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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 076 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 17 octobre 2017

[Enregistrement électronique]

  (1310)  

[Traduction]

    Bonjour à tous. La séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne est ouverte. Nous tenons une séance spéciale aujourd'hui. Nous interrompons nos travaux pour examiner un dossier très important: la situation des droits de la personne au Mexique.
    Je tiens à remercier Amnistie internationale — je crois que Kathy est ici — d'avoir proposé cette visite des défenseurs des droits de la personne et d'avoir aidé à l'organiser. Je veux que nous disposions d'un maximum de temps, alors je vais présenter rapidement nos témoins.
    Je vais vous présenter dans l'ordre de votre comparution, si cela vous va. Je vais demander à chacun de vous de parler pendant cinq minutes, simplement pour nous assurer d'avoir amplement de temps pour les questions des membres du Comité.
    Nous entendrons Rachel Vincent, du Conseil canadien pour la coopération internationale; Santiago Aguirre, du Miguel Agustín Pro Juárez Center for Human Rights; Araceli Tecolapa Alejo, défenseure des droits des Autochtones, du Morelos y Pavón Human Rights Center; et Daniela Pastrana, journaliste et coordonnatrice des enquêtes pour Periodistas de a Pie.
    Je vais demander à Mme Vincent de commencer. Vous disposez chacun de cinq minutes. Merci beaucoup.
    Merci beaucoup. Nous vous sommes profondément reconnaissants du temps que vous nous accordez.
    Je suis ici au nom du Groupe d'orientation politique pour les Amériques du Conseil canadien pour la coopération internationale. J'ai commencé ma carrière en tant que journaliste au Canada, puis au Mexique. Je vivais au Mexique au début des années 1990 lorsque l'ALENA a été négocié pour la première fois, et lorsque la violence faite aux femmes — la tuerie ciblée de femmes, surtout dans le Nord, où sont concentrées les maquiladoras, les usines — a fait les manchettes internationales pour la première fois.
    Malheureusement, depuis les années 1990, la tuerie ciblée de femmes et tellement d'autres actes de violence au Mexique se sont répandus du Nord vers de nombreuses autres régions du Mexique; certains ont qualifié cette situation de poison. La violence a véritablement pris des proportions de crise. Ce matin, vous entendrez des personnes situées aux premières lignes parler de cette crise — quatre défenseurs des droits de la personne —, et nous sommes fiers de les avoir à nos côtés aujourd'hui.
    Nous vous remercions de votre intérêt pour leurs témoignages, et nous vous rappelons que la situation des défenseurs des droits de la personne au Mexique est extrêmement bien documentée, y compris par Michel Forst, rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, qui s'est rendu au Mexique en janvier dernier et qui a publié un communiqué et un rapport par la suite.
    Nous demandons au Sous-comité de tout faire en son pouvoir pour s'assurer que le Canada fait de la situation des droits de la personne au Mexique une priorité dans ses relations diplomatiques et commerciales avec le Mexique. Nous lui demandons aussi de s'assurer que les représentants du gouvernement canadien s'expriment sur la situation dangereuse de ces défenseurs et d'innombrables autres personnes qui n'ont pas pu nous accompagner aujourd'hui.
    Nous demandons aussi que le Canada, bien entendu, respecte et élargisse ses propres nouvelles lignes directrices pour protéger les défenseurs des droits de la personne: un outil très important que le Canada peut et devrait manier avec vigueur.
    Une dernière chose, mais non la moindre: nous aimerions vous encourager à organiser une série d'audiences sur la situation de la crise des droits de la personne au Mexique, en soulignant la contribution des défenseures des droits de la personne, ce qui cadrerait très bien avec la nouvelle politique étrangère féministe et l'approche fondée sur les droits dans laquelle s'inscrit cette politique.
    Merci.
    Et maintenant, au tour de Santiago.
    Merci à tous du temps et de l'attention que vous accordez aux enjeux mexicains. Je vais tenter de faire cette brève introduction en anglais pour sauver du temps. La délégation mexicaine tient à remercier les organisations canadiennes qui ont rendu possible notre visite au Canada.
    Cet après-midi, nous voulons parler de la crise mexicaine qui sévit. Depuis 2006, notre pays a connu une augmentation de la violence et des violations des droits de la personne. Les statistiques de cette crise correspondent à celles de pays en guerre civile.
    Ce sont plus de 100 000 assassinats, dont de nombreuses exécutions extrajudiciaires. Nous n'en connaissons pas le nombre exact parce qu'aucune enquête vigoureuse n'est faite. Il s'agit d'environ 30 000 personnes disparues selon les statistiques officielles; ce chiffre correspond à celui de nombreux pays d'Amérique du Sud qui se trouvaient sous une dictature dans les années 1970. Le nombre de plaintes de cas de torture a quintuplé au cours des 10 dernières années.
    Notre gouvernement présente la situation mexicaine comme une lutte entre les bons et les méchants, où les bons sont les représentants de notre gouvernement et les méchants sont les membres du crime organisé; or, telle n'est pas la réalité au Mexique. Dans de nombreuses régions de notre pays, la distinction entre le crime organisé et les représentants du gouvernement n'est pas nette.
    De plus, la population fait face non seulement à la violence liée au crime organisé, mais aussi à celle des agents et des représentants du gouvernement mexicain dans les cas de violation des droits de la personne dont ne s'occupe pas notre système de justice. Nous sommes confrontés à une énorme crise d'impunité au Mexique.
    L'un des nombreux cas qui montrent l'ampleur de cette crise est sans aucun doute la disparition forcée de 43 étudiants d'une école située dans l'état du Guerrero. Cette disparation s'est produite il y a trois ans, et, jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas pu la résoudre. On a affirmé que tous les étudiants ont été tués et brûlés, mais une commission d'enquête internationale indépendante nommée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme a conclu que cette version des faits ne reposait sur aucune preuve solide.
    Ce n'est pas le seul cas. Ce n'est qu'un exemple qui illustre à quel point la situation est mauvaise au Mexique.
    Malheureusement, la réponse qui est donnée aux dénonciateurs de ces cas — les victimes, les défenseurs des droits de la personne et les journalistes — n'est pas une réponse fondée sur la justice. Dans de nombreux États de notre pays, les défenseurs des droits de la personne et les journalistes risquent leur vie lorsqu'ils dénoncent la corruption et les violations des droits de la personne. Parmi eux, on trouve mon collègue de l'État du Guerrero et ma collègue Daniela, une journaliste très courageuse, qui vous parleront aujourd'hui.
    Dans d'autres régions du pays, les défenseurs des droits de la personne qui dénoncent la corruption et les violations font face à d'autres types de risques. Cela vaut pour mon organisation non gouvernementale et lieu de travail, qui a fait l'objet d'une surveillance illégale par le gouvernement mexicain au moyen de logiciels espions. En fait, nous avons pu déterminer ce qui se passait grâce à une agence canadienne, The Citizen Lab, de l'Université de Toronto.
    Dans un contexte où l'impunité confirme la règle et non l'exception, et où la corruption mine les efforts de la société civile, le Canada doit se faire un allié plus ferme des défenseurs des droits de la personne et des journalistes indépendants, surtout maintenant que nous ne bénéficions d'aucun leadership de la part des États-Unis en Amérique du Nord en ce qui concerne les droits de la personne et la démocratie.

  (1315)  

    La rencontre avec les dirigeants de la société civile constitue une étape importante, mais elle ne suffit pas par rapport à l'ampleur de la crise. Le Canada doit reconnaître ce qui se passe au Mexique et appuyer fermement le travail des défenseurs des droits de la personne et des journalistes indépendants dans notre pays.
    Merci beaucoup de votre attention. Mes collègues présenteront d'autres renseignements.
    Merci.
    Nous passons maintenant à Mme Pastrana.
    Bonjour. Merci de votre attention.
    Je travaille pour un certain nombre de journalistes qui sont présents partout dans notre pays et qui sont appelés des « journalistes sur le terrain ». En tant que journalistes, nous avons dû devenir des militants et des défenseurs de nos droits fondamentaux, puisque nous avons été durement touchés. Des cas très bien documentés montrent ce qui s'est produit au cours des 10 dernières années au Mexique, mon pays.
    Notre pays est devenu expert pour ce qui est de montrer au reste du monde un visage différent de celui qu'il montre à l'intérieur du pays. Nous avons tenté de documenter ce qui arrive. Nous avons mené des enquêtes, et, jusqu'à présent, nous avons aussi fait tout en notre pouvoir pour dénoncer ce qui s'est passé. Nous l'avons fait à plusieurs reprises. Nous avons été seuls, sans l'appui des médias et sans aide de qui que ce soit. Je me demande assez souvent comment il se peut que nous puissions mener des enquêtes comme celle que nous avons réalisée sur la corruption dans la famille présidentielle et sur les Panama Papers — on parle de graves violations de droits fondamentaux, comme les exécutions extrajudiciaires —, mais que nous soyons souvent traités comme les idiots du village.
    Nous documentons les choses, mais rien ne se passe. Aucune pression n'est exercée et personne ne condamne le comportement du gouvernement mexicain, pas même le premier ministre du Canada. C'est extrêmement contrariant. C'est très frustrant de constater dans quelle mesure le pays est en train d'être détruit. C'est un pays qui était auparavant imprégné de solidarité et de joie, même s'il y avait des problèmes; mais aujourd'hui, le pays est de plus en plus marqué par un déclin et de la destruction. Pourtant, personne n'agit.
    Depuis le commencement, lors de la transition de pouvoirs au début des années 2000, nous avons été témoins de choses étranges. Par exemple, 110 journalistes ont été tués et 24 ont disparu. Il y a peu d'autres pays démocratiques du monde où les journalistes disparaissent de la sorte. C'est un pays démocratique. Ce n'est pas normal que 97 % des meurtres restent impunis. Combien d'autres morts faudra-t-il avant que nous commencions à prendre au sérieux la preuve que nous présentons depuis des années?
    Cette année en particulier a été très difficile parce que des journalistes en vue ont été tués. C'était des journalistes très bien connus qui effectuaient des enquêtes sur la corruption, surtout dans le Nord du pays — des journalistes dont le bilan était exemplaire. Ils ont été tués en toute impunité. C'est tout à fait extraordinaire. Une journaliste a été tuée alors qu'elle emmenait son fils à l'école. Après avoir été menacé de meurtre, un autre a été abattu au beau milieu de la rue, au grand jour.
    Nous ne savons vraiment pas quoi faire. Voilà le message que je veux vous transmettre. Nous vous demandons votre aide. Nous demandons aux parlementaires d'aider notre société. Nous avons besoin de votre soutien. Vous devez assumer le rôle que les pays développés doivent jouer dans ce genre de situation qui fait des ravages au Mexique.

  (1320)  

    Mais voilà, il y a d'autres intérêts, comme les intérêts commerciaux, et je comprends que vous voulez aussi servir les intérêts des Canadiens. Néanmoins, il est inacceptable que le prix à payer pour servir ces intérêts soit la violation des droits fondamentaux de la personne, même si cela peut toucher des entreprises et d'autres intérêts; les entreprises s'adressent souvent à l'ambassade canadienne pour défendre leurs intérêts économiques au Mexique.
    Une autre chose que je tiens à dire est que nous voulons tous que vous vous sachiez qu'il y a des familles et des communautés entières qui sont détruites par ce système, par cette situation, et par le double discours de notre gouvernement. On dirait presque que tout est permis dans le pays, et les autres pays ne condamnent pas ce qui se passe ici, même si le coût est incroyablement élevé pour le Mexique.
    C'est inacceptable. C'est inacceptable pour nous devoir ces vies troquées contre le développement dans d'autres pays.
    Merci.
    Merci beaucoup, madame Pastrana.
    Madame Alejo, allez-y.

  (1325)  

    Bonjour. Je m'appelle Araceli. Puisqu'il a déjà été question du contexte général de notre pays, je veux parler de l'État de Guerrero, qui est l'un des États qui sont les plus touchés de tout temps, vu le niveau d'instruction, la situation économique, la discrimination, la corruption et toutes ces choses.
    En ce moment, ces mêmes conditions continuent d'exister. Le Guerrero est un des États qui ont constaté le plus de violations des droits fondamentaux, comme les disparitions et les déplacements forcés. On ne discute pas souvent de ces sujets. Mon collègue a parlé des 43 étudiants qui ont disparu, mais il y a de nombreux autres cas de personnes qui ont disparu, et ces cas ne sont pas reconnus actuellement. Il y a sept groupes de familles de personnes disparues qui cherchent plus de 2 000 personnes dans l'État de Guerrero seulement.
    Dans cette optique, soulignons que la population la plus touchée est la population autochtone, surtout les femmes autochtones, qui sont nombreuses à ne pas parler l'espagnol, même si l'espagnol est la langue de la majorité des Mexicains. Ces femmes sont les personnes les plus vulnérables parce qu'elles vivent souvent dans la pauvreté extrême. Elles sont extrêmement marginalisées. Elles ne parlent pas la langue dominante.
    Elles ont besoin de justice, mais peuvent difficilement l'obtenir. Le gouvernement ne se montre pas très intéressé à corriger les problèmes graves, alors ces femmes doivent se rendre elles-mêmes dans les fosses pour voir si elles peuvent trouver les membres de leur famille. Elles doivent exhumer elles-mêmes les corps, puisque personne ne va les aider.
    Quant aux services médico-légaux, il y a tout simplement trop de corps dans le Guerrero. Il y a des corps qui sont déposés dans des endroits non officiels; aucun protocole n'est suivi pour préserver ces corps ou pour recueillir des données qui permettraient de les identifier.
    Une autre question est celle des déplacements forcés. Il n'existe aucune loi pour venir en aide à ces victimes. Très souvent, les personnes qui connaissent ces victimes qui ont disparu doivent elles-mêmes se déplacer en raison de la violence qu'elles subissent. Dans le Guerrero, il y a une collectivité qui est l'une des 50 plus violentes, où il y a 191 homicides par 100 000 habitants. Ce taux est extrêmement élevé.
    Au mois de septembre dernier, 5 000 familles s'étaient déplacées. Il y a un cas, par exemple, où trois collectivités ont été déplacées en moins de trois jours. Cinq cents familles ont été touchées. Pourquoi ont-elles dû se déplacer? Parce qu'elles avaient peur d'être tuées.
    Aucune politique publique n'a été mise en place pour corriger la situation, et ces problèmes touchent très durement l'État de Guerrero. Nous avons besoin de l'aide d'organisations internationales pour nous assurer que nos droits sont respectés. En tant que militants qui soutiennent les droits de la personne, nous sommes les seuls à pouvoir faire quelque chose pour ces victimes. Nous nous retrouvons aux prises avec un véritable champ de bataille, et nous sommes les seuls à insister pour que les droits fondamentaux de la personne soient respectés.

  (1330)  

    On ne respecte pas la primauté du droit, et une campagne de criminalisation est menée dans certaines parties de l'État. Vous devez reconnaître la réalité que nous vivons au quotidien. Cette situation doit être mieux connue du reste du monde. Nous devons mettre fin au silence. Il faut que les statistiques et les événements soient bien connus à l'extérieur de nos frontières.
    Merci.
    Merci, madame Alejo.
    En dernier lieu, nous allons entendre M. Lozano. Allez-y, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup. J'aimerais remercier ma collègue Araceli de sa présentation et vous remercier de nous donner l'occasion de vous parler de la crise des droits de la personne qui sévit au Mexique.
    Je m'appelle Gustavo Lozano. Je représente le Mexican Network of Mining Affected People.
    De l'extérieur du Mexique, vous pourriez croire que les problèmes liés à la violence que nous connaissons ne touchent que les Mexicains. Peut-être que c'est vrai dans certains cas, mais ce ne l'est pas entièrement. Il y a des problèmes qui ne peuvent pas être entièrement expliqués par les relations intérieures que nous avons crées au Mexique.
    Par exemple, il y a le problème de l'exploitation minière. Les activités minières à grande échelle ont une énorme incidence sur de nombreuses régions du Mexique. Certains mégaprojets conduisent à la dévastation environnementale, mais aussi à de graves violations des droits de la personne des résidents de ces régions.
    Permettez-moi de vous donner des chiffres pour que vous soyez plus conscients des liens qui existent entre l'exploitation minière et les droits de la personne, et que vous compreniez pourquoi il est important de se pencher sur la question au Canada. Il y a 1 327 projets d'exploitation minière au Mexique, et des capitaux canadiens ont été investis dans 850 d'entre eux. Le gouvernement mexicain peut vendre des concessions minières à des particuliers — des Mexicains ou des étrangers, comme des Canadiens —, et ces concessions impliquent que ces particuliers peuvent explorer le sous-sol du territoire. Cela peut être fait sans le consentement des propriétaires du secteur. Très souvent, ces propriétaires sont des membres de communautés agricoles ou autochtones.
    Une fois que les sociétés minières ont les concessions, les sociétés canadiennes, par exemple, entrent en contact avec ces communautés agricoles et autochtones, et ces communautés se retrouvent dans une situation désavantageuse sur le plan économique. Elles vivent dans la pauvreté. Les sociétés négocient avec ces communautés pour pouvoir extraire les ressources minières qui sont dans la terre.
    Il y a des gens qui tentent de défendre les droits de la personne et les droits fonciers, mais chaque situation est unique. Parfois, il s'agit de communautés autochtones; d'autres fois, il s'agit de communautés agricoles qui tentent de défendre leurs droits sur leurs terres.
    Au cours des dernières années, nous sommes parvenus à documenter 54 meurtres et disparitions de personnes qui avaient refusé de permettre aux sociétés minières d'accéder à leur terre. Ces personnes mobilisent leur communauté pour résister à l'invasion des sociétés minières, et ce ne sont pas seulement les communautés autochtones et les communautés agricoles qui sont touchées par les activités minières. Le Mexican Network of Mining Affected People a remarqué que les personnes qui contribuent à la résistance éprouvent elles aussi de nombreuses difficultés. Mes collègues et moi avons été menacés. Nous avons dû quitter notre foyer. Nous avons dû partir vivre dans d'autres villes où le risque est moins élevé.

  (1335)  

    Finalement, dans ce contexte, l'ambassade canadienne au Mexique fait partie du problème et non de la solution, puisque l'ambassade joue un rôle actif en exerçant une influence sur l'adoption de lois mexicaines qui seraient en fait avantageuses pour les sociétés minières canadiennes. Elle a joué un rôle pour la délivrance de permis pour des projets spéciaux, des permis qui sont remis par les municipalités et d'autres organisations.
    Nous croyons que le premier ministre doit mieux comprendre ce qui se passe au Mexique et en discuter avec les personnes sur le terrain.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Lozano.
    Nous allons passer directement aux questions. Nous commencerons par M. Sweet.
    Pendant la dernière législature, nous avons tenu des audiences au sujet des étudiants d'Ayotzinapa qui avaient été tués. À l'époque, l'enquête n'avait pas été réglée, et il semble qu'elle ne l'est toujours pas.
    Une des choses qui me semblent profondément différentes entre le Mexique et le Venezuela est qu'au Venezuela, des centaines de milliers de personnes manifestent dans la rue. On dirait que la situation est aussi grave au Mexique, mais pourtant, on ne voit rien de tel. Je ne dis pas cela sur un ton accusatoire. Quelle est la différence?
    Lorsque ces étudiants ont disparu et ont été tués, je m'attendais à un grand soulèvement. Il y en a eu un brièvement, mais quelle est la différence? Est-ce que la peur fait partie de la culture mexicaine en raison des cartels de la drogue et du gouvernement? Je m'en remets à vous.
    Monsieur Aguirre, peut-être qu'il serait préférable que vous répondiez.
    Merci de votre question.
     En ce qui concerne l'enquête sur la disparition des 43 étudiants, jusqu'à présent, cette affaire n'a pas été résolue par le gouvernement. Ce dernier a affirmé que les étudiants ont été tués puis que les corps ont été brûlés, mais la supervision indépendante d'experts a permis de conclure qu'il n'y avait aucune preuve solide pour l'affirmer. En outre, ces experts ont conclu qu'il y avait eu de graves irrégularités pendant l'enquête, et ils ont exigé que les responsables de l'enquête soient poursuivis. Malheureusement, même si le chef de police chargé de l'enquête a été démis de ses fonctions, il a été nommé adjoint au président pour les questions liées à la sécurité nationale. On n'a pas encore trouvé ce qu'il est advenu des étudiants, et leurs parents exigent toujours que justice soit faite au Mexique.
    En ce qui concerne l'autre partie de la question sur la réaction de la société, nous croyons que la société mexicaine s'organise de plus en plus pour exiger le respect des droits fondamentaux de la personne. Ce n'est pas simple, puisque la peur est grande dans de nombreuses régions du pays. La société civile est prise entre la violence liée au crime organisé et la violence des représentants gouvernementaux qui violent les droits de la personne; mais de plus en plus, on voit des ralliements, des protestations et des manifestations visant à mettre fin à la violence au Mexique.
    Les victimes sont fortement étiquetées et on affirme largement qu'elles sont responsables de la violence et que, si quelqu'un est enlevé ou disparaît, c'est parce que cette personne était mêlée à une activité illicite. Le travail des défenseurs des droits de la personne et des journalistes consiste essentiellement à montrer que ce n'est pas vrai, que les victimes sont des victimes et que personne ne mérite de disparaître...
    C'est pourquoi tant de journalistes ont disparu ou ont carrément été tués.
    M. Santiago Aguirre : Oui.
    M. David Sweet : J'aimerais dire un mot au sujet des autorités mexicaines. Des centaines de milliers de personnes du monde libre vont passer leurs vacances au Mexique, et les autorités prennent bien soin de s'assurer que tous les lieux de villégiature soient très isolés et très protégés pour en préserver la réputation. C'est manifestement problématique pour vous pour ce qui est de transmettre votre message à la communauté internationale dans son ensemble.
    Je tenais à poser une question précise. Elle se rapporte à l'exploitation minière ainsi qu'aux cartels de la drogue et à la façon dont certains de vos concitoyens sont victimisés. Y a-t-il un registre foncier légitime au Mexique, ou est-ce qu'il revient toujours au gouvernement de décider à qui vont les droits de propriété? Est-ce que cela a à voir avec une partie de la violence et des abus de pouvoir à l'endroit des citoyens du Mexique?

  (1340)  

M. Gustavo Lozano (interprétation):
    Oui. Au Mexique, le système juridique et politique vient d'une révolution qui a eu lieu au XIXe siècle. Notre constitution actuelle est une conséquence directe de cette révolution. Durant la majeure partie du XXe siècle, notre constitution était finalement un moyen de bâtir notre pays. Il y a eu des négociations avec le Canada et les États-Unis pour l'ALENA. Depuis, ce projet social pour bâtir une nation est graduellement devenu une façon de bâtir un pays néo-libéral.
    Un des modèles de propriété foncière que nous avons au Mexique est celui de la propriété collective, qu'on appelle aussi le modèle de propriété sociale. Je parle non seulement des communautés autochtones, mais aussi des communautés agricoles et de l'« ejidos », comme nous l'appelons, c'est-à-dire la propriété collective.
    Lorsque les négociations préliminaires de l'ALENA ont eu lieu, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont demandé que ces secteurs de propriété collective soient changés en... Eh bien, permettez-moi de dire que ces secteurs de propriété collective étaient inaliénables. Ils ne pouvaient pas être vendus; les propriétaires ne pouvaient pas les vendre. Le Canada et les États-Unis ont demandé que le modèle de propriété soit changé. C'était en 1992. Aujourd'hui, nous avons un nouveau modèle de propriété qui est semblable, mais qui permet la vente des terres. Ainsi, les particuliers peuvent négocier avec les propriétaires collectifs de parcelles pour accéder à toutes les ressources sur le terrain.
    Le problème est que 13 % de notre territoire national a été cédé à des sociétés minières. Ce sont des concessions minières. Les propriétaires des parcelles ne savent pas que les ressources dans le sol ont été cédées à des sociétés minières.
    Par exemple, les sociétés minières tentent souvent de négocier avec les communautés autochtones, mais les négociations ne se déroulent pas à armes égales. Il y a, d'un côté, les sociétés minières, qui disposent de ressources considérables, et, de l'autre côté, les communautés autochtones, dont les membres vivent dans la pauvreté la plus extrême. Les grandes sociétés, mexicaines comme canadiennes, se soucient très peu de l'évolution ou du développement des communautés autochtones. Elles leur disent qu'elles vont s'enrichir, mais elles ne leur offrent aucun avantage dans le domaine, par exemple, des soins de santé.
    Très souvent, les sociétés minières n'expliquent pas aux communautés autochtones les véritables conséquences de la décision. Les communautés autochtones acceptent les conditions parce qu'elles n'ont pas d'autres options. Une fois que les sociétés minières arrivent sur le terrain, elles commencent à détruire l'environnement.
    Merci.
    Nous allons maintenant passer à M. Fragiskatos.
    Merci à tous d'être ici.
    Monsieur Vincent, j'ai lu un article que vous avez rédigé récemment en collaboration avec Jess Tomlin. Dans le dernier paragraphe, vous avez tous deux écrit que le monde sera plus en sécurité et plus prospère lorsque l'égalité des sexes sera au coeur de la politique étrangère.
    Ma question a pour objectif de débattre du lien qui existe entre l'égalité des sexes, le commerce international et les droits de la personne. Certaines personnes — non pas du côté du gouvernement, mais de l'opposition — ont affirmé que l'ALENA est purement une question d'économie, de dollars et de cents, et que tout effort destiné à mettre sur la table, à inscrire au programme, la question de l'égalité des sexes procède d'une, et je cite, « proclamation de la vertu ». De plus, le mot « bagatelles » a malheureusement été employé.
    J'aimerais que Mme Pastrana, Mme Alejo et Mme Vincent — malheureusement, nous n'avons pas autant de temps que je l'espérais — répondent à la question suivante: comment pouvons-nous éliminer les iniquités fondées sur le sexe en vue d'obtenir l'égalité des sexes dans les accords commerciaux?
    Je crois que les questions liées à l'égalité des sexes doivent occuper une place fondamentale dans les accords commerciaux. Je crois qu'il y a un lien entre la pleine participation des femmes dans l'économie et les droits de la personne. Je crois que l'on peut faire valoir cet argument, mais j'aimerais beaucoup savoir ce que vous en pensez en tant que défenseures des droits de la personne.

  (1345)  

Mme Daniela Pastrana (interprétation):
    Premièrement, nous devons prendre des mesures concrètes. Nous devons cesser de faire des discours et commencer à nous servir de ces accords pour faire avancer la cause de l'égalité des sexes, parce qu'en ce moment ces accords ne contribuent pas du tout à favoriser l'égalité des sexes. Il est très important de définir vraiment...
    Vous avez dit « en ce moment », n'est-ce pas?
Mme Daniela Pastrana (interprétation):
    En fait, je ne l'ai pas dit, mais je vais le dire maintenant. Le traité est inutile de ce point de vue, puisque le Mexique a deux visages. Un visage est tourné vers le reste du monde, et l'autre est tourné vers les Mexicains. Le Mexique aime à faire semblant que tout va bien tant qu'il parle à des étrangers, mais ce n'est pas vraiment le cas. Il n'y a aucune égalité. Il n'y a même pas d'égalité salariale, puisqu'il n'y a pas de désir politique d'appliquer ce principe. Le gouvernement n'a pas eu la volonté de défendre les droits des communautés, surtout des femmes, au Mexique.
    Voilà pourquoi je disais que nous devrions vraiment nous assurer, pendant les négociations, celles en cours et les négociations futures, de prendre le temps de discuter des droits des femmes. Nous devons agir.
    Je suis d'accord avec vous. Je crois que, dans le contexte des négociations de l'ALENA, on a l'occasion de s'assurer que les questions liées à l'égalité des sexes et à la protection de l'environnement se voient accorder la priorité dans les discussions. Je vous ai entendu dire que l'accord actuel ne va pas assez loin à cet égard, mais on a ici l'occasion de combler certaines lacunes.
    Je crois qu'il me reste du temps, n'est-ce pas?
    Oui.
    Si Mme Alejo ou Mme Vincent veulent faire des commentaires à ce sujet aussi, j'aimerais beaucoup entendre leurs points de vue.
Mme Araceli Tecolapa Alejo (interprétation) :
    Je crois qu'il est important que le Canada s'exprime plus fort en faveur du respect des droits de la personne, non pas seulement pour les personnes qui défendent activement ces droits, mais pour tout le monde, surtout dans le Guerrero. On doit améliorer l'égalité des sexes, l'équité salariale, la sécurité, l'éducation — vraiment, toutes les facettes de la société — parce que, lorsqu'on s'assure qu'un droit est respecté, on s'assure que tous les droits le seront en fin de compte.
    Les femmes sont celles qui doivent travailler lorsque leur mari émigre dans un autre pays pour y travailler. Les femmes sont celles qui doivent subvenir aux besoins de leurs enfants. Les femmes, surtout les femmes autochtones, sont trois fois plus victimisées que le Mexicain moyen. Elles subissent aussi trois fois plus de discrimination. Nous devons défendre tous les droits de la personne si nous voulons observer une plus grande égalité entre les sexes.
    Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas faire fi de l'égalité des sexes. Elle fait partie de l'ensemble des problèmes qui existent au Mexique. C'est un cycle.

  (1350)  

    Gracias.
    Merci beaucoup.
    Madame Hardcastle.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais tout d'abord souligner que le témoignage de M. Lozano va dans le même sens que notre étude sur les sociétés minières canadiennes et l'Amérique latine. J'aimerais que son témoignage soit intégré à notre étude. Si personne n'y voit d'inconvénient, j'aimerais en faire une motion.
    Des députés: D'accord.
    Le président: Oui, c'est d'accord. Merci.
    Mme Cheryl Hardcastle: Merci.
    Par ailleurs, merci à tous les participants pour leurs témoignages d'aujourd'hui. Je suis particulièrement curieuse de vous entendre dire comment nous pouvons utiliser l'ALENA et d'autres traités pour faire progresser les droits de la personne. Je suis particulièrement troublée d'entendre parler de la propriété collective des terres ou des traités autochtones collectifs — ici, nous les appellerions des ententes issues de traités — et du fait que nous avons empiété sur ces accords en raison de l'ALENA.
    En tant que pays qui a conclu des accords commerciaux, des traités, et plus particulièrement l'ALENA, comment le Canada peut-il faire valoir les droits de la personne au Mexique? On dirait que vous avez d'autres idées à ce sujet, monsieur Lozano. J'aimerais vous entendre — ainsi que tous les autres — à propos des moyens de faire valoir ces droits, selon vous.
M. Gustavo Lozano (interprétation):
    Merci beaucoup.
    La question est complexe. C'est une occasion de remettre en question la pertinence même des accords commerciaux. Nous ne devrions pas seulement songer à des façons de les améliorer, mais aussi nous demander s'ils devraient même exister.
    Dans notre région, nous n'avons pas effectué le travail préliminaire qu'il devrait être nécessaire de faire avant la signature d'un tel accord. En fin de compte, le traité est paradoxal parce que notre région... Nous avons déjà conclu de tels accords dans notre région, mais dans ce cas-ci, nous avons oublié d'inclure les droits de la personne dans les négociations et d'intégrer le respect de ces droits dans le traité. Dans certains cas, le traité porte même atteinte aux droits de la personne, puisqu'on accorde constamment la priorité aux questions économiques. On accorde la priorité au développement économique, aux échanges commerciaux et à tout le reste aux dépens d'autres aspects, notamment, la mobilité de la main-d'oeuvre. Il n'y a qu'à examiner la question du mur frontalier, qui est une vraie honte.
    Très souvent, par exemple, dans le cas des Autochtones, nous n'avons pas signé les mêmes accords. Par exemple, le Canada n'a pas signé la convention 169 de l'Organisation internationale du Travail, contrairement au Mexique. Je ne crois pas que le Canada ait signé cet accord.
    Nous devons profiter de ces négociations pour nous interroger réellement sur la pertinence de l'accord et pour étudier des questions en profondeur, comme les droits de la personne, dont on ne tient pas du tout compte en ce moment dans le traité. Comme l'a dit Santiago plus tôt, le Canada pourrait assumer un plus grand rôle pendant les négociations avec le Mexique, l'ensemble de la région et le monde entier. Il pourrait même prendre la place que les États-Unis occupaient.
    Il faut accorder plus d'importance aux intérêts régionaux et aux intérêts des personnes qu'à ceux des grandes sociétés, qui sont souvent défendus par d'autres pays, comme nous l'avons constaté avec l'ambassade du Canada au Mexique.

  (1355)  

    Il est très important de souligner que l'ampleur de la crise des droits de la personne qui sévit au Mexique est telle que nous ne parlons pas seulement d'en traiter dans un certain chapitre de l'ALENA; nous parlons d'une grande crise des droits de la personne qui se produit au Mexique, et la question est la suivante: comment le Canada peut-il contribuer à instaurer la primauté du droit au Mexique?
    Ce que nous avons appris au cours des dernières années de l'ALENA, c'est qu'on peut faire du commerce sans justice. Le libre-échange peut exister sans la primauté du droit. Telle est la réalité de notre pays. Vous devez vous demander si c'est le modèle de libre-échange que le Canada veut soutenir.
    À notre avis, le Canada peut en faire davantage et doit mieux soutenir le travail des journalistes qui s'intéressent aux droits de la personne. Il est important que l'État canadien fasse le suivi de cas particuliers de violations des droits des communautés autochtones, de disparitions de personnes, d'exécutions extrajudiciaires et d'attaques contre des journalistes. Il devient de plus en plus important de manifester son appui à la société civile du Mexique.
    Nous sommes en présence d'un gouvernement qui considère qu'une grande partie du travail de la société civile nuit à ses intérêts. Ce gouvernement utilise des logiciels espions contre des organisations non gouvernementales vouées aux droits de la personne. Le Canada doit se demander si c'est le partenaire qu'il veut pour le libre-échange en Amérique du Nord et insister davantage pour que le Mexique respecte la primauté du droit et les droits fondamentaux de la personne.
    Merci beaucoup. Je vois que nous n'avons en fait plus de temps, puisque nous devons discuter brièvement à huis clos des travaux du Comité.
    Je tiens à remercier chacun de vous d'avoir été présent ici aujourd'hui.
    Monsieur le président, une dernière chose.
    Si ces personnes ont d'autres recommandations de mesures concrètes que le Canada pourrait prendre, pourrait-on leur demander de les présenter par voie électronique ou sur papier afin que nous disposions de recommandations solides?
    Oui.
    N'hésitez pas à le faire. Tout à fait; s'il y a des mémoires que vous aimeriez présenter, le Comité les étudiera volontiers. Merci.
    Je tiens à remercier chacun de vous, surtout nos invités de l'extérieur de la ville, de votre présence aujourd'hui.
    Les membres du Comité comprennent les risques graves que vous avez pris et les sacrifices que vous avez faits pour parler publiquement de ce genre d'enjeux. Malheureusement, un certain nombre de témoins nous en ont parlé à plusieurs reprises au cours des deux dernières années. Nous connaissons les risques et les menaces, et nous vous sommes très reconnaissants, le Parlement canadien et tous les membres du Comité, que vous vous exprimiez pour attirer l'attention là-dessus. Je tiens à vous remercier pour votre présence aujourd'hui et pour vos témoignages.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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