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OGGO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires


NUMÉRO 064 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 1er mai 2023

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

     Bienvenue à la 64e réunion du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes. Conformément à l'ordre de renvoi adopté par la Chambre des communes le mercredi 15 février 2023, nous nous réunissons pour étudier le projet de loi C‑290, Loi modifiant la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.
    Nous allons poursuivre cette étude jusqu'à 16 h 30, après quoi nous passerons à huis clos pour mettre la dernière main à celle portant sur le gouverneur général.
    Nous accueillons aujourd'hui plusieurs témoins en personne et un autre en mode virtuel. Je veux juste confirmer que nous avons effectué les tests de son requis avec ce dernier au bénéfice de nos interprètes. Nous allons maintenant entendre les observations préliminaires de nos invités.
    Monsieur Bruyea, vous serez le premier à prendre la parole. M. Devine et la Dre Brill‑Edwards suivront.
    Nous vous écoutons, monsieur Bruyea.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à vous remercier sincèrement de m'avoir invité aujourd'hui. Après 17 années sans véritable changement de fond à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, une loi fortement discriminatoire qui était vouée à l'échec, le projet de loi C‑290 est ce premier pas crucial dans la bonne direction que l'on attendait désespérément depuis si longtemps. Il n'y a aucune disposition de ce projet de loi que je voudrais supprimer. Cependant, à l'instar de ceux qui m'ont précédé et de ceux qui me suivront, je recommande quelques ajouts essentiels. Vous les trouverez dans le mémoire de quatre pages que j'ai soumis au Comité.
    Permettez-moi d'abord et avant tout de vous raconter mon histoire pour souligner la gravité de la situation et vous éclairer dans votre excellent travail.
    À titre d'officier de renseignement dans la Force aérienne, j'ai servi durant la guerre du Golfe. J'en suis revenu plus tôt que prévu, brisé aussi bien physiquement que mentalement, perdu dans une culture militaire qui ostracise sans pitié toute forme de blessure en l'assimilant à une faiblesse morale. J'ai caché la plus grande partie de ma souffrance, et je n'ai donc reçu que très peu d'aide. Au bout d'un dédale de méandres bureaucratiques, Anciens Combattants Canada, ou ACC, a fini par reconnaître mes incapacités et à m'offrir les soins et les traitements dont j'avais besoin.
    En reprenant mes forces, je n'ai pu faire autrement que de constater que le régime en place abandonnait, voire détruisait, un si grand nombre de ceux qu'il devrait plutôt aider. J'allais être le premier à m'élever contre l'initiative de 2005 visant à économiser de l'argent en remplaçant les pensions d'invalidité à vie pour les anciens combattants par des paiements forfaitaires.
    Mes revendications en faveur d'un traitement équitable m'ont valu l'attention et les foudres des hauts fonctionnaires. J'avais perdu une bonne partie de mon bien-être et de ma santé à vouloir protéger un pays dont le gouvernement cherchait maintenant à se venger. On a menacé de me priver de mes prestations et de mes traitements, et on l'a carrément fait dans certains cas. Des alliés qui siégeaient au Parlement ont refusé de prendre ma défense. Même les gens du Cabinet du premier ministre m'ont dit que je devrais aller me faire soigner, comme si ces représailles étaient simplement une manifestation d'un trouble de stress post-traumatique lié au combat.
     Je me suis battu bec et ongles pour défendre ma famille. Ma femme, une immigrante, n'avait pas encore la citoyenneté canadienne. Des hauts fonctionnaires n'ayant aucune formation médicale m'ont tendu un guet-apens en m'invitant à une « discussion amicale » au cours de laquelle on m'a servi un ultimatum pour que j'accepte d'être hospitalisé dans une clinique du ministère afin d'y recevoir des soins psychiatriques. Si je refusais — et les fonctionnaires avaient communiqué les résultats de mon évaluation médicale au ministre avant même que cela se fasse —, ACC allait cesser de payer ceux qui me dispensaient des soins en santé mentale, sachant très bien que cela risquait de me mener au suicide.
    Il m'a fallu cinq ans pour faire la preuve de tout cela. En 2010, tous les aspects de ma vie personnelle avaient été documentés au moyen de plus de 14 000 pages qui ont été rendues disponibles à Anciens Combattants Canada. Le ministère a ensuite déformé ces renseignements pour les intégrer à des notes d'information transmises à plus de 250 hauts fonctionnaires, à mon député, au secrétaire parlementaire du comité des anciens combattants et à deux ministres, en plus d'être utilisées lors de séances d'information au Cabinet du premier ministre. Parallèlement à cela, une autre longue bataille a finalement amené ACC à admettre avoir en sa possession plus de 2,1 millions de pages de documents à la suite d'une demande que j'ai présentée concernant la surveillance par le ministère des rubriques de journal que je rédigeais et de mes apparitions dans les médias.
    La preuve est accablante. Les hauts fonctionnaires se sont retroussé les manches pour mettre en œuvre un plan en deux parties visant à m'enlever mes prestations et mes traitements tout en me discréditant, personnellement comme dans mon rôle de militant. C'est ainsi que j'allais recevoir des excuses officielles du gouvernement fédéral. Si l'on fait exception des individus condamnés injustement, j'étais à ce moment‑là l'une des deux seules personnes à avoir eu droit à de telles excuses. L'autre était Maher Arar.
    J'ai repris ma vie en main encore une fois pour décrocher une maîtrise en éthique publique. Peu après, soit en 2017, le gouvernement a déposé d'autres mesures législatives plutôt décevantes en prétendant rétablir ainsi les pensions à vie. J'ai dénoncé cette affirmation. Le ministre Seamus O'Reagan m'a alors accusé dans un journal de véhiculer des faussetés. Le lendemain de la publication de cet article, le ministère a mis fin, sans avertissement ni consultation, à la prise en charge de mon fils qui avait alors six ans. La seule différence, c'est qu'Anciens Combattants Canada en avait beaucoup appris depuis 2010 sur les atteintes à la vie privée et les excuses à présenter. Les fonctionnaires n'ont jamais consigné les raisons pour lesquelles cette prise en charge avait été annulée, ou ont simplement refusé de communiquer cette information.
    Mes quatre années de travail auprès des commissaires à la protection de la vie privée et à l'information m'ont profondément découragé. Ma santé s'est alors dégradée de nouveau. À mes problèmes de trouble de stress post-traumatique et de dépression s'ajoutait un trouble anxieux grave, un intrus dont j'aurais fort bien pu me passer. Encore une fois, mon esprit et mon corps m'abandonnaient avec des crises de panique qui duraient, non pas des heures, mais des mois. Les appels téléphoniques du gestionnaire de cas qui avait signé la lettre mettant fin à la prise en charge de mon fils m'ont valu plusieurs visites à l'urgence avec de l'arythmie cardiaque. Les ambulances se présentaient à la maison sous le regard de mon fils et je me retrouvais chaque mois aux urgences ou hospitalisé à la suite d'incidents survenus à mon domicile alors que mon esprit et mon corps se sont totalement déconnectés.
    Après 30 ans à souffrir d'une prostatite persistante causée par la guerre du Golfe, j'ai reçu un diagnostic de cancer de stade 3. Je récupère actuellement de l'intervention chirurgicale que j'ai dû subir.
    Des dizaines de fonctionnaires parmi les plus haut placés ont tout fait pour m'humilier, me dévaloriser et me discréditer avant de s'en prendre aux soins dispensés à mon fils, alors que je devais déjà composer avec des maladies chroniques potentiellement mortelles découlant de mon service militaire, et c'est pourtant moi que l'on accusait d'être déraisonnable, instable et menteur.
    On se demande pourquoi quiconque occupant quelque poste que ce soit au sein de notre gouvernement fédéral risquerait son emploi, sa santé, sa réputation et son bonheur familial pour dénoncer une situation. Eh bien, il y a des gens qui le font par pur altruisme. Comme ces gens‑là, j'estime que la corruption et l'incurie dont nous sommes témoins dans ce pays que nous aimons tant… Il faut dénoncer des comportements aussi malhonnêtes et nocifs, sans quoi ce sont nos concitoyens et notre pays tout entier qui risquent d'en souffrir.
    Je suis tout à fait favorable à ce que la portée de la loi soit étendue aux anciens fonctionnaires et aux entrepreneurs. Le personnel et les militaires en service ont accès à des mécanismes internes de traitement des plaintes qui sont loin d'être sans faille. Il n'en demeure pas moins que les vétérans forment le seul groupe parmi les anciens employés fédéraux à se retrouver sans protection, alors même qu'ils sont totalement à la merci des caprices d'une bureaucratie vengeresse.
    Plus de 100 000 vétérans et près de 40 000 de leurs proches sont partiellement ou totalement dépendants d'Anciens Combattants Canada pour ce qui est de leur sécurité financière. Il n'y a pas de magasin à grande surface où un ancien combattant peut trouver les prestations et les services dont il a besoin. Il peut se tourner uniquement vers le ministère. Les vétérans et leurs familles se retrouvent ainsi dans une situation particulièrement vulnérable, surtout quand on sait que près de 40 000 anciens combattants sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.
    Les vétérans sont aussi les mieux placés pour observer et même ressentir les effets de toute malversation pouvant découler non seulement des marchés de 200 millions de dollars par année octroyés par Anciens Combattants Canada, mais aussi du nouveau contrat d'une valeur d'un demi-milliard de dollars pour la réadaptation. Le Canada doit accorder une aussi grande importance à la saine gouvernance et à la reddition de comptes que le font les autres pays développés.
    Nous ne devons pas voir la dénonciation des actes répréhensibles simplement comme un droit inhérent à être protégé, de la même façon que nous protégeons la liberté d'expression grâce à notre Charte des droits et libertés. Nous devons plutôt considérer que cette dénonciation est la voix de la raison, de l'indépendance et de la responsabilisation au sein d'un système où les hauts fonctionnaires ont toutes les cartes dans leur jeu pour éviter systématiquement d'avoir des comptes à rendre.
    En fin de compte, nous devons protéger les dénonciateurs, et surtout…

  (1540)  

    Je vais devoir vous interrompre, monsieur Bruyea.
    J'en suis à ma dernière phrase, monsieur le président. Merci.
    En fin de compte, nous devons protéger les dénonciateurs, et surtout les plus vulnérables parmi eux, qui interviennent pour défendre au mieux les intérêts du Canada et des Canadiens.
    Merci.
    Merci, monsieur Bruyea.
    Monsieur Devine, bienvenue au Canada et à notre comité. Nous sommes très heureux de pouvoir vous accueillir, car vous êtes une véritable légende dans le domaine de la protection des dénonciateurs. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution.
    Vous avez cinq minutes pour nous présenter vos observations préliminaires.
    Merci de m'avoir invité et d'avoir bien voulu tenir compte de mes disponibilités.
    Je travaille pour le Government Accountability Project, une organisation non partisane et sans but lucratif qui appuie tous ces gens qui mettent à profit leur liberté d'expression pour dénoncer les abus de pouvoir trahissant la confiance du public.
    Depuis que je me suis joint à l'organisation en 1979, j'ai travaillé auprès de plus de 8 000 dénonciateurs en plus de contribuer à l'adoption de 38 lois différentes en la matière. Nous nous retrouvons en plein cœur d'une véritable révolution juridique.
    À mon arrivée, les États-Unis étaient le seul pays au monde à avoir adopté une loi pour la protection des dénonciateurs — c'était l'année précédente, en 1978 —, et il y a maintenant 49 pays qui ont une loi semblable d'application générale et 123 autres qui ont des lois sectorielles. Ces lois permettent vraiment d'améliorer les choses comme en témoignent les exemples fournis dans le mémoire que je vous ai transmis.
    Les droits ne sont cependant pas tous égaux. Les lois pour la protection des dénonciateurs sont des boucliers permettant d'exercer sa liberté d'expression à l'abri des représailles, car ceux qui s'en prennent aux abus de pouvoir se retrouvent du même coup sur le sentier de la guerre. Si vous livrez bataille avec un bouclier de métal, vous vous exposez au danger, mais vous avez tout de même de bonnes chances de vous en tirer. Si par contre vous vous présentez au combat avec un bouclier de carton, peu importe les ornements dont il peut être paré ou les battages de publicité ayant pu mener à son déploiement, vous allez mourir. Malheureusement, un trop grand nombre des lois visant à protéger les dénonciateurs sont de simples boucliers de carton.
    Notre organisation a mené en collaboration avec l'Association internationale du barreau une étude qui a permis de dégager par voie de consensus les 20 pratiques les plus efficaces à l'échelle planétaire pour faire valoir ces droits. Je tiens à souligner que les pratiques en question ont été adoptées dans les quatre continents. Elles sont ajustées en fonction des structures juridiques propres à chaque pays, mais les principes qui les sous-tendent sont universels.
    Nous avons constaté que le Canada n'a recours qu'à une seule des 20 pratiques exemplaires qui font consensus selon cette étude. Le Canada se classe ainsi au dernier rang mondial, à égalité avec le Liban, pour ce qui est de l'efficacité de sa loi pour la protection des dénonciateurs. À mes yeux, on ne peut même pas parler d'un bouclier de carton. Cette loi qui avalise systématiquement les représailles ressemble davantage à un bouclier de papier mouchoir, et les organismes de soutien comme le nôtre se doivent de mettre en garde les dénonciateurs qui envisageraient de s'en remettre à une telle loi.
    Le projet de loi C‑290 permettrait d'améliorer grandement les choses. Il faut rendre à César ce qui revient à César.
    Il permet de supprimer le critère des motivations du dénonciateur dont on faisait le procès, plutôt que de s'intéresser à la conduite répréhensible qui était mise au jour.
    Il assure la protection contre les abus de pouvoir. Les dispositions en ce sens sont à la base des efforts déployés à l'échelle mondiale pour faire valoir les droits des dénonciateurs, et il y a tout lieu de s'inquiéter de leur absence dans la loi canadienne. Ces abus sont clairement définis comme étant des gestes arbitraires et frivoles donnant lieu à du favoritisme ou à de la discrimination.
    Le projet de loi C‑290 protège toute l'équipe responsable d'une dénonciation en bonne et due forme, plutôt que seulement le messager final. La solidarité est essentielle à la survie d'un dénonciateur, et l'isolement peut lui être fatal. Le projet de loi C‑290 favorise la solidarité.
    Il offre une protection efficace de l'identité, car le dénonciateur doit donner son approbation pour que son identité soit révélée.
    Le projet de loi supprime en outre le droit de veto du commissaire à l’intégrité du secteur public quant à l'accès à un examen judiciaire, véritable talon d'Achille de la loi en vigueur.
    Il porte à un an le délai pour porter plainte et faire valoir ses droits, ce qui est préférable à la limite actuelle de 60 jours qui est nettement insuffisante.
    On établit en outre une nouvelle norme d'excellence en ce qui a trait à la reddition de comptes assortie de mesures disciplinaires en permettant au dénonciateur de contre-attaquer en s'en prenant à la personne qui l'intimide lorsqu'il cherche à se défendre.
    Malgré ces améliorations qui sont les bienvenues et dont on avait désespérément besoin, la loi n'offrira toujours pas une protection crédible contre les représailles. Les changements apportés constituent une percée qui s'imposait vraiment, mais qui n'est pas suffisante.
    Vous trouverez dans mon mémoire une dizaine de recommandations que je soumets à votre considération. Je pense qu'il faut s'assurer d'abord et avant tout qu'aucun droit ne peut être annihilé au moyen d'une entente de non‑divulgation qui serait une condition préalable à l'emploi, ou via l'application des dispositions réglementaires d'une organisation supprimant le droit à la liberté d'expression conféré par la Charte, comme c'est le cas avec la loi actuelle.
    Deuxièmement, il y a le fardeau de la preuve, c'est-à-dire les règles établissant jusqu'où il faut aller dans la preuve à établir pour avoir gain de cause. L'Union européenne et les États-Unis s'en remettent à des fardeaux de la preuve analogues qu'il y aurait lieu de prendre en considération.

  (1545)  

     Troisièmement, il est nécessaire d'offrir des mesures de redressement provisoires pour permettre aux dénonciateurs de s'en tirer lorsque le différend perdure pendant plusieurs années. C'est aussi une façon d'inciter les organisations en cause à trouver un terrain d'entente, plutôt que de laisser traîner les choses.
    Quatrièmement, il faut offrir de la formation et du counseling sans risque afin que les gens comprennent bien leurs droits et qu'un changement de culture devienne possible.
    Enfin, il convient de rétablir les recours qui existaient avant l'adoption de la Loi, car ces recours représentaient des solutions plus efficaces.
    Monsieur le président, le projet de loi C‑290 est une véritable percée pouvant nous permettre d'aller de l'avant, mais il demeure insuffisant. S'il est adopté, les dénonciateurs canadiens pourront troquer leur bouclier de papier mouchoir pour un bouclier de plastique. Je vous exhorte à y apporter les modifications nécessaires pour en faire un bouclier de métal.
    Merci, monsieur Devine.
    À vous la parole, docteure Brill‑Edwards. Nous entendrons ensuite Mme Myers.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis la docteure Michèle Brill‑Edwards, pédiatre et pharmacologue clinicienne. J'ai récemment pris ma retraite après avoir pratiqué en clinique et enseigné la médecine pédiatrique d'urgence au Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario et à la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa.
    Je suis désolé, mais puis-je vous demander de vous rapprocher de votre microphone?
    Certainement.
    C'est en ma qualité d'ancienne gestionnaire de la fonction publique ayant dû devenir révélatrice de la vérité en deux occasions, une fois à l'interne et l'autre à l'externe, que je suis ici pour vous présenter mon point de vue sur les améliorations à apporter au chapitre de la protection des dénonciateurs.
    J'ai commencé à travailler au service de réglementation des médicaments de Santé Canada en 1980, et j'ai dirigé ce service de 1988 à 1992 à titre de médecin-chef responsable de la réglementation des médicaments d'ordonnance au Canada. C'est le service qui autorise la tenue d'essais cliniques et approuve la mise en marché des médicaments d'ordonnance dans notre pays.
    J'ai apprécié les stimulants défis associés à ce travail dans un rôle de direction, mais je me suis peu à peu rendu compte que les hauts dirigeants de Santé Canada mettaient parfois la santé des Canadiens en péril en courant des risques inutiles dans la quête de présumés avantages politiques et industriels. Une telle façon de faire va à l'encontre de la Loi sur les aliments et les drogues qui vise bien sûr à assurer la sécurité des Canadiens.
    Lorsqu'une situation semblable s'est produite en 1991, j'ai contribué à ce que nous ayons gain de cause devant la Cour fédérale pour démettre de ses fonctions un cadre supérieur de Santé Canada qui avait annulé des décisions importantes quant au contrôle de médicaments potentiellement létaux. À peine six mois plus tard, ce même directeur était réintégré par le ministère dans le cadre d'un nouveau processus, alors que mon propre poste de direction était rayé de l'organigramme.
    Je me préparais alors à quitter Santé Canada après avoir remporté un concours international pour un poste à l'Organisation mondiale de la santé. Pour accéder à un poste semblable, il faut obtenir l'approbation de son gouvernement. À Santé Canada, le sous-ministre était trop heureux d'acquiescer à mon départ, mais il ne l'a fait qu'en échange de mon silence lors d'éventuelles poursuites judiciaires à venir. J'ai refusé d'être muselée de la sorte pour des questions de sécurité, renonçant du même coup à un emploi de rêve qui aurait relancé ma carrière.
    Finalement, en 1996, lorsque Santé Canada a négligé de retirer du marché un médicament pour le cœur qui était dangereux, j'ai remis ma démission et j'ai sonné l'alarme dans un documentaire-choc de CBC révélant que Santé Canada s'en remettait à l'expertise biaisée de médecins entretenant des liens étroits avec l'industrie pharmaceutique. Ce documentaire a ouvert la voie à des travaux sans précédent qui ont démontré sans équivoque que ces liens avec l'industrie faussent l'interprétation de la recherche pharmaceutique par les médecins. En conséquence, les lignes directrices concernant les conflits d'intérêts dans le secteur médical ont été actualisées à l'échelle internationale, y compris par la Food and Drug Administration aux États-Unis, mais pas par Santé Canada.
    Après ma démission, je me suis retrouvée sur une liste noire et j'ai été sans travail pendant près de quatre ans. J'en ai profité pour me faire la porte-parole de cette cause d'intérêt public, avec différents alliés, de telle sorte que les citoyens comprennent bien le danger extrême que nous fait courir un ministère de la Santé qui se sert du prétexte de la déréglementation pour désactiver des systèmes d'alarme essentiels à la protection de vies humaines.
    Dès 1998, ces efforts avaient porté fruit. Des sonneries d'alarme se faisaient entendre partout au pays. Santé Canada se retrouvait sur la sellette en raison de la multiplication de ce qu'on pourrait appeler, je suppose, des faux pas, alors qu'il s'agissait en fait de scandales. Ma famille en a payé cruellement le prix avec le décès de ma mère en 1999, résultat de tous ces tourments et de tout ce stress auxquels nous avons été exposés.
    Je veux prendre un moment pour vous entretenir brièvement des changements législatifs nécessaires concernant les pratiques judiciaires actuelles.
    Il va de soi que ces modifications législatives doivent s'accompagner d'un changement de culture si l'on veut dégager des pistes de solution, mais l'aspect législatif demeure celui qui prime à mes yeux. Pour offrir aux dénonciateurs le respect et la protection qu'ils méritent, il faut d'abord et avant tout apporter des modifications à la Loi de telle sorte que des sanctions soient imposées lorsque ces dénonciateurs sont victimes de représailles, comme M. Devine vient tout juste de l'indiquer.

  (1550)  

     Pourquoi est‑ce que je dis cela? D'après mon expérience, au sein de la fonction publique du Canada, on adhère depuis longtemps et de façon généralisée au principe de loyauté. Je parle ici des procédures normalisées de dissimulation et de tromperie profondément enracinées qui sont utilisées automatiquement pour protéger à tout prix l'image du ministre et du gouvernement. Faire tout ce qu'il faut pour cacher quelque chose — jusqu'à mentir, malheureusement —, même si cela met en danger la vie des Canadiens. Chercher et détruire la personne qui dit la vérité et qui menace le maintien des apparences...
    Excusez-moi, docteure Brill-Edwards. Je dois vous demander de conclure, s'il vous plaît.
    Oui, je suis sur le point de le faire.
    Le principe profondément enraciné s'applique même aux plus hauts échelons. Que devons-nous faire alors? Seule l'imposition de sanctions législatives aux hauts fonctionnaires permettra d'accomplir les deux choses essentielles, et je m'arrêterai là ensuite: premièrement, créer un espace sûr pour les gens qui disent la vérité afin qu'ils ne subissent pas de représailles; deuxièmement, envoyer un signal à tous les fonctionnaires que nous entrons véritablement dans une nouvelle ère de transparence, qu'on ne s'en tient pas à d'autres paroles creuses.
    Merci.

  (1555)  

    Merci beaucoup.
    Madame Myers, nous passons à vous. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci. Je suis vraiment ravie d'être ici aujourd'hui. En tant que Canadienne qui n'a pas travaillé directement dans le domaine de la dénonciation au Canada, sauf dans le cadre de certains travaux avec le Centre for Free Expression de l'Université métropolitaine de Toronto, je suis très heureuse que vous révisiez cette loi.
    Je travaille dans le domaine depuis 23 ans. J'ai été admise au Barreau de l'Ontario, mais j'ai changé d'allégeance pour la Law Society of England and Wales. J'étais directrice adjointe de l'organisation Public Concern at Work — qui s'appelle maintenant Protect — et j'ai donc répondu aux appels téléphoniques de dénonciateurs de tout le Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, la loi sur la dénonciation est en vigueur depuis 1993. Elle couvre les travailleurs du secteur public, du secteur privé et des organismes de bienfaisance.
    Ce qui m'a étonnée, même si le Canada a adopté une loi dans les années 2000 — évidemment dans une période où d'autres prenaient ces mesures —, c'est que la loi en tant que telle ne reprenait pas certaines des pratiques exemplaires qui sont logiques. Je pense qu'on vous en a déjà parlé. Je vais les mentionner très brièvement.
     Je tiens à souligner que ce n'est pas nouveau. Les Grecs de l'Antiquité avaient un terme pour cela: « parrhèsia », ou il s'agit de « prendre de parole sans crainte ». Sous les monarques helléniques, par exemple, le conseiller du roi était tenu de le faire pour aider le roi à prendre des décisions, mais aussi pour atténuer son pouvoir.
    Je souligne que le Canada semble avoir mis en œuvre une loi qui est tout à fait adéquate lorsqu'il s'agit d'aider le gouvernement à prendre des décisions. Elle améliore les choses en partie sur le plan de la transmission de renseignements au gouvernement. Cependant, le Canada n'a pas mis en œuvre une loi qui atténue vraiment le pouvoir et vise les gens qui sont négligents ou qui abusent de leur pouvoir.
    Bien sûr, l'acte de dénoncer n'a rien perdu de son importance au cours de mes 23 années de travail sur le terrain: du médecin chinois qui a été la première personne à nous prévenir de l'existence de la COVID‑19 — et qui en est décédé — aux centaines de travailleurs des soins de santé à travers le monde qui ont dénoncé les pénuries d'approvisionnement et les cas de mauvaise gestion. Grâce à ces gens qui ont dit la vérité, nous en avons su davantage sur la manière de nous protéger et sur la réalité de la pandémie, mais malheureusement, on a tenté de faire taire ces voix sur deux plans. Le Dr Li a d'abord reçu l'ordre de la police de cesser de faire de « fausses » observations, et des médecins, des infirmières et des fonctionnaires du monde entier ont perdu leur emploi pour avoir parlé.
     Nous savons que les lanceurs d'alerte sont généralement ceux qui, dans les lieux de travail, que ce soit dans le secteur public, privé ou caritatif, sont les premiers à constater que quelque chose ne va pas. Ils jouent donc souvent un rôle préventif. En tant que Canadienne, je trouve que c'est parfaitement logique. Des gens dénoncent les actes répréhensibles. Si cela n'est pas traité comme quelque chose qui pourrait nuire à d'autres et qu'ils perdent leur emploi ou subissent des représailles, la loi devrait intervenir et les protéger.
    Les lanceurs d'alerte sont également considérés aujourd'hui comme étant essentiels pour une application de la loi contre la corruption qui soit crédible. Bien entendu, ils peuvent être une menace pour les dirigeants d'organisations qui, peut-être, abusent eux-mêmes de leur pouvoir ou qui n'aiment pas qu'on leur pose des questions. Souvent, ils réagissent par une volonté quasi instinctive d'éliminer la menace. Nous devons partir du principe que « lanceur d'alerte » n'est pas synonyme de « martyr ». Nous avons besoin de lois qui, comme l'a souligné Tom Devine, donnent aux dénonciateurs de bonnes chances de s'en tirer. Les lois doivent avoir du mordant.
     Une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous parlons de cette révolution dans les lois sur la dénonciation... Un certain nombre de mesures législatives ont été adoptées au fil du temps. J'ai pensé en mentionner quelques-unes dans le cadre desquelles certains des éléments dont nous parlons ont été mis en pratique dès le départ.
     Par exemple, l'un de vos témoins d'aujourd'hui a parlé du fait de travailler pour l'armée ou de travailler potentiellement avec de l'information constituant des renseignements secrets officiels. L'Irlande dispose d'une loi depuis 2014. Dans le cadre de cette loi, elle a un système spécial pour protéger les personnes qui travaillent avec ce genre d'information.
     En Serbie, depuis 2014, la loi sur la protection des lanceurs d'alerte prévoit également une obligation pour les juges d'être formés avant de pouvoir entendre des plaintes de dénonciateurs. Les seules autres lois pour lesquelles ils doivent recevoir une formation sont celles sur la protection des enfants. La corrélation entre la formation judiciaire et la mise en œuvre la plus rigoureuse d'injonctions provisoires jamais observée dans un pays est évidente. Ce système commence à être déployé et à faire l'objet de discussions en Europe.
    Tom Devine a également parlé de la directive de l'Union européenne. J'ai également inclus dans mes notes le lien vers le « EU whistleblowing monitor ». Vous pouvez constater que nous suivons l'évolution de la situation concernant les mesures législatives qui sont adoptées dans l'ensemble de l'Union européenne. Avec la directive de l'Union européenne — qui oblige évidemment 27 pays européens à adopter des mesures législatives —, nous assistons à ce que je considère comme un changement important qui doit être pris en compte dans la loi canadienne. Il s'agit autant d'une question de responsabilité que de protection de l'individu. Dans le cadre de la loi, les employeurs, les organisations et les organismes de réglementation ont désormais des devoirs de diligence quant à la manière dont ils gèrent leurs systèmes de protection des lanceurs d'alerte.

  (1600)  

     Je pense qu'il y a cinq éléments essentiels. M. Devine vous a donné beaucoup de détails sur ce qui doit être mis en place, mais je voulais insister sur cinq d'entre eux. La définition...
    Je suis désolé, madame Myers, mais nous avons déjà dépassé les cinq minutes. Puis‑je vous demander d'être très brève?
    Oui. La définition de l'information doit être vaste et utile. Il doit y avoir un éventail de canaux protégés pour garantir qu'il existe d'autres solutions lorsque certains canaux sont bloqués. Il faut absolument renverser le fardeau de la preuve, car c'est le seul élément qui garantisse vraiment l'établissement de règles du jeu équitables. Un autre élément est l'accès à une procédure régulière indépendante, et la loi canadienne est, à ma connaissance, la seule au monde qui ait eu cette règle de contrôle. Le dernier élément est la protection contre toute une série de mesures de représailles, et pas seulement celles que l'on voit dans le cas d'un congédiement.
     Je voudrais seulement souligner que la directive de l'Union européenne change les choses à cet égard et que 27 États membres vont devoir s'y conformer et sont en train de mettre des lois en œuvre. Le Canada a maintenant l'occasion de vraiment changer la donne, non seulement en se remettant à niveau par rapport à ce qui se passe à l'échelle internationale, mais aussi en allant de l'avant.
    Merci beaucoup.
    Merci, madame Myers.
     Chers collègues, si vous le voulez bien, ce n'est peut-être pas très orthodoxe, mais Mme Gaultieri est de retour parmi nous. Elle a une courte déclaration de deux minutes et vingt secondes à faire, si j'ai bien compris. Je pense que c'est suffisamment important pour que nous lui donnions une certaine marge de manœuvre.
    Allez‑y, s'il vous plaît, pour deux minutes et vingt secondes.
    Merci, monsieur le président. J'ai déjà réduit ma déclaration et j'espère qu'elle durera moins de deux minutes.
    Puisque M. Devine était absent la semaine dernière, je reviens pour présenter un témoignage auquel lui et moi avons collaboré.
    À FAIR, l'organisme de bienfaisance de dénonciation que j'ai fondé et dans lequel M. Hutton est venu faire du bénévolat, j'ai rédigé des normes pour une bonne loi, en adaptant les travaux de M. Devine. M. Hutton vous en a parlé en partie, mais je n'avais jamais prévu qu'une telle vengeance serait exercée contre des lanceurs d'alerte canadiens, rendant ces normes problématiques.
     Au Canada, la liberté d'expression et l'application régulière de la loi, des éléments fondamentaux pour tout dénonciateur, sont entravées. L'ancienne juge en chef Beverley McLachlin l'a exprimé ainsi: « [...] nous, Canadiens, acceptons davantage que les Américains les limites imposées par l'État à la liberté d'expression. La même observation pourrait être faite à propos d'autres droits fondamentaux. » Elle poursuit en disant ceci: « [...]la démarche canadienne est plus nuancée que celle des États-Unis en ce qui concerne l'application régulière de la loi » et « [n]ous nous accommodons parfaitement bien de l'ambiguïté. »
     L'actuel juge en chef, M. Wagner, a porté le coup fatal avec une mise en garde qu'il a faite de manière éloquente en citant Balzac: « Les lois sont des toiles d'araignées à travers lesquelles passent les grandes mouches et où restent les petites ». Fondamentales pour la culture, ces déclarations faisant autorité sont inquiétantes, d'autant plus que le lanceur d'alerte est toujours la petite mouche.
     Vous avez demandé à plusieurs reprises ce que ce comité devrait faire. Premièrement, assumer la responsabilité de la crise. Depuis trop longtemps, les Canadiens ordinaires font le travail du Parlement.
    Deuxièmement, s'engager à signer une déclaration publique exempte d'ambiguïté affirmant que les dénonciateurs ont pleinement le droit de s'exprimer librement, et l'intégrer dans le projet de loi C‑290.
    Troisièmement, signaler et éliminer les nuances des procédures régulières actuellement utilisées par notre gouvernement, nos cours et nos tribunaux pour supprimer les droits de la personne des lanceurs d'alerte.
    Le Comité a évoqué l'importance de la bonne foi. Veuillez faire preuve de bonne foi. Adoptez le projet de loi C‑290, non pas comme une fin, mais comme le début d'une culture saine de vérité.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    C'est Mme Kusie qui commence. Vous disposez de six minutes.
    Merci, monsieur le président. Merci beaucoup à nos témoins d'être ici aujourd'hui et de parler de leurs expériences.
    Monsieur Bruyea, au début de votre déclaration préliminaire, vous avez qualifié la loi canadienne de discriminatoire. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, s'il vous plaît?
    Je répondrai à cette question par une anecdote que j'ai racontée à mon fils en fin de semaine. Il m'a demandé de quel mensonge je parlais et je lui ai répondu d'imaginer qu'il dit à un groupe de personnes que puisqu'on craint que certaines d'entre elles commettent un crime, on aimerait qu'elles rédigent la loi. On aimerait qu'elles désignent le chef de la police et qu'elles constituent la police qui appliquera cette loi. Il leur dirait ensuite qu'on leur donnerait le contrôle de tous les éléments de preuve, qu'on leur donnerait des ressources juridiques et financières illimitées pour se défendre et que, si quelqu'un les accuse d'avoir commis un crime, elles auront le droit de persécuter cette personne.
    Mon fils m'a dit que cette loi ne semblait pas très intelligente et que les criminels l'aimeraient. Je pense que c'est ce que nous avons devant nous, une loi qui, fondamentalement, n'aide pas le lanceur d'alerte, même si son appellation indique qu'elle est censée le faire. Nous ne construirions jamais, par exemple, un bâtiment public pour tous les Canadiens qui ne comprendrait pas de rampes d'accès pour les personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ou de salles de bain accessibles à ces personnes — censées être conçues pour aider des personnes vraiment vulnérables, handicapées, qui protestent contre le gouvernement — et où il y aurait plein d'échelles et de murs à escalader alors qu'elles ne sont pas en mesure de le faire. Le projet de loi C‑290 commence à éliminer certains de ces obstacles.

  (1605)  

    Je vous remercie de votre réponse.
    Votre fils est‑il présent aujourd'hui?
    Oui. Il est là‑bas.
    C'est très bien.
    M. Sean Bruyea: Merci.
    Mme Stephanie Kusie: J'ai pensé que c'était peut-être lui, et je crois que c'est très bien qu'il soit là pour vous soutenir aujourd'hui, compte tenu de tout ce qu'il a dû vous voir endurer.
    Docteure Brill-Edwards, je voudrais seulement vous raconter une petite anecdote. Mme Gualtieri sait que je le fais. J'ai passé l'été 2000 chez Merck Pharmaceuticals à Whitehouse Station — l'été entre mes deux années de maîtrise en administration des affaires — et c'était à l'époque où le Vioxx faisait fureur. Je me souviens d'avoir vu le service de marketing. Ce médicament suscitait l'engouement de tout le monde. Voilà que la chute allait commencer lorsque des éléments de fait ont été rendus publics et que l'Amérique et le monde ont pris conscience des répercussions.
     Madame Gualtieri, je sais que vous en avez parlé, alors je dis simplement que j'ai vu ce que vous décrivez.
    Madame Myers, j'aime toujours les études comparatives. Vous avez donné l'exemple de l'Union européenne. Si je devais mener une étude comparative sur laquelle nous pourrions baser nos nouvelles mesures de protection des dénonciateurs, pourriez-vous me fournir les meilleures ressources internationales en la matière? Vous avez mentionné l'Union européenne, mais si vous pouviez me fournir une courte liste, une liste exhaustive...
    Voulez-vous que je vous fournisse cette liste plus tard, ou voulez-vous dire tout de suite?
    Eh bien, vous pourriez le faire verbalement, pour commencer, maintenant, puis de façon complète plus tard.
    Certainement.
    Bon nombre des principes que Tom Devine a présentés et dont j'ai parlé — les cinq que j'ai mentionnés — figurent dans la directive de l'Union européenne. Cela signifie que les 27 États membres devront transposer la directive dans leurs systèmes nationaux. Il sera possible de soulever des questions à l'interne. Si l'on travaille au sein du gouvernement, c'est évidemment au sein du gouvernement ou à un organisme ministériel, mais on peut également être protégé même si l'on rend l'information publique dans certaines circonstances. L'ensemble des divulgations protégées se retrouveront dans toutes ces lois. Les lois qui contiennent déjà de telles dispositions sont la Public Interest Disclosure Act du Royaume-Uni et la Protected Disclosures Act de l'Irlande. La Serbie, qui ne fait même pas partie de l'Union européenne, a agi en ce sens, et la France dispose désormais de l'une des lois les plus avancées.
     Il y a de nombreuses années, bon nombre d'entre nous se sont fait dire que la dénonciation était très anglo-saxonne, qu'elle cadrait vraiment avec la common law, qu'elle ne ferait jamais partie du système français. Or, aujourd'hui, la France dispose de l'une des lois les plus vastes. Elle protège en fait les gens qui aident les dénonciateurs à faire leurs révélations, et il peut s'agir d'une personne juridique. À l'instar des organisations pour lesquelles Tom Devine travaille, de nombreux membres du Whistleblowing International Network que je dirige seraient protégés s'ils soutenaient un lanceur d'alerte et qu'on les attaquait eux aussi. Cela peut se faire dans le cadre du droit pénal et du droit civil pour diffamation, ou par d'autres formes d'attaques en utilisant les systèmes juridiques.
     Il s'agit de lois très complètes. Je serai très heureuse de dresser une liste de certains de ces éléments, des cas où cela existait déjà et de ce que la directive européenne changera.
    Je vous remercie.
    Monsieur Devine, vous avez formulé — dans le dernier tiers de votre déclaration préliminaire, je crois — quatre recommandations. Pourriez-vous les répéter, s'il vous plaît, et les étoffer dans la minute qu'il nous reste?
    Oui, madame.
    Je pense que la priorité absolue est de veiller à ce que les droits ne puissent pas être annulés à volonté par des institutions qui pourraient abuser de leur pouvoir. C'est une tactique très courante que de faire de la renonciation à ses droits une condition préalable à l'obtention d'un emploi — comme l'a décrit un autre témoin dans un contexte différent — et d'annuler… Ou plutôt de faire en sorte que certains règlements d'un organisme annulent ces droits. C'est dans la loi canadienne actuelle sur la liberté d'expression publique.
    On insistera jamais assez sur le fardeau de la preuve, car autrement, nous sommes vulnérables aux décisions arbitraires.
    Pour répondre à votre question, j'aimerais insister sur l'importance de la formation. La formation et l'éducation changent la donne. La première étape pour changer les préjugés culturels est d'adopter une loi à cet égard. C'est la première étape, mais les droits doivent prendre racine dans cette loi. Cela signifie qu'il faut informer les gens qu'ils ont des droits, informer les employeurs de leurs responsabilités à l'égard de ces droits et informer les personnes qui les appliquent qu'ils sont crédibles, pertinents et importants pour la société. En Serbie, où l'on a exigé…

  (1610)  

    Je suis désolé, mais le temps est écoulé, monsieur Devine.
    … la certification, le taux de réussite est de 80 % comparativement à 20 % à l'échelle mondiale pour les cas de dénonciation.
    C'est parfait. Je vous remercie.
    Monsieur Fergus, vous avez la parole.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais remercier tous les témoins qui sont avec nous aujourd'hui.
    Malheureusement, compte tenu du temps que nous avons, je ne pourrai poser que quelques questions. J'aimerais commencer par Mme Myers.

[Traduction]

    Madame Myers, vous avez indiqué que le modèle européen serait probablement le meilleur modèle à utiliser à l'avenir pour la protection des divulgateurs d'actes répréhensibles de la fonction publique. Je pense que c'est une question que nous devrions examiner très attentivement.
    Avant de poser ma question, j'aimerais donner un aperçu de la situation. Bien entendu, nous comprenons que le projet de loi C‑290 est un projet de loi d'initiative parlementaire. Il a donc une portée limitée pour ce qui est de changer la culture de la façon dont parlait M. Devine. Pour y arriver, il faudrait d'autres éléments qui devraient venir d'un projet de loi émanant du gouvernement. Je sais que le gouvernement envisage de mettre à jour la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.
    Madame Myers, le projet de loi C‑290, dont nous sommes saisis, prévoit la possibilité d'éliminer les références à la « bonne foi » et aux « motifs raisonnables » dans les articles de la Loi qui concernent l'examen. La semaine dernière, j'ai posé à l'un de nos témoins la même question que j'aimerais vous poser maintenant. Si on éliminait ces éléments, et s'il n'est pas nécessaire que le divulgateur d'actes répréhensibles ait des motifs raisonnables de croire que ce qu'il signale est vrai, n'est‑il pas possible que cela mène à des divulgations frivoles et peut-être intentionnellement malveillantes? Avez-vous observé cela dans d'autres instances?
    Non, et j'aimerais expliquer ma réponse.
    Au Royaume-Uni, ce critère a été éliminé. En effet, le critère de la « bonne foi » a été retiré de la Public Interest Disclosure Act, c'est‑à‑dire la loi sur la divulgation dans l'intérêt public de ce pays. C'est un exemple très concret.
    Ce qui s'est passé, c'est qu'il est devenu très difficile de franchir la première étape d'une procédure judiciaire. En effet, on en était venu à considérer que les motifs du divulgateur constituaient l'objet du procès. Bien souvent, on se demandait si le divulgateur s'était comporté de manière raisonnable, sans demander… En gros, au Royaume-Uni, on démontre qu'on a soulevé une question d'intérêt public et on indique la nature du comportement répréhensible. Le fardeau de la preuve se déplace alors… Le comportement répréhensible, les représailles sont contre eux. Puisqu'on a établi une preuve prima facie, il revient maintenant à l'employeur de réfuter… Il doit démontrer que toutes représailles qui ont eu lieu étaient en réalité justifiées — de façon indépendante — et n'avaient rien à voir avec la divulgation.
    Si l'on impose ce seuil pour avoir une discussion… Il y en a assez sur les lieux de travail. La plupart des gens souhaitent soulever les problèmes à l'interne. Si vous réfléchissez à votre propre situation, vous ne pensez pas que vous iriez immédiatement voir un administrateur-cadre ou un administrateur non-cadre dans le contexte de votre emploi, ou que vous auriez immédiatement communiqué avec un organisme de réglementation. La loi tente de protéger la personne qui a souffert pour avoir soulevé un problème. L'élimination de la notion de « bonne foi » ne permet pas soudainement à tout le monde de s'exprimer et de le faire avec des motifs douteux.
    Je pense que nous avons démontré à maintes reprises que la présence du critère de la « bonne foi » tend à concentrer tous les efforts des tribunaux et que les membres de l'autre partie peuvent en profiter pour mettre en doute les motifs du divulgateur avant même de passer à l'étape suivante.
    Madame Myers, je suis désolé, car je ne voulais pas donner l'impression… Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est important de supprimer les notions de « bonne foi » et de « motifs raisonnables ». Je me demandais simplement s'il y avait un juste milieu raisonnable, une sorte de limite prévue à cet égard, afin d'éviter les affaires frivoles dont nous parlions.
    J'aimerais demander à M. Devine de répondre à cette question, compte tenu de son expérience.

  (1615)  

    Oui, monsieur, le critère de la « bonne foi » a été très dangereux, mais le critère de la « conviction raisonnable » est en réalité un critère du bien-fondé qui est légitime et universellement accepté pour déterminer si une divulgation mérite d'être protégée. Habituellement, les éléments de ce critère impliquent qu'une personne croit sincèrement que les enjeux qu'elle soulève posent problème et que des pairs qui ont des connaissances et une expérience similaires pourraient être d'accord avec elle — sans y être obligés. En somme, le point de vue de cette personne serait jugé fondé au sein de la collectivité de professionnels ou de collègues avec lesquels elle travaille.
    Je suis heureux que vous ayez soulevé ce point. À mon avis, le critère de conviction raisonnable que vous avez mentionné représente un fondement adéquat dans ce cas‑ci.
    À votre avis, qu'est‑ce que cela permet d'éviter?
    Cela permet d'éviter les jugements subjectifs sur la question de savoir si le discours doit être protégé. Lorsqu'on fait le procès des motifs des divulgateurs, cela devient un jugement personnel sur la personne. Le critère de la conviction raisonnable signifie qu'on se concentrera plutôt sur la crédibilité des preuves présentées par le divulgateur. Au bout du compte, c'est l'objectif des lois sur la protection des divulgateurs.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je vous remercie.
    Madame Vignola, vous avez la parole. Vous avez six minutes.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Madame Brill‑Edwards, monsieur Bruyea, madame Gualtieri et monsieur Devine, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
    Madame Brill‑Edwards, je suis désolée d'apprendre que certaines options de carrière sont devenues inaccessibles pour vous en raison de votre honnêteté. Cela ne devrait jamais arriver.
    Monsieur Bruyea, vous avez vécu l'enfer, et je pense que même Satan ne voudrait pas vivre ce que vous avez vécu. Je suis désolée. Encore une fois, cela ne devrait jamais arriver.
    Monsieur Devine, vous avez dit que la priorité absolue était de renverser le fardeau de la preuve. Pourquoi est-ce si important?

[Traduction]

    Pour éviter les décisions arbitraires, il faut établir des règles au sujet de la quantité de preuves nécessaires pour gagner sa cause et prouver ses accusations.
    À l'heure actuelle, la loi canadienne est l'une des rares lois dans le monde qui n'a pas prévu de normes sur les preuves nécessaires pour prouver que des représailles ont eu lieu. Ces normes ont été très bien définies au fil des décennies. La directive de l'Union européenne et les normes américaines sont à peu près équivalentes, même si je pense que les fardeaux de la preuve sont un peu plus clairement définis dans l'Union européenne. Les normes américaines présentent quelques particularités pour notre système juridique.
    Sans fardeaux de la preuve, un divulgateur est à la merci des caprices de n'importe quel décideur. Cela signifie que les droits dépendent entièrement de facteurs subjectifs, plutôt que de facteurs objectifs et crédibles fondés sur l'intérêt public.

[Français]

    Comment le renversement du fardeau de la preuve pourrait-il être appliqué au Canada, dans le cadre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles?

[Traduction]

    La directive de l'Union européenne sur le fardeau de la preuve s'est avérée très souple pour les pays dotés de systèmes juridiques nationaux variés, car elle est en quelque sorte composée de principes fondamentaux.
    D'un pays à l'autre, la quantité de preuves nécessaires pour faire valoir un point n'a pas beaucoup d'importance. Il peut y avoir différents points à prouver au moyen de différentes procédures ou structures.
    Le niveau de preuves nécessaire pour prouver que ses droits ont été violés est assez semblable à l'échelle mondiale. En effet, les normes à ce sujet se ressemblent un peu partout.

[Français]

    Je vous remercie.
    Monsieur Bruyea, selon vous, les vétérans sont particulièrement vulnérables aux représailles. Pouvez-vous expliquer au Comité comment cette vulnérabilité devrait également être prise en compte pour étendre la portée du projet de loi visant à modifier la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles?

  (1620)  

    Merci beaucoup de votre question.

[Traduction]

    Je suis arrivé à une norme pour laquelle je pensais… N'étant pas très au fait de la loi, je me suis rendu compte que jusqu'à présent, seuls les fonctionnaires pouvaient être considérés comme étant des divulgateurs. Cela s'explique par le fait qu'ils répondent à deux critères, à savoir qu'ils ont des connaissances dans le cadre de leur travail et qu'ils risquent de perdre leur emploi et de subir d'autres répercussions liées au travail.
    Le projet de loi C‑290 fait un excellent travail en abordant ces deux notions et en les appliquant également aux entrepreneurs qui ont à la fois des connaissances privilégiées et une certaine vulnérabilité, ainsi qu'aux anciens fonctionnaires, aux anciens membres de la GRC et aux travailleurs temporaires.
    Dans ce contexte, si nous utilisons le critère de la vulnérabilité, les anciens combattants sont les plus vulnérables de toutes les personnes qui reçoivent un service du gouvernement fédéral, car ils dépendent souvent entièrement du ministère des Anciens Combattants. Si quelqu'un, à quelque niveau que ce soit, décidait d'exercer une vengeance contre un ancien combattant, il mettrait en péril la sécurité financière, les soins médicaux et souvent la stabilité de la famille et du foyer de cet ancien combattant.

[Français]

    Je vous remercie.
    Madame Gualtieri, à plusieurs reprises, il a été fait mention du principe de loyauté.
    Une seule question me vient à l'esprit à ce sujet. Envers qui les fonctionnaires doivent-ils impérativement faire preuve de loyauté? Est-ce envers leurs patrons, soit les personnes se trouvant à un échelon hiérarchique supérieur? Est-ce envers les citoyens à qui sont destinés les services? Toute autre réponse est également possible.
    Mme Myers et M. Devine sont également invités à se prononcer sur cette question.

[Traduction]

    Je pense que c'est une excellente question, car elle fait l'objet d'un débat de longue date. Les fonctionnaires diront que leur loyauté va au peuple canadien, mais cela n'entre pas en conflit… Autrement dit, cela n'entre pas en conflit avec la loyauté envers le patron s'il s'agit d'un bon patron. Au bout du compte, il s'agit d'un tout.
    Si une personne doit faire un choix entre les deux, cela signifie qu'un patron ne reflète pas, d'une manière ou d'une autre, les valeurs de notre pays, nos valeurs constitutionnelles ou nos valeurs humaines. Au bout du compte, la plupart des fonctionnaires — tous les fonctionnaires, selon moi — considèrent qu'ils sont au service du peuple dans leur travail. Ce faisant, ils espèrent qu'ils servent aussi leurs patrons.
    S'ils doivent faire un choix, ils font face à un terrible dilemme. C'est la raison pour laquelle nous cherchons à les protéger lorsqu'ils feront ce choix, afin qu'ils ne soient pas sacrifiés pour avoir continué à servir le peuple.

[Français]

    Je vous remercie.

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup.
    Monsieur Johns, je suis heureux de vous voir. Vous avez la parole. Vous avez six minutes.
    Je vous remercie.
    Je remercie tous les témoins de leurs témoignages.
    Tout d'abord, je tiens à remercier M. Bruyea et Dre Brill-Edwards pour les services qu'ils ont rendus au Canada et pour nous avoir raconté leurs histoires déchirantes. C'est douloureux de les entendre. Je suis vraiment désolé d'entendre ce que vous avez vécu. Je tiens à le souligner et à vous remercier de votre courage.
    Tous les témoins qui comparaissent aujourd'hui le font pour que justice soit faite, non seulement pour ce qu'ils ont vécu, mais aussi pour les personnes qui travaillent dans la fonction publique et pour l'avenir de notre pays. Je leur en suis reconnaissant.
    Monsieur Bruyea, pourriez-vous expliquer pourquoi vous recommandez que les membres actifs des Forces armées canadiennes qui reçoivent des prestations d'Anciens Combattants Canada soient couverts par cette loi? Veuillez approfondir les raisons que vous avez données dans votre témoignage.
    Certainement. Je vous remercie, monsieur Johns.
    Les membres actifs des Forces armées canadiennes ont également le droit de recevoir des prestations d'Anciens Combattants Canada. Le problème, c'est que le processus d'examen interne mis en place par les Forces armées canadiennes comporte un chef du Service d'examen. Ce dernier signale les incidents liés à des actes répréhensibles aux échelons supérieurs de la chaîne de commandement. Il s'agit d'une structure très hiérarchique, plus que dans la fonction publique.
    Le problème, c'est que si un membre des Forces armées canadiennes souhaite signaler quelque chose qui concerne Anciens Combattants Canada, les Forces armées canadiennes ne sont pas habilitées à traiter les questions relatives à ce ministère. Ces questions ne seraient pas non plus traitées avec beaucoup de bonne foi, compte tenu de la stigmatisation dont l'invalidité fait l'objet au sein des Forces armées canadiennes.
    Je pense qu'il est important que les membres actifs puissent séparer leur vie personnelle, où ils peuvent souffrir d'une invalidité, de leur vie professionnelle, où ils peuvent être témoins d'actes répréhensibles dans le cadre des opérations des Forces armées canadiennes.
    J'espère avoir répondu à la question.

  (1625)  

    Certainement. C'est excellent.
    Par ailleurs, dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles est une loi hautement discriminatoire qui est vouée à l'échec. Pouvez-vous nous expliquer un peu plus en détail pourquoi vous avez dit cela?
    Oui. J'ai d'ailleurs raconté une anecdote à ce sujet plus tôt.
    La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles ne semble pas comprendre la notion même de culture au sein d'une organisation. J'aimerais que les membres du Comité qui appartiennent aux différents partis se demandent dans quelle mesure ils seraient prêts à aller à l'encontre de leur parti pour critiquer quelque chose qui se passe au sein du parti.
    Je dirais que la loyauté au sein de la fonction publique est encore plus prononcée dans la mesure où la plupart des fonctionnaires ont leur travail vraiment à cœur. Pourtant, la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles utilise des expressions comme « de bonne foi » et des définitions de nombreux autres mots que j'appelle des « mots ambigus ». Ce sont des mots qui sont ouverts à l'interprétation, et cette interprétation est contrôlée par le gouvernement.
    Dans un sens, le fait qu'une grande partie de l'interprétation de la Loi ne relève pas du pouvoir des tribunaux est une caractéristique très neutralisante. L'interprétation ne relève certainement pas non plus du pouvoir des divulgateurs. Il s'agit d'un système accusatoire qui ne les considère pas de bonne foi. Je pense que, dans ce sens, nous avons affaire à un malentendu culturel sur la difficulté d'être un divulgateur.
    Il s'ensuit que lorsqu'on envisage de supprimer les mots « de bonne foi » de l'article pour les remplacer par un autre fardeau de la preuve… Je dirais que l'on en a assez fait contre les divulgateurs. Je pense que nous devrions simplement éliminer les mots « de bonne foi » sans essayer de les remplacer par autre chose.
    Quels autres ajouts aimeriez-vous apporter à la Loi?
    Par ailleurs, avez-vous d'autres commentaires que vous n'avez pas eu l'occasion de formuler au Comité?
    Je pense qu'il est très important de considérer cette loi comme un tremplin pour aller plus loin. Elle n'est pas parfaite, mais rien de ce qui est adopté au Parlement n'est jamais parfait. Nous travaillons dans un système de changements évolutifs. La manière dont on fait les choses n'a pratiquement jamais fait l'objet d'une révolution au Canada, alors il faut bien commencer quelque part.
     Lorsqu'il s'agit de la culture d'un système fermé — et la fonction publique est un système très fermé que je comparerais au système très fermé de l'armée —, cette culture a été presque impossible à changer sur le plan de la discrimination et du harcèlement sexuel, mais cela n'a jamais empêché le gouvernement d'intervenir et d'affirmer qu'on allait commencer par tenir les gens responsables et attendre que le changement de culture se produise plus tard. C'est ce que fait le projet de loi C‑290, et j'aimerais que l'on continue dans cette voie.
    C'est excellent.
    Docteure Brill-Edwards et madame Myers, vous avez toutes deux parlé de l'importance de sanctionner les représailles prises contre les divulgateurs.
    Madame Myers, je vous suis très reconnaissant de nous avoir donné des exemples internationaux. Pouvez-vous suggérer des amendements à apporter au projet de loi C‑290 qui contribueraient à renforcer cet élément, comme vous l'avez observé dans d'autres instances?
    Oui. Je vais faire parvenir quelques exemples au Comité, mais je peux dire que la directive de l'Union européenne prévoit des sanctions notamment pour les manquements à l'obligation de confidentialité. Si une personne soulève une préoccupation sous le sceau de la confidence, il y a des garanties... des sanctions sont prévues.
    Il y a eu des cas au Royaume-Uni, notamment, car le secteur privé est également visé, mais je crois qu'il existe des exemples dans les deux secteurs. Au sein d'une organisation, une sanction a été imposée à un individu qui a tenté de découvrir l'identité de la personne. L'organisation — il s'agissait d'une banque — a aussi fait l'objet d'une sanction, et l'individu qui a tenté de découvrir l'identité de la personne qui avait soulevé une préoccupation a miné le système de dénonciation, même si tout avait été fait correctement. L'organisme de réglementation a alors expliqué que ce n'est pas une chose à faire, car cela mine le système, qui fonctionne bien jusqu'à ce qu'un individu cherche à savoir qui a soulevé une préoccupation. C'est ce qui a principalement été mis en évidence.
    Par ailleurs, en Australie, je pense qu'une obligation de diligence est en train d'être imposée à certaines organisations, pour éviter qu'elles ne laissent tomber un dénonciateur et pour s'assurer que le système fonctionne correctement, que les responsables sont bien formés et que rien ne cloche.
    Il existe de bons exemples. Je le répète, le Canada a l'occasion d'ajouter du mordant à la loi, et j'estime que c'est très important. Il faut s'assurer que l'information puisse circuler.

  (1630)  

    Je vous remercie beaucoup. Votre temps est écoulé.
    Madame Block, la parole est à vous pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    À l'instar de mes collègues, je vous souhaite tous la bienvenue. Vos témoignages en tant qu'experts réputés nous ont ouvert les yeux et sont très utiles, tout comme les témoignages des dénonciateurs, qui sont troublants et très convaincants.
    J'aimerais d'abord vous remercier, monsieur Bruyea, au nom de mes collègues d'avoir servi notre pays et de comparaître aujourd'hui devant le Comité.
    En ce qui a trait aux mesures proposées pour mieux protéger les dénonciateurs, le Commissariat à l'intégrité du secteur public suscite des préoccupations, et c'est sans doute un élément clé pour régler le problème. Certains témoins ont fait valoir que cette entité a été entachée par des conflits d'intérêts, souvent parce que les personnes recrutées au sein de cet organisme et pour occuper le poste de commissaire proviennent elles-mêmes de la fonction publique.
    Je me demande, monsieur Bruyea, si vous avez déjà eu recours aux services du Commissariat à l'intégrité du secteur public, et, le cas échéant, si vous pouvez nous faire part de votre expérience.
    Oui, bien sûr. J'y ai eu recours en 2010, lorsque la nouvelle a éclaté, non seulement à propos de mon histoire, mais aussi bien sûr, au sujet du fait que Mme Ouimet — la première commissaire à l'intégrité du secteur public controversée — n'avait pas du tout pris en considération mon dossier. Moi-même et d'autres personnes avons dû nous adresser aux médias. C'est devenu en quelque sorte une cause célèbre concernant un cas évident d'actes répréhensibles. Pourquoi rien n'a‑t‑il été fait?
    Plus tard, j'ai rencontré M. Dion et certains des membres de son personnel. Je me souviens que j'étais assis seul dans une salle avec une avocate. Elle m'avait pris à part. J'avais tendance à enregistrer les propos, car la situation avait tellement dérapé au cours des cinq années précédentes que j'enregistrais tous mes échanges avec des fonctionnaires. Cette fois‑là, j'avais oublié mon magnétophone. Elle m'a fait entrer dans le bureau — elle était très amicale — puis elle a fermé la porte. Son attitude a changé du tout au tout. Elle m'a demandé pourquoi je voulais en obtenir davantage. Elle m'a dit que j'en avais eu suffisamment et que j'avais bénéficié d'une grande couverture médiatique. Elle voulait savoir pourquoi je voulais en obtenir davantage du commissariat. J'étais absolument estomaqué de voir qu'elle pensait sincèrement que j'avais dénoncé les actes répréhensibles pour obtenir de l'attention, alors que je l'ai fait non pas pour moi-même, mais simplement pour aider les autres après moi qui seraient traités de la même façon.
    Je me suis prévalu du montant offert pour les services juridiques, à savoir 3 000 $. Il a fallu verser près de 1 000 $ pour justifier la facture, alors, mon avocat a fini par obtenir environ 2 000 $. C'est une somme complètement inadéquate. Je sais que cela ne relève pas du Comité ni du projet de loi d'initiative parlementaire.
    J'ajouterais que David Hutton et moi-même avons siégé au comité consultatif de M. Dion. Son travail était loin d'être remarquable. Pourquoi aurait‑il fait un travail remarquable, étant donné qu'il ne faisait qu'attendre son prochain poste? Il a décidé de parler lorsqu'il occupait ce qui était probablement son dernier poste. C'est ce qui se produit lorsqu'on nomme des fonctionnaires, car ils dépendent du Bureau du Conseil privé et de la bonne volonté du gouvernement pour obtenir leur prochaine nomination. J'ose espérer qu'on envisagera dans l'avenir de mettre en place un processus de nomination de personnes neutres et non partisanes, qui ne sont pas choisies par le Bureau du Conseil privé ou le Cabinet du premier ministre.
    Merci.
    Je vous remercie beaucoup.
    Ma prochaine question s'adresse à quiconque estime pouvoir y répondre. Existe‑t‑il des exemples dans d'autres administrations de commissariats semblables dont nous pourrions nous inspirer?
    Je peux répondre à cette question.
    Aux États-Unis, l'organisme fédéral de protection des dénonciateurs est l'Office of Special Counsel. Son histoire est marquée par des hauts et des bas.
    Pendant longtemps, les dénonciateurs dans notre pays ont eu la même perception que vous avez à l'égard du commissaire à l'intégrité. Nous devions conseiller aux gens de ne pas communiquer leurs preuves à cet office, car elles étaient transmises immédiatement aux organisations, qui exerçaient des représailles contre eux. Ils étaient la cible d'intimidateurs. Aucune mesure n'était prise à l'égard des actes dénoncés.
    Nous nous sommes battus en faveur de l'intégrité de cet office. La Whistleblower Protection Act lui enlevait le pouvoir de prendre des mesures qui mineraient les intérêts de ceux qui demandaient de l'aide. Il ne pouvait sans doute pas aider tout le monde, mais il ne pourrait pas se retourner contre les dénonciateurs et empirer les choses.
    Nous avons accordé le droit aux dénonciateurs de participer au processus d'examen des actes qu'ils ont dénoncés, car un commissaire à l'intégrité du secteur public ne peut pas le faire seul. Il est impossible qu'il possède une expertise sur toutes les activités dans le cadre desquelles il peut y avoir un abus de pouvoir. Il doit faire équipe avec un dénonciateur. Nous avons officialisé cela dans la loi.
    Ce n'est pas une panacée, mais je donnerais à l'Office of Special Counsel la note de B ou B‑ actuellement. C'est beaucoup mieux qu'auparavant.

  (1635)  

    Je vous remercie beaucoup.
    Madame Thompson, la parole est à vous pour cinq minutes. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Je souhaite la bienvenue aux témoins. Merci beaucoup de comparaître devant le Comité. Je suis désolée que nous ne puissions pas passer plus de temps avec vous aujourd'hui.
    Je voudrais certes m'entretenir avec chacun d'entre vous, mais comme la réunion tire à sa fin et que je dispose de seulement cinq minutes, je vais m'adresser à vous, monsieur Devine. Merci pour votre présence.
    J'aimerais me concentrer sur le soutien, car vous en avez parlé, et c'est très important. Le projet de loi C‑290 exige que les cadres supérieurs offrent du soutien à l'égard des dénonciations. Toutefois, on ne précise pas comment cela devrait se faire. Est‑ce que cette lacune fait en sorte qu'il serait difficile de déterminer comment ces mesures de soutien devraient être créées et maintenues, et pourrions-nous remédier à cette lacune par le biais d'un amendement?
    Tout à fait. Il est possible de peaufiner cette mesure législative. Le projet de loi établit le principe, mais il faudra travailler d'arrache-pied pour le mettre en oeuvre. On peut remédier à cette lacune maintenant grâce à un amendement, ou lors de l'examen national à venir. C'est absolument essentiel.
    Les dénonciateurs agissent à l'aveuglette. Souvent, ils ne connaissent pas leurs droits. Ils agissent en fonction de leurs valeurs, et ce, dans un contexte un peu machiavélique, où le fait de simplement agir en fonction de leurs valeurs ouvertement et innocemment peut leur nuire dans leur parcours professionnel.
    Ils doivent être mis au courant de leurs droits et de la façon de les exercer d'une manière stratégique, responsable et efficace. Il faut offrir une formation à cet égard. Il faut un commissariat qui n'a pas d'intérêts dans le conflit et qui possède l'expertise nécessaire pour leur enseigner comment utiliser la loi correctement. On ne saurait trop insister sur l'importance d'y accorder la priorité.
    Je vais poursuivre dans la même veine. Le projet de loi vise aussi à permettre à une personne de dénoncer un acte répréhensible à n'importe quel superviseur au sein de l'organisation. Ne serait‑il pas plus utile de s'adresser à un superviseur au sein de la ligne hiérarchique, pour s'assurer que les problèmes seront traités correctement? Si non, qu'est‑ce qui conviendrait mieux?
    En fait, la grande majorité des dénonciateurs s'adressent à leur superviseur. Ils ne veulent pas être dans le pétrin. Ils constatent un problème, et ils disent à leur superviseur « Il y a un problème, et il faut y voir. »
    Pour répondre à la question antérieure concernant la loyauté, je peux vous dire que les études démontrent constamment que 90 à 96 % des dénonciateurs ne brisent jamais les rangs, car ils estiment défendre l'organisation et sa mission. Ils ne se rendent pas compte qu'il y a une contradiction entre l'organisation et sa mission.
    Élargir la portée du projet de loi C‑290 en ce qui a trait à la divulgation à un supérieur ne me pose pas de problème, car cela permet à l'employé d'éviter les situations où il y a un conflit d'intérêts. Par exemple, l'employé peut apprendre que c'est son superviseur qui a commis l'acte répréhensible. Il ne voudra donc pas lui communiquer toutes les preuves à ce sujet. Il doit pouvoir s'adresser à un supérieur qui n'a pas de conflit d'intérêts.
    Je vais passer à une question un peu plus générale.
    Le projet de loi ajoute l'ingérence politique dans la définition d'acte répréhensible, mais malheureusement, ce concept n'est pas défini. Serait‑il approprié de clarifier la définition en incluant la protection des personnes qui dénoncent des violations à la Loi sur les conflits d'intérêts?

  (1640)  

    Je pense qu'aucune politique publique ne peut être invoquée pour contester votre proposition. Les conflits d'intérêts sont au cœur de la plupart des cas d'abus de pouvoir. Généralement, les dénonciateurs divulguent des situations résultant d'un conflit d'intérêts, donc vous frappez droit dans le mille.
    Je sais que mon temps est presque écoulé.
    Auriez-vous d'autres commentaires à formuler durant le temps qu'il me reste?
    J'ai préparé un long mémoire écrit, mais il était trop tard pour le faire traduire pour la réunion. Je vous recommande de l'examiner. J'y ai consacré beaucoup d'efforts. Le travail que j'ai effectué avec Anna Myers du Whistleblowing International Network concernant la directive sur la protection des lanceurs d'alerte de l'Union européenne vous permettra en quelque sorte d'avoir cours d'introduction sur ce précédent, que nous approuvons tous.
    Permettez-moi très rapidement de remercier les témoins. Je vous remercie d'avoir le courage de faire progresser ce très important projet de loi. Vous avez fait un travail incroyable. J'espère que d'autres personnes vont bénéficier des expériences absolument horribles que vous avez vécues. Je pense que nous pouvons faire mieux et j'estime que ce projet de loi constitue un pas important dans la bonne direction.
    Je vous remercie beaucoup.
    Merci, madame Thompson.
    Madame Vignola, vous disposez de deux minutes et demie.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'invite chaque témoin à répondre très brièvement à ma prochaine question.
    Êtes-vous en mesure d'évaluer le degré de bonne foi que j'ai en appuyant le projet de loi C‑290?
    Autrement dit, est-ce que je le fais pour la gloire personnelle ou par vengeance? Après tout, je suis une méchante indépendantiste!
    À votre avis, pourquoi est-ce que je donne mon appui au projet de loi? Êtes-vous capables de mesurer la valeur de mes raisons?

[Traduction]

    Eh bien, si nous avons tous la chance de répondre, je vais y aller en premier.
    Pour le déterminer, il faut lire dans les pensées. C'est la raison pour laquelle c'est une inconnue. On s'expose grandement à des jugements subjectifs. Il faut des normes objectives en ce qui a trait à ces droits. Déterminer la bonne foi donne lieu à des jugements subjectifs.
    Honnêtement, je dois dire que les dénonciateurs exposent la vérité à propos d'abus de pouvoir qui trahissent la confiance du public. Est‑ce que la raison pour laquelle ils exposent la vérité est vraiment importante? Ils sont des témoins aux fins de l'intérêt public.
    Aux États-Unis, certains des témoins les plus importants de l'histoire étaient des tueurs à gages de la mafia. Ils ne témoignaient pas et n'exposaient pas des crimes à cause de leurs valeurs. Ils le faisaient par intérêt personnel, mais comme leurs témoignages étaient essentiels, on protégeait leur vie, peu importe si on estimait ou non qu'ils étaient de bonne foi.
    J'ajouterais, en tant que personne qui a fait face au système de dénonciation et, bien sûr, en tant qu'avocate, que le régime de common law est fondé sur une évaluation objective des choses. Le concept de « bonne foi », qui a été utilisé uniquement comme une arme contre les dénonciateurs, va à l'encontre de la façon dont le droit fonctionne, c'est‑à‑dire évaluer les choses en fonction d'une norme objective. Ce concept n'a pas sa place dans le droit.
    Je suis tout à fait d'accord.
    C'est l'un des obstacles dont j'ai parlé et qui rendent de cette loi discriminatoire. Il serait très important d'éliminer la « bonne foi », car on entretient déjà beaucoup de doutes au sujet du dénonciateur. On met déjà suffisamment en doute la loyauté du dénonciateur envers l'organisation.
    Il faut cesser d'entretenir des doutes au sujet du dénonciateur. Il faut plutôt mettre au jour les actes répréhensibles.
    Merci.
    Le temps est écoulé. Dre Brill-Edwards et Mme Myers pourraient nous fournir une réponse par écrit.

  (1645)  

    Ce n'est pas la bonne question à poser.
    La bonne question est la suivante: est‑ce que la divulgation est dans l'intérêt du public? Est‑ce que l'information est utile pour le public?
    Merci.
    Merci.
    Monsieur Johns, vous disposez de deux minutes et demie.
    Je vais laisser la Dre Brill-Edwards finir sa réponse.
    C'est tout.
    D'accord. C'est très bien.
    Je vais m'adresser à vous, docteure Brill-Edwards, car nous savons que les modifications législatives proposées dans le projet de loi C‑290 sont essentielles.
    Pouvez-vous nous parler de l'importance de la culture dans la fonction publique? Un changement de culture s'impose. Avez-vous des propositions à cet égard?
    L'objectif principal des préoccupations que j'ai exprimées est justement de faire comprendre au Comité la nature de la fonction publique et les nombreuses contraintes que subissent les fonctionnaires dans le cadre de leur travail au quotidien.
    Ce qu'il faut vraiment comprendre, c'est que, sans sanctions législatives pour les représailles, les dénonciateurs sont à risque dans un système qui, de façon générale, exige la loyauté et l'adhésion au grand objectif et à la quête globale de la fonction publique, qui sont de servir le gouvernement. Cela fait partie de notre démocratie.
    Les choses dérapent lorsque des personnes au sein de ce système entreprennent des actions ou prennent des décisions qui vont à l'encontre de l'intérêt public. Mme Gualtieri en a parlé. Si tout le monde se sent obligé de suivre les décisions qui sont prises et qu'une personne s'élève contre une décision qui est mauvaise ou discutable et qui met la vie des gens en danger — par exemple dans le cas de médicaments — et, si des pressions sont exercées pour dissuader la dénonciation et qu'il est clair qu'il y aura des représailles, alors on ne peut pas s'attendre à ce que les gens fassent la bonne chose et dénonce une situation.
    Merci.
    Madame Gualtieri, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Oui.
    Vous allez devoir être très brève. Je suis désolé.
    D'accord. C'est un peu hors sujet, mais je voudrais dire qu'un élément qui n'a pas suffisamment fait l'objet de discussions au sein du Comité, c'est le rôle des médias. Les dénonciateurs aux États-Unis ont...
    Cette question devrait être abordée par M. Devine.
    Les médias sont un allié essentiel. Ils ne sont pas les amis des dénonciateurs, mais ils sont un allié de l'intérêt public. Ils sont la voie par laquelle les actes répréhensibles sont portés à l'attention du public, qui, à son tour, demande des changements en se servant du processus électoral. J'ai toujours été convaincue que s'adresser aux médias pour dénoncer un acte répréhensible est une option possible.
    Peut-être que M. Devine peut intervenir.
    Malheureusement, nous n'avons plus de temps. Les deux minutes et demie sont largement écoulées.
    Nous allons terminer avec deux autres interventions de cinq minutes. La parole est à Mme Kusie.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais que tous les témoins nous fassent part de la principale chose qu'ils ont apprise durant le parcours qui les a menés jusqu'à leur comparution devant le Comité aujourd'hui. Changeriez-vous quelque chose? Si oui, qu'est-ce que ce serait? Je voudrais que chacun des témoins réponde.
    De mon point de vue, j'ai appris que rien n'est plus fort que la vérité, du moins si l'on a la chance de pouvoir la partager. La vérité est plus puissante que l'argent et que les formes conventionnelles d'autorité. D'après mon expérience répétée, David a été capable de battre Goliath avec son lance-pierres parce qu'il était en possession de la vérité.
     Ce que je souhaite changer, c'est l'extrême lenteur avec laquelle évoluent les droits des dénonciateurs. Il y a beaucoup trop de lois... Le Canada n'est pas le seul pays dans cette situation. La plupart des lois avant-gardistes établissent un principe, mais la société ne dispose malheureusement pas de toute l'infrastructure nécessaire pour faire appliquer ce principe de manière efficace. La société n'a souvent pas suffisamment d'expérience pour être en mesure de tirer des leçons.
    C'est pourquoi je suis très reconnaissant envers le Comité, qui a su suivre avec persévérance l'évolution de la LPFDAR, et agir en se fondant sur les leçons tirées de l'expérience. Le seul critère sur les 20 critères proposés que le Canada a été en mesure de mettre en application est celui de l'évaluation. C'était un critère qui existait uniquement sur papier, mais le Comité l'a finalement concrétisé.

  (1650)  

    Je vous remercie.
    Si vous me permettez une intervention rapide, j'allais simplement dire que M. Devine et moi avons défendu à l'échelle internationale le fait que la dénonciation est en fait un enjeu de responsabilité institutionnelle. M. Devine l'a expliqué de manière éloquente. L'accent ne devrait pas être mis sur le dénonciateur. Je pense qu'en faisant adopter ce genre de lois, nous nous concentrons trop sur la façon dont le dénonciateur livre son message, et s'il l'a fait de manière appropriée. L'objectif essentiel visé par le projet de loi est de garantir la libre circulation de l'information afin de faire respecter le principe de responsabilité institutionnelle. C'est ce qui m'a poussé à continuer de faire mon travail.
    L'autre point que je tenais à faire, c'est que tous les témoins... En fait, il s'agit d'établir une charte du citoyen dont le reste dépendra. J'ai mis sur pied le Whistleblowing International Network parce que c'est l'engagement civil, y compris les organismes caritatifs comme celui que je dirige, qui permet de surveiller les décideurs. Il est très important d'écouter les dénonciateurs, de même que les personnes qui travaillent au sein d'organismes à but non lucratif. Ce sont ces personnes qui, avec les journalistes, s'efforcent de demander des comptes à nos dirigeants au profit de l'ensemble de la société. L'objectif n'est pas de trouver des boucs émissaires, mais de faire en sorte que les décideurs soient redevables à la population.
    Il est difficile d'avoir du recul à propos de ce que j'ai appris, car je n'aurais pas pu faire autrement. Les forces armées, et la fonction publique, à un certain degré, nous incitent fortement à demeurer loyaux et à ne jamais remettre en question l'autorité. Communiquer avec les médias est complètement tabou au sein des forces armées, car on nous apprend que leur seul objectif est de critiquer l'armée.
    J'ai dû apprendre tout au long de mon parcours à trouver ma voie, à m'émanciper du puissant endoctrinement auquel j'avais été exposé. J'ai dû me battre sans relâche et j'ai gaspillé de vastes ressources pour essayer de convaincre les autorités du ministère des Anciens Combattants que quelque chose n'allait pas. Avec le recul, je trouve que j'ai agi de manière stupide, mais je n'avais pas d'autres options.
    La meilleure chose que je puisse apprendre à faire est sans doute de me pardonner, car je n'avais pas le choix.
    On dirait une métaphore pour la vie elle-même.
    Je tiens à souligner qu'au moment où j'ai été trahie et abandonnée par mon gouvernement, j'ai compris que des gens m'appuyaient. J'ai pris la parole dans des églises, dans des universités et auprès d'associations professionnelles. Ce que j'ai appris, c'est qu'en fin de compte, les gens se soucient de la parole des dénonciateurs, qu'ils souhaitent faire éclater la vérité.
    En tant que politiciens, sachez que la population est derrière vous dans votre quête d'obtenir la vérité.
    Je pense avoir pris conscience de l'importance de l'intégrité, et j'ai compris qu'il est essentiel pour chacun d'entre nous de s'exprimer afin d'éviter que d'autres personnes ne subissent des préjudices. Lorsque je me suis retrouvée au centre de difficultés à Santé Canada, confrontée à des employés en situation d'autorité qui étaient tout à fait disposés à laisser mourir d'autres personnes, j'ai vraiment senti qu'il était temps pour moi de partir. J'ai dit à ma mère, qui avait déjà subi plusieurs attaques cérébrales à cause de tout ce stress, que je m'apprêtais à partir, ne voulant pas la perdre en continuant ces batailles. La réponse de ma mère résonne encore à mes oreilles. Elle m'a dit que si elle en venait à apprendre que j'avais laissé tomber un combat pour préserver sa santé, elle en mourrait sûrement.
    Telles étaient mes directives à suivre. C'est la leçon que je retiens de tout cet épisode. Je continue d'encourager mes amis, mes voisins et tous ceux qui veulent bien m'écouter à prendre la parole et à ne jamais accepter ce qui leur paraît injuste.
     Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Je cède maintenant la parole à M. Bains pour conclure.
    Merci, monsieur le président. Je tiens également à remercier tous nos témoins de s'être joints à nous aujourd'hui.
    Docteure Brill‑Edwards, monsieur Bruyea, je vous remercie pour les services que vous avez rendus, pour votre courage, ainsi que pour vos efforts inlassables pour défendre cette cause.
    Je souhaite revenir sur un point soulevé par M. Johns à propos de la culture organisationnelle, car il me revient des termes comme « vieilles connaissances », « bons vieux garçons », et des expressions souvent entendues comme « c'est ainsi qu'on fait les choses ici » et « on se protège entre nous.»
    Pouvez-vous nous expliquer comment favoriser l'émergence d'une culture organisationnelle plus saine? Il semble que les problèmes que nous avons évoqués durent depuis très, très longtemps.

  (1655)  

    Je vais briser la glace.
    Je pense que la solution passe par l'application. Toutes les études portant sur les répercussions de la dénonciation indiquent que ce processus est particulièrement avantageux pour une organisation. La dénonciation peut poser problème aux individus qui posent des gestes illégaux, qui cèdent à la corruption ou qui abusent de leur pouvoir, mais pour l'organisation, c'est très bénéfique.
    Par exemple, les entreprises du secteur privé qui ont mis en place des politiques internes de dénonciation font l'objet d'un moins grand nombre de mesures d'application de la loi de la part du gouvernement, et subissent des sanctions moins sévères. Ces entreprises s'exposent également moins souvent à des poursuites et à des litiges.
    Comme la vérité est à l'avantage de ces organisations, la plupart des dénonciateurs ne trahissent pas leur employeur en s'exprimant. Ils le font au nom de leur institution.
    J'aimerais également entendre l'avis de M. Bruyea à ce sujet.
    Je vous remercie.
    Je tiens tout d'abord à souligner l'importance de ce que vous faites ici aujourd'hui, à savoir tenir les organisations responsables des individus qui exploitent les bonnes intentions des employés qui travaillent pour elles. Les Canadiens qui travaillent au sein de la fonction publique et au Parlement croient réellement qu'ils agissent pour le bien commun.
    Cela nous ramène à l'autre aspect de la culture. À quoi ou à qui ces employés sont-ils fidèles? À leur patron, à leur organisation, ou à leur pays? Nous devons examiner les filtres existants qui incitent ou dissuadent les employés à bien faire leur travail.
    Par exemple, je passe beaucoup de temps à analyser la rhétorique des responsables du ministère des Anciens Combattants. Ils disent qu'ils se soucient réellement des anciens combattants. Il ne fait aucun doute qu'ils y croient, mais il y a tellement de filtres. Tout d'abord, ils doivent répondre à des exigences budgétaires. Ensuite, ils doivent répondre aux exigences du Conseil du Trésor en matière de rapports sur tout ce qui se passe au sein du ministère. Ensuite, il y a la hiérarchie de la structure, et des dirigeants qui ne prennent pas l'initiative de s'occuper des besoins des anciens combattants. Ils s'en préoccupent peut-être, mais ils accordent la priorité à tous les autres filtres. Lorsque vient finalement le temps de penser aux anciens combattants, ils ne s'en préoccupent plus.
    Ce que nous devons faire dans n'importe quelle culture organisationnelle, c'est mettre à l'avant-plan la loyauté envers une cause, un principe. Les principes du Conseil du Trésor ne doivent pas être rédigés de manière à satisfaire une demande unique du Conseil du Trésor; ils doivent être énoncés de manière à satisfaire les demandes du pays, de la population, des citoyens. Nous devons commencer à évaluer ces filtres et à les modifier lorsqu'ils ne répondent pas aux principes que nous avons mis en place et auxquels nous tenons.
    Cela répond‑il à votre question...?
    Il me reste un peu de temps pour poser une autre question. J'aimerais revenir à M. Devine sur la question des entrepreneurs. M. Bruyea a également évoqué cet enjeu.
    Le projet de loi vise à intégrer les entrepreneurs à la définition de fonctionnaire. Mais en faisant cela, allons-nous créer une division constitutionnelle du pouvoir? En effet, la plupart des entrepreneurs relèvent des lois provinciales du travail.
    Je sais que je vous ai déjà posé cette question, mais j'ai cru comprendre que vous pourriez y répondre.
    Les lois américaines qui régissent le travail des entrepreneurs sont liées au financement fédéral, mais elles constituent l'aspect le plus important de la politique publique sur la protection des dénonciateurs.
    Je prendrai l'exemple de la fraude. En 1986, nous avons chargé les dénonciateurs d'intenter des actions en justice contre les fraudeurs dans les contrats publics. Auparavant, le ministère de la Justice de notre pays, agissant seul, récupérait en moyenne 10 millions de dollars par an au titre des fraudes civiles. Depuis, la moyenne est passée à 1,5 milliard de dollars. Au cours des cinq dernières années, ce montant a dépassé les 3 milliards de dollars. Un cas a même rapporté 5 milliards de dollars.
    Les contrats frauduleux passés avec le gouvernement alimentent la corruption à l'échelle mondiale, et c'est donc à ce crime que s'attaque une loi sur les dénonciateurs.
    Je n'ai pas l'expertise nécessaire pour vous expliquer la distinction entre les entrepreneurs ayant des contrats avec le gouvernement fédéral versus les entrepreneurs régis par le gouvernement provincial, mais je sais qu'effectuer le lien avec des contractants fédéraux apportera des avantages très significatifs.
     Merci beaucoup.
     C'est ce qui termine la réunion.
     Chers témoins, nous vous remercions sincèrement de vous être joints à nous aujourd'hui.
    Monsieur Devine, merci de vous être déplacé depuis Washington, D.C. C'est très apprécié.
    Sur ce, chers collègues, nous allons suspendre la séance et nous réunir à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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