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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 071 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 1er mai 2013

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à la réunion 71 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 6 mars 2013, nous examinons le projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes).
    Durant la première heure, nous entendrons deux témoins, et pendant la deuxième, nous en entendrons deux autres.
    Aujourd'hui, nous accueillons Éliane Legault-Roy, de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle.
    Merci de comparaître aujourd'hui.
    Nous accueillons également Robert Hooper, qui est président de Walk With Me Canada Victim Services.
    Vous avez chacun 10 minutes pour faire une déclaration liminaire.
    Allez-y.

[Français]

    Je vais suivre mon texte parce que je ne suis pas très à l'aise.
    La Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle tient à réitérer aujourd'hui son appui au projet de loi C-452 de Mme Maria Mourani, députée d'Ahuntsic.
    Nous croyons que ce projet de loi, en ciblant les proxénètes et les profits d'une industrie basée sur l'exploitation, assurera une meilleure protection des femmes dans la prostitution et des victimes de la traite à des fins sexuelles.
    Le projet de loi de Mme Mourani permet en effet de mieux comprendre les liens essentiels entre prostitution et traite, qui sont toutes deux largement déterminées par des inégalités et, pour paraphraser Gloria Steinem, toutes deux créées par les mêmes clients qui veulent des rapports sexuels inégaux. Le projet de loi C-452 souligne ce lien par l'inclusion, entre autres, d'un paragraphe sur l'exploitation sexuelle, à l'article 279.04 du Code criminel portant sur la traite, et par sa volonté de s'attaquer au proxénétisme, ce qui est une avancée non négligeable en matière d'égalité hommes-femmes au Canada.
    Au Canada, où la majeure partie de la traite se fait à l'interne, la demande pour des services sexuels est présente dans toutes les localités, dans toutes les provinces, mais elle nécessite la plupart du temps le déplacement de centaines, voire de milliers de filles à l'intérieur même du pays afin de les éloigner de leur famille, de leurs amis et de leurs réseaux sociaux et d'ainsi en faire perdre la trace.
    Il est aussi possible de constater, de façon ponctuelle, que des femmes sont massivement déplacées vers des régions précises du Canada afin de répondre à la demande accrue des clients lors d'événements sportifs ou autres.
    Pour ces raisons, la précision apportée avant l'alinéa a) du paragraphe 279.01(1) du Code criminel est importante afin de faire reconnaître la traite interne comme un système organisé en tout point similaire à la traite internationale et devant être punie comme telle.
    L'inclusion, après le paragraphe (2) de ce même article, de la présomption relative à l'exploitation d'une personne est aussi une mesure claire en faveur de la protection des femmes, principales victimes de la traite au Canada. Le renversement du fardeau de la preuve leur enlève un énorme poids des épaules, alors que, souvent, elles ont peur des représailles si elles témoignent ou préfèrent se taire que d'avoir à revivre leur martyre en témoignant.
    De plus, puisque de 80 à 90 % des femmes victimes de la traite le sont en vue de fournir l'industrie du sexe, il nous semble cohérent que ces dernières soient traitées comme le sont les victimes des proxénètes, pour qui le fardeau de la preuve est déjà inversé, comme c'est stipulé au paragraphe (3) de l'article 212 du Code criminel.
    Finalement, en demandant des peines exemplaires et consécutives de même que la confiscation des gains des proxénètes et trafiquants de personnes, le projet de loi C-452 affirme haut et fort que la marchandisation des femmes dans la traite, qui sont importées et exportées, vendues et revendues au profit des hommes, est un crime grave qui mérite une peine claire.
    En conclusion, face à une industrie du sexe qui ne répond qu'à l'appel du profit et aux demandes des clients, il est impératif de s'attaquer aux sources de ce marché. C'est pourquoi, à la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, nous croyons que mettre l'accent sur le proxénétisme et la confiscation de l'argent généré par la traite, comme le fait le projet de loi de Mme Mourani, est un premier pas adéquat et urgent pour répondre au problème de la traite à des fins d'exploitation sexuelle au Canada.
    Nous croyons aussi qu'afin d'affirmer notre solidarité avec les femmes qui sont trop souvent placées devant des non-choix et d'assurer une réelle protection des personnes prostituées, ces dernières devraient être décriminalisées. Nous espérons que prochainement le Bloc québécois et d'autres partis politiques oseront agir en ce sens et s'attaquer de front à l'industrie du sexe et aux clients qui la font vivre.
    En attendant, nous saluons l'initiative prise par Mme Mourani et espérons que son projet de loi sera adopté par l'ensemble des élus canadiens et des élues canadiennes. C'est un pas dans la bonne direction qui nous permet d'espérer qu'un jour nous dépasserons le discours basé sur les choix individuels pour affirmer collectivement le droit des femmes, de toutes les femmes, de ne pas être prostituées.
    Merci.

  (1535)  

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Nous allons maintenant entendre M. Hooper, de l'organisation Walk With Me Canada Victim Services.
    Monsieur Hooper, vous avez 10 minutes.
    Walk With Me Canada a été créé par une survivante de la traite de personnes. L'objectif était d'offrir aux survivants des soins de première intervention ainsi que la possibilité de participer à l'élaboration d'une stratégie communautaire coordonnée, susceptible de répondre aux besoins immédiats et à plus long terme des victimes de la traite de personnes.
    Depuis sa création en 2009, Walk With Me Canada travaille en étroite collaboration avec les services de police et fournit des services uniques aux nombreuses victimes de la traite de personnes, en Ontario et dans tout le Canada.
    La vision de Walk With Me Canada est de transformer la vie des victimes de la traite de personnes et d'éradiquer l'esclavage au Canada. Dirigée par une survivante, l'organisation a pour mission de mettre le problème de l'esclavage au coeur des consciences, de dispenser et de coordonner des services, d'aider les victimes à survivre, et de proposer des mesures et des modifications législatives.
    Au cours des trois dernières années, Walk With Me Canada a aidé plus de 200 hommes et femmes à se sauver ou à quitter leur emploi où ils étaient exploités professionnellement ou, le plus souvent, sexuellement. Les hommes et les femmes que nous avons aidés jusqu'à présent avaient entre 14 et 45 ans.
    Dans plusieurs cas, il s'agissait de multiples personnes exploitées par le même individu, et nous pensons que c'est très important que ça soit mentionné dans le projet de loi. On emploie souvent le mot « écurie  » et je vous prie de m'en excuser, mais c'est le mot qu'on entend dans la rue. Les gens, surtout dans l'industrie du sexe, disent qu'ils ont une écurie de jeunes femmes, et nous pensons donc qu'il est très important de prévoir des peines consécutives.
    Walk With Me gère un refuge et dispense des soins de première intervention aux victimes de la traite de personnes. Nous essayons actuellement de trouver des logements qui accueilleront les gens, à leur sortie du refuge, et où ils auront le temps de se réadapter et de s'intégrer à la société.
    Walk With Me Canada appuie le projet de loi C-452 — les trois amendements —, sous réserve de quelques modifications du libellé, sur lesquelles nous comptons. Le projet de loi vise à apporter trois modifications au Code criminel du Canada. Il prévoit des peines consécutives pour les infractions liées au proxénétisme et à la traite de personnes; il crée une présomption relative à l'exploitation d'une personne par une autre et il ajoute des circonstances présumées constituer de l'exploitation; finalement, il ajoute les infractions de proxénétisme et de traite de personnes à la liste des infractions visées par la confiscation des produits de la criminalité.
    Walk With Me Canada appuie les trois amendements, sous réserve de la modification du libellé et de la suppression de certains chevauchements avec des amendements apportés au projet de loi C-310.
    S'agissant des infractions liées au proxénétisme et à la traite de personnes, notre organisation n'a pas eu le temps, vu sa création relativement récente, de rassembler des données scientifiques sur les peines concurrentes par opposition aux peines consécutives. Nous avons cependant constaté, en comparant les peines infligées pour le trafic de drogue et pour la traite de personnes, que nos tribunaux infligent des peines plus sévères pour le trafic de drogue que pour la traite de personnes, qu'il s'agisse, dans ce dernier cas, de travail forcé ou d'exploitation sexuelle. Le trafic de drogue ne doit certes pas être pris à la légère, mais c'est un fait que les peines auxquelles il donne lieu sont plus sévères que pour la traite de personnes.
    De plus, notre organisation a suivi de près la plus grosse affaire de traite de personnes qu'on ait jamais eue au Canada. Elle concernait des Hongrois roms, et le tribunal de Hamilton a infligé des peines à la plupart des infracteurs. Le cerveau de tout ce trafic, un certain Ferenc Domotor, a écopé d'une lourde peine, mais elle était concurrente.
    Après la détermination de la peine, nous avons rencontré plusieurs des victimes et nous avons discuté du procès avec elles. L'un des jeunes Hongrois se demandait si, malgré l'enfer qu'il avait vécu, il avait eu raison de faire des poursuites car ça avait été une expérience traumatisante, et finalement, le coupable n'était condamné qu'à une seule peine alors qu'il y avait de nombreuses victimes. Je ne pense pas qu'il connaissait la différence entre peines concurrentes et peines consécutives, mais il supposait que la peine infligée à M. Domotor aurait été la même, avec une ou dix victimes.
    Quand on sait que la multiplicité des victimes augmente les gains des trafiquants, il est clair qu'il faut prévoir des peines consécutives pour ce crime odieux. À l'heure actuelle, un trafiquant court relativement peu de risques de se faire imposer une peine plus lourde s'il exploite plusieurs victimes, mais par contre ça lui rapporte gros. Autrement dit, quand vous réussissez à gagner entre 200 000 et 300 000 $ par victime par an, et que le seul risque que vous courez est une peine concurrente pour chaque victime supplémentaire, le trafiquant est très tenté de développer son empire, vu le peu de risques.

  (1540)  

    Pour toutes ces raisons, nous appuyons cet amendement.
    Walk With Me Canada appuie l'amendement qui crée « une présomption relative à l'exploitation d'une personne par une autre et ajoute des circonstances présumées constituer de l'exploitation ».
    Même si, à première vue, nous pensons que le libellé risque de conduire à l'arrestation de badauds innocents, cette présomption est importante pour les victimes qui craignent pour leur vie. Bien souvent, les trafiquants envoient des menaces aux familles des victimes, et menacent de tuer les victimes elles-mêmes ou leurs amis. La plupart du temps, ces victimes ont été transplantées dans une autre ville, voire dans un autre pays. Par conséquent, elles sont effrayées quand, après avoir été libérées de leur esclavage, on leur demande de témoigner.
    Nous avons constaté que, dans bien des cas, il fallait éloigner les femmes de la ville ou même de la province pour assurer leur sécurité. Le stress post-traumatique, l'anxiété et la dépression qui frappent les victimes après qu'elles ont été libérées sont tels qu'elles sont réticentes à témoigner. Nous sommes satisfaits que l'on propose d'ajouter au Code criminel le renversement de la charge de la preuve, une fois que la Couronne a présenté une preuve suffisante à première vue. La victime aura plus de chances de se rétablir si elle n'est pas obligée de témoigner ou si elle ne sent pas que la police a absolument besoin de son témoignage pour procéder à des inculpations.
    Souvent, le fait d'attendre la tenue du procès interrompt son processus de rétablissement, car la victime ne pense plus qu'à ça, à sa confrontation avec l'accusé, et elle sait que le procès n'aboutira que si elle témoigne et met sa vie en danger.
    C'est pour toutes ces raisons que notre organisation appuie cet amendement.
    Le troisième amendement consiste à « ajouter les infractions de proxénétisme et de traite de personnes à la liste des infractions visées par la confiscation des produits de la criminalité ». Les statistiques ne manquent pas sur les gains réalisés par les proxénètes. On sait qu'une jeune femme exploitée par un proxénète lui rapporte 280 000 $ par an. Si elle a entre 12 et 25 ans, elle peut lui rapporter 300 à 1 500 $ par jour en gains illicites et non déclarés. Un tableau préparé par le gouvernement, que nous avons annexé à notre mémoire, montre qu'une femme exploitée par un proxénète lui rapporte en moyenne 900 $ par jour, pour un gain total annuel de 280 000 $, et qu'un proxénète qui a une écurie de 10 jeunes femmes peut engranger des gains annuels de plus de 3 milliards de dollars. Nous donnons l'exemple du site Backpage.com, qui est un site unique pour trouver des femmes au Canada. Notre exemple montre que cinq femmes y ont été présentées entre 11 heures et 16 heures, dans une chambre d'hôtel, et que les tarifs étaient de 60 à 80 $ la demi-heure, et de 120 à 180 $ l'heure. En consultant la pièce jointe, j'ai vu que le tarif de la jeune femme était de 200 $ l'heure. Imaginez ce que ça vous rapporte si vous avez quatre ou cinq femmes qui travaillent chaque jour pour vous. Bien sûr, il s'agit de gains illicites, qui ne sont pas déclarés. Ce sont donc des profits nets.
    Les victimes nous disent qu'au départ, on leur donne une partie des revenus de leur exploitation, qu'on leur offre de belles choses. Mais que très rapidement, une fois que le proxénète les a bien entubées, elles reçoivent de moins en moins de salaire et de cadeaux, et que l'argent va directement dans les coffres du proxénète.
    Dans l'affaire de Hamilton, l'une des personnes qui a plaidé coupable à l'accusation de travail forcé possédait une maison à Ancaster, Ontario, évaluée à 750 000 $. Cet amendement aurait permis à l'avocat de la Couronne de faire saisir la maison comme produit de la criminalité. L'enquête de la GRC et les preuves présentées au procès, auquel j'étais présent, indiquaient que les trafiquants avaient plusieurs comptes bancaires bien garnis, y compris des versements d'aide sociale. Tout cela aurait également pu être saisi si l'amendement avait été en vigueur. Dans cette affaire, le trafiquant s'est vu infliger une peine concurrente et, fort probablement, une ordonnance de déportation, mais il a pu garder la propriété de sa maison et de ses comptes bancaires.
    Il faut mettre un terme aux profits que font le crime organisé, les gangs de rue et les entrepreneurs qui exploitent de jeunes Canadiens, hommes et femmes, ainsi que des immigrants qui viennent s'établir dans notre pays. En plus des peines consécutives, le risque de se faire saisir tous les biens et gains ainsi accumulés devrait les dissuader de commettre ce crime odieux.
    Pour les raisons que je viens de donner, Walk With Me appuie les trois amendements. Nous espérons qu'ils aideront la justice à imposer des peines plus proportionnelles à la gravité du crime et à procéder à la saisie des biens et gains que les trafiquants ont tirés de leurs activités illicites.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Merci, monsieur Hooper, de votre déclaration liminaire.
    Nous allons maintenant passer aux questions, et la première à prendre la parole est une députée du Parti néo-démocratique.
    Madame Morin.

  (1545)  

[Français]

    Je vous remercie énormément de vos témoignages. C'est très important de savoir ce que vous en pensez.
    Jusqu'à maintenant, le NPD s'est montré en faveur du projet de loi. Je considère que votre témoignage est important, car vous faites partie d'une équipe de personnes qui travaillent beaucoup sur le terrain.
    Ma première question s'adresse à M. Hooper.
    Vous avez dit avoir aidé jusqu'à maintenant 200 hommes et femmes victimes de la traite des personnes. Pouvez-vous donner plus de précisions au sujet de ces personnes? Par exemple, quelle est la proportion d'hommes et de femmes? Les victimes sont-elles toutes de nationalité canadienne et y a-t-il aussi des Autochtones? J'aimerais avoir un portrait plus global de ces 200 personnes.

[Traduction]

    Je vais répondre à la question, monsieur le président.
    Je vais commencer par donner un aperçu général, car je n'ai pas de statistiques avec moi. La très grande majorité sont des femmes. Certes, il y a eu 18 victimes hommes du travail forcé rien qu'à Hamilton, mais c'est un peu exceptionnel. Je sais qu'il y a eu deux autres victimes hommes, si je me souviens bien, et si je fais le calcul, ça donne à peu près un ratio de 90 p. 100 de femmes et 10 p. 100 d'hommes.
    L'autre caractéristique, et cela me surprend, est que la plupart des femmes sont des Canadiennes. Les gens s'imaginent souvent que ce sont des femmes qui sont engagées comme filles au pair qui deviennent victimes de la traite. Mais pas du tout. La majorité des victimes sont des citoyennes canadiennes.
    Il y a beaucoup de migration des zones rurales vers les zones urbaines. Dans le livre rédigé par Mme Nagy — un guide pour les policiers —, l'auteure explique que dans des endroits comme Tim Horton, à 10 heures du matin, il n'est pas rare qu'une jeune femme autochtone se laisse draguer et accepte de suivre son interlocuteur à Toronto, à Halifax, à Edmonton ou à Vancouver, contre la promesse de gagner beaucoup d'argent.

[Français]

    Comment trouvez-vous les victimes de traite? Pour ce faire, travaillez-vous avec les policiers locaux ou les victimes s'adressent-elles à vous parce que vous êtes un organisme?

[Traduction]

    Ça se fait de trois façons. Premièrement, nous faisons de la recherche proactive, par exemple dans les régions de Peel et de Niagara, qui comptent le plus grand nombre de boîtes de strip-tease par habitant de toute l'Amérique du Nord, ou tout au moins du Canada. Nous cherchons donc activement dans ces coins-là.
    Mme Nagy, qui est notre principale agente sur le terrain, a d'excellents contacts avec les policiers et elle a fait beaucoup de formation. S'ils soupçonnent qu'une femme est victime de la traite, ils l'appellent pour qu'elle aille faire une deuxième entrevue.
     Troisièmement, les filles dans la rue savent qu'elles peuvent appeler notre numéro spécial, qui est ouvert 24 heures sur 24, pour obtenir une aide immédiate. Ce sont donc là les trois façons de faire.

[Français]

    J'ai rencontré beaucoup d'organismes qui travaillaient dans le domaine de la traite des personnes. L'été dernier, je suis allée en Thaïlande et au Cambodge avec une délégation parlementaire pour en apprendre davantage sur la traite des personnes. Mme Mourani nous dira qu'il faut se concentrer sur le Canada, et je lui donne bien raison, mais c'était la première fois que je touchais à ce domaine. Depuis, j'ai rencontré beaucoup d'organismes selon qui la grande difficulté consiste à amener les victimes à témoigner. Je pense que le projet de loi est utile en ce sens, comme vous l'avez tous les deux souligné.
    Cela étant dit, on nous dit qu'il est très difficile d'obtenir des données et de prévenir la traite des personnes. Je me demandais si vous aviez des recommandations à nous faire pour que ce projet de loi nous aide en ce sens. Pourrait-on disposer de plus d'outils pour prévenir la traite? Pourriez-vous aussi nous conseiller pour ce qui est des données qui pourraient être nécessaires dans le cas de la traite des personnes au Canada?

[Traduction]

    Je vais laisser M. Hooper répondre.

  (1550)  

    Merci. Certaines organisations font de l'éducation dans les zones rurales, à l'intention des Autochtones et des collectivités du Nord. Dans la population canadienne en général, ça peut être la fille qui habite à côté, c'est pas forcément une fille du Cambodge, de Thaïlande ou de Hongrie. L'éducation est un élément capital, mais je ne pense pas qu'on puisse faire grand-chose à ce sujet dans le Code criminel. Néanmoins, ce serait la première mesure de prévention à prendre.
    Deuxièmement, il faudrait trouver de l'argent, peut-être dans le plan d'action ou ailleurs, pour sensibiliser les gens qui travaillent dans les lieux où ça se produit le plus souvent — par exemple, les commerces de beignes ou les files d'attente au poste d'immigration à la frontière. Il arrive souvent qu'on fasse passer la frontière à ces femmes-là, car New York n'est pas très loin de Niagara.
    Bref, il faudrait consacrer les ressources nécessaires à l'éducation et à la formation des gens, pas seulement des policiers, mais aussi des travailleurs sociaux, par exemple, qui sont bien placés pour repérer les femmes qui ont ce genre de problème. On en revient toujours à l'éducation, c'est la clé.
    Merci beaucoup de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à Mme Smith, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Hooper et madame Legault-Roy, merci de comparaître devant notre comité aujourd'hui.
    Monsieur  Hooper, nous nous connaissons très bien. Timea Nagy est une victime étonnante qui a réussi à s'en sortir et qui aide maintenant les policiers en accomplissant un travail extraordinaire. Monsieur Hooper, vous êtes l'avocat de son organisation, et je tiens à vous remercier de tout le travail de bénévolat que vous faites vous aussi.
    Vous avez fort bien décrit la situation pour laquelle nous essayons de trouver des solutions. Vous avez raison, ça peut être la fille qui habite à côté. Ça peut être aussi des étrangères. Je me souviens lorsque Timea Nagi est arrivée pour la première fois au Canada. Elle était victime de la traite, et les trafiquants lui ont fait quitter la Hongrie. Aujourd’hui, elle a réussi à devenir l'un des grands défenseurs des victimes de la traite.
    À propos de l'affaire dont vous avez parlé au sujet du travail forcé, je sais qu'avec Timea et Toni Skarica, nous avons réussi, avec quelques autres, à faire un travail formidable.
    S'agissant du projet de loi de Maria Mourani, vous n'ignorez pas que les projets de loi C-268 et C-310 s'attaquaient à certains aspects de la traite de personnes. J'aimerais toutefois que vous nous expliquiez davantage comment le projet de loi C-452 va aider les victimes de la traite, parce que le problème qui se pose bien souvent, c'est que les victimes se rendent au tribunal mais qu'elles refusent de parler. Je sais que, dans cette affaire de travail forcé où les victimes étaient des hommes, ça a été pour eux un véritable enfer, car il y avait des hommes du crime organisé de Hongrie qui essayaient de venir au Canada pour s'en prendre à eux. Dans le projet de loi C-310, nous reconnaissons le principe de l'extraterritorialité, afin de pouvoir poursuivre les citoyens canadiens ou les résidents permanents qui se livrent à la traite de personnes à l'étranger. Ensuite, nous avons ajouté une disposition d'interprétation, afin d'élargir la définition de la traite de personnes, pour que les tribunaux puissent poursuivre les auteurs de ce crime. Le projet de loi C-452 va lui aussi venir en aide aux victimes.
    Et justement, monsieur Hooper, j'aimerais que vous nous expliquiez davantage comment il va venir en aide aux victimes. Je vous en prie.
    Je pense que ce que j'ai appelé le renversement du fardeau de la preuve ou la clause de présomption va aider les victimes. J'ai relativement peu d'expérience avec les victimes, mais dans mes discussions avec nos trois agents, lorsqu'une victime arrive à se libérer et à connaître trois, six ou neuf mois de vie normale, si on peut dire, parfois dans une ville ou une province différentes, surtout à Vancouver, elles retombent parfois, il y a la pression… Souvent, elles se font dire que, si elles ne performent pas assez bien, ce qui est une façon un peu ironique de dire les choses, le procès n'aboutira à rien. Donc, elles portent toute cette responsabilité sur leurs épaules.
     Avec cette présomption, ce sera bien de pouvoir rassembler d'autres preuves, de sorte que le témoignage de la victime ne sera pas la seule pièce à conviction. C'est une question de psychologie ou de subconscient, mais les femmes hésiteront moins à venir témoigner, car elles verront que le système judiciaire est de leur côté et pas du côté des trafiquants.

  (1555)  

    Me reste-t-il du temps?
    Il vous reste deux minutes.
    Merci, monsieur Hooper. Je vais vous poser une autre question.
    Vous avez dit quelque chose qui est crucial, et c'est que la victime est souvent très réticente à témoigner, car, qu’y gagne-t-elle exactement? Si elle témoigne devant un tribunal et que les poursuites n'aboutissent pas, sa vie est alors en danger. Souvent, les victimes se désistent. Je me souviens que, dans une affaire à Montréal, il y avait eu nullité du procès, et la victime devait revenir un an plus tard. Mais pendant toute cette période, les victimes réfléchissent longuement, toutes sortes de souvenirs leur reviennent…
    Pensez-vous que le projet de loi va vraiment les rassurer? Même quand un projet de loi est adopté, je ne suis pas sûre que les victimes comprennent bien qu'elles peuvent témoigner en toute sécurité, qu'elles seront protégées et que les criminels seront condamnés. J'ai l'impression que c'est un problème énorme, et ça le serait pour n'importe qui, surtout pour ces pauvres jeunes filles et ces pauvres jeunes hommes qui sont tombés entre les mains de ces criminels.
    Que pouvez-vous me répondre, monsieur Hooper?
    Vous avez trente secondes, monsieur Hooper.
    Le système offre des soutiens… Je sais qu'actuellement, le système judiciaire offre aux victimes certains services et, à ce sujet, je vais vous donner l'exemple d'une femme qui doit retourner à Halifax. Notre système ne lui permet pas de se faire accompagner par un travailleur social ou par quelqu'un d'autre. Il lui faut donc prendre l'avion toute seule pour aller à Halifax, prendre un taxi, ou un autre moyen prévu par le système, pour se rendre au tribunal, et confronter son trafiquant. C'est dur à imaginer.
    Merci beaucoup. Merci de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à Mme Murray, qui représente aujourd'hui le Parti libéral.
    Je vous remercie d'être ici aujourd'hui; vous avez droit à cinq minutes.
    Très bien. Je vous remercie de témoigner devant le comité, où je suis ravie de siéger aujourd'hui en tant que membre invité.
    J'aimerais féliciter la députée de Saint-Paul pour tout ce qu'elle fait depuis un certain nombre d'années.
    Madame Legault-Roy, vous avez parlé des manifestations sportives. Il se trouve que j'ai présenté une motion un an avant les Jeux olympiques de Vancouver de 2010, pour qu'on adopte un plan de lutte contre la traite de personnes, conformément aux obligations que nous avons contractées dans le cadre du Protocole de Palerme. La députée de Saint-Paul l’a appuyée, mais malheureusement, je n'ai pas réussi à obtenir le consentement unanime.
    Mais je suis ravie de voir que les choses bougent. Je sais que le Parti libéral appuie vivement le projet de loi de Mme Mourani — qui reconnaît le principe de l'extraterritorialité pour les crimes commis à l'étranger, entre autres choses.
    Il y a toutefois deux choses qui nous préoccupent. La première concerne les peines consécutives, par opposition aux peines concurrentes. Je crois savoir que les juges ont déjà le pouvoir d'imposer des peines consécutives. Quand on veut restreindre la latitude des juges, limiter leur pouvoir, il faut toujours le faire avec la plus grande prudence. J'aimerais savoir pourquoi vous estimez que c'est important, étant donné que la loi autorise déjà les juges à prononcer des peines consécutives.
    Deuxièmement, nous avons des réserves quant à la présomption de culpabilité, car il se peut que, dans certaines situations, des mineurs soient impliqués et n’aient pas la capacité, les ressources ou les soutiens nécessaires pour se défendre si ils ou elles sont présumés coupables.
    J'aimerais savoir ce que vous en pensez, et je m'adresse aux deux témoins.
     Merci.

  (1600)  

[Français]

    Monsieur le président, en ce qui a trait à la présomption de culpabilité, c'est déjà le cas pour le proxénétisme, et ça se passe assez bien en général. Normalement, les policiers et les agents portent plainte uniquement si l'individu qui vit avec la personne qui se prostitue encourage celle-ci à le faire dans le but de l'exploiter. Par contre, s'il s'agit du colocataire, du mari ou de l'enfant de la personne qui vit des fruits de la prostitution, la loi est appliquée avec une certaine souplesse.
    Pour ma part, je suis favorable au fait que la présomption d'innocence soit appliquée aux cas d'exploitation. Je pense qu'à ce jour, on a prouvé qu'on était en mesure de l'appliquer avec discernement. Pour ce qui est des peines consécutives, je ne suis pas juriste, ce n'est pas ma spécialité. Par contre, je pense que c'est pour éviter certaines choses. On voit que des trafiquants de drogue obtiennent des sentences différentes que celles des trafiquants de personnes, qui sont punis une seule fois pour leur crime, mais pour qui plusieurs filles travaillent. C'est selon moi pour éviter ce genre d'écueils.

[Traduction]

    S'agissant des peines consécutives, j'ai déjà dit ce qu'une victime du travail forcé en pensait. Je pense que vous dissuadez les victimes de témoigner, une fois que leur situation est connue de la presse… Malheureusement, ou heureusement, notre système de justice pénale est tel que les peines concurrentes sont la norme. Mais si vous voulez redonner aux victimes leur dignité, je ne vois pas d'autre solution que de limiter cette latitude et d’envoyer un message très clair à ces criminels qui ne paient pas leurs impôts et qui détruisent la vie de ces jeunes femmes. Il faut que le message soit clair, à savoir que notre pays considère cela comme un crime grave et qu’il inflige des peines en conséquence. Dans notre organisation, cela ne nous pose aucun problème; nous en avons discuté à notre conseil d'administration et nous avons conclu que c'était une bonne chose.
    Permettez-moi de vous poser une question sur ce sujet précis.
    Avez-vous des preuves? Des preuves empiriques, comme le cas de cet homme victime du travail forcé, ça ne justifie pas qu'on adopte des amendements qui peuvent avoir de lourdes conséquences. Étant donné les gains que ce genre d'activités rapportent, a-t-on des preuves que des peines plus lourdes dissuaderont ces trafiquants?
    Je vais essayer de répondre à cette question, monsieur le président.
    Je n'ai pas de statistiques avec moi quant à l'efficacité des mesures de dissuasion prévues dans notre système de justice pénale, que ce soit la dissuasion générale, la dissuasion spécifique, le châtiment et la réhabilitation, qui sont les quatre piliers du système canadien de détermination de la peine. Mais de toute façon, le problème de la traite de personnes est encore embryonnaire au Canada, et on ne peut pas avoir de données scientifiques là-dessus. Nous n’avons donc peut-être pas beaucoup de preuves, ou seulement des preuves empiriques, mais notre organisation estime que, au bout du compte, le fait que les peines concurrentes soient la norme dans notre système ne fait qu'encourager le travail forcé et l'exploitation sexuelle. Jusqu'à présent, toutes les peines étaient concurrentes, autrement dit, qu'il y ait une ou dix victimes, la peine était sensiblement la même.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Seeback, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais poursuivre sur cette question des peines concurrentes. Je sais que le Parti libéral a des réserves parce qu'on limite la latitude des juges. Je crois que c'est ça. Nous en avons beaucoup parlé dans notre comité, à propos de diverses sanctions prévues par le Code criminel.
    Monsieur Hooper, vous voudrez peut-être dire quelques mots à ce sujet.
    J'observe que, lorsque la culpabilité est reconnue, la norme consiste à imposer des peines concurrentes. C'est la situation actuelle. Les juges ont le pouvoir d'imposer des peines consécutives, mais ils ne l'exercent pas. Si nous voulons que le Parlement affirme clairement qu'il condamne ce type de comportement, je pense que nous devons aller plus loin. Et la seule façon d'aller plus loin et d'amener les juges à ne pas se contenter de suivre la tradition, c'est-à-dire d'imposer des peines concurrentes, c'est de modifier la loi. Il faut envoyer ce signal pour pouvoir aller plus loin.
    Voilà pourquoi c'est très important, à mon avis, pour cette question comme pour d'autres, et j'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.

  (1605)  

    Je suis entièrement d'accord avec vous.
    Je vais vous donner un exemple qui s'est produit au Canada, il y a environ neuf ans. C'était un procès au civil. La Cour suprême du Canada avait alors calculé que, dans l’affaire Whiten c. Pilot, les dommages-intérêts punitifs devaient s’élever, grosso modo, à 1 million de dollars. Récemment, un juge des Prairies, voulant faire preuve de fermeté, a décidé que l'industrie des assurances n'avait pas compris le message et qu'il allait donc aller plus loin en imposant des dommages-intérêts punitifs de 4,2 millions de dollars. Je suis sûr que ce jugement va finir par remonter jusqu'à la Cour suprême.
    Mais c'est tout à fait ça. La façon dont fonctionne notre système judiciaire est telle que la Cour d'appel a pratiquement généralisé le principe des peines concurrentes, si bien que les juges de la Cour supérieure ou de la Cour du Banc de la Reine se sentent obligés de les appliquer. La seule façon de changer cela, c'est de demander au Parlement de légiférer le principe des peines consécutives, au lieu de s'en tenir aux lois des juges. Je suis d'accord avec vous.
    C'est tout à fait ce que je pense, et c'est pour ça qu'il faut que nous prenions cette mesure, pour affirmer clairement que nous condamnons ce type de comportement.
    Madame Legault-Roy, êtes-vous d’accord avec ça?

[Français]

    Oui. Le droit lié à la traite des personnes n'est pas exactement notre spécialité, mais nous en avons discuté dans le cadre de la concertation. Nous étions tous d'accord sur le fait que la loi soit modifiée.

[Traduction]

    Quand on parle de dissuasion, il y a souvent des gens qui veulent avoir des preuves de l'efficacité de la dissuasion, qui veulent voir des études sur la question.
    Très franchement, je pense qu'il y a deux types de dissuasion. La première est d'ordre général. La peine imposée est très lourde, pour que les gens y réfléchissent à deux fois. Il y a aussi la dissuasion spécifique, à laquelle je crois beaucoup. Dans ce cas-là, on dit clairement que la personne qui a commis cette infraction très grave… conformément, par exemple, au paragraphe 279.011(1), qui concerne l'infraction la plus grave en ce qui concerne la traite de mineurs, est passible d’une peine d'emprisonnement. La peine minimum est de six ans. Par conséquent, si la personne a commis cette infraction contre six, huit ou dix jeunes filles mineures, elle sera passible d'une peine d'emprisonnement minimum de 48 ans. J'estime que la dissuasion aura été efficace puisque la personne est emprisonnée et qu'elle n'aura plus la possibilité de commettre une autre infraction.
     Qu'en pensez-vous ? C'est une interprétation un peu différente de la dissuasion.
    Voulez-vous répondre, monsieur Hooper?
    Volontiers, monsieur le président.
    J'ai énoncé tout à l'heure les quatre principes de la détermination des peines. On parle de dissuasion spécifique et de dissuasion générale lorsque la nouvelle est publiée dans le Globe & Mail ou dans l'Ottawa Sun, ou quel que soit le journal que lit un trafiquant potentiel; il va donc avoir le message. Mais si le même journal lui apprend qu'il y avait dix victimes et que le trafiquant a écopé de neuf peines concurrentes de six ans, il va faire son petit calcul pour voir si le risque en vaut la peine. Donc, je suis d'accord.
    Me reste-t-il du temps?
    Non. Merci, monsieur Seeback. Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Mai.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie encore une fois les témoins d'être présents parmi nous aujourd'hui.
    Ce lundi, lors de l'étude en comité, des policiers ont témoigné devant nous et ils ont justement mentionné à quel point le projet de loi était un bon outil pour eux. Ils nous ont parlé des victimes.
    Madame Legault-Roy, je crois que vous faites directement affaire avec celles-ci. Lors de la dernière rencontre, nous avions soulevé une préoccupation au sujet des femmes autochtones et nous voulons la soulever de nouveau aujourd'hui. Je ne sais pas si vous faites directement affaire avec beaucoup d'entre elles, mais il s'agit d'un fléau pour elles.
    Pouvez-vous nous dire si vous faites affaire avec des victimes autochtones et des femmes autochtones?

  (1610)  

    Effectivement, les femmes autochtones du Canada sont extrêmement surreprésentées dans le domaine de la prostitution, comme le sont en fait toutes les femmes « racisées ». Il y a une surreprésentation à cet égard.
    À la CLES, on ne travaille pas spécifiquement avec les personnes autochtones. Toutefois, il est vrai que cela constitue certainement un problème pour elles. À mon avis, les femmes autochtones sont particulièrement davantage victimes de traite. On va les chercher loin, dans le Nord, avant de les déplacer à l'intérieur du Canada. Puisqu'elles restent au Canada, elles peuvent parfois passer inaperçues. Il se peut aussi que ce ne soit pas de la traite de personnes et qu'elles se déplacent pour le travail.
    Je crois qu'on pourrait les protéger davantage si on spécifiait qu'il y a de la traite des personnes au Canada et à l'échelle internationale.
    Les policiers que nous avons rencontrés ont aussi parlé de la confrontation lors de l'audience. Pouvez-vous nous en parler un peu plus?
    De la confrontation?
    Étant donné que les victimes doivent comparaître. Souvent, les délais sont très longs. Parfois, elles sont censées témoigner à une date donnée, mais leur comparution est retardée. Parlez-nous parler un peu de ce que vivent les victimes qui doivent subir ce processus.
    Monsieur le président, je répondrai à la question en disant que c'est extrêmement difficile pour les femmes.
    Tout comme dans les cas de viol, seule une infime minorité portera plainte et entamera des procédures judiciaires. De cette infime minorité, certaines abandonneront en cours de route, parce que le processus est trop difficile.
    Souvent, les femmes souffrent de stress post-traumatique et ont divers problèmes de santé. À cause de cela, le fait de se présenter à plusieurs audiences et de participer à un processus qui est très long peut être extrêmement difficile.
    En ce moment, on travaille avec une femme sur une demande de pardon. C'est autre chose, mais c'est environ deux ans de travail. Cette femme a connu l'industrie du sexe. C'est très difficile.
    À mon avis, le fait de ne pas obliger ces femmes à témoigner va les aider énormément. De plus, cela va aider les policiers, puisqu'ils pourront mieux encourager les femmes à dénoncer les abus et à porter plainte. Elles auront moins peur.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Hooper, les policiers et la députée qui a parrainé le projet de loi nous ont beaucoup parlé des femmes qui oeuvrent dans l'industrie du sexe. Toutefois, on aimerait aussi s'assurer que le projet de loi couvre aussi les travailleurs domestiques, par exemple.
    Je sais que votre organisme s'occupe beaucoup de l'esclavage. Pensez-vous que cela sera plus étendu? Est-ce que cela peut aider des gens exploités qui ont connu la traite? Pourriez-vous nous en parler un peu plus?

[Traduction]

    Le libellé du projet de loi ne fait souvent aucune distinction entre l'exploitation sexuelle et le travail forcé, donc je pense que ces dispositions s'appliquent aux deux de la même façon.
    Par contre, je ne sais pas si des Canadiens ou des résidents permanents sont victimes du travail forcé, qui viendraient par exemple de collectivités du Nord ou de réserves, comme nous les appelons. Mais c'est sans doute un problème potentiel.
    Pour ce qui est des femmes, la Fondation canadienne des femmes a chargé un groupe de travail national d'examiner ce problème en particulier, dans la mesure où il concerne les femmes autochtones qu'on éloigne de leur culture pour les exploiter sexuellement. Mais pour le travail forcé, je ne peux pas vous dire.
    Est-ce que vous vous occupez d'étrangères qui sont victimes, au Canada, du travail forcé? Est-ce que votre organisation s'en occupe, et dans quelle mesure?
    On ne nous a pas demandé… Je vais reformuler ma réponse.
    Je pense à deux cas qui concernaient des gens originaires de l'Europe de l'Est — un homme et une femme — qui faisaient du travail forcé dans un restaurant. Ils étaient détenus dans le sous-sol d'une maison appartenant à une femme, à Oakville, en Ontario. Ces cas sont rares. Les étrangers que les trafiquants font venir au Canada sont en majorité victimes d'exploitation sexuelle.

  (1615)  

    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Wilks, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de comparaître devant notre comité.
    C'est curieux parce que je réfléchissais aux questions que j'allais poser, et vous vous êtes mis à parler de peines « concurrentes » et de peines « consécutives ». Je suis un ancien policier de la GRC à la retraite, et j'ai souvent constaté que, lorsque le juge a le choix entre des peines concurrentes et des peines consécutives, il choisit toujours les peines concurrentes, car de cette façon, il ne se montre pas trop sévère. Et quand on commence à utiliser les peines concurrentes, on finit par toujours choisir cette option. C'est ce que j'ai constaté neuf fois sur dix. Je suis donc très content de voir qu'on prend des mesures.
    Mme Murray a demandé un exemple de l'effet dissuasif que ça peut avoir. Je vais vous en donner un qui s'est passé en Colombie-Britannique, même si c'est un exemple assez banal, et ensuite, je poserai ma question, si vous me le permettez, monsieur le président.
     La Colombie-Britannique a décidé de lutter contre la conduite avec facultés affaiblies en en faisant faire directement le constat, sur le procès-verbal provincial, par le policier et non plus par le juge, de sorte que le conducteur en infraction perdait automatiquement son permis pendant 90 jours et l'utilisation de sa voiture pendant 30 jours, et qu'il devait payer une amende de plus de 5 000 $.
    Ça a été un tollé général; les gens étaient furieux. Mais est-ce que c'était efficace? Bien sûr que ça l'était. Les gens ont cessé de conduire après avoir consommé de l'alcool. Au bar, ils hésitaient à boire ne serait-ce qu'un verre, et l'industrie des alcools a commencé à s'inquiéter sérieusement parce que les ventes de boissons alcoolisées n'étaient plus ce qu'elles étaient. Bien sûr que ça a marché.
    C'est donc un bon exemple qui vous montre que, si vous faites preuve de la fermeté nécessaire, ça a un effet dissuasif.
     Maintenant voici ma question. Notre gouvernement conservateur administre, depuis 2012, un plan d'action national qui va permettre d'injecter 25 millions de dollars sur quatre ans dans la mise en oeuvre de certains programmes qui vont nous être utiles à ce niveau-là. Dans le cadre des fonds prévus pour les victimes, nous avons lancé, sous la tutelle du ministère de la Sécurité publique, le programme de lutte contre l'exploitation des enfants et la traite de personnes. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ces initiatives?
    J'aimerais également savoir si, à votre avis, le gouvernement fédéral devrait prendre d'autres mesures pour aider les victimes d'actes criminels.
    Je pense notamment au fait que les victimes, et je ne parle pas seulement des victimes dont vous vous occupez mais de la plupart des victimes de crimes sexuels, ces victimes, donc, sont absolument épouvantées à l'idée de témoigner parce qu'elles doivent à ce moment-là confronter l'accusé. Je me demande si on pourrait mettre sur pied des programmes de mentorat pour aider les victimes à se préparer à témoigner, afin qu'elles se sentent plus à l'aise.
    Deuxièmement, je me demande si on pourrait — sinon par une intervention du gouvernement fédéral, tout au moins dans le système judiciaire — faire en sorte que, lorsqu'il s'agit d'une infraction sexuelle accompagnée de violence réelle ou imminente, la victime soit automatiquement autorisée par le juge à témoigner par communication vidéo.
    Pour ce qui est du mentorat ou du témoignage par vidéo, il est déjà possible de témoigner derrière un paravent, etc. Le problème, c'est que ça ne se fait pas automatiquement. C'est à la victime de demander à l'avocat de la Couronne d'en faire la demande, car sinon, on part du principe que l'accusé doit être confronté à son accusateur et que ce dernier doit être présent à la barre des témoins. Donc, vous êtes doublement victime parce que vous devez surmonter votre gêne ou votre timidité pour…
    Permettez-moi de vous interrompre. Je voulais savoir si, à votre avis, le gouvernement fédéral devrait modifier cette loi pour que la victime n'ait pas à en faire la demande, pour que ça se fasse automatiquement dans ce genre de circonstances.
    Je serais tout à fait d'accord pour en faire la recommandation, mais je me permets d'ajouter ce qui suit: il faudrait que ce soit automatique, car à l'heure actuelle, ce qui est automatique, c'est la procédure inverse. Autrement dit, si la victime doit témoigner au sujet d'une infraction figurant sur cette liste, il faut qu'automatiquement, son témoignage se fasse par communication vidéo ou… derrière un écran, et qu'elle n'ait pas à en faire la demande.
    À mon avis, les gens dont nous nous occupons seraient absolument ravis si un tel amendement était accepté.

  (1620)  

    Je vous remercie de vos questions et de votre réponse. M. Wilks a l’habitude de poser des questions pertinentes — c'est la qualité, pas la quantité.
    Madame Boivin.
    Je vais essayer d'en faire autant.
    Ce sont des options intéressantes, et j'aimerais ajouter que...

[Français]

    Il est important que l'accusé puisse confronter la personne qui l'accuse, mais on doit rendre cela un peu plus facile dans certains types de dossiers. Que des personnes ne témoignent pas car elles sont terrorisées, cela me fatigue beaucoup.
    Initialement, j'avais quelques questions à poser au sujet du projet de loi. Mes questions allaient un peu dans le même sens que ce que disait Mme Murray tout à l'heure en ce qui a trait à la présomption. Autant lors des comparutions de lundi que lors de vos deux témoignages, vous avez bien répondu aux questions concernant la présomption.
    Selon moi, l'argument ne tient pas. Il s'agit assurément d'un renversement du fardeau de la preuve. Mais compte tenu des circonstances et puisque cela se fait déjà dans le code, ce n'est pas comme si l'on inventait quelque chose. Je suis donc à l'aise à ce sujet.
    Pour ce qui est de la question des sentences consécutives, je ne sais pas si vous avez pu lire le témoignage des policiers qui ont comparu devant nous lundi. Mon collègue M. Mai le disait tout à l'heure, et c'est entre autres ce que faisait valoir le sergent-détective Monchamp.
    Je suis une femme pratique. J'aime beaucoup les textes de loi. En tant qu'avocate, j'ai travaillé toute ma carrière en me servant des textes de loi. Il y a le côté pratique de la chose.
    Le sergent-détective Monchamp disait que peu importe les cas de sentences consécutives, et malgré les meilleures intentions qui soient, un fait demeure, soit qu'on verra beaucoup de plea bargaining. Je faisais une blague à cet égard pendant qu'il faisait ce commentaire précédemment.
    Il mentionnait qu'une personne accusée devant répondre de huit chefs d'accusation pourrait recevoir une peine minimale d'emprisonnement de six ans et des peines consécutives. Je serais très surprise que la personne, après l'étude de son dossier, se voit attribuer une peine d'emprisonnement de 48 ans.
    Comme il le disait, il y a tellement de façons de contrer tout cela. Alors, atteint-on réellement les buts recherchés? Certains s'inquiètent quant à l'imposition de peines consécutives. C'est le danger auquel on fait face, car on va imposer des peines plus petites qui donneront néanmoins à peu près le même résultat qu'avant.
    À mon avis, l'éléphant blanc dans la salle ici est le concept de prostitution lui-même. Je ne me suis pas encore fait d'idée à ce sujet et je demeure ouverte à cet égard. D'une part, des gens militent en faveur des droits des travailleurs du sexe, et de l'autre, nous essayons de faire adopter cette loi. Jusqu'où peut-on aller avec un tel projet de loi dans une société où certains comportements ne sont pas nécessairement jugés inacceptables? Je me le demande et je suis curieuse d'entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.
    Merci, monsieur le président.
    Il me faudrait plusieurs minutes pour répondre à cette excellente question. On parle souvent du droit des femmes à la sécurité, alors qu'il n'en est pas question lorsqu'on parle de prostitution d'autrui. Partant de ce fait, il serait mieux de faire des lois pour protéger les femmes qui sont dans la prostitution et toutes celles sur qui cela rejaillit, quitte à peut-être brimer un droit qui n'existe pas, soit celui de se prostituer ou d'inciter quelqu'un d'autre à le faire.
    Le projet de loi ne va pas du tout à l'encontre de notre position, soit celle de décriminaliser les femmes et de criminaliser les clients et les proxénètes. Ainsi, si l'on s'attaque à la demande et à l'offre, on laisse les femmes faire ce qu'elles ont à faire et on les aide à s'en sortir.
    C'est clair. Merci.

[Traduction]

    C'est bien.
    Merci beaucoup.
    C'est M. Armstrong, du Parti conservateur, qui sera le dernier député à poser des questions pendant cette première partie de notre réunion.
    J'aimerais remercier les témoins de comparaître devant notre comité. Les discussions ont été extrêmement intéressantes, et nous avons appris beaucoup de choses.
    Notre comité a récemment examiné le projet de loi C-394, recrutement par des organisations criminelles. C'est Parm Gill, l'un de nos collègues, qui l’avait présenté. Ce projet de loi propose d'ériger en infraction le fait de recruter une personne pour faire partie d'une organisation criminelle, de l'inviter, l'encourager ou la contraindre à en faire partie ou de la solliciter à cette fin. Il s'agit ici essentiellement de gangs de rue.
    L'infraction est passible d'une peine d'emprisonnement maximal de cinq ans, avec une peine plancher de six mois si la personne qui est recrutée est un mineur de moins de 18 ans.
    J'ai constaté, quand j'étais éducateur, qu'il y avait un lien entre les actes illicites des gangs de rue et la traite des femmes. Malheureusement, les gangs de rue recourent de plus en plus souvent au trafic de femmes pour faire prospérer leur commerce répugnant.
     Êtes-vous d'accord avec moi? Avez-vous constaté que les gangs de rue recrutent souvent des femmes pour les exploiter sexuellement?

  (1625)  

    Oui.
    Il y a bien sûr des opérateurs indépendants, mais on a surtout affaire à un modèle bien organisé. En fait, il vous suffit d'aller sur Internet pour savoir comment faire, car il y a un livre en ligne qui vous explique comment vous lancer dans ce type d'activité.
    Pas possible? On pourrait peut-être trouver qui en est l'éditeur.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Scott Armstrong: C’est un autre projet de loi d'initiative parlementaire.
    Pourriez-vous nous expliquer le lien qui existe entre la traite de femmes et les gangs de rue? Je sais qu'il y a plusieurs niveaux de gangs de rue, et qu'ils sont très hiérarchisés.
     Savez-vous comment ils s'y prennent? Comment attirent-ils des femmes au sein de leurs organisations pour les exploiter sexuellement?
    Monsieur le président, nous savons que, depuis 100 ans, les organisations criminelles sont très hiérarchisées. Il y a ceux qui, au bas de l'échelle, s'occupent du recrutement, et qui vont ratisser le Nord de l'Ontario et les communautés inuites pour inciter les gens à venir s'installer en ville pour gagner beaucoup d'argent.
    Deuxièmement, dans les lieux où c'est plus susceptible de se produire — les salons de massage, les boîtes de strip-tease, entre autres —, nous voyons bien que ces gens-là ont un réseau. Quand des femmes sont exploitées sexuellement dans la région de Mississauga-Peel, il n'est pas rare de les retrouver, un mois plus tard, dans la région de Niagara où elles ont été échangées. Ensuite, elles sont parfois envoyées quelque temps chez un collègue aux États-Unis. On les déplace constamment.
    Si Mme Nagy était ici, elle vous démontrerait avec beaucoup plus de véhémence que moi que c'est systématique.
    Vu la nature systémique des gangs de rues et de leurs activités, et leur structure d'organisation, pensez-vous que cela surprendrait la plupart des Canadiens?
    Moi, en tout cas, ça m'a surpris.
    Je crois qu'ils seraient surpris.
    Je vais donner le reste de mon temps à ma collègue, Mme Smith.
    Combien de temps m’accordez-vous?
    Vous avez deux minutes.
    Je vais m'adresser à M. Hooper.
    On revient toujours sur le fait que nous n'avons pas de statistiques. Mais c'est en 2005 que M. Cotler, député du Parti libéral, a fait adopter le projet de loi C-49, et qu’Imani Nakpangi a été la première personne à être reconnue coupable de cette infraction au Canada. Ensuite, il y a eu mes projets de loi — le projet de loi C-268, en juin 2010, et le projet de loi C-310, en juin 2012 — par conséquent, c'est assez récent…
    Les gens confondent parfois la traite de personnes et le passage d'immigrants clandestins. Pouvez-vous nous expliquer la différence?
    Monsieur Hooper, pouvez-vous répondre à cette question?
    Dans certains cas, l'un entraîne l'autre, mais d'après ce que j'ai constaté, le passage d'immigrants clandestins sous-entend qu'une personne a payé une autre personne pour la conduire dans un pays où elle pourra faire une vie meilleure. Il arrive que cette vie meilleure se traduise par du travail forcé ou de l'exploitation sexuelle, mais ce n'est pas toujours le cas. Pour être franc, je dirai que la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle ou de travail forcé est tout simplement de l'esclavage puisque ces personnes travaillent sans être rémunérées.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier nos témoins d'aujourd'hui.
    Au nom du comité, je tiens à vous remercier individuellement, ainsi que les groupes que vous représentez, de tout ce que vous faites pour aider les victimes d'actes criminels. Soyez assurés que nous en sommes bien conscients, et que nous essayons d'adopter des lois pour lutter contre ce type d'activités illicites.
    Nous allons maintenant passer au groupe suivant, mais auparavant, j'aimerais rappeler aux membres du comité que nous aimerions avoir le texte de leurs amendements, le cas échéant, d'ici vendredi après-midi.
    Je dois également vous informer qu'après discussion, il a été décidé que, lundi, nous entendrons trois témoins pendant les 75 premières minutes. Et qu'ensuite, nous consacrerons une demi-heure à l'examen article par article, avant de discuter du programme et de la procédure pendant les 15 dernières minutes. Nous déciderons ainsi de notre programme de travail pour les prochaines semaines.
    Cela signifie que mercredi prochain, il n'y aura pas de réunion. Je sais que vous êtes tous choqués et honteux, mais puisque c'est possible, c'est ce que nous ferons.
    Cela dit, nous allons faire une pause de trois ou quatre minutes.

  (1625)  


  (1630)  

    Nous allons reprendre nos délibérations et écouter le second groupe de témoins.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Dufour, de la Maison de Marthe. Nous accueillons également Mme Duval et Mme Bourget, de l'Association féminine d'éducation et d'action sociale.
    Vous avez 10 minutes par organisation.
    Madame Dufour, vous avez la parole.

  (1635)  

[Français]

    Je dirige un tout petit organisme à but non lucratif, la Maison de Marthe, à Québec. Je travaille quotidiennement sur le terrain depuis 12 ans avec des femmes qui en sont venues à se prostituer.
    J'ai une formation d'infirmière et d'anthropologue, avec une spécialisation en santé publique. Dans un premier temps, j'ai travaillé pendant cinq ans avec ces femmes pour les aider à se situer au coeur de leur vie, dans le but de faire une intervention pertinente. Je suis dans la capitale, à Québec.
    J'ai découvert une tragédie tellement effroyable que j'ai décidé de faire la première enquête auprès d'hommes consommateurs de prostitution pour essayer de comprendre pourquoi ils consommaient de la prostitution. Par la suite, j'ai mené une enquête auprès de deux proxénètes pour cerner les trois acteurs principaux de la prostitution. Un livre été publié à ce sujet et je l'ai apporté pour le laisser comme référence.
    Après cette démarche, je croyais partir à la retraite, mais j'ai finalement été rattrapée par le travail que j'avais fait. Il m'est venu la phrase suivante: le plus important n'est pas comment on entre dans la prostitution, mais comment on en sort.
    Il n'existe aucune politique sociale pour simplement aider les femmes lorsqu'elles sont impliquées dans la prostitution. Nous avons toutes sortes de programmes pour les femmes au sujet de la violence, les abus sexuels et autres, mais il n'existe aucune politique sociale pour aider les femmes et simplement les accompagner ou même leur offrir la possibilité de quitter la prostitution.
    Face à cette situation, j'ai décidé de poursuivre le travail que j'avais entrepris. J'ai ouvert un petit local en 2006. Les bénévoles et les fonds sont venus automatiquement. Il y a sept ans que la Maison de Marthe existe. C'est d'ailleurs son anniversaire aujourd'hui. Elle est simplement un lieu d'accueil pour aider les femmes de toutes les manières possibles dans toutes les étapes des processus de sortie de la prostitution.
    Aujourd'hui, je voudrais mettre mon expertise au service de votre comité. Plutôt que de commencer tout de suite sur la question des modifications au projet de loi, je voudrais vous parler du personnage central de la prostitution qui, contrairement à ce qu'on peut penser généralement, n'est pas la femme prostituée, puisqu'elle en est la victime.
    En effet, le personnage central de la prostitution, c'est le client pour qui est créé ce fabuleux marché qui offre une marchandise sexuelle humaine. Qui sont ceux qui recherchent des femmes prostituées? Ce sont les clients, les acheteurs de sexe, des hommes mais pas tous les hommes. Ce sont certains hommes. Qui sont-ils?
    Je voudrais vous en parler parce que si nous voulons comprendre le phénomène de la prostitution, nous ne pouvons y arriver qu'en nous questionnant sur la demande pour la prostitution, la motivation des hommes à cet égard et en nous interrogeant sur ce qui est acheté et sur quel genre de rapport ils ont avec ces femmes.
    Dans la littérature, on dit toujours que l'homme consommateur de prostitution, c'est M.Tout-le-Monde. Toutefois, je veux vous dire que ce n'est pas M. Tout-le-Monde parce que M. Tout-le-Monde ne paie pas pour avoir du sexe. Il se lève debout et il fait la conquête des femmes. Après tout, on se donne assez de mal pour plaire aux hommes qu'il est normal qu'ils fassent leur part pour essayer de nous conquérir.
    Les vrais hommes ne paient pas pour de la prostitution. Tous les hommes ne consomment pas de la prostitution. Des études ont fait des estimations pour essayer de déterminer comment cela se passait dans différentes les pays.
    Le professeur Månsson, un chercheur suédois, a estimé qu'en Grande-Bretagne, seulement 7 % des hommes consomment de la prostitution, alors que ce chiffre monte à 19 % en Suisse, où la prostitution est légalisée, et à 39 % en Espagne. La référence est fournie dans mon texte.
    Quelle est la différence entre tous ces hommes? Ce n'est pas la libido ou le désir sexuel, mais c'est la culture et l'éducation fournie aux hommes. Ce sont les rapports entre les hommes et les femmes, ainsi que la façon dont ils sont éduqués et construits sur le plan culturel.

  (1640)  

    Je peux vous dire, en me fondant sur l'enquête que j'ai menée, que la première et la plus importante motivation de cet homme consommateur de prostitution est le non-engagement. Il veut du sexe, mais il ne veut pas les responsabilités que cela implique. Il veut, dit-il, avoir une femme dans les bras, mais pas sur les bras. Je me retiens de faire des commentaires sur cette phrase terrible.
    Il veut de la prostitution parce que c'est facile et que ce n'est pas engageant. Il ne veut même pas d'une maîtresse parce qu'il trouve cela encombrant, embarrassant, et que cela pose une foule de problèmes. Je pourrais vous citer ces discours, mais je n'ai pas assez de temps pour le faire. Il considère aussi que le sexe est un besoin physiologique et irrépressible chez l'homme. Pour lui, la prostitution est une nécessité et un droit. Certains considèrent même que les femmes sont là pour les servir sexuellement. On se croirait au Moyen Âge.
    Il montre une préférence très marquée pour une sexualité qui n'est pas relationnelle. Il faut bien comprendre que dans la prostitution, il n'y a pas de préparation à l'acte. On utilise des lubrifiants et toutes sortes de subterfuges. Il ne veut pas construire une relation. C'est d'ailleurs une caractéristique de la prostitution. Rien n'est plus loin de l'amour que la prostitution. Pour ma part, je considère que ce n'est même pas de la sexualité, étant donné que cette dernière est le don de ce qu'on a de plus précieux et de plus intime. Il n'y a pas de don dans la prostitution, et la femme prostituée elle-même ne se donne pas. Elle joue un rôle, comme le client en joue un. La prostitution, c'est de la frime dont le seul objectif est l'éjaculation ou le plaisir de l'homme, aussi rapidement que possible. Comme le disent les femmes, ce n'est pas comme le mariage. Ça presse et il faut que ça aboutisse rapidement.
    Ce que les hommes consommateurs de prostitution aiment, c'est le sexe pour le sexe, la génitalité. Je dirais que c'est du McSexe, dans le sens de McDonald's. Excusez l'expression terrible, mais ils commandent une femme comme ils commandent une pizza. Ils appellent, disent ce qu'ils veulent et reçoivent la livraison à domicile. Ils ont le choix. C'est là où nous en sommes. Ils se justifient en disant que tous les hommes consomment de la prostitution parce que leurs femmes n'aiment pas le sexe et qu'ils sont sexuellement insatisfaits. Or j'ai pu établir dans mon enquête, précisément à partir des données dont ils m'ont fait part, que cette affirmation était totalement fausse. Sur les 84 clients avec qui j'ai discuté, j'en ai retenu 64 pour les fins de l'enquête, et seuls 15,6 % d'entre eux étaient insatisfaits des relations sexuelles avec leurs femmes.
    Je demandais à ces hommes s'ils avaient parlé avec leur femme de tout ce qu'ils m'avaient raconté sur leur vie sexuelle. Ils répondaient tous par la négative. Je leur disais que le problème était là, qu'ils devraient en parler avec elle et la reconquérir. Je leur disais de faire quelque chose, suivre un cours, par exemple, parce que la prostituée ne pouvait pas être un bon substitut.
    L'analyse montre aussi qu'ils ont une sexualité perturbée. Ces hommes ont une dépendance sexuelle ou des troubles de la sexualité qui impliquent toutes sortes d'autres problèmes, par exemple des problèmes financiers ou professionnels. Ils ont aussi des problèmes relationnels avec les femmes. Dans certains cas, leur perturbation profonde les amène à transférer et à projeter leurs problèmes psychologiques sur les femmes en ayant recours à la violence pour les humilier et les dégrader. Ils entretiennent sur eux-mêmes, sur les femmes en général et sur les femmes prostituées en particulier un certain nombre de croyances et de préjugés.
    J'ai déjà utilisé tout mon temps de parole. Il me reste une minute?

  (1645)  

    Il vous reste une minute, en effet.
    La première chose qu'ils vont dire à leur sujet c'est qu'ils ont une libido beaucoup plus élevée que la moyenne et qu'ils sont absolument certains d'être très performants au plan sexuel. Ils entretiennent aussi des fantasmes par rapport à la femme prostituée.
    Je m'arrête ici parce que je veux conclure au sujet du projet de loi. Je suis quand même ici pour en parler.
    Finalement, de tous les articles du projet de loi, je souligne un aspect qui m'a particulièrement interpellée puisque je travaille quotidiennement avec ces femmes et que je connais bien leur histoire et leur vie. J'ai été particulièrement intéressée par la question de la présomption — vous avez beaucoup développées toutes les autres questions —, non seulement à cause du renversement de la preuve, mais plus encore parce que la modification présentée ici me semble d'une très grande importance.
    Malgré toutes les exploitations et les violences que subissent ces femmes — et je vous le dis, ce que nous entendons est absolument pathétique, leur proxénète étant très souvent leur conjoint — et malgré toutes les souffrances qu'elles endurent, elles ne veulent pas les dénoncer. Le projet de loi est intéressant parce qu'il a justement pour but de les protéger en quelque sorte dans certains cas pratiquement malgré elles.
    Je m'arrête ici puisque le temps qui m'était alloué est écoulé.
    Merci, madame.

[Traduction]

    Nous allons maintenant écouter Mme Duval.
    Vous avez la parole.

[Français]

    Merci, monsieur président, d'avoir accepté de nous entendre.
    Je représente l'Afeas, soit l'Association féminine d'éducation et d'action sociale. C'est un organisme qui a été fondé en 1966 et qui regroupe 10 000 Québécoises qui travaillent bénévolement dans 250 groupes locaux de 11 régions du Québec.
    L'Afeas a pour mission de défendre les droits des femmes, mais aussi de travailler à l'amélioration de toute la société. C'est par l'éducation et l'action sociale concertées que nous travaillons à cette amélioration. Nos valeurs sont la paix, l'égalité, l'équité, la justice, le respect et la solidarité.
    L'Afeas est une organisation de terrain. Sa structure démocratique favorise l'expression des points de vue de ses membres sur les enjeux sociaux et sur les orientations de leur organisation. Une forte proportion de nos membres a plus de 45 ans et vit à l'extérieur des grands centres.
    Depuis 45 ans, l'Afeas agit au sein de la société québécoise et canadienne, et ce, sur tous les plans. Par sa présence et le réalisme de ses interventions, elle a acquis une crédibilité comme interlocutrice auprès des instances décisionnelles et des organismes du milieu.
    Je vais maintenant laisser la parole à Mme Madeleine Bourget, vice-présidente provinciale et responsable de ce dossier. Elle va vous présenter le mémoire qu'elle a préparé.
    Il existe un lien étroit entre la prostitution et l'esclavage. Ce sont d'abord les femmes esclaves qui ont été exploitées dans les bordels, suivies par les femmes issues des classes plus pauvres. Selon les Nations Unies, il y a aujourd'hui plus de personnes achetées, vendues et transportées à des fins d'exploitation sexuelle ou autre que durant les 300 années d'esclavage. Aboli depuis 150 ans, l'esclavage est toujours présent dans nos sociétés modernes. La traite des esclaves africains a fait 11,5 millions de victimes, tandis que la traite aux fins de prostitution dans la seule région de l'Asie du Sud-Est a fait 33 millions de victimes.
    Depuis plusieurs années, cela se passe différemment, soit par le recrutement, le transport et l'hébergement, afin d'exploiter en grande majorité des femmes et des enfants. Entre 2002 et 2011, il y a eu presque cinq millions de victimes d'exploitation sexuelle. On estime à plus de 30 milliards de dollars les bénéfices annuels générés par l'exploitation des victimes de la traite. À bien des endroits, la traite correspond à la « santé économique » des industries du sexe, soit la pornographie, la prostitution, le tourisme sexuel et, comme on l'a mentionné plus tôt, le massage érotique.
    Les êtres humains victimes de la traite à des fins de prostitution sont beaucoup plus nombreux que ceux faisant l'objet d'un trafic à des fins d'exploitation domestique ou destinés à servir de main-d'oeuvre à bon marché. Entre 70 % et 80 % des personnes prostituées au Canada étaient des enfants lorsqu'elles ont commencé à être prostituées. En 1997, le nombre d'enfants prostitués au Canada était estimé à 10 000. Les femmes et les filles embrigadées dans la prostitution au Canada connaissent un taux de mortalité qui est 40 fois supérieur à la moyenne nationale. Les femmes prostituées comptent pour 15 % des suicides rapportés par les hôpitaux américains, et les données sont similaires pour la France.
    La prostitution est une violence en soi. La première violence est la soumission de ces prostitués à la satisfaction des plaisirs sexuels de leurs clients. La deuxième violence est qu'on devient prostitué à la suite de violences sexuelles, physiques et psychiques dans 90 % des cas. Le rapt, le viol, l'abattage — il existe en effet des camps d'abattage dans plusieurs pays européens où l'on vend des êtres humains —, la terreur et le meurtre font partie de la « fabrication des marchandises ». Ce sont des moyens utilisés pour rendre les personnes prostituées « fonctionnelles ».
    En 10 ans, soit de 1990 à 2000, 77 500 jeunes femmes étrangères ont été la proie des trafiquants. De 1999 à 2010, 200 000 jeunes femmes étrangères ont subi le même traitement. Ce sont souvent des mineures qui sont vendues. Elles subissent des dizaines et des dizaines de contacts par jour. La traite et la prostitution ont connu un essor considérable durant la dernière décennie.
    Les proxénètes, qu'on appelle les pimps, gagnent énormément d'argent au détriment de leurs victimes. Ils peuvent se présenter sous diverses formes: notre conjoint, les journaux, certaines annonces de voyage, quelqu'un qui se dit notre ami, mais qui ne l'est pas, ou une personne en qui nous avons mis toute notre confiance. La prostitution n'est pas un métier qu'on choisit librement: c'est un système d'exploitation sexuelle. Se prostituer, c'est perdre sa personnalité, son identité, mais surtout sa dignité.
    La légalisation de la prostitution ne protège pas plus les femmes que les enfants. Au contraire, la création des bordels les rend prisonniers de la violence des proxénètes et des clients. Ces clients sont persuadés qu'ils peuvent tout faire, qu'ils ont tous les droits, parce qu'ils paient. Dans la prostitution, l'échange d'argent n'atténue pas les violences et ne prouve pas le consentement des victimes. Au contraire, il prouve la préméditation des violeurs et le profit des proxénètes.
    Il n'y a pas de clients, mais des hommes prostitueurs qui achètent l'impunité d'un viol. Il n'y a pas de femmes, d'hommes ou d'enfants qui louent ou vendent des services sexuels: il n'y a que des victimes de violences sexuelles qui, à un moment donné, se voient forcées ou contraintes d'être violées par des inconnus.

  (1650)  

    Pour plusieurs, la prostitution est un mal nécessaire, un mal pour la femme, mais nécessaire pour plusieurs hommes afin qu'ils puissent satisfaire leurs besoins sexuels. Certaines personnes croient même que la prostitution peut aider à prévenir les viols. Le Conseil du statut de la femme estime que ce n'est pas la meilleure façon de calmer les pulsions sexuelles des hommes.
    Abolir toute forme de prostitution veut dire s'attaquer à l'impunité des violeurs et commencer à reconnaître que les enfants et les femmes sont des êtres humains à part entière dont l'intégrité physique ne peut pas être violée.
    Abolir le système prostitueur est la seule solution pour vivre dans une société humaine. Aux Pays-Bas, la prostitution est réglementée depuis le 1er octobre 2000. Cette législation est tout simplement un échec puisque seulement 4 % des prostitués se sont enregistrés. C'était censé mettre fin à la prostitution des personnes mineures. L'Organisation pour les Droits de l'enfant estime que le nombre de mineurs qui se sont prostitués est passé, aux Pays-Bas, de 4 000 en 1996 à 15 000 en 2001, dont au moins 5 000 sont d'origine étrangère.
    Comme en font foi les expériences néerlandaises, grecques et autrichiennes, le nombre de personnes prostituées légales originaires du pays diminue progressivement et le nombre de prostituées clandestines, illégales ou victimes de la traite augmente. La légalisation de la prostitution n'a donc pas amélioré le sort des personnes prostituées.
    Depuis la légalisation, la prostitution des enfants a connu une croissance importante. Le nombre de bordels illégaux surpasse le nombre de bordels légaux. L'industrie illégale est devenue hors de contrôle. La traite des femmes et des enfants en provenance d'autres pays a augmenté considérablement. La légalisation de la prostitution dans certaines régions de l'Australie a eu pour conséquence une nette croissance de l'industrie.
    Déjà en 1984, l'Afeas souhaitait le démantèlement de tous les réseaux de prostitution et réclamait des peines sévères contre les personnes qui vivent des fruits de la prostitution. Lors de son dernier congrès provincial annuel au mois d'août dernier, les membres de l'Afeas ont adopté plusieurs positions concernant la prostitution. Elle réclame, entre autres, l'adoption de lois interdisant la prostitution, la criminalisation des clients de la prostitution, des politiques sociales pour aider les personnes désireuses de quitter ce milieu et des programmes d'éducation sexuelle dans les écoles valorisant une sexualité saine et égalitaire.
    L'Afeas, qui représente 10 000 Québécoises, appuie le projet de loi C-452. Ce projet rejoint entièrement les positions prises lors de notre dernier congrès. Il fait suite à de nombreuses consultations, notamment auprès des policiers du SPVM, section de la moralité et du module exploitation sexuelle des enfants, du Barreau du Québec et de groupes de défense des droits des femmes et des victimes.
    Il faut prendre les moyens pour faciliter l'arrestation des proxénètes et des clients. La traite humaine rapporte plus d'argent que la drogue. Rien n'existe, comme le disait Mme Dufour plus tôt, pour venir en aide aux victimes, les accueillir et les aider à s'en sortir.
    Je vous remercie.

  (1655)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Pour commencer, je vais donner la parole à M. Jacob, du Parti néo-démocratique.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins de leur présence.
    D'entrée de jeu, je vais confirmer que la traite des personnes est un crime odieux et qu'on a besoin d'avoir des moyens, tant politiques que législatifs, pour lutter contre celui-ci. Le projet de loi C-452 est donc un pas dans la bonne direction, mais il faut en faire plus. Selon vous, quelles autres mesures pourraient être prises pour tenter de prévenir la traite des personnes?
    Qui veut commencer?
    C'est une grande question.
    Au quotidien, je cherche à trouver des moyens pour venir en aide aux femmes. La Maison de Marthe fait beaucoup d'action politique dans le but d'en arriver un jour à l'abolition de la prostitution au Canada. Comment arrêter tout cela?
    La personne qui quitte présentement la salle a parlé plus tôt d'un moyen qui me semblait excellent, c'est-à-dire d'avoir des peines et des sentences élevées.
    Je ne suis pas capable de répondre facilement à une telle question. Le monde entier se pose la question présentement. Il y a un momentum international où tous les peuples, tous les pays, se demandent quel statut donner à la prostitution.
    Vous savez que deux camps s'opposent, soit ceux qui sont pour le travail du sexe et ceux qui sont en faveur de l'abolition de la prostitution.
    Je vais donc préciser ma question.
     Selon vous, les victimes reçoivent-elles l'aide et les services dont elles ont besoin?
    Il n'existe absolument rien pour venir en aide aux femmes prostituées. Le petit organisme très pauvre, où je suis bénévole depuis 12 ans, vit de dons et de bénévolat. Il ne reçoit pas de subventions ou d'aide gouvernementale. Il n'existe rien. Jamais quelqu'un ne va offrir à une femme les moyens de se sortir de la prostitution. Il n'y a même pas de mesures pour lui venir en aide. Au Centre de détention de Québec, où j'allais toutes les semaines, les agentes me disaient que le pourcentage de femmes détenues qui s'étaient un jour prostituées ou qui continuaient à le faire était probablement de l'ordre de 75 %.
    La pauvreté est la toile de fond de la prostitution. Pour avoir documenté les systèmes sociaux qui amènent les femmes à se prostituer, je peux vous démontrer, en m'appuyant sur ma recherche, que dans 90 % des cas, ces femmes ont été victimes d'abus sexuels ou d'inceste à l'intérieur de la famille. Le deuxième facteur est le modèle de la mère prostituée. On parle ici d'un pourcentage d'environ 20 %. Selon ma recherche, le nombre de cas où la mère s'est prostituée est peu élevé, mais le système se reproduit. La mère a elle-même été victime d'abus, elle est extrêmement pauvre, etc.
    Le troisième facteur est un conjoint ou un mari qui est lui-même proxénète et qui demande à sa femme de se prostituer. Elle le fait parce qu'elle a déjà été victime d'abus. Il y a là tout un mécanisme et une structure. De plus, elle est dépendante de cet homme sur le plan affectif. Elle ne choisit pas de se prostituer, elle consent à le faire.
     Le quatrième facteur est une combinaison de fugue, de jeunesse et de pauvreté. Parmi les femmes que j'ai rencontrées, 40 % avaient commencé à se prostituer alors qu'elles étaient mineures, autrement dit lorsqu'elles n'avaient pas atteint l'âge de la majorité, qui est de 18 ans au Canada. Si c'était 21 ans, comme aux États-Unis, le pourcentage de femmes ayant commencé à se prostituer lorsqu'elles étaient mineures serait de 75 %.
     Le dernier facteur est évidemment le fait de vivre dans un milieu...

  (1700)  

[Traduction]

    Nous devons donner aux autres témoins la possibilité de répondre aux mêmes questions.
     Madame Duval.

[Français]

    Nous sommes un organisme d'éducation et d'action sociale et nous travaillons sur le terrain. À notre avis, il faut prioritairement qu'on apprenne aux enfants, que ce soit dans la famille, le milieu, l'école ou tous les autres endroits où ils grandissent, le respect de soi et d'autrui, de même que des valeurs égalitaires.
    Les hommes ont une valeur et les femmes en ont une également. Les hommes et les femmes ont tous droit au respect. Ils ont le droit d'exprimer leur point de vue et de dire non quand c'est non. On veut convaincre les jeunes filles, mais c'est un peu difficile. En effet, les médias, les annonces publicitaires, l'hypersexualisation et tout cela ne contribuent pas à rendre la vie d'un enfant facile.
    Merci.

[Traduction]

    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Goguen, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Je serai bref, car j'ai l'intention de partager mon temps, s'il en reste, avec Mme Smith.

[Français]

    Je vous remercie, mesdames, d'être venues témoigner aujourd'hui.
    Vous conviendrez, je pense, que cette loi contient des propositions très importantes pour contrer l'activité criminelle visée, entre autres le renversement du fardeau de la preuve et les sentences consécutives. J'ai remarqué que Mme Dufour s'intéressait particulièrement à la sévérité de la sentence.
    J'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'en novembre 2012, le projet de loi C-10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, a proposé — et cela a effectivement été mis en application — d'éliminer complètement la possibilité que les individus trouvés coupables de traite des personnes fassent l'objet d'une ordonnance de sursis. L'ordonnance de sursis est une sentence imposée par le juge qui permet à l'accusé de purger sa peine à domicile.
     Êtes-vous d'accord pour dire que le fait d'éliminer cette possibilité est important pour contrer ce genre d'activité criminelle?
    Pour avoir visité les femmes en prison et les avoir fréquentées si longtemps, je suis sidérée de voir le nombre d'années qu'elles passent en prison pour avoir commis des vols à l'étalage, avoir été violentes dans un lieu public, etc.
    Si je comprends bien, vous êtes d'avis que ces individus ne devraient pas pouvoir purger leur sentence à domicile.
    C'est exact.
    Vous êtes unanimes là-dessus.
    Oui, c'est exact.
    Bravo.
     Je cède la parole à Mme Smith.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Je vous remercie infiniment de comparaître devant notre comité aujourd'hui. Ça nous aide beaucoup dans notre examen du projet de loi.
    Comme vous le savez, il s'agit de la traite de personnes. Les études nous montrent que ce sont surtout des mineurs qui se font embobiner par des trafiquants, lesquels les obligent à travailler pour eux en menaçant de les frapper, de les violer ou de les doper avec des stupéfiants s’ils se rebiffent. J'ai travaillé avec des victimes pendant 14 ans, alors je sais comment ça se passe.
    Comme vous le savez, au Canada, c'est en 2005 que nous avons adopté un premier projet de loi sur la traite de personnes. Il s'agissait du projet de loi C-49. Un homme a été reconnu coupable d'avoir exploité sexuellement une jeune fille de 15 ans et demi. C'était Imani Nakpangi, vous vous en souvenez sans doute. Ensuite, il y a eu le projet de loi C-268 et le projet de loi C-310, en 2010. Maintenant, c'est le projet de loi C-452, que nous examinons aujourd'hui.
    Je n'ai pas eu assez de temps pendant l'heure précédente, quand j'expliquais que c'était parce que les projets de loi sont relativement récents que nous n'avons pas de statistiques fiables. En fait, ils sont tous récents.
    Vous avez dit quelque chose que je trouve tout à fait pertinent. Je m'adresse à Mme Duval. Vous avez parlé de dignité personnelle. Vous avez parlé du droit de chacun de jouir de la liberté, de pouvoir faire ses propres choix. Pouvez-vous me dire, dans le cadre de notre examen du projet de loi de Maria Mourani, pourquoi il est si important d'aider les victimes de la traite de personnes?

  (1705)  

[Français]

    Pour nous, la prostitution n'est pas un choix et n'est pas un métier. C'est une situation que quelqu'un vit à un moment donné. Quand la personne « décide » de se prostituer, c'est parce que c'est la dernière solution qu'elle a trouvée pour survivre. Je dis bien pour survivre et non pas pour vivre. Ce n'est pas un métier, ce n'est pas un travail et aucune mère ne rêve que sa fille devienne prostituée. Cela ne fait pas partie des beaux projets d'avenir de qui que ce soit. C'est une situation malheureuse, violente et pénible qui détruit l'intégrité et la personne elle-même.

[Traduction]

    Puis-je vous interrompre, madame Duval? Nous constatons de nos jours que ça peut arriver à n'importe quelle jeune fille, qu'elle soit issue de la classe moyenne canadienne, d'un autre pays ou d'une communauté autochtone. Ça peut arriver à n'importe quelle jeune fille vulnérable. Et contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas nécessairement des filles pauvres. Je viens d'un milieu pauvre, et je sais que ce n'est pas pour ça qu'elles se prostituent, c'est parce qu'elles sont ciblées par des types qui, comme vous l'avez dit, madame Bourget, se font énormément d'argent sur le dos de ces filles.
    Cela dit, notre gouvernement a mis en oeuvre un plan d'action national en 2012, pour la réhabilitation des victimes et pour la formation des agents de police. Pour en revenir à ce projet de loi, madame Bourget, pourriez-vous expliquer au comité pourquoi il permet de combler certaines lacunes et d'aider les victimes de la traite de personnes?

[Français]

    J'aimerais dire que ces personnes et ces victimes, qu'il s'agisse d'inceste, de viols ou autre, sont démolies pour la vie. On parle de dignité. Elles l'ont perdue et cela affecte beaucoup de domaines de leur vie, et ce, pour des années. La perte de confiance en soi et la perte de confiance envers les autres sont des choses très importantes. Je pense que cela rejoint un peu ce que M. Goguen a dit un peu plus tôt. En effet, je ne peux pas être favorable à ce que les peines soient purgées à la maison. J'appuie Mme Mourani. Il faut des peines très sévères, car la personne qui fait ça ne peut, selon moi, se guérir facilement. On parle de personnes qui font de l'argent sur le dos des femmes et des enfants. Je craindrais à cet égard parce que déjà la victime doit faire beaucoup de démarches pour s'en sortir. La victime est très faible et il faut qu'elle remonte la côte.
    Merci, madame.

[Traduction]

    Je vais maintenant donner la parole à Mme Murray, du Parti libéral.
    Merci.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup de votre travail. C'est un enjeu très important.
     Comme vous le savez sûrement, mon collègue Irwin Cotler, qui a été ministre de la Justice, a présenté un projet de loi semblable. Le projet de loi de Mme Mourani apporte de nouveaux éléments. Cet enjeu nous préoccupe. Nous appuyons ce projet de loi, parce qu'il apporte des changements importants.
    Cependant, deux dispositions nous préoccupent. Il est important d'avoir une discussion à cet égard pour trouver la meilleure voie pour tous.

  (1710)  

[Traduction]

    J'aimerais les aborder toutes les deux.
    La première concerne les peines concurrentes, par opposition aux peines consécutives. Nous sommes tous horrifiés par les abus dont nous avons entendu parler. On en arriverait presque à vouloir enfermer quelqu'un et à jeter la clé. Mais, comme l'a déjà dit un membre du comité, il existe d'autres options, comme la négociation de plaidoyer, mais elles ne permettent pas d'atteindre cet objectif.
    M. Wilks a fait remarquer que, si l'on menace de confisquer votre voiture pendant 30 jours, vous allez éviter de boire de l'alcool avant de prendre le volant. Mais ce n'est pas tout à fait le même ordre de grandeur. On parle de 48 ans d'emprisonnement. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que le fait de donner ce genre d'exemple contribue à diminuer l'importance du problème qui nous préoccupe.
    Je pense que, pour contourner le fait que les peines concurrentes sont devenues la norme, il faudrait légiférer la procédure inverse, mais sans supprimer toute discrétion au juge. Par exemple, l'article disposerait que: « Les tribunaux imposent des peines consécutives, sauf si c'est contraire aux intérêts de la justice. »
    Que pensez-vous de la solution qui consisterait à donner au juge la possibilité de renoncer à imposer des peines consécutives, si c'est contraire à l'intérêt de la justice?
    Voulez-vous qu'elles répondent toutes les deux, madame Murray?
    Une suffirait, car je voudrais avoir le temps de poser une autre question.

[Français]

    La question est précise, mais vous comprendrez qu'il est très difficile pour nous d'y répondre parce qu'on ne connaît pas le droit. On n'est pas en mesure de saisir ce type de nuances. On comprend seulement qu'il faut que la loi ait du mordant de façon à ce que ces gens soient arrêtés pour proxénétisme, si je peux m'exprimer ainsi. Alors, j'imagine que la proposition va dans ce sens. On ne peut pas faire autrement que de l'appuyer. Il faut que ces hommes soient stoppés.
     La proposition de Mme Mourani oblige ces hommes à justifier les gains qu'ils font. C'est déjà un premier pas parce que, jusqu'à maintenant, les femmes devaient faire la preuve qu'elles avaient été exploitées, tandis que maintenant, ces hommes seront obligés de prouver que leur grosse maison et leur argent ont été acquis correctement. Sinon, ils vont les perdre. C'est déjà pas mal. Toutefois, il faut plus. Il faut une loi forte qui les arrête. On est d'accord avec vous. On comprend que c'est ce que vous voulez.

[Traduction]

    Je vous remercie. Nous voulons réussir à les stopper, comme vous dites, à les empêcher de poursuivre leurs activités, et parfois, la solution la plus simple n'est pas suffisante. C'est la raison pour laquelle nous essayons d'envisager l'option de supprimer toute latitude au juge, mais ce n'est peut-être pas l'idéal.
    Je conclus également de vos témoignages que la légalisation de la prostitution ne donne pas le genre de résultats que nous recherchons. Il vaudrait mieux conserver l'infraction qu'est l'achat des services d'un prostitué, mais aider en même temps ceux qui fournissent ces services à se libérer de ceux qui les exploitent.
    Pouvez-vous nous dire si, dans certains pays, cela a contribué à réduire le problème de la traite de personnes ainsi que le problème que nous essayons de régler avec ce projet de loi?
    Pour que chacune de vous ait la possibilité de répondre, je vous accorde 30 secondes chacune.

[Français]

    La Suède l'a fait en 1999 après avoir libéralisé la prostitution et l'avoir acceptée.
    Dans les années 1980, elle en a vu tous les dommages et elle a arrêté cela. La Norvège a suivi en 2008, tout comme l'Islande en 2009. L'Islande est allée encore plus loin. Elle a interdit les danses nues parce que cela conduit à consommer de la prostitution. Nous croyons que la révolution de ce siècle sera celle de l'abolition de la prostitution, après avoir aboli l'esclavagisme au 19e siècle et la peine de mort au 20e siècle. La grande révolution sera celle de l'abolition de la prostitution au 21e siècle.

  (1715)  

[Traduction]

    Madame Duval.

[Français]

    Merci.
    Il est certain que, pour nous, il nous faut une mesure « abolitionniste ». Il n'y a pas d'autre solution. Même si on regarde dans d'autres pays, il n'y a pas moyen d'être un peu prostitueur ou prostitué. On l'est ou on ne l'est pas. Nous disons ceci: « On n'en veut plus ».

[Traduction]

    Merci.
    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Wilks, du Parti conservateur.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie de vos témoignages.
    Vous avez dit quelque chose de très intéressant, et j'aimerais y revenir. Il s'agit du lien qui existe entre les jeunes filles qu'on fait venir au Canada pour travailler dans des boîtes de strip-tease, et le fait que ça les conduit à la prostitution, si ce n'était pas déjà le cas avant. À mon avis, le lien est clair. Ces filles sont contrôlées par des criminels.
    Que pouvons-nous faire pour régler cet aspect-là, c'est-à-dire le lien qui existe entre ces boîtes de strip-tease...? Nous savons que, dans bien des cas, c'est une passerelle vers la prostitution — pas pour toutes les filles, mais pour la plupart d'entre elles. Comment pouvons-nous y mettre un terme? La prostitution en est un des aspects, et bon nombre de femmes qu'on fait venir de l'étranger, et même d'ailleurs au Canada, y sont amenées par l'intermédiaire des boîtes de strip-tease.
    Qu'en pensez-vous, madame Dufour?

[Français]

    Je trouve qu'il est difficile de répondre à vos questions parce qu'il faudrait être des expertes.
    Je vais vous parler de mon expérience sur le terrain relativement à cela. C'est encore plus grave que vous ne le croyez parce que les jeunes femmes qui font de la danse nue ne se considèrent même pas comme des prostituées. Les femmes qui font des massages érotiques ne considèrent pas que ce qu'elles font est de la prostitution. En travaillant avec elles, on les amène à constater qu'offrir son corps nu pour de l'argent est de la prostitution à cause du regard pervers ou vicieux de l'homme. Regarder, c'est toucher. On arrive à le leur faire comprendre. Pour ma part, une jeune femme m'a fait comprendre que danser nue était de la prostitution.
    On les sollicite comme des artistes. Généralement, ce sont des femmes qui manquent d'estime d'elle-mêmes, qui n'ont jamais été reconnues dans leur propre famille et qui sont donc extrêmement vulnérables. Présentement, il y a une telle banalisation de la prostitution que nous l'observons sur le terrain. Les jeunes filles d'aujourd'hui sont très vulnérables parce que le modèle social qui leur est offert est celui de la fille open, qui accepte d'avoir plusieurs partenaires et, excusez la crudité de mon discours, qui accepte d'avoir un pénis dans toutes ses ouvertures. C'est le modèle qui est offert présentement. Le modèle qui est offert au garçon provient d'Internet parce qu'on n'a même plus de cours sur la sexualité. Du moins, c'est le cas chez nous au Québec. C'est un très gros débat parce qu'on veut qu'il y ait des cours d'éducation sexuelle.
    La situation est extrêmement tragique. L'Islande a trouvé comme solution de décider que c'était terminé. Elle a promulgué une loi qui décrète que c'est terminé et qu'il n'y a plus de danse nue chez eux. Ce pays avait aboli la prostitution auparavant.

[Traduction]

    Madame Duval et madame Bourget, qu'avez-vous à dire?

[Français]

    C'est presque l'histoire de l'oeuf ou de la poule. Il y en a un qui vient amener l'autre. Si on fait cesser cela, il faudrait arrêter tout type de commerce, soit les vêtements, les maquettes, etc. Il y a partout quelque chose qui incite à aller vers ce genre de comportements, à vouloir séduire, à vouloir bien paraître, à vouloir être la vedette. On a ça dans tous les films, dans tous les jeux vidéos et dans une foule de choses, ce qui fait que c'est l'un qui amène l'autre et que cela devient la normalité, comme Mme Dufour le disait.
    On a des personnes qui disent qu'elles ne subissent pas de violence. Toutefois, quand on leur explique ce qu'est la violence, elles disent qu'elles en subissent.
    C'est la même chose pour la prostitution. Elles n'ont pas connaissance qu'elles posent des gestes et des actions à caractère sexuel.

  (1720)  

[Traduction]

    Madame, avez-vous quelque chose à ajouter?

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion d'ajouter un tout petit commentaire à ce sujet.
    C'est le gouvernement fédéral qui a la responsabilité des lois concernant le proxénétisme, mais il y a aussi des règlements municipaux qui doivent s'appliquer. Il y a donc une contribution qui doit être apportée par les municipalités.
    Je voudrais dire qu'il y a une ville au Québec, soit celle de Baie St-Paul, où la mairesse de l'époque avait interdit que des bars de danseuses nues existent dans sa ville et c'est toujours le cas. Il faudrait donc diffuser cette idée-là et que des municipalités décident de prendre les choses en main à cet égard.
    Personnellement, je suis en train de préparer un dossier pour le présenter au maire de Québec pour que cette ville en devienne une sans prostitution, mais nous aiguisons notre crayon à ce sujet.

[Traduction]

    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je vais maintenant donner la parole à Mme Boivin, du Parti néo-démocratique.

[Français]

    Merci.
     Merci, mesdames. C'était certainement intéressant, même si cela ne touchait pas nécessairement le projet de loi. Je ne vous questionnerai pas comme si vous étiez juristes. Ce n'est pas dans ce but que vous êtes ici.
     Vous avez pratiquement fait mon éducation sexuelle, madame Dufour, du moins beaucoup plus que les religieuses du collège que j'ai fréquenté. Elles évitaient un bon nombre de termes que vous avez utilisés. On ne voyait que des photos.
    Cela étant dit, je pense que l'enjeu est énorme. Comme je le disais lundi, quand on vient d'une ville comme Gatineau, on ne pense pas au proxénétisme, à la prostitution ou à la traite de personnes. Ce sont de gros mots. On s'imagine que cela se passe ailleurs, dans des pays exotiques. C'est le projet de loi de ma collègue Joy Smith qui m'a en quelque sorte ouvert les yeux à ce sujet. Même si on lit l'actualité, on ne s'imagine jamais que cela se passe dans sa propre cour et que certains comportements existent bel et bien. C'est une façon de parler, mais nous sommes tous un peu complices de tout cela.
     Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème. Même si on adopte la loi la plus sévère qui soit, on n'est pas sortis du bois. Je ne fais qu'imaginer comment les policiers pourront mettre en application cette loi si elle est adoptée. Ce n'est pas le lendemain de l'adoption de cette loi qu'on va pouvoir, entre autres, résoudre tous les crimes en matière de proxénétisme et de traite des personnes. Même s'il y a une présomption, il n'est pas dit que la personne ne viendra pas témoigner en faveur de son proxénète. Il n'est pas dit non plus que la personne ne refusera pas de témoigner. On a encore énormément de travail à faire. Ce n'est pas demain matin qu'on va régler tout ça. Je ne veux pas terminer la séance sur une note négative, mais je crois qu'il faut la conclure sur une note réaliste. Il faut que nous soyons conscients qu'il reste beaucoup de travail à faire.
    En passant, j'apprécie le travail que vous accomplissez à l'Afeas. Je vous félicite pour ce que vous faites sur le terrain. C'est extrêmement important. J'ai bien apprécié la question de mon collègue. C'est en effet un tout. Le Code criminel en est un des aspects. Comme vous l'avez dit, il y a aussi les municipalités, mais encore faut-il qu'elles disposent d'une réglementation. Toutes les municipalités n'ont pas mis en vigueur de tels règlements. Cela prend une certaine volonté. Madame Dufour, je parlais du fait d'être complice. Or, le fait de permettre l'exploitation d'un bar de danseuses nues parce que c'est lucratif en termes de taxes est un choix que font les municipalités. Cela fait partie de l'ensemble.
     Ce que je vais dire ici est surtout un commentaire. J'avais envie de me défouler un peu. Je ne m'attends pas à ce qu'on réponde à tout ce que je vais dire.
     Il n'y a pas si longtemps, je suis allée dans une réserve située dans la région de Maniwaki. Deux petites filles avaient disparu. Les policiers ont mis du temps à entamer une enquête. On sait tous que dans les cas où il ne s'agit pas de Blancs, cela prend un certain temps. Ils ont parlé de fugue, mais les parents étaient assez convaincus qu'elles avaient pu être interceptées par des réseaux de proxénétisme, même si l'hypothèse d'une fugue pouvait être fondée en partie. Des personnes disparaissent de cette façon.
     On a tous été jeunes et fait certaines bêtises. On peut être très bien élevé et avoir de bonnes valeurs, mais le fait de ne pas avoir été intercepté par un certain réseau est parfois une question de chance. Les choses se passent bien pour certains jeunes et ils s'en sortent. Par contre, d'autres se font intercepter, et c'est malheureux. Ils tombent dans la drogue ou d'autres choses du genre.
     Je veux simplement dire qu'il faut se tenir loin de la pensée magique, éviter de croire qu'en adoptant un projet de loi, on règle tout. Par contre, parfois, le fait d'offrir des outils supplémentaires ou d'envoyer un message peut être aussi important. Quoi qu'il en soit, il reste beaucoup de travail à faire. C'est le seul commentaire que je voulais formuler.
     Merci.

  (1725)  

    Merci, madame.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Avez-vous une réponse?

[Français]

    J'aimerais faire un commentaire. Je vais revenir à la question de M. Jacob et aux commentaires de Mme Boivin.
    Au cours des cinq ou sept dernières années, on a observé sur le terrain une très grande dégradation des conditions de la prostitution et de la situation des femmes. Ce sont les femmes qui nous le disent. Elles nous racontent ce qui se passe. J'hésite à tout vous raconter car c'est très cru, mais il y a une très grande dégradation des conditions.
    Je voudrais souligner que cette grande dégradation est due à la pornographie. La pornographie, c'est de la prostitution filmée. On est pas habitués à la voir ainsi, mais pourtant, la pornographie, c'est de la prostitution filmée. Personne n'agit par rapport à l'impact de cette pornographie. Personne ne réagit à cette pornographie, mais c'est insidieux. Ce sont les modèles qui sont offerts à nos jeunes.
    Mes collègues de l'Afeas ont parlé de l'éducation. En réponse à M. Jacob, je crois qu'il faudrait qu'on agisse sur cette question de la pornographie, qui appartient à l'industrie du sexe. Cela est apparu il y a 30 ou 35 ans, lorsqu'il y a eu la mondialisation des marchés. L'industrie du sexe n'existait pas auparavant et, maintenant, c'est devenu un lobby extrêmement puissant. C'est dû au fait qu'avec la mondialisation des marchés, tout est à vendre, à savoir les organes, les êtres humains, le sexe, etc. On doit agir à ce sujet.

[Traduction]

    Avez-vous quelque chose à ajouter, madame?

[Français]

    J'aimerais aussi ajouter quelque chose à cet égard.
    Je trouve également qu'il serait important, comme le disait Mme Dufour et comme nous le disons, que les victimes aient un endroit où se tourner. On comprend les proxénètes et tout ce phénomène, mais les victimes n'ont pas de porte de sortie. Est-ce possible de faire quelque chose pour elles? Devrait-on avoir des publicités massives? Il faudrait penser à faire quelque chose. On pense aux Alcooliques Anonymes et à d'autres organismes, mais où vont les victimes de la prostitution? Où peuvent-elles se tourner?
    On parle de peines consécutives, mais il faut penser aussi aux victimes. Il faut qu'il y ait un endroit pour elles.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Albas, vous avez à peu près deux minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais bien sûr remercier tous les témoins qui ont comparu aujourd'hui. On me dit qu'apparemment, la règle veut qu'on ne peut pas déborder du créneau horaire sans le consentement de tous, et je ne pense pas que je vais l'avoir.
    Je voudrais simplement dire, monsieur le président, que vous faites du bon travail, et je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu aujourd'hui.
    Merci, monsieur Albas.
    Je remercie nos témoins de leurs témoignages, ainsi que de leur travail et de leur dévouement pour les victimes. Merci aussi d'avoir apporté des éléments nouveaux pour notre examen du projet de loi.
    Nous reprendrons cet examen lundi, sans doute pour l'étude article par article.
    Cela dit, merci à tous. La séance est levée.
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