela parce qu'une personne micmaque, une personne qui est membre d'une bande micmaque, peut ne pas nécessairement avoir du sang micmac ou être d'ascendance micmaque. Il pourrait en fait s'agir d'une personne non autochtone, d'origine européenne, adoptée par la communauté micmaque selon les lois ou les coutumes de la nation micmaque. Cette personne pourrait exercer les droits issus des traités de cette collectivité micmaque au même titre que n'importe quel autre de ses membres si elle était considérée comme l'un d'entre eux.

Il s'agit de droits politiques. Ils ne sont pas nécessairement de nature raciale ou culturelle. C'est le premier point que je voulais faire ressortir.

Le deuxième point, c'est que ces traités, dans une perspective indigène, sont des traités internationaux au sens strict du terme. Les Autochtones ont toujours maintenu et continuent à maintenir qu'ils ont négocié avec la Couronne britannique de nation à nation.

Ce n'est que parce que la Cour suprême du Canada a interprété ces traités comme étant sui generis qu'ils sont assujettis aux lois et à une interprétation nationale et qu'ils ont, par conséquent, perdu leur importance juridique internationale. Cette approche adoptée par la Cour suprême du Canada de l'interprétation des traités conclus par les peuples autochtones n'est pas conforme au droit international.

Les rapports au niveau des Nations Unies en arrivent de plus en plus à la conclusion que les traités entre les nations indigènes et la Couronne britannique, la Couronne française ou n'importe quelle autre nation européenne sont des traités internationaux au sens strict du terme. J'ai cité un rapport de 1998 de Miguel Alfonso Marinez, rapporteur spécial pour une étude des Nations Unies, selon lequel il s'agit en fait de la véritable interprétation à donner des traités avec les Autochtones.

La deuxième question qui se pose est celle de savoir quelle entité est titulaire du droit issu du traité. Est-ce la nation micmaque dans son ensemble ou chaque bande ou chaque individu? Nous savons que ce ne sont pas les Micmacs, à titre individuel, parce que les droits issus de traités sont, par définition, des droits collectifs dont jouit une collectivité politique distincte. Mais dans le contexte autochtone, selon les lois de la nation, par exemple, la nation micmaque, le pouvoir de conclure des traités revient non pas nécessairement à la nation micmaque, mais plutôt à chaque bande.

Vous pouvez voir que cela a certaines répercussions en ce qui concerne le pouvoir d'interpréter le traité et de gérer le droit qui en est issu. L'Indigenous Bar Association est d'avis—et c'est d'ailleurs l'avis qu'elle a exprimé lors des audiences d'autres comités parlementaires—que, de manière générale, la tradition des sociétés indigènes veut que le pouvoir de conclure des traités revienne à la bande.

Cela ne veut pas dire que chacune des bandes qui font partie de la nation micmaque ne peut pas lui attribuer ou lui transférer son pouvoir décisionnel se rapportant aux droits issus de traités. La structure politique des sociétés indigènes a toujours été orientée de bas en haut, vers la nation et l'autorité centrale, pas le contraire. Tout pouvoir dont la nation micmaque pourrait jouir dans son ensemble devra lui avoir été attribué ou transféré par les différents conseils de bande.

Cela veut donc dire, en ce qui concerne l'assujettissement à la réglementation, que ce sont les différentes bandes micmaques qui sont titulaires du droit issu du traité. C'est à chacune de ces bandes qu'il revient de déterminer la façon d'exercer le droit de faire du commerce pour s'assurer une subsistance convenable.

• 0915

Les bandes peuvent s'y prendre de toutes sortes de façons. Elles peuvent autoriser leurs membres à exercer individuellement le droit issu du traité de la bande sans aucune forme de contrôle ou encore, dans le cas de la pêche, désigner certains membres de la bande pour pêcher et vendre le poisson nécessaire et distribuer les profits à parts égales entre les membres de la bande. Une autre solution consisterait à constituer un fonds servant à la création de projets à l'intention de toute la communauté, comme un centre récréatif. Là où je veux en venir, c'est que c'est à chaque bande de décider comment elle va réglementer le droit des Autochtones de s'assurer une subsistance convenable.

La question à se poser est la suivante: comment définir une subsistance convenable? L'expression «subsistance convenable» n'est pas une notion autochtone traditionnelle. Elle a été utilisée pour la première fois, je pense, par le juge Lambert dans l'arrêt Van der Peet. Le juge en chef Lambert s'est servi de sa définition comme principe directeur pour comprendre la notion de subsistance convenable. Il s'agit donc purement d'une notion de la common law. Elle n'a pas d'équivalent traditionnel dans le contexte autochtone.

Cela dit, cependant, cette notion n'a pas un sens différent pour un Autochtone et un non-Autochtone. Elle désigne un mode de vie qui est certainement supérieur à une maigre subsistance, mais qui est loin de correspondre à une accumulation illimitée de richesses. Elle se situe quelque part entre les deux.

La Cour suprême du Canada en a bien entendu donné une vague définition. Faut-il utiliser les statistiques nationales sur le revenu moyen de la famille canadienne? Faut-il utiliser des statistiques régionales sur le revenu moyen des habitants des Maritimes ou encore des statistiques locales définissant en quoi consiste un revenu modeste? C'est l'une des questions laissées sans réponse par l'arrêt Marshall.

C'est l'un des points qu'il faudra négocier pour en arriver à une formule qui permettra à chaque bande de calculer les prises qui assureront une subsistance convenable à chacun de ses membres. Il faudra déterminer combien de familles font partie d'une bande et définir la valeur monétaire du mode de vie recherché. Après avoir fait ces calculs, on obtiendrait le montant total que la bande pourrait aller chercher en récoltant une ressource et en en faisant le commerce.

En terminant, je tiens simplement à mentionner que l'arrêt Marshall et le fait que l'exercice du droit issu d'un traité revient à la bande sont conformes à la notion de gestion communautaire des pêches, par opposition à la structure de gestion actuelle du MPO qui est centralisée et qui favorise les grandes entreprises. Le mode traditionnel de gestion des pêches des Autochtones a toujours été respectueux de l'environnement et correspond à l'approche moderne de la gestion des pêches appelée la gestion communautaire. C'est une approche qui intègre la gestion et la conservation à la production et à l'utilisation d'une manière holistique et qui est plus efficace, je dirais, sur le plan de la conservation que la structure de gestion actuelle du MPO.

• 0920

Je fais ces observations en me fiant à un rapport que j'ai récemment reçu de l'ECO-Research Chair of Environmental Law and Policy de Victoria. Ce rapport a pour titre Fishing Around the Law: The Pacific Salmon Management System as a “Structural Infringement” of Aboriginal Rights et je le cite à la note en bas de page 3 de notre mémoire.

Je pense que c'est tout ce que je tenais à dire.

Je vais maintenant céder la parole à ma collègue, Melinda Martin.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci. Allez-y, Melinda.

Mme Melinda Martin: Bonjour. Good morning. WeliegsitpÀq.

Je m'appelle Melinda Martin. Je suis une Micmaque de la Première nation de Listuguj et étudiante à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa dont j'obtiendrai mon diplôme en avril.

Le but de mon exposé est de vous donner des exemples de plans de conservation micmacs. Pour ce faire, je vais partager avec vous certaines des choses que j'ai apprises de mon oncle Isaac Metallic, qui continue à chasser et à pêcher comme son père et son grand-père l'ont fait avant lui.

L'arrêt Marshall reconnaît le droit des Micmacs, des Malecites et Pescomodys de pêcher à des fins commerciales. Si nous voulons exercer nos droits issus de traités, nous devons exercer aussi nos responsabilités. Notre responsabilité envers la Terre, notre mère, et les sept prochaines générations, est de protéger et de conserver les ressources.

Ce qui n'est pas beaucoup ressorti des débats jusqu'à présent, c'est le fait que les Micmacs, les Malecites et les Pescomodys pratiquent la conservation depuis des temps immémoriaux. Notre peuple s'en préoccupe beaucoup. La conservation peut être définie comme le respect pour la Terre mère et les cadeaux que celle-ci et le Créateur ont placés ici pour nous. Le gouvernement canadien n'a pas reconnu les pratiques de protection des ressources de notre peuple. Il est plus que jamais temps que le gouvernement canadien reconnaisse notre rôle dans la protection des ressources, pour garantir le maintien d'une industrie de la pêche viable et durable.

Certaines personnes chez les Micmacs considèrent la pêche d'un point de vue individualiste, mais la majorité des membres de la collectivité y voient un droit communautaire que l'on doit exercer au profit de la communauté dans son ensemble.

Je voudrais souligner deux exemples de démarches que les Micmacs ont entreprises pour élaborer leurs propres mesures de conservation dans l'industrie de la pêche, secteur où les gouvernements micmacs continuent à protéger leurs droits. La protection de nos droits est intimement liée à la conservation.

Je commencerai par ma propre communauté, car c'est elle que je connais le mieux. Listuguj est situé sur la rivière Restigouche, qui est célèbre pour son saumon. Au cours des dernières décennies, les Micmacs de Listuguj ont été assujettis à des règlements de pêche imposés unilatéralement par le ministère fédéral des Pêches et des Océans et d'autres organismes gouvernementaux. Le ministère établissait des quotas de prises et décidait de la date et du lieu de pêche.

Une année, notre communauté a refusé de signer ces ententes. Les membres de la communauté étaient convaincus qu'ils pouvaient concevoir et mettre en oeuvre un meilleur système de conservation que celui qui leur était imposé. On a alors demandé à tous de donner leur avis. La participation des pêcheurs micmacs a été décisive pour le respect des mesures de conservation prises par la communauté. Le plan de conservation correspondait aux règlements du MPO et excédait même ses exigences.

La bande a fourni au MPO le total de ses prises afin que des données scientifiques puissent être recueillies pour la conservation et la gestion des pêches au saumon. Des Micmacs ont été embauchés pour recueillir ces données sur les quais lorsque les pêcheurs rentraient.

La province de Québec a conclu une entente de services avec la Première nation de Listuguj, aux termes de laquelle la bande devait fournir des agents de conservation pour garantir le respect du plan. Le plan de conservation de Listuguj a été si bien accueilli que la province a remis une récompense à la bande pour ses efforts de conservation. Ce plan est toujours en vigueur aujourd'hui.

Le deuxième exemple d'un plan de conservation micmac est celui de la Bande indienne de Shubenacadie. Avant l'arrêt Marshall, le Comité du homard des membres de cette bande a travaillé en collaboration avec le chef et le conseil de la Bande d'Indian Brook pour élaborer un plan de conservation du homard. Le conseil de bande a adopté une résolution pour garantir que les pêcheurs d'Indian Brook suivraient la convention intérimaire de conservation, durabilité et gestion de la pêche du homard. Le chef et le conseil ont infligé des pénalités aux contrevenants. La bande avait le pouvoir d'imposer des pénalités comme la révocation des permis de pêche.

• 0925

La saison était fixée par entente mutuelle entre le chef et le conseil de la Bande indienne de Shubenacadie, le Comité du homard de Shubenacadie et le MPO. Des permis étaient distribués par la bande. Les lignes directrices étaient conformes aux règlements du MPO en ce qui concerne la taille des prises, la grosseur des casiers, la taille des homards et la mise en liberté de toutes les femelles marquées, et elles ont été appliquées. La bande est allée plus loin en faisant passer à trois pouces et quart la taille du homard pour la baie Ste-Marie, alors que le règlement du MPO n'exigeait que trois pouces.

La bande a fourni au MPO les dossiers sur les prises pour l'aider à recueillir les données scientifiques en vue de la conservation, de la durabilité et de la gestion des pêches au homard. Les pêcheurs de homard de la Bande indienne de Shubenacadie et la bande ont aussi conclu une entente selon laquelle 30 p. 100 des prises reviendraient à la bande pour utilisation par ses membres à des fins alimentaires, communautaires ou rituelles.

L'entente a été conclue comme condition de la réception par les pêcheurs des permis délivrés en vertu du plan de gestion. Il s'agit d'un plan de gestion antérieur à l'arrêt Marshall. Les Micmacs devront examiner à nouveau leurs droits issus de traités et leurs responsabilités à la lumière de l'arrêt Marshall qui autorise la pêche commerciale.

Ces deux brefs exemples illustrent une perspective communautaire sur ce droit de pêche issu de traité. Cette perspective n'est pas très bien comprise par la population générale du Canada. L'arrêt Marshall portait sur le droit commercial de vendre du poisson, mais ce droit est assujetti à la responsabilité de veiller à la conservation.

Mon oncle Isaac veut que ses enfants et ses petits-enfants soient capables d'exercer leur droit de pêche issu de traités; la meilleure façon d'y parvenir est d'avoir des vues et une approche communes en matière de conservation.

Welalin.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci beaucoup, madame Martin.

J'aimerais vous lire un extrait de notre ordre du jour—vous expliquer la raison pour laquelle nous sommes ici—parce que je pense avoir oublié de le faire au début de la réunion.

Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous sommes ici pour étudier les conséquences du jugement de la Cour suprême du Canada rendu le 17 septembre 1999 dans l'affaire Regina c. Marshall concernant la gestion des pêches dans la région Atlantique.

Notre prochain témoin est M. Patterson.

Oui.

M. John Cummins (Delta—South Richmond, Réf.): Je me demandais s'il ne serait pas préférable de poser nos questions à ces témoins avant de passer à M. Patterson. Ne serait-ce pas une meilleure façon de procéder?

Le vice-président (M. John Duncan): Prendre une heure au complet et ensuite passer à M. Patterson?

M. John Cummins: Je ne sais pas trop. Nous pourrions peut-être faire un tour de table avant de passer à M. Patterson, parce que je pense qu'il a peut-être une approche légèrement différente.

Le vice-président (M. John Duncan): Pensez-vous que ce serait une bonne idée?

Des voix: D'accord.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Nous devrions demander aux témoins s'ils sont d'accord.

Le vice-président (M. John Duncan): Les témoins sont-ils d'accord?

M. Larry Chartrand: Nous pouvons procéder d'une manière ou de l'autre.

Le vice-président (M. John Duncan): C'est donc ainsi que nous allons procéder.

La parole est au Parti réformiste. John Cummins, pouvez-vous commencer?

M. John Cummins: Oui, merci, monsieur le président.

J'aimerais remercier les témoins d'être ici ce matin.

Ma première question a trait à la notion de subsistance convenable. Vous avez fait allusion à l'arrêt Van der Peet. Les juges n'ont-ils pas rejeté la notion de subsistance convenable dans l'affaire Van der Peet sous prétexte que c'était une mesure impraticable?

M. Larry Chartrand: Oui. Un des aspects ironiques de l'allusion du juge en chef Lamer à l'analyse faite par Lambert de la subsistance convenable est que l'argument tel qu'il a été présenté par la majorité dans Van der Peet donnait en réalité à entendre que c'était une solution impraticable.

Le juge en chef Lamer a dû en faire le fondement de son analyse dans Marshall parce qu'il n'était pas d'accord avec la majorité dans Van der Peet au sujet de son impraticabilité. Il a un peu élaboré dans le jugement Marshall en disant qu'il s'agit en quelque sorte d'un niveau de vie auquel devraient avoir droit tous les Canadiens. Il a donc un peu modifié la notion. Je pense qu'il est parti de l'analyse plus détaillée du juge Lambert dans Van der Peet et qu'il a ajouté des précisions.

• 0930

Je suis tout aussi perplexe que vous quant aux raisons pour lesquelles il a choisi cette expression en particulier plutôt qu'une autre.

M. John Cummins: Il me semble qu'une subsistance convenable pourrait équivaloir à une nouvelle camionnette pour une personne et à une Oldsmobile pour une autre. Je pense que c'est une expression très difficile à définir.

J'aimerais passer, si vous me le permettez, à l'arrêt Gladstone qui vous est sans doute familier. Dans l'arrêt Gladstone, les juges ont indiqué que l'objet de l'article 35 de la Constitution avait quelque chose à voir avec la conciliation de l'existence des peuples autochtones avec les peuples non autochtones.

Je pourrais peut-être vous citer deux paragraphes de cet arrêt, après quoi vous me ferez part de vos commentaires.

Les juges ont indiqué au paragraphe 73 que:

    Les droits ancestraux sont un élément nécessaire de la conciliation de l'existence des sociétés autochtones avec la communauté politique plus large à laquelle ces dernières appartiennent. Les limites imposées à ces droits sont également un élément nécessaire de cette conciliation, si les objectifs qu'elles visent sont suffisamment importants pour la communauté dans son ensemble.

Ils ont poursuivi en disant, au paragraphe 75:

    Bien que je n'entende aucunement me prononcer de façon définitive sur cette question, je dirais qu'en ce qui concerne la répartition de ressources halieutiques données, une fois que les objectifs de conservation ont été respectés, des objectifs tels que la poursuite de l'équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur ces ressources et participent à leur exploitation, sont le genre d'objectifs susceptibles (du moins dans les circonstances appropriées) de satisfaire à cette norme. Dans les circonstances appropriées, de tels objectifs sont dans l'intérêt de tous les Canadiens et, facteur plus important encore, la conciliation de l'existence des sociétés autochtones avec le reste de la société canadienne pourrait bien dépendre de leur réalisation.

Il me semble que, dans Gladstone, les juges ont donné à entendre que nous devions en quelque sorte essayé de régler ce problème, que des droits avaient été acquis par d'autres personnes que des Autochtones, par des personnes qui se sont adonnées à la pêche pendant un certain temps, des non-Autochtones, qui ont en un sens acquis certains droits et qu'il fallait trouver le juste équilibre dans la loi en ce qui concerne l'accès aux ressources.

Mais l'arrêt Marshall ne contient aucune allusion à Gladstone ni aucune allusion à un juste équilibre. Il donne simplement à entendre, essentiellement, qu'un droit ancestral prioritaire est ici en jeu. Si vous regardez les chiffres, ce droit ancestral prioritaire voudrait dire, s'il est exercé jusqu'à sa limite, que personne d'autre n'aurait accès aux ressources. Il me semble donc que la notion de conciliation a pris le bord avec Marshall.

Je me demandais quelles sont vos vues à ce sujet.

M. Larry Chartrand: Je pense qu'il faut que vous vous rendiez compte que la Cour n'a pas poussé l'analyse de justification au point où l'arrêt Gladstone aurait été pertinent. Elle a défini le droit issu de traité dans le contexte du traité de 1760. Elle a imposé une limite à ce droit, parce que c'est une limite que prévoyait le traité lui-même, cette limite étant que c'est le commerce qui devait répondre aux nécessités de la vie, lesquelles ont été définies dans un contexte moderne comme étant une subsistance convenable.

Mais l'analyse ne s'arrête normalement pas là. L'étape suivante consisterait pour la Couronne à soutenir qu'on pourrait légitimement enfreindre le droit issu du traité. Dans Gladstone, il s'agissait d'un droit ancestral, mais la Cour semble penser que le critère de justification s'applique également aux droits issus de traités. Je crois que la question de savoir si la Couronne peut justifier une violation d'un droit issu d'un traité doit être examinée plus à fond. C'est comme si on permettait à deux parties de conclure une entente et qu'on laissait en fin de compte une deuxième chance à l'une d'elle parce qu'elle n'a pas invoqué les bons arguments dans un premier temps.

Je pense que l'application apparente par la Cour suprême du Canada du critère de justification au contexte des traités est inconvenante. Il n'a pas du tout été analysé dans la décision. C'est comme s'il lui avait fallu l'appliquer. Je crois qu'il faudrait plus de précisions.

Gladstone, pour ce qui est du critère de justification, n'était même pas pertinent dans Marshall. La Couronne n'a avancé aucun argument pour justifier une violation du droit issu du traité. Si elle l'avait fait, il lui aurait fallu utiliser le critère de conciliation envisagé dans Gladstone. Il y a aussi la question du juste équilibre des intérêts des non-Autochtones et des Autochtones et il aurait fallu que la Cour examine toute une série de critères pour faire cette analyse.

• 0935

M. John Cummins: Il me semble que c'est là ce qu'il y a de plus regrettable. Permettez-moi de vous renvoyer à la décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Brown en 1954 au sujet des écoles. Dans ces jugements—et il y en a eu deux—la Cour suprême des États-Unis n'a pas exigé qu'au lendemain l'ordre existant des choses soit bouleversé et que des droits différents soient reconnus à un groupe particulier de personnes.

J'ai l'impression que l'arrêt Marshall a renversé l'ordre établi. Je dirais que la Cour s'est presque montrée négligente, parce que l'indiscipline et la désobéissance civile dont nous avons été témoins étaient quasiment à prévoir de la façon dont la Cour a tranché. Son approche était différente de celle adoptée par la Cour suprême des États-Unis dans Brown.

M. Larry Chartrand: J'ai tendance à voir d'un autre oeil l'effet de la décision de la Cour suprême du Canada. Elle a tout simplement maintenu un droit issu d'un traité et confirmé ce que le traité disait en 1760.

Le problème est plutôt attribuable au fait que le droit issu du traité n'a pas été respecté dans un premier temps. Mais cela n'aide pas nécessairement les choses en 1999. Le traité a été conclu en 1760, à une époque où il y avait très peu de colons non autochtones dans la province. Aujourd'hui, de nombreux groupes non autochtones dépendent de l'industrie et des ressources. Le traité demeure un traité, même s'il a été conclu en 1760. Il faut le moderniser de manière à tenir compte des changements dans les circonstances socio-économiques et des intérêts d'autres intervenants. Mais quel est le meilleur moyen de s'y prendre?

Si deux parties estiment qu'un accord ne convient plus parce que les circonstances ont changé, elles peuvent renégocier le traité ou l'accord. Ce n'est pas à la Couronne de négocier de bonne foi, d'interpréter un traité dans le contexte maritime de 1990. Je pense que ce serait là la façon de régler le problème.

Le vice-président (M. John Duncan): Avez-vous quelque chose à ajouter rapidement?

M. John Cummins: Ce qui est regrettable, c'est que la Cour n'a pas prévu de période de transition.

Ne seriez-vous pas toutefois aussi d'accord pour dire qu'il n'y a pas vraiment eu violation du droit issu du traité avant les restrictions en matière de permis apportées en 1968? Jusque-là, il n'y avait eu aucune restriction au traité, aucune violation du droit.

M. Larry Chartrand: Sans une analyse plus approfondie des documents historiques, je ne peux pas dire avec certitude que c'est à partir de l'adoption des règlements de 1968 qu'il y a eu atteinte aux droits des Autochtones. Je soupçonne que c'était déjà arrivé auparavant. Je n'ai pas la documentation devant moi.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci.

Nous allons passer à Yvan Bernier du Bloc.

[Français]

M. Yvan Bernier (Bonaventure—Gaspé—Îles-de-la-Madeleine—Pabok, BQ): Je voudrais d'abord saluer les témoins qui ont comparu devant nous ce matin. J'aimerais moi aussi leur poser quelques questions et j'en réserverai peut-être quelques-unes pour la fin, après que nous aurons entendu l'autre témoin.

Nos témoins ont tenu des propos intéressants ce matin, mais ma curiosité subsiste sur plusieurs points. J'essaie toujours de comprendre avec qui le gouvernement canadien ou les communautés de pêcheurs non autochtones devront négocier. Les témoins semblent laisser entendre que, selon leur compréhension des traités, ce sera au niveau de chacune des bandes qu'il faudra tout négocier.

• 0940

J'aimerais que les témoins m'indiquent s'il est possible d'avoir une orientation et qu'ils précisent une définition relative au partage de la ressource comme telle. Puisqu'ils nous ont dit que les négociations auraient lieu au niveau de la bande, est-ce qu'on ne transigerait qu'avec les autochtones vivant sur des territoires dits des réserves? Devrions-nous négocier avec des autochtones dits hors réserves, mais qui sont rattachés à la bande? J'aimerais que les témoins instruisent le comité sur la façon dont nous devrions procéder.

Deuxièmement, comment intègre-t-on la notion de gestion communautaire à celle de la cohabitation avec les pêcheurs non autochtones? Je vais préciser le sens de ma question. Je cherche d'abord à savoir en fonction de quelle quantité ou de quel nombre d'individus de la communauté autochtone on va répartir la ressource. Je cherche à définir s'il y a un volume qu'on pourrait transférer. Est-ce que c'est ce volume qui serait géré à part par la communauté? Qui le gérerait? De quel ordre serait-il? Comment serait-il géré dans la communauté?

[Traduction]

M. Larry Chartrand: Pour ce qui est de la première question, quant à savoir qui a le pouvoir de négocier les traités, je dirais que ce sont au départ les bandes. Cependant, les bandes se rendent compte que ce n'est pas une question qui intéresse chacune d'entre elles individuellement et, selon le droit micmac traditionnel, elles peuvent transférer le pouvoir décisionnel à la nation micmaque dans son ensemble. Mais, au départ, le pouvoir réside au niveau de la bande et, à l'heure actuelle, c'est de cette façon que la nation micmaque procède.

Les différentes bandes se rencontrent pour élaborer un processus politique qui leur permettra de comprendre leurs intérêts collectifs et de s'occuper de la question à un niveau plus national, celui de la nation micmaque. Je ne suis pas au courant des détails de leur processus politique, mais elles en ont entamé un. Je crois que Bernd Christmas en a un peu parlé lors d'une audience précédente.

[Français]

M. Yvan Bernier: On parle de gestion au niveau de la bande et on dit que les négociations peuvent parfois être portées au niveau de l'assemblée des 35 bandes. Je parlerai de façon plus directe ce matin. Ce qui crée beaucoup de stupéfaction chez les communautés de pêcheurs, c'est que tout semble être négocié à la pièce. Il y a peut-être un laxisme de la part du gouvernement. Mais existe-t-il une image de la position définitive que le monde micmac souhaite atteindre?

Il y a trois ans a surgi un conflit dans le fond de la baie des Chaleurs. Nous avions déjà connu des événements semblables à ceux qui se sont déroulés à Burnt Church. À Restigouche, les pêcheurs gaspésiens avaient été stupéfaits de voir arriver les pêcheurs des bandes. On avait déjà vécu d'autres stupéfactions, mais la situation est maintenant réglée et la gestion de la pêche au saumon dans la rivière Restigouche fonctionne très bien.

Afin d'éviter de passer à travers toutes les étapes de stupéfaction, serait-il possible d'établir à l'avance un dialogue entre les communautés micmacs et les communautés voisines non autochtones? Vos chefs discutent peut-être parfois avec des représentants gouvernementaux, tant canadiens que québécois, mais on ne sait pas ce qui se passe. Vous êtes nos voisins, et là tout le monde tombe des nues. Je me suis aperçu que lorsque les bandes autochtones négociaient avec leurs voisins immédiats, les questions en litige se réglaient beaucoup plus vite.

• 0945

Cet automne, c'est la pêche au homard qui fait l'objet d'un litige. Est-ce que je devrais prévenir les pêcheurs de crabe qu'il y aura un conflit le printemps prochain? Est-ce que ce seront par la suite les pêcheurs de pétoncles qui seront touchés? On ne parle ici que de l'aspect de la pêche, alors que l'arrêt Marshall porte aussi sur la chasse et la cueillette. Est-ce qu'on va aller d'épisode en épisode comme cela? C'est le but de ma question de ce matin. Pouvez-vous nous éclairer?

[Traduction]

Le vice-président (M. John Duncan): Pourriez-vous nous répondre brièvement? Nous aimerions donner la parole à un ou deux autres députés.

M. Larry Chartrand: Bien sûr. Il y a deux choses à considérer ici. La première, c'est que si on renégocie le traité, un traité qui a été conclu avec la Couronne britannique, il ne faut pas oublier c'est le gouvernement canadien qui représente maintenant la Grande-Bretagne et qui doit faire honneur aux obligations qui découlent du traité. Et la Couronne britannique est censée défendre les intérêts de la communauté au niveau local dans ces négociations.

Cela ne veut pas dire que les collectivités micmaques et les collectivités non autochtones ne peuvent pas se rencontrer pour régler leurs différends d'une manière qui soit mutuellement acceptable. Ce ne serait pas dans le cadre du processus officiel des traités, cependant. Ce serait dans le cadre de négociations et d'accords communautaires. Il ne s'agirait pas de négociations de nation à nation. Le traité conclu de nation à nation dicterait les règles et continuerait à l'emporter.

L'autre chose, c'est qu'il faut un processus pour interpréter et mettre en application les traités non seulement dans les Maritimes, mais dans tout le Canada. Cet arrêt a des conséquences pour le reste du Canada ainsi que pour les traités avec le gouvernement canadien.

La Commission royale sur les peuples autochtones savait déjà pertinemment dans les années 90, avant la publication du rapport final, qu'il était nécessaire d'avoir un processus national de définition de la mise en application des traités en fonction duquel les parties pourraient cerner les dispositions de leurs traités devant être définies dans un contexte moderne et en arriver à un accord quelconque sur les traités existants qui pourraient être modifiés en fonction des besoins actuels. Cette recommandation a été présentée au Parlement, mais n'a pas encore été adoptée ni même examinée, je pense, comme il se devrait.

Je sais que l'Assemblée des premières nations l'a adoptée, tout comme d'autres groupes autochtones. Certains l'ont même adoptée à l'échelle régionale, malgré l'hésitation du gouvernement fédéral à l'adopter lui-même. S'il l'avait fait, certains des problèmes qui se posent dans les Maritimes auraient peut-être pu être évités.

Le vice-président (M. John Duncan): Pouvons-nous passer à Sarkis Assadourian puis à Carmen Provenzano?

M. Sarkis Assadourian: Merci beaucoup. Je vous souhaite la bienvenue moi aussi à cette audience.

J'ai trois questions. Vous pourrez y répondre dans l'ordre qui vous conviendra. Elles sont très brèves.

Premièrement, pouvez-vous énumérer les événements historiques qui, selon vous, ont mené au traité de 1760?

Deuxièmement, savez-vous si d'autres traités ont été signés avant ou après 1760 entre les Micmacs et les Blancs, c'est-à-dire les Anglais ou les Français à l'époque?

Troisièmement, comment définissez-vous l'expression «traités internationaux» au paragraphe 4 de la page 2 où vous dites «en partant du principe qu'il s'agissait de traités internationaux au sens strict du terme»? Comment définissez-vous les «traités internationaux», et comment ce traité international se compare-t-il à celui de 1760?

M. Larry Chartrand: Je ne peux pas me livrer à une telle analyse historique sans regarder la documentation et sans avoir de preuves historiques des traités qui ont été conclus avant 1760 et après cette date. Cependant, ce que je veux dire, quand je parle de traités internationaux, c'est que les traités conclus par les Premières nations avec la Couronne sont des traités internationaux au sens strict du terme en ce sens qu'ils ne sont pas différents de par leur nature d'un traité entre le Canada et les États-Unis. Ils ont été conclus de nation à nation en 1760.

La Couronne britannique a reconnu l'indépendance et l'autonomie des Micmacs, des Malecites et des Pescomodys. Elle n'avait nullement l'intention d'exercer quelque contrôle que ce soit sur ces nations et toute allusion en ce sens dans un traité écrit équivaut probablement à une mauvaise interprétation du traité en question.

• 0950

M. Sarkis Assadourian: Donc, d'après vous, quels événements historiques ont mené au traité de 1760?

M. Larry Chartrand: Je dirais qu'il s'agissait typiquement de traités de paix et d'amitié entre deux nations. Il y avait de toute évidence un conflit entre les Micmacs et les Anglais à cause de leur alliance avec les Français. Après la défaite des Français dans les Maritimes, il a fallu négocier avec les Micmacs pour parvenir à la paix. C'est là le contexte historique des traités de 1760: ils ont été conclus entre deux puissances indépendantes et ils leur ont permis d'en arriver à un règlement mutuellement acceptable qui soit avantageux pour toutes les parties.

M. Sarkis Assadourian: Vous comparez ce traité aux nombreux traités que le Canada a signés avec les États-Unis au cours des deux cents dernières années. Donc, selon vous, le traité de 1760 était un traité entre deux États souverains. Est-ce que ce vous dites?

M. Larry Chartrand: Exactement.

M. Sarkis Assadourian: Donc, dans votre esprit, les Micmacs étaient souverains en 1760, ou autour de cette date, et ils ont cédé certains droits aux Blancs qui leur ont garanti que ces droits issus de traités seraient respectés malgré le passage des ans. Est-ce bien votre point de vue?

M. Larry Chartrand: Tout à fait.

M. Sarkis Assadourian: Enfin, au cours de la période des questions à la Chambre des communes, l'opposition et surtout le Parti réformiste ont fait valoir que ce traité accordait la préférence à un certain sang—dans ce cas-ci celui des Micmacs—parce que si vous êtes Micmac, vous pouvez pêcher, faire tout ce que vous voulez, selon ce traité. Êtes-vous d'accord?

M. Larry Chartrand: Non, c'est tout à fait inexact. Le traité n'a pas été conclu avec un peuple distinct sur le plan racial. Il a été conclu avec un gouvernement politique autonome distinct, le gouvernement micmac, comme n'importe quel traité que vous pourriez signer avec les États-Unis. Et des non-Micmacs, des membres de la bande micmaque n'ayant pas de sang indien, pourraient exercer les droits issus du traité conclu avec les Micmacs; rien ne les en empêche. Un Anglais qui aurait été adopté par la bande micmaque et qui serait un citoyen de celle-ci pourrait exercer ce droit issu du traité. Il n'est pas fondé sur la race. C'est un droit politique qui appartient aux citoyens de la bande et du gouvernement micmacs.

M. Sarkis Assadourian: Que voulez-vous dire par «citoyen»? Voulez-vous parler des membres de la bande? Est-ce bien ce que vous voulez dire?

M. Larry Chartrand: Je veux parler des membres de la bande.

M. Sarkis Assadourian: Mais de citoyens canadiens.

M. Larry Chartrand: Des citoyens micmacs, des citoyens de la nation micmaque.

Le vice-président (M. John Duncan): Allez-y, monsieur Provenzano.

M. Carmen Provenzano (Sault Ste. Marie, Lib.): Monsieur Chartrand, vous nous avez fait un exposé très intéressant, mais il y a une chose que j'essaie de comprendre. Nous avons la nation micmaque dans son ensemble qui est composée de différentes bandes qui sont elles-mêmes composées de différents membres. Les traités de 1760—et je dis bien traités au pluriel parce qu'il y en a eu plus d'un—ont été conclus par les bandes, les différentes bandes. Est-il possible, monsieur Chartrand, en vertu du droit micmac, que les différentes bandes obligent toute la nation micmaque, unilatéralement, sans son consentement, l'obligent, je dis bien, à respecter quelque arrangement que ce soit entre la bande et tout gouvernement? Serait-il possible qu'une bande impose unilatéralement des obligations à toute la nation micmaque?

M. Larry Chartrand: D'après ma connaissance limitée du droit traditionnel micmac, je ne pense pas qu'il entrerait dans les pouvoirs d'une bande micmaque d'imposer des obligations à l'ensemble de la nation micmaque.

• 0955

M. Carmen Provenzano: C'est là mon problème, monsieur Chartrand. Dans votre exposé, vous avez dit que les traités de 1760 avaient été conclus au niveau de la bande et que les droits issus des traités appartiennent à la bande en question. Cette bande, d'après vous, pourrait transférer les avantages que confère le traité à la nation micmaque dans son ensemble. Est-ce bien ce que vous voulez dire?

M. Larry Chartrand: Oui.

M. Carmen Provenzano: C'est bien là mon problème. S'il est impossible—et je ne pense pas que ce soit possible en vertu de n'importe quelle loi de n'importe quelle nation—selon le droit micmac pour une bande d'imposer des obligations à toute la nation micmaque, comment serait-il possible qu'elle puisse lui transférer les avantages qui découlent d'un accord, mais sans les obligations? L'idée ici, c'est que les avantages pourraient être transférés à la nation dans son ensemble, mais un problème se pose de toute évidence puisqu'on ne pourrait pas transférer unilatéralement une obligation. Votre hypothèse ne pose-t-elle pas un problème?

M. Larry Chartrand: Oui, mais peut-être que je n'ai pas été très clair.

M. Carmen Provenzano: Voyez-vous ce que je veux dire?

M. Larry Chartrand: Oui.

M. Carmen Provenzano: Vous ne pouvez pas imposer d'obligations unilatéralement. Comment transférer un avantage sans l'obligation qui y est rattachée? Il s'agit d'un véritable droit. Peut-on transférer un droit sans l'obligation dont il est assorti? Si nous n'avons pas le droit d'imposer une obligation, comment pouvons-nous dire que ce droit appartient à la tribu, à la nation, par opposition à la bande elle-même?

Mme Melinda Martin: Ce que je crois comprendre comme Micmac, c'est que ces traités n'ont pas été conclus par les bandes à titre individuel; il s'agissait de représentants des bandes, mais les traités ont été conclus avec la nation micmaque. C'est pourquoi ces droits sont transférés à toutes les bandes, à tous les membres de la nation micmaque. Et parce que des traités semblables ont été signés à la même époque avec les Malecites et les Pescomodys, ces trois nations bénéficieraient des droits découlant de ces traités.

M. Carmen Provenzano: Vous modifieriez donc cette partie de l'exposé?

Mme Melinda Martin: C'est mon point de vue comme Micmaque.

Le vice-président (M. John Duncan): Carmen, puis-je vous interrompre?

Nous allons maintenant présenter M. Patterson. Tout le monde a eu un tour. Nous allons entendre la déclaration du témoin et lui poser nos questions, et nous déciderons ensuite de ce qu'il convient de faire.

Permettez-moi de prendre une minute ou deux pour vous présenter, monsieur Patterson, parce que vous ne le faites pas dans votre mémoire. Je vais prendre la liberté de citer votre page Web; je pense en tout cas que c'est de là que vient ce document.

Stephen E. Patterson est titulaire d'un doctorat de l'Université du Wisconsin. Il donne des cours de premier et de deuxième cycles au département d'histoire de l'Université du Nouveau-Brunswick, plus particulièrement sur les débuts de la colonisation des Amériques et les premières rencontres entre Autochtones et Européens. Il a écrit notamment «1744-63: Colonial Wars and Aboriginal Peoples» dans The Atlantic Region to Confederation; «Indian-White Relations in Nova Scotia», dans Acadiensis, 1993; et Political Parties in Revolutionary Massachusetts.

M. Patterson a déjà dirigé le département d'histoire et est maintenant directeur des études supérieures. Ses travaux actuels portent sur les rapports entre Autochtones et Européens dans les colonies, plus particulièrement en Nouvelle-Écosse et au Nouveau- Brunswick. Il supervise les travaux d'étudiants de deuxième cycle sur divers sujets touchant l'histoire coloniale et révolutionnaire, de même que l'histoire de l'Amérique au XIXe siècle.

Nous savons que vous êtes associé depuis longtemps à l'affaire Marshall; d'ailleurs, je pense que vous parlez de cet aspect-là dans votre mémoire. Vous pouvez commencer, monsieur Patterson.

M. Stephen Patterson (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

• 1000

Votre présentation était assez exacte, mais j'aimerais insister sur le fait que, même si j'ai obtenu mon doctorat de l'Université du Wisconsin, je suis né à Fredericton, au Nouveau- Brunswick, et je ne suis jamais resté très longtemps loin de chez moi. Il ne faut donc pas vous méprendre: je suis Canadien, et je l'ai toujours été.

Depuis les dix ou douze dernières années, la majeure partie de mes travaux portent sur ce que j'appelle «l'histoire des premiers contacts», c'est-à-dire les rencontres et les rapports entre les peuples autochtones et non autochtones pendant la période coloniale, en particulier dans la région du Canada atlantique.

J'ai préparé un bref mémoire, que j'ai l'intention de suivre d'assez près. Il me faudra peut-être un peu plus de dix minutes, mais mon texte est aussi succinct que possible étant donné la complexité de la question.

Je tiens à préciser, à l'intention des membres du comité et de tous ceux qui s'intéressent à la question, que je suis ici pour contribuer au processus et pour essayer de l'améliorer, et non pour critiquer en long et en large les décisions qui ont déjà été rendues, en particulier dans l'affaire Marshall.

Vous avez souligné à juste titre que j'ai été appelé à témoigner, à titre d'«historien expert», dans l'affaire Marshall. Comme j'ai présenté ce témoignage en première instance, je suis associé à l'affaire Marshall depuis le tout début. C'est dans cette perspective que je souhaite passer en revue avec vous ce qui s'est passé dans cette affaire et vous faire part de mon sentiment à cet égard, à savoir qu'il faut modifier le processus selon lequel l'information historique est utilisée pour éclairer les causes de cette nature.

Je dois dire, compte tenu des critiques récentes à cet égard, que les tribunaux constituent à mon avis l'endroit par excellence pour résoudre les litiges complexes ayant trait aux droits ancestraux des Autochtones et à ceux qui leur ont été conférés par voie de traités. J'estime qu'il est non seulement approprié, mais essentiel, que la Cour suprême du Canada soit l'arbitre ultime en ces matières. Il n'existe pas d'autre institution mieux outillée pour juger ces litiges de façon équitable, judicieuse et impartiale. Et je suis persuadé que la Cour suprême, dans l'affaire Marshall comme dans toutes les autres causes ayant trait aux droits des Autochtones, a appliqué le droit de la manière la plus rigoureuse qui soit.

Mais je dois également faire remarquer que nous n'avons pas encore, au Canada, saisi l'entière signification du paragraphe 35(1) de notre Constitution, qui garantit aux peuples autochtones leurs droits ancestraux et issus de traités. Cette courte disposition déborde de loin sa simple connotation juridique. Elle a aussi une importante dimension historique.

Les coutumes et les traditions qui balisent les droits des peuples autochtones ne peuvent être perçues que par le biais de l'observation historique. Les traités sont des documents historiques. Plus particulièrement, les coutumes et les traités qui sont protégés par cette disposition sont aussi nombreux que les centaines de Premières nations existant au Canada de nos jours. Ces nations sont extrêmement diverses, et il est impossible de comprendre leur réalité sans tenir compte des dimensions historiques que sont le temps et l'espace.

À mon avis, la vérité de cette observation a été amplement reconnue par les tribunaux du Canada. Dans les affaires Simon, Sioui, Sparrow, Van der Peet et Delgamuukw, pour ne nommer que quelques-unes des plus connues, la Cour suprême a confirmé l'importance de l'histoire dans la façon de déterminer la nature et la portée des droits des Autochtones, qu'il s'agisse des droits ancestraux ou des droits issus de traités.

La détermination de la date du premier contact ou du moment où a été affirmée la souveraineté britannique exige des connaissances historiques. On ne peut connaître les coutumes et les traditions faisant partie intégrante de la culture d'un peuple autochtone qu'en faisant référence à l'histoire. Et l'analyse d'un traité, afin d'établir l'intention des parties en cause, nécessite une analyse du contexte historique.

Quand les tribunaux font appel à nous dans leur examen de ce qu'ils appellent la preuve extrinsèque, ils nous demandent en fait un examen plus vaste du contexte historique. Lorsque M. le juge La Forest nous dit par exemple, dans l'arrêt Delgamuukw, que la compréhension de certaines questions est «éminemment contextuelle», il affirme qu'il faut une analyse des plus détaillées des données historiques pour résoudre les litiges.

En résumé, notre Constitution exige que les litiges ayant trait aux droits des Autochtones—qu'il s'agisse de droits ancestraux ou issus de traités—soient résolus en tenant compte à la fois de l'histoire et du droit. Cette disposition ne laisse donc aucun choix. D'après ma lecture de la Constitution, elle impose aux tribunaux une exigence particulière en ce qui concerne l'établissement d'une méthode adéquate permettant de recueillir des preuves historiques, de les lire et de les interpréter de manière à rendre justice aux faits et à leur contexte historique général.

• 1005

Bien que la Cour suprême soit parfaitement consciente de l'exigence constitutionnelle de tenir compte des faits historiques, je dirais que le processus selon lequel elle s'acquitte de cette exigence est encore en cours d'élaboration. Les règles sont vagues et, à tous égards, j'affirmerais qu'elles sont appliquées de façon erratique. En 1985, dans l'affaire Simon mettant en cause un Micmac de la Nouvelle-Écosse, la Cour suprême a accepté que M. Simon se fonde sur le traité de 1752 parce que la Couronne n'avait présenté aucune preuve à l'appui de son allégation selon laquelle ce traité avait été annulé à la suite d'hostilités. On avait présenté à la Cour des tas de documents historiques, mais aucun témoignage d'expert. La Cour a donc affirmé dans son jugement qu'il lui était impossible de déterminer ce qui se passait sur la côte est de la Nouvelle-Écosse en 1753. Si je peux me permettre d'interpréter cet arrêt, la Cour a établi que le dossier historique n'était pas explicite. D'après la lecture que j'en fais, ce jugement signifie que les données historiques brutes doivent être rendues intelligibles par une personne capable de les interpréter et que la Cour n'entreprendra pas cette démarche d'elle-même.

Selon moi, le jugement Simon constitue une reconnaissance avisée, de la part de la Cour, qu'elle a des limites lorsque vient le moment d'interpréter l'histoire. Quant à savoir si ces limites sont définies ou généralement acceptées, c'est une autre histoire. À mon avis, elles ne le sont pas, et je suggère—dans un esprit de critique constructive—qu'elles le soient. La Cour suprême doit décider comment elle compte traiter les questions historiques lorsque la preuve déposée devant les tribunaux inférieurs est inadéquate ou lacunaire à certains égards.

En ce qui concerne l'affaire Marshall, permettez-moi de souligner très brièvement certains aspects de cette cause longue et difficile pour illustrer certaines des difficultés qu'éprouvent les tribunaux, à mon avis, à se servir de l'histoire pour résoudre des litiges ayant trait aux droits, ancestraux et issus de traités, des Autochtones.

Cette cause s'est articulée autour des traités signés par les Micmacs en 1760 et 1761. Tous les Autochtones de la région, c'est- à-dire les Micmacs, les Malecites et les Pescomodys, combattaient les colons britanniques depuis des années et avaient été particulièrement actifs dans les guerres coloniales comme alliés de la France. Après 1758, lorsque la France a perdu sa mainmise sur la région, tous ces peuples autochtones se sont mis graduellement à commercer avec les Britanniques. Les Malecites ont été les premiers à le faire, et leur traité a été conclu en février 1760. Pour leur part, les Micmacs étaient disséminés dans toute la région et répartis en une douzaine de communautés ou bandes distinctes. Plutôt que de tenter de les rassembler tous et de traiter avec eux comme s'ils formaient une seule entité, les Britanniques ont décidé de le faire séparément. Voilà la raison pour laquelle une série de traités ont été signés avec les Micmacs sur une période de plusieurs mois, le premier en mars 1760 et le dernier en novembre 1761.

Les texte écrits de tous ces traités conclus avec les Micmacs étaient identiques. Ils débutaient par ce que les Britanniques appelaient une déclaration de soumission, par laquelle les Micmacs reconnaissaient la souveraineté et l'autorité de la Couronne britannique en Nouvelle-Écosse et s'y soumettaient. Ils promettaient de ne pas s'opposer aux colons britanniques et, en cas de mésententes, de «demander un règlement conformément aux lois adoptées dans les Dominions de Sa Majesté». Ils s'engageaient également à ne pas commercer avec les Français, mais plutôt à confiner leurs activités commerciales aux postes de traite des Britanniques qui devaient être établis à cette fin.

Toutefois, outre ces documents écrits, nous disposons aussi des comptes rendus des discussions qui se sont tenues au moment où certains de ces traités ont été conclus. Le document le plus complet porte sur la cérémonie protocolaire du 25 juin 1761, au cours de laquelle quatre bandes micmaques ont conclu leur traité avec les Britanniques. Il est donc heureux que cette affaire—l'affaire Marshall—ait mis en cause un membre de la réserve de Membertou, sur l'île du Cap-Breton—Donald Marshall Jr.—puisque celui-ci était en quelque sorte représenté lors de cette cérémonie de signature de traités, en 1761, en la personne du chef des Micmacs du Cap-Breton. Il s'agit donc, si l'on peut dire, du traité de Marshall, et ce compte rendu constitue ce que la Cour suprême appelle la preuve «extrinsèque» ou, autrement dit, le contexte historique susceptible de nous aider à mieux comprendre l'intention des parties. Ce document a suscité une attention considérable au cours du procès. Il a semblé, à l'époque, être le plus pertinent à la question des droits conférés à M. Marshall par voie de traité.

• 1010

Permettez-moi de signaler quelques détails du compte rendu de cette cérémonie protocolaire. Plusieurs points m'ont impressionné profondément et ont, dans une large mesure, façonné l'interprétation que j'ai adoptée et présentée dans mon témoignage au procès.

J'ai trouvé particulièrement frappant que le chef du Cap- Breton déclare ce qui suit au nom de tout son entourage: «Nous avions l'intention de nous en remettre à vous sans exiger de conditions.» Autrement dit, les Autochtones n'ont exprimé aucune exigence et n'ont fixé aucune condition. Dans son long discours, soigneusement traduit par une personne pouvant s'exprimer en micmac, il n'a pas fait la moindre allusion au commerce. Il a conclu son allocution dans ces termes:

    Tant que le Soleil et la Lune brilleront [...] je serai votre ami et votre allié, je me soumettrai aux lois de votre gouvernement, et ferai preuve de loyauté et d'obéissance envers la Couronne.

Le juge Jonathan Belcher, qui était à l'époque juge en chef de la Nouvelle-Écosse, a déclaré au nom de la Couronne: «Les lois formeront toujours un rempart pour protéger vos droits et vos biens.» D'après mon interprétation, cette déclaration signifiait que les Micmacs seraient traités comme tous les autres sujets de la Couronne britannique. Les Autochtones bénéficieraient des mêmes libertés que tous les sujets britanniques, et les lois les protégeraient.

Il importe de souligner que le juge Belcher a exprimé clairement cet élément primordial. Il a qualifié les Britanniques de la Nouvelle-Écosse de «compatriotes». À l'avenir, a-t-il précisé, les Autochtones et les non-Autochtones se battront ensemble en temps de guerre, comme des frères, et «vos causes de guerre et de paix seront les mêmes que les nôtres sous notre puissant chef et roi, en vertu des mêmes lois et pour les mêmes droits et libertés».

À mon avis, les propos du juge Belcher et du chef du Cap- Breton fournissent une preuve écrite de l'intention des deux parties à l'égard du traité qui a été signé le 25 juin 1761. Ils semblaient tous deux du même avis. Évidemment, le traité ne se limite pas à ces constatations, et de nombreux autres éléments d'information ont été présentés au cours du procès afin de démontrer que, dans les années qui ont suivi, les deux parties ont agi d'une manière compatible avec la notion d'entente commune. Les signataires du traité ont convenu que les Micmacs étaient des sujets britanniques et, en tant que tels, qu'ils devaient être régis et protégés par les lois en vigueur en Nouvelle-Écosse. Un chef micmac présentant une requête bien des années plus tard, en 1825, a souligné que, en dépit des problèmes que lui et son peuple éprouvaient, il avait toujours «refusé de lutter contre les lois qu'il avait promis lui-même d'observer en vertu d'un traité».

Mon interprétation de cette preuve n'a pas manqué de soulever des questions lors du procès. Les témoins de la défense ont présenté un point de vue différent. Cependant, je tiens à préciser que cette preuve était très complète, qu'elle a été examinée à fond lors du procès, que l'argumentation a été entendue et que c'est sur cette base que le juge de première instance a fait d'importantes constatations de fait. Ainsi, étant donné qu'il a accepté en grande partie mon interprétation, il vaut la peine de la résumer ici.

Selon mon interprétation, les traités conclus en 1760 et 1761, contrairement aux précédents, ne contenaient pas de promesses des Britanniques aux Micmacs et ne leur garantissaient pas de droits expressément. On n'y trouve aucune allusion à de quelconques droits de chasse, de pêche ou de commerce. Tous ces droits étaient peut- être implicites, mais pas nécessairement en vertu des traités eux- mêmes. Ils sont plutôt la conséquence logique de la règle de droit britannique et des droits communs de tous les sujets britanniques, lesquels, compte tenu du contexte de l'époque, étaient des droits permissifs plutôt que des droits constitutionnels. Il s'agissait, pour tous, de droits limités par les lois et règlements existants afin de maintenir l'ordre, la paix, l'harmonie, la sécurité, et ainsi de suite. En parcourant ces documents historiques, je n'ai trouvé dans ces négociations portant sur les traités de 1760 et de 1761 aucune allusion au fait que les Micmacs, tout en étant les bienvenus à titre de sujets britanniques, étaient en même temps dispensés de l'application de la loi britannique.

• 1015

Penchons-nous maintenant sur la cause entendue par la Cour suprême. À ma grande surprise, la cause et la décision de la majorité n'ont pas porté sur le traité visant M. Marshall, signé le 25 juin 1761, et sur l'importante preuve extrinsèque qu'il contenait, mais plutôt sur le premier traité conclu en février 1760, soit le traité avec les Malecites. J'ai été étonné parce qu'il m'a semblé que toute cette attention accordée par la Cour aux événements survenus en février 1760 n'avait eu aucun parallèle dans les cours inférieures. Après tout, les Malecites forment un peuple différent des Micmacs, et M. Marshall est un Micmac.

Néanmoins, M. Marshall alléguait maintenant, par l'entremise de son avocat, que le droit de commercer que lui conférait le traité découlait d'une promesse faite par les Britanniques aux Malecites. Étant donné que le traité conclu avec les Malecites a servi de modèle à ceux qui ont été conclus avec les Micmacs, il présumait que tout ce qui avait été promis aux Malecites l'avait été également aux Micmacs. La majorité des juges a essentiellement adopté ce raisonnement et a établi que, bien que le droit de commercer n'ait pas été énoncé explicitement dans quelque traité que ce soit, il était implicite. Selon la majorité, la preuve devait se trouver dans les données extrinsèques ayant trait aux négociations avec les Malecites, et plus particulièrement dans les comptes rendus de leurs rencontres avec le gouverneur et le conseil, en février 1760. Dans ces négociations, toujours selon la majorité, les Malecites exigeaient un droit de commercer comme condition à leur signature du traité. Les Britanniques, craignant semble-t-il la puissance des Autochtones et désireux d'obtenir une paix immédiate, auraient promis de leur accorder ce droit en échange du traité.

À mon avis, la décision finale de la Cour suprême était fondée sur un épisode des négociations relatives au traité qui n'était pas un aspect central du témoignage présenté en cour provinciale, et qui ne faisait certainement pas partie de la défense originale de M. Marshall. En effet, M. Marshall avait vu large au départ et revendiquait des droits en vertu de nombreux traités, en se fondant plus particulièrement sur les promesses généreuses en matière de chasse, de pêche et de commerce figurant dans le traité de 1752, que M. Simon avait invoqué plusieurs années auparavant.

La Couronne a dû donner une réponse aussi vaste de manière à tenir compte de toutes les possibilités découlant de ce qui semblait être une défense très vague. Son argumentation était conçue de manière à illustrer l'histoire assez complexe de la douzaine de traités conclus entre 1725 et 1779, en accordant une importance spéciale au traité de 1752, qui semblait être le plus contesté, et aux traités de 1760 et 1761. Il est intéressant de signaler que deux historiens experts qui ont témoigné à la défense de M. Marshall ont encore élargi ce contexte. Ils ont évoqué des traités signés en Nouvelle-Angleterre dans les années 1690 afin de fournir des indices visant à faciliter la compréhension de la politique britannique et de l'expérience des Autochtones à traiter avec des Européens.

Le procès était déjà commencé depuis quelques semaines lorsque M. Marshall a axé sa défense sur les traités de 1760 et 1761. Et, même à ce moment-là, le traité conclu avec les Malecites n'a fait l'objet d'aucune attention particulière.

À mon avis, c'est devant la Cour suprême que M. Marshall a appuyé pour la première fois sa défense sur les négociations des Malecites, en février 1760. C'est l'argumentation qu'il a présentée. Le fondement probatoire nécessaire pour examiner la question était limité. En effet, il n'avait pas été suffisamment discuté au moment du procès. La majorité des juges de la Cour suprême a décidé que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en n'examinant pas la preuve extrinsèque liée au traité conclu avec les Malecites.

Je n'ai pas l'intention de défendre ce juge, mais à mon avis, il s'est servi de la preuve dont il disposait. En outre, ni la défense, ni la Couronne n'ont procédé à un examen complet de la preuve extrinsèque ou contextuelle liée au traité conclu avec les Malecites. Cette preuve n'a pas été présentée au tribunal de première instance, sans doute parce que personne n'avait établi à ce moment-là qu'il s'agissait du noeud du problème ou, à tout le moins, parce que personne ne l'avait affirmé ouvertement.

À mon avis, la preuve soumise lors du procès ne reflétait pas toutes les données historiques sur les événements qui ont entouré la signature du traité conclu avec les Malecites. Une preuve complète aurait fait état des premiers contacts entre les Malecites et les Britanniques à l'embouchure de la rivière Saint-Jean à l'automne 1759. C'est à cet endroit que les Malecites ont prêté serment d'allégeance à la Couronne britannique, établissant ainsi clairement leur volonté de paix et de soumission, bien avant de se rendre à Halifax pour y signer un traité officiel.

• 1020

La preuve aurait également dû faire mention des premières offres du gouvernement, à Halifax, visant à établir un poste de traite à l'embouchure de la rivière Saint-Jean, lesquelles offres ont été présentées plusieurs semaines avant les discussions sur le traité à Halifax.

Il aurait aussi fallu démontrer qu'à leur arrivée à Halifax, les délégués malecites ont confirmé qu'ils désiraient avoir l'occasion de commercer, en acceptant effectivement l'offre que leur avaient faite les Britanniques au sujet du poste de traite.

Cette preuve pourrait vouloir dire que le commerce n'était pas une exigence des Malecites, ni une condition à leurs relations avec les Britanniques, mais qu'ils avaient simplement demandé la possibilité de commercer. Cependant, elle n'a pas été soumise pendant le procès, du moins pas de façon détaillée. Elle n'a pas été présentée non plus à la Cour suprême, sans doute parce que M. Marshall est un Micmac et que les détails d'un traité conclu par les Britanniques avec un autre peuple semblaient présenter un intérêt plutôt marginal.

Que doit faire la Cour suprême dans un tel cas? Dans l'affaire Marshall, la majorité a décidé que la preuve qu'elle détenait était suffisante afin de résoudre la question. Elle a conclu que les Malecites avaient exigé un droit de commercer comme condition de signature du traité.

À l'alinéa 52 de la décision de la Cour, cette exigence des Malecites est présentée comme «une demande positive des Micmacs pour que soit prise une mesure commerciale». Selon la majorité, les Autochtones ont été les premiers à soulever cette question de postes de traite spéciaux, et non les Britanniques qui cherchaient à confiner le commerce dans ces postes afin d'empêcher les Autochtones de commercer avec les Français. Par conséquent, il s'agissait d'une condition à la paix, et les Britanniques y ont répondu par une promesse qui devait être confirmée par la Couronne.

Ces affirmations ont obligé la majorité des juges de la Cour suprême à répondre à d'importantes questions historiques en se fondant sur la présentation de preuves très limitées. Devant les points de vue contraires d'une minorité de juges, la majorité a allégué à l'alinéa 30, par exemple, que les Indiens avaient été les premiers à demander «l'établissement de maisons de troc. La limitation du commerce aux échanges avec le gouvernement a résulté de la demande d'établissement de maisons de troc, ce n'est pas l'inverse qui s'est produit.»

J'estime par conséquent que la Cour doit repenser sa définition de la «preuve extrinsèque». Du point de vue de l'historien, cette expression désigne le contexte étendu d'un événement et elle devrait comprendre toute l'information historique qui s'y rapporte. Dans ce cas-ci, il existe certains renseignements historiques qui n'ont pas été présentés au procès ou, à tout le moins, qui n'y ont pas été examinés et expliqués, parce qu'aucune partie n'a voulu approfondir la question.

Plutôt que de combler le vide elle-même, la Cour aurait fort bien pu considérer les questions non résolues comme des questions historiques. Les Malecites ont-ils été les premiers à soulever l'idée des postes de traite? Ont-ils exigé des droits de commerce comme condition à la paix? Les Micmacs ont-ils aussi exigé des droits de commerce? Les promesses orales faites aux Malecites—qu'a évoquées la majorité des juges—ont-elles été communiquées aux Micmacs, devenant ainsi des promesses orales à ces derniers?

Toutes ces questions sont des questions de nature historique, sur lesquelles il existe de l'information. Après avoir établi celles qui sont cruciales, il me semble que la Cour suprême aurait pu renvoyer l'affaire devant le tribunal de première instance, qui aurait pu se fonder sur la preuve historique présentée par un expert pour répondre à ces questions.

Le processus lui-même n'exigeait pas que la Cour suprême avance à l'aveuglette en se contentant de renseignements insuffisants, ni qu'elle compense ces lacunes en reconstituant elle-même une histoire complexe. Dans les cas de ce genre, elle pourrait appeler des témoins à répondre à toute question susceptible de ne pas avoir été abordée correctement ou entièrement lors du procès. Je reconnais qu'il s'agirait là d'une procédure inhabituelle, mais l'exigence constitutionnelle voulant que les causes relatives aux droits, ancestraux et issus de traités, des Autochtones se fondent à la fois sur l'histoire et sur le droit peut justifier des mesures sortant de l'ordinaire. Ce qui compte, c'est que les Canadiens qui se fient au paragraphe 35(1) pour obtenir une protection puissent compter sur des normes très rigoureuses d'interprétation de la loi et de l'histoire.

• 1025

Permettez-moi de conclure là où j'ai commencé. Nos tribunaux sont l'endroit indiqué pour statuer sur les questions des droits ancestraux et issus de traités. Cependant, le processus judiciaire exige normalement qu'ils considèrent des interprétations contraires du passé avant de décider lesquelles ont le plus de poids. Je conviens que mon interprétation des faits survenus en 1760 et 1761 n'est qu'une façon d'envisager cette information. En somme, je suis convaincu qu'on a demandé aux Micmacs de vivre selon les lois applicables à tous les sujets britanniques de la Nouvelle-Écosse, et qu'ils l'ont fait. Cette interprétation me satisfait, mais il est clair que ce n'est pas la seule possible; il n'est d'ailleurs pas nécessaire que ce soit le cas.

Il est tout à fait approprié que les tribunaux entendent les différentes interprétations des historiens, des anthropologues, des ethnohistoriens, des archéologues et de toutes les autres personnes qui étudient le passé selon la grille d'analyse propre à leur discipline. Je n'exclus pas de cette liste les historiens tribaux ou les gardiens de la tradition orale qui pourraient également détenir des renseignements importants à communiquer. La variété sera inévitable, et le consensus, rare.

Cependant, les historiens qui ont exprimé des critiques sur le traitement accordé à l'histoire par les tribunaux ne demandent pas à ces dernier de suspendre leurs travaux en attendant qu'ils aient atteint un consensus. Ils leur demandent plutôt de comprendre les méthodes et les principes régissant les enquêtes historiques professionnelles, de reconnaître que des questions historiques légitimes nécessitent l'analyse de nombreuses preuves et d'accepter les techniques d'analyse établies pour y arriver.

J'espère que nos discussions sur le jugement Marshall donneront lieu à des réformes modestes de la façon dont les droits, ancestraux et issus de traités, des Autochtones sont abordés en cour. Nous devons appliquer les normes d'enquête les plus rigoureuses qui soient en matière de droit et d'histoire afin d'accomplir ce que notre Constitution exige de nous.

Merci.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci beaucoup, monsieur Patterson.

Nous avons maintenant neuf députés présents et il y a une petite question d'ordre administratif à régler. J'imagine qu'on pourrait en profiter pour le faire maintenant. Il s'agit d'approuver notre budget opérationnel pour l'étude des conséquences de la décision Marshall. Nous avons un document sous les yeux. Nous avons déjà dépensé une partie de nos crédits—des frais de 45 000 $ pour la convocation des témoins, 17 500 $ pour les vidéoconférences; et 3 000 $ de frais divers—le total s'élevant à 55 500 $. Quelqu'un pourrait-il proposer une motion en vue d'approuver ce budget?

Motion proposée par Carmen.

(La motion est adoptée [Voir les Procès-verbaux et témoignages])

Le vice-président (M. John Duncan): Je prie le témoin de bien vouloir m'excuser pour cette interruption.

Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Cummins, du Parti réformiste.

M. John Cummins: Je vous remercie d'être venu témoigner ce matin, monsieur Patterson. Votre présentation a été très instructive et a soulevé des questions graves relativement à cette affaire qui, à mon avis, n'est pas sans rappeler d'autres causes entendues récemment par la Cour suprême du Canada.

J'aimerais tout d'abord commencer par commenter les changements que le juge Binnie a apportés à la décision qu'il avait rendue antérieurement. Comme vous le savez, ces changements ont été publiés le 1er octobre 1999. Le juge a apporté au paragraphe 37 un changement que je vais lire aux fins du compte rendu. La phrase se lisait comme suit:

    Dans la présente affaire, toutefois, il existait un degré d'accord inhabituel entre tous les historiens professionnels qui ont témoigné à propos de l'intention commune des participants relativement aux obligations issues du traité conclu par la Couronne avec les Micmacs.

Après modification, elle se présente comme suit:

    Dans la présente affaire, toutefois, il existait un degré d'accord inhabituel entre tous les historiens professionnels qui ont témoigné à propos des attentes sous-jacentes des participants relativement aux obligations issues du traité conclu par la Couronne avec les Micmacs.

• 1030

D'autre part, la phrase suivante que l'on trouvait également dans le paragraphe 37, «Il a présenté ses conclusions générales dans un exposé réfléchi et relativement long qu'il convient de reproduire en entier», est devenue, après modification:

    Quoiqu'il ait de façon générale appuyé l'approche étroite que préconisait la Couronne à l'égard de l'interprétation du traité et que j'ai rejetée sur le fondement de points de droit, il a néanmoins fait un certain nombre de concessions importantes à la défense dans un exposé réfléchi et relativement long qu'il convient de reproduire en entier:

Est-ce que vous avez un commentaire général à faire au sujet des changements apportés par le juge Binnie?

M. Stephen Patterson: Les changements apportés par le juge Binnie n'ont pas modifié la décision en profondeur. À mon avis, il se contente d'apporter une légère précision pour tout simplement signaler que mon témoignage soutient dans les grandes lignes le point de vue de la Couronne.

Est-ce que cela répond à votre question ou est-ce que vous souhaitez que je poursuive mes commentaires? À mon avis, il s'agit d'une modification mineure.

M. John Cummins: Ce serait certainement utile pour le comité d'entendre les autres commentaires que vous avez à formuler sur cette question.

M. Stephen Patterson: L'essentiel est que mon témoignage s'écartait sur ce point de celui des témoins de la défense.

Selon moi, les traités de 1760 et 1761 reconnaissaient aux Autochtones des droits de commerce et des droits de pêche et autres activités de ce genre, mais je supposais qu'il était clair pour le tribunal qu'à la lumière de mon témoignage, tous ces traités ne concédaient aucun droit mais reconnaissaient plutôt que les Micmacs étaient des sujets britanniques et qu'ils jouissaient des droits accordés aux sujets britanniques.

Par conséquent, lorsque j'affirme, comme dans la phrase citée dans la décision, que les Micmacs avaient des droits de pêche et des droits de commerce, je me rapporte essentiellement au fait que ce sont là des droits facultatifs dont jouissaient tous les sujets de Sa Majesté.

Il ne faut pas oublier qu'au XVIIIe siècle, il n'y avait pas de droits protégés, tout au moins pas dans la Constitution britannique. Il n'y avait pas de Charte des droits. La loi britannique reconnaissait les droits à l'intérieur du cadre de la loi. Les gens avaient beau dire «J'ai le droit de faire ceci ou cela», cela ne signifiait pas qu'ils disposaient d'un droit illimité ou sans contraintes. Cela signifiait tout simplement qu'ils avaient le droit de faire telle ou telle chose dans le cadre de la loi. Pour répondre aux questions qui m'étaient posées, je me suis inspiré de cette approche des droits facultatifs.

Il y a un deuxième point. Si l'on examine attentivement la question, on peut en conclure que l'on m'avait demandé de trancher. On aurait pu me demander: «Est-ce que le traité garantit un droit de pêche et de commerce?» Si on m'avait posé la question de cette manière, j'aurais répondu par la négative. Mais, pour commencer, selon moi, les règles de la preuve ne permettent pas à un témoin de répondre à la question principale et si j'avais interprété la question comme étant la question principale, j'aurais commis une erreur en y répondant. Je veux dire que j'aurais outrepassé mon rôle.

Mais surtout, au tout début, au moment de juger de mon admissibilité à titre de témoin, on m'a présenté comme historien chargé de donner un témoignage historique d'expert. L'avocat de M. Marshall, au moment du contre-interrogatoire, a fait observer à la Cour que je n'étais pas un avocat, que je n'étais pas un juriste et par conséquent qu'on ne devrait pas m'accorder le droit de présenter une preuve légale. La Cour m'a imposé cette contrainte. Par conséquent, lorsqu'on me demande, à titre de témoin, de répondre à une question, je dois respecter les exigences de la Cour, les règles de la preuve, les règlements qui me sont imposés, comme peut-être aussi à tous les autres témoins.

Je n'avais pas le droit d'interpréter sa question comme une demande d'avis juridique. J'y ai réfléchi et ma réflexion a été la suivante: «Je dois répondre à cette question dans le contexte des droits du XVIIIe siècle. Je suis un historien du XVIIIe siècle. Parle de ce que tu connais, Patterson, et ne t'en éloigne pas. Ne commence pas à jouer à l'avocat.» Et c'est dans ce contexte que j'ai répondu à la question.

• 1035

Ce que cela signifie, c'est que lorsqu'il s'agit des droits, on utilise le terme lui-même de manière plutôt vague. Si vous me demandez si vous avez le droit de faire telle ou telle chose, de traverser la rue ou de vous lever le matin, je vous répondrai que oui. Mais, bien entendu, ce droit n'est inscrit nulle part; cela signifie tout simplement que vous pouvez le faire. Dans une société libre, il y a beaucoup de choses que l'on peut faire sans entrave.

Au XVIIIe siècle, les Britanniques s'exprimaient normalement de cette manière. Ils parlaient des droits. Par conséquent, le droit de pêcher existait, mais dans les limites de la loi. Je connais suffisamment bien le contexte du XVIIIe siècle, pour dire que la question doit être interprétée et comprise de cette manière, mais je reconnais que je n'ai pas pris le temps de la définir. J'aurais sans doute dû le faire. J'aurais probablement dû préciser que pour parler des droits et pour répondre à cette question, il me faudrait la replacer dans le contexte de la définition des droits tels que compris au XVIIIe siècle—des droits facultatifs et non pas des droits inscrits dans la Constitution.

D'autre part, il nous faut préciser l'origine des droits. Les tribunaux doivent décider d'où proviennent les droits concernés dans les causes relevant du paragraphe 35(1). Dans la cause qui nous préoccupe, ils doivent décider si les droits proviennent d'un traité. Les droits sont-ils inscrits dans le traité? Découlent-ils du traité ou ont-ils été reconnus dans le traité ou sont-ils tout simplement les droits découlant d'une autre source, dans ce cas, selon mon argument, de la loi britannique elle-même, tout comme les droits ordinaires qu'avaient les gens dans le cadre de la loi?

J'aurais aimé que la Cour suprême fasse ce genre d'analyse avant de prendre sa décision. Chaque fois qu'il en a été question au cours de mon témoignage, j'ai insisté pour remettre les droits dans le contexte de leur origine. D'où proviennent les droits?

Tout au long de l'examen de la cause, la Couronne a insisté pour que M. Marshall précise lui-même l'origine de ses droits, car on n'était pas tout à fait certain de ce qu'il avançait; on ne sait pas exactement d'où proviennent ses droits.

N'oubliez pas ce que j'ai dit. Il a revendiqué ses droits en vertu de toutes sortes de traités. Comment peut-on se préparer pour ce genre de cause? Il faut tenir compte de tous les traités. Il y en a de toutes sortes qui ont été conclus de 1725 à 1779. Il y a les traités avec les Micmacs de la Nouvelle-Écosse. Nous les avons tous examinés.

Il a fallu leur consacrer des jours et des jours et des milliers de pages de témoignages. Nous avons consacré beaucoup de temps au traité de 1752 et, après mon témoignage sur le traité de 1752, l'avocat de M. Marshall a annoncé qu'il ne s'appuierait pas sur le traité de 1752, mais uniquement sur ceux de 1760 et 1761.

Pour être à même de trancher, la Couronne doit savoir à quoi elle a affaire. C'est la même chose pour tout le monde. Dans les causes relevant du paragraphe 35(1), le défendeur autochtone doit préciser très clairement quels sont ses droits. Au tribunal, dans cette affaire, je crois que M. Marshall avait une très grande latitude et qu'il pouvait ratisser très large et réduire peu à peu son argumentation. Et je crois en fin de compte que le champ a continué de se réduire même après les auditions et après que la Cour suprême avait cessé d'entendre les témoins. À mon avis, c'est une des causes du problème que nous avons connu, alors que j'essayais de proposer une solution à ce problème.

M. John Cummins: On a vu dans d'autres affaires que la Cour suprême continue à modifier son jugement même après audition de la cause. Vous vous souviendrez bien entendu de l'arrêt Delgamuukw de la Cour suprême du Canada, où les témoignages oraux ont été entendus pendant je crois 60 jours à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le juge en chef McEachern avait rejeté ce témoignage comme contradictoire. Il a déclaré qu'après l'avoir entendu et examiné attentivement, il n'était pas convaincu de sa pertinence et devait le rejeter et se rapporter à d'autres sources pour établir ce qui était correct dans ce cas en particulier. Bien entendu, lorsque la cause a été portée à la Cour suprême, les magistrats ont déclaré que l'on n'avait pas accordé suffisamment d'importance au témoignage oral, affirmant que cela ne devrait plus se reproduire à l'avenir.

• 1040

Je me demande si l'on a constaté la même chose dans la cause Marshall, si la Cour a en fait établi deux degrés dans le fardeau de la preuve. Deux degrés sont ici nécessaires. Le premier est celui de la Couronne qui prétend qu'un droit particulier n'existe pas, mais, pour ceux qui affirment que le droit existe, le fardeau de la preuve n'est pas aussi lourd. Est-ce que vous avez noté la même chose cette fois?

M. Stephen Patterson: Il n'y a pas eu de témoignage oral ni d'histoire orale dans cette cause, et je dois dire à ce sujet que je partage le point de vue de la Cour et que j'estime qu'il faudrait accorder au témoignage oral l'importance qu'il mérite.

Ma principale préoccupation est la suivante: Lorsque la Cour suprême se voit contrainte de prendre une décision sur la base d'une preuve insuffisante, elle ne devrait pas effectuer elle-même les recherches historiques. Elle ne devrait pas combler elle-même les lacunes. C'est pourquoi je propose, dans de tels cas, de reprendre le débat afin d'examiner plus attentivement la preuve historique. J'ai proposé que la Cour convoque d'autres témoins. Je ne pense pas qu'elle le fera, mais ce serait une possibilité.

À mon sens, il est important de respecter l'intégrité de l'histoire et l'intégrité de la méthode historique. Il y a beaucoup de gens au Canada qui lisent des comptes rendus historiques et qui se prennent pour des historiens amateurs. Mais une personne qui n'a pas la formation et qui ne sait pas en premier lieu comment retrouver les preuves nécessaires et les réunir de manière rigoureuse et critique, soupesant les différents éléments, débusquant les préjugés et faisant le tri entre les bons éléments et ceux qui sont contestables, ne peut pas et ne devrait pas se livrer à un travail d'historien. Je pense que les tribunaux des différents paliers doivent l'accepter, étant donné que cela fait partie de notre Constitution—l'histoire, et non pas la méthode historique—l'histoire nécessite une analyse aussi stricte et aussi approfondie que celle que les avocats et les juges appliquent dans le domaine juridique.

Les juristes respectent les normes les plus élevées de leur discipline en appliquant la loi à une circonstance donnée. Mais comment peuvent-ils appliquer les normes les plus élevées de l'analyse historique s'ils ne les connaissent pas? Selon moi, la seule solution consiste pour eux à s'adresser aux personnes compétentes afin de leur demander leur avis. Ce n'est qu'ensuite que les juristes peuvent se servir de leur opinion autorisée.

Lorsqu'on a affaire à deux interprétations diamétralement opposées, il est clair que quelqu'un doit trancher. C'est le travail des juges. Je reconnais que c'est normal. Cependant, je veux m'assurer que les juges appuient leurs conclusions sur une analyse historique approfondie. Or, je pense que dans la cause en question, cela n'a pas été le cas.

Le vice-président (M. John Duncan): Yvan Bernier, du Bloc.

[Français]

M. Yvan Bernier: Monsieur le président, je vais essayer d'être bref afin de permettre à mes collègues de prendre la parole à leur tour.

Je voudrais également remercier le témoin de son allocution. Étant un non-initié en matière de droit constitutionnel, je dois dire que l'éclairage du témoin me laisse perplexe. Dois-je comprendre que si on avait apporté un éclairage différent à la cour, on aurait pu s'attendre à un jugement différent? C'est la première constatation que je fais. Nonobstant cela, on ne peut rien changer au jugement qui a été rendu.

Je fais partie des gens qui préfèrent un mauvais règlement hors cour à un procès dont l'issue est toujours incertaine. Je considère que l'éclairage apporté par le témoin en ce sens-là pourra nous être utile à l'avenir.

• 1045

L'histoire du Canada est autant l'histoire des autochtones que celle des Québécois et des Canadiens. Je ne voudrais pas oublier quelque partie du Canada que ce soit. Mais il arrive parfois qu'on ait une perception ou une interprétation différente de l'histoire.

J'aimerais que le témoin nous précise la façon dont la cour a interprété l'histoire et les dates qu'on a choisies, puisque nous demeurons perplexes. Je ne voudrais pas mettre le témoin mal à l'aise, mais on semble ne pas être sûr de l'interprétation historique qu'on doit donner, bien qu'on dise qu'il faut trancher quelque part. J'ai l'impression que la Cour suprême envoie un message aux politiciens et les enjoint d'intégrer la notion d'autonomie gouvernementale du peuple autochtone à notre gestion moderne. Est-ce en ce sens que notre comité devrait diriger ses travaux puisque, tant d'une part que de l'autre, on n'aura jamais une perception claire? En termes de droit constitutionnel, on ne peut pas revenir sur cela. Est-ce le dernier message que je dois retenir, à savoir que la cour nous enjoint de trouver une façon d'intégrer l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones dans notre gestion moderne canadienne? Je ne sais pas si le témoin pourra se prononcer sur ce point. Vous pouvez interpréter mon intervention comme un commentaire, mais c'est le sentiment que j'éprouvais ce matin.

[Traduction]

M. Stephen Patterson: Je vous répondrai en disant que les historiens ne peuvent pas prédire l'avenir mais, dans mes remarques, je présente une recommandation pour l'avenir. Je demande simplement que l'on modifie la façon dont les tribunaux se servent des données historiques. Je pense que c'est une modeste suggestion. Je suis certain que les tribunaux eux-mêmes y ont déjà pensé.

Cela étant dit, voici le point de vue d'un historien qui, de manière spontanée sans doute, s'exprime au nom de ses collègues pour dire que les tribunaux devraient mieux comprendre l'histoire telle que l'entendent les historiens et mieux utiliser les compétences que ces derniers peuvent leur offrir. Je propose que l'on mette à l'avenir l'accent sur cet élément.

Quant à l'arrêt Marshall, j'accepte la décision et je m'incline devant la loi. Je ne voudrais pas que les déclarations que j'ai faites aujourd'hui soient interprétées comme un rejet de l'arrêt de la Cour suprême et une invitation à prononcer nous-mêmes notre propre décision. Non, j'accepte la décision et je crois que tout le monde devrait le faire. Les bouleversements qui ont eu lieu dans le pays à la suite de cette décision sont peut-être tout simplement la conséquence de nombreuses années de tension et de l'incapacité de la société canadienne à régler certaines questions importantes. Il est impossible de rejeter tout le blâme sur l'arrêt de la Cour suprême.

Cela étant dit, je crois qu'il y a d'importantes leçons à tirer de cette décision, comme d'ailleurs de toutes les décisions sans doute, mais je vais me limiter à celle-ci que je connais bien. Puisque cette décision me touche directement et que je suis cité, comme on me l'a rapporté, 11 fois dans le jugement, il me semble approprié de le commenter et de recommander d'améliorer le processus. Tel est mon objectif limité.

Le vice-président (M. John Duncan): C'est maintenant le tour de Wayne Easter.

M. Wayne Easter (Malpeque, Lib.): Merci, monsieur le président.

Bienvenue et merci pour cet exposé bien construit et bien présenté.

Vous présentez des points extrêmement importants concernant la modification du processus afin de tenir compte de la preuve historique et je suis certain que le comité les prendra en considération.

Mais le mandat du comité est d'étudier les conséquences de la décision Marshall sur la gestion des pêches dans la région de l'Atlantique et j'ai l'intention d'examiner cet aspect de près afin de voir ce que nous pouvons en tirer.

À la page 3 de votre mémoire, on peut lire la citation suivante:

    Tant que le Soleil et la Lune brilleront [...] je serai votre ami et votre allié, je me soumettrai aux lois de votre gouvernement et je ferai preuve de loyauté et d'obéissance envers la Couronne.

• 1050

À la page 4, vous présentez une autre citation qui, comme l'autre, est traduite de sa langue d'origine:

    vos causes de guerre et de paix sont les mêmes que les nôtres sous notre puissant chef et roi, en vertu des mêmes lois et pour les mêmes droits et libertés.

La question que nous posent les pêcheurs commerciaux, le grand public et certains membres de la communauté autochtone est la suivante: comment gérer les pêches d'une manière équitable en vertu de la loi? Une des questions principales concerne les saisons de pêche. Ce que nous disent les représentants du secteur de la pêche, et je pense que les autres députés ont les mêmes échos, c'est qu'un plan de gestion des pêches doit reconnaître les droits qui découlent de ce traité, ainsi que les privilèges du secteur de la pêche commerciale, à savoir l'application des mêmes saisons de pêche à tous les pêcheurs. C'est mieux pour l'application de la loi et préférable pour la gestion des stocks de poisson. C'est mieux pour un certain nombre de raisons. La Cour suprême elle-même a affirmé qu'en vertu de l'article 61, cela pourrait être un droit réglementé et imposé sans violer le droit découlant du traité.

Je vous explique tout cela parce qu'en fin de compte, le ministre des Pêches et le gouvernement du Canada ont le pouvoir d'imposer des plans de gestion. Nous ne voulons surtout pas appliquer un plan de gestion qui serait contesté devant les tribunaux et qui engendrerait d'autres problèmes.

En tant qu'historien et d'après les citations que vous utilisez dans votre documentation, est-ce que le gouvernement du Canada a le droit, dans sa décision finale en matière de gestion des pêches dans la région atlantique du Canada et compte tenu des droits qui ont été reconnus, d'imposer des saisons de pêche, sans risquer que son plan ne soit renversé par les tribunaux?

M. Stephen Patterson: D'après mon interprétation du jugement, le gouvernement du Canada a le droit de réglementer le commerce et les activités de pêche qui permettent de réunir les produits vendus dans le cadre de ce commerce. J'ai réfléchi à cela. Il semble que l'approche adoptée par le gouvernement du Canada soit tout à fait appropriée. Il faut commencer par des négociations et si l'on parvient à obtenir un consensus sur la façon dont tout cela devrait fonctionner, tous les intervenants seront satisfaits et il n'y aura plus de problèmes.

D'un autre côté, je pense que les Autochtones doivent comprendre eux aussi que les traités dont ils relèvent ont certaines limites. Il me semble par exemple que, d'après le jugement, si les Autochtones rechignent à se laisser imposer une réglementation raisonnable, y compris des saisons de pêche, le gouvernement du Canada pourra tout simplement, sans contrevenir au jugement de la Cour suprême, imposer s'il le juge approprié des saisons pour la pêche au homard. Nulle part dans l'arrêt il est dit que tous les détails devront être réglés à la satisfaction des deux parties.

M. Wayne Easter: Par conséquent, d'après vous, le gouvernement du Canada aurait ce pouvoir.

Je crois que nous reconnaissons que la meilleure façon est de procéder à des accords négociés. Mais comme vous l'avez dit sans équivoque, tout comme la Cour suprême je crois, ce n'est pas un droit illimité. Au bout du compte, s'il est impossible de parvenir à un arrangement négocié, le gouvernement du Canada ou le ministère des Pêches devra prendre une décision relativement aux plans de gestion.

Je souhaitais obtenir votre interprétation dans une perspective historique. Nous voulons conclure une entente négociée, mais je voulais avoir votre interprétation au cas où nous aurions dû revoir le processus. Je vous remercie de nous avoir donné cette information.

C'était ma seule question mais, vous avez peut-être quelque chose à ajouter à ce sujet.

• 1055

Le vice-président (M. John Duncan): Monsieur Drouin, avez-vous une question?

[Français]

M. Claude Drouin (Beauce, Lib.): Monsieur le président, je voudrais remercier à mon tour les témoins qui ont comparu ce matin.

Ma question s'inscrit dans le même ordre d'idées que celles de mon collègue Wayne. Vous disiez que les traités signés à l'époque stipulaient que les autochtones reconnaissaient le droit britannique. Je ne voudrais pas refaire l'histoire, sachant très bien que je ne suis pas un spécialiste en la matière, mais j'ai cru comprendre que ces droits avaient été transférés au niveau canadien et que les peuples autochtones devaient aujourd'hui vivre en respectant le droit canadien. Est-ce que mon interprétation est juste?

[Traduction]

M. Stephen Patterson: Oui, c'est l'interprétation que je fais des traités. En revanche, je ne sais pas si mon interprétation est conforme au droit tel que défini par la Cour dans l'arrêt Marshall et je crois que vous ne devriez pas la considérer comme une opinion définitive sur le sujet. Je ne peux pas prétendre que mon opinion a force de loi. La Cour a utilisé certains aspects de mon témoignage et celui d'autres personnes pour définir le droit. Je crois que le plus important n'est pas ce que je pense, mais ce que dit le jugement.

[Français]

M. Claude Drouin: Est-ce qu'il existe des jugements autres que l'arrêt Marshall qui font en sorte que nous sommes aujourd'hui devant un fait acquis, à savoir que ce sont les lois canadiennes qui font foi de tout et que les décisions doivent être prises en fonction des lois canadiennes? Est-ce qu'il existe d'autres jugements antérieurs démontrant cela clairement?

[Traduction]

M. Stephen Patterson: Vous ne devez pas oublier que je ne suis pas un juriste et que je ne suis donc pas en mesure de vous indiquer quels sont les effets des lois ni ceux des récents jugements en la matière. Je ne suis pas la personne à qui il faut poser ce genre de questions.

Le vice-président (M. John Duncan): Vous avez une question rapide, allez-y.

[Français]

M. Claude Drouin: Même si vous n'êtes pas en mesure de me répondre parce que vous n'êtes pas un juriste, mais plutôt un historien, croyez-vous que si on tient pour acquis que la loi et le droit canadiens s'appliquent, on est tenu de négocier, parce qu'il faut respecter les traditions autochtones, mais en fonction de ce qui se fait présentement au Canada au niveau de tous les pêcheurs? Est-ce la voie que vous nous recommandez?

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

M. Stephen Patterson: Nous avons vu que les droits ancestraux et découlant des traités tels que définis au paragraphe 35(1) visent à accommoder les intérêts des Autochtones et ceux des non-Autochtones au Canada et il me semble que toutes les mesures qui sont prises actuellement pour réconcilier ces intérêts sont conformes à l'esprit des traités.

Je pense que la notion de réconciliation est la clé de voûte de toute cette affaire et si j'en crois mes études historiques, l'objectif des gouvernements était, longtemps avant le XXe siècle, de trouver un juste équilibre entre les intérêts des Autochtones et ceux des non-Autochtones. C'est de cette manière que j'interprète les traités de 1760 et de 1761. Il me semble que c'était, à l'époque, la meilleure façon pour les habitants de la Nouvelle-Écosse de respecter les intérêts des deux parties. La notion qui prévalait à l'époque était, selon moi, que la loi et l'approche de l'existence telle que régie par la loi s'appliquaient de la même façon pour tous; pas question de créer un double système. Les Autochtones étaient assujettis au cadre de lois et de coutumes conforme à la tradition anglaise. Bien entendu, la difficulté était d'envisager comment cela allait fonctionner, mais si l'on en croit les preuves historiques, c'est à ce moment-là que la réconciliation a commencé.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci.

Nous avons encore le temps pour une autre question de Bill Gilmour, du Parti réformiste.

• 1100

M. Bill Gilmour (Nanaimo—Alberni, Réf.): Merci, monsieur le président et bienvenue monsieur Patterson.

D'un point de vue historique et compte tenu des traités de 1760 et des méthodes en usage à l'époque, la pêche était relativement restreinte. Elle se limitait aux eaux côtières. De nos jours, on pêche différentes espèces et on pratique la pêche en eaux profondes.

Peut-on trouver dans les traités ou dans les documents ultérieurs des éléments qui permettent d'affirmer que le droit de pêche des Autochtones se rapporte aux activités telles qu'elles étaient pratiquées à l'époque des traités ou est-ce que ces traités s'appliquent tels quels à l'époque actuelle, à différents secteurs et différentes espèces? Est-il possible, d'un point de vue historique, de justifier cette évolution?

M. Stephen Patterson: Oui. Il y a toutes sortes d'éléments historiques qui nous permettent de mieux comprendre comment les droits de pêche des Autochtones ont été traités dans le contexte de ce processus de réconciliation. Je vous donne un exemple.

En 1762, les Micmacs avaient revendiqué un certain secteur de la côte de la Nouvelle-Écosse. La Couronne britannique avait été invitée à se prononcer sur la question suivante: Reconnaissez-vous que cette terre leur appartient pour la pratique de leurs activités de pêche? La réponse de Londres fut négative. La Couronne ne reconnaissait pas que cette terre appartenait aux Micmacs, mais reconnaissait qu'ils avaient le droit de poursuivre la pêche sur cette côte «tout comme les autres sujets de Sa Majesté». Par conséquent, il existe un document datant du début des années 1760, peu de temps après le traité, dans lequel la Couronne elle-même fournit une interprétation.

Par la suite, certains ont suggéré à de nombreuses reprises que les Micmacs puissent prendre part à la pêche commerciale. L'idée était de permettre aux Autochtones de participer pleinement à la pêche commerciale. Des documents historiques ont repris cette notion pendant des décennies. Il semble que les Autochtones n'aient pas profité de cette possibilité, mais elle leur était bel et bien offerte et il faudrait les encourager à le faire. Par conséquent, cette notion existe dans des documents historiques.

Il est clair qu'en vertu des lois de la Nouvelle-Écosse et jusqu'à la Confédération, les Micmacs avaient pleinement le droit de participer aux activités de pêche commerciale, comme les autres sujets de la Couronne britannique et qu'ils devaient se plier aux mêmes règles que les autres. Cette possibilité leur était offerte.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci beaucoup.

Je remercie nos témoins, Larry Chartrand, Melinda Martin et Stephen Patterson.

Monsieur Patterson, le comité sera à Moncton dans la région de la Miramichi et à Halifax la semaine prochaine. Serez-vous au Nouveau-Brunswick à ce moment-là? Si c'est le cas, est-ce que vous pourriez vous rendre à un de ces endroits si nous vous demandons de venir témoigner?

M. Stephen Patterson: Absolument. Je serais heureux de venir témoigner.

Le vice-président (M. John Duncan): Le comité voudra peut-être vous demander de venir.

Est-ce que vous pensez que ce serait une bonne idée?

M. Bill Gilmour: Oui, monsieur le président.

Le vice-président (M. John Duncan): Très bien.

Le greffier prendra donc contact avec vous.

Merci beaucoup à tous. Je déclare que la séance est levée.