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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 4 juin 1998

• 0910

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance du Comité des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes est ouverte.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du désarmement nucléaire. Il s'agit probablement de l'avant-dernière réunion que nous tenons à ce sujet et nous sommes tous d'accord, à ce stade-ci, pour dire que le but ultime du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est l'élimination des armes nucléaires. Jusqu'à maintenant, ce but fait l'unanimité, mais il nous faudra arriver à présenter un rapport dans lequel nous dirons au gouvernement canadien quelles mesures il faudrait prendre, selon nous, pour atteindre cet important but, notamment à la lumière des récents événements et des très regrettables essais nucléaires en Inde et au Pakistan.

Nous avons l'immense chance d'avoir avec nous aujourd'hui de la Ditchley Foundation d'Oxford en Angleterre Sir Michael Quinlan, un ancien très haut fonctionnaire du Royaume-Uni qui est maintenant directeur de la fondation. Il a été conseiller en défense pour la délégation du Royaume-Uni à l'OTAN et sous-secrétaire adjoint aux politiques et aux programmes de 1977 à 1981.

Nous avons également avec nous le directeur du Peace Research Institute de Francfort en Allemagne, M. Harald Müller, qui oeuvre pour la paix depuis plus de 20 ans en Allemagne et qui a aussi été professeur invité à l'Université Johns Hopkins.

Bonjour, Sir Michael et monsieur Müller. Nous sommes enchantés de vous avoir avec nous.

Je vais d'abord expliquer aux membres du comité comment nous allons procéder, parce que l'expérience est nouvelle pour nous. C'est la première fois que le comité communique par satellite avec des témoins d'outre-mer.

Je crois comprendre que nous devons parler à un seul témoin à la fois; autrement, nous risquons d'interrompre la communication et de perdre le fil.

Je pense que Sir Michael fera sa déclaration avant M. Müller. Nous demandons à nos témoins de limiter leurs exposés à dix minutes environ, après quoi nous passons aux questions. Nous avons jusqu'à 11 heures, ce qui nous donne une heure et 45 minutes.

Je vois que c'est M. Müller qui est à l'écran. Allons-nous avoir Sir Michael Quinlan?

Nous n'arrivons pas à avoir la communication avec Sir Michael. Étant donné que vous êtes à l'écran, monsieur Müller, je vais vous demander de commencer.

M. Harald Müller (directeur, Peace Research Institute of Frankfurt, Allemagne): Monsieur le président, je suis très honoré de témoigner aujourd'hui devant le comité. C'est aussi une première pour moi.

Permettez-moi de vous parler tout d'abord des conséquences des événements en Asie du Sud. Ils ont fondamentalement modifié les paramètres de la politique mondiale, notamment du désarmement nucléaire. Ces événements sont aussi importants que le démantèlement du Mur de Berlin il y a neuf ans. Malheureusement, ils nous mènent dans la direction opposée, loin de la coopération, du contrôle des armements et du désarmement, vers la confrontation, la course aux armements et, finalement, la guerre nucléaire. La communauté internationale ne doit épargner aucun effort pour endiguer ce flot fatidique.

Selon moi, ces événements ont été déclenchés par le changement fondamental d'orientation du gouvernement indien. Les armes nucléaires n'ont pas avant tout pour objet d'assurer la sécurité, le standing et le prestige, comme on le croit souvent. Ce sont des instruments du pouvoir politique, de la domination du sous- continent et de l'égalité avec la Chine. Ce sont des instruments susceptibles d'aggraver les tensions avec le Pakistan de sorte que les éléments plus radicaux du Bharatiya Janata Party, le parti nationaliste hindou, puissent accroître leur influence en Inde. Pour aller chercher plus de 26 p. 100 des voix qu'il a recueillies lors des dernières élections, le BJP a besoin d'attiser la discorde avec le Pakistan. C'est pourquoi j'ai peur que la course aux armements nucléaires soit inévitable tant que ce gouvernement sera au pouvoir.

La dissuasion est impensable dans ce contexte. Il serait idéaliste de croire que les circonstances très particulières du contexte Est-Ouest puissent être universalisées peu importe les circonstances historiques et politiques.

• 0915

J'admire l'incohérence de ceux qui, d'une part, nous brossent un tableau très sombre de la situation et nous disent que la dénucléarisation ne sera jamais chose possible dans un monde aussi pervers, mais qui, d'autre part, nous assurent que les armes nucléaires suffiront à maintenir la paix à tout jamais parmi ceux qui en possèdent. La guerre a été considérée comme une absurdité tout au long de notre siècle, les armes conventionnelles étant investies d'un immense pouvoir de destruction. Il reste néanmoins qu'il y a eu des guerres. Les armes nucléaires ont certes incité les décideurs à une plus grande prudence durant la confrontation Est-Ouest. La guerre a cependant pu être évitée en raison aussi des circonstances particulières de ce conflit et—il n'y a qu'à se rappeler Cuba—d'une chance inouïe.

L'Asie du Sud est une région du monde qui a été le théâtre de trois guerres sanglantes, où les protagonistes ont de longues frontières en commun et un grave différend territorial, où chacune des deux parties soutient des mouvements séparatistes dans le pays de l'autre et où la religion occupe une grande place. Dans aucun autre État doté d'armes nucléaires avons-nous pu observer des foules fanatiques célébrer triomphalement dans les rues des explosions d'armes nucléaires. On ne peut pas s'attendre à ce que des gouvernements qui soulèvent des foules par leurs explosions nucléaires et qui agissent ensuite dans leur ombre, poursuivent une politique de dissuasion réfléchie. Tant que les circonstances politiques actuelles prévaudront sur le sous-continent, la communauté internationale ferait mieux de se préparer au pire et de s'interroger sur les besoins en matière de soins médicaux, de décontamination et de reconstruction au lendemain d'une guerre nucléaire.

La non-prolifération et le désarmement en ont pris un dur coup. L'Inde voudra certainement rattraper la Chine tandis que le Pakistan essaiera de talonner le plus possible l'Inde. Le fil d'arrivée de cette course est loin d'être en vue. Comment la Chine réagira-t-elle? Envisagera-t-elle de mettre en oeuvre ses plans de modernisation les plus obscurs étant donné que son voisin immédiat aura un arsenal qui fera peut-être concurrence au sien dans quelques années? Je doute fort que la Chine ratifie le Traité d'interdiction complète des essais, du moins pas avant que les plans de l'Inde ne se soient précisés. Cela veut vraisemblablement dire que la Russie et les États-Unis ne le ratifieront pas eux non plus. J'ai peine à croire que le Sénat américain actuel approuvera sa ratification si les deux supposés rivaux nucléaires demeurent sur leur position.

Bien sûr, ils auraient tort de réagir ainsi. Un signal clair et sans équivoque de la part des États dotés d'armes nucléaires qu'ils maintiendront l'approche progressive du désarmement nucléaire qu'ils ont adoptée jusqu'à maintenant est vraiment nécessaire si on veut limiter les répercussions négatives des actions de l'Inde et du Pakistan. Des mesures en faveur du désarmement nucléaire s'imposent sur quatre fronts.

Premièrement, il faut mettre un terme à la course aux armements nucléaires. À cet égard, abstraction faite de la limitation qu'il faudrait poursuivre sur une base bilatérale en attendant un accord international, l'engagement de ne pas développer et produire des types qualitativement nouveaux d'ogives serait un complément logique au Traité d'interdiction complète des essais. Cela dissiperait la profonde méfiance de ceux qui croient que d'autres techniques d'essai, la simulation par ordinateur et les expériences sous-critiques ont pour but non seulement de préserver la fiabilité et la sécurité des arsenaux nucléaires existants, mais aussi de poursuivre la course aux armements de type qualitatif.

Deuxièmement, il faudrait procéder à d'autres réductions. Les négociations en vue du START III devraient débuter immédiatement, pas seulement après que la Douma aura ratifié le START II, ce qui pourrait ne jamais arriver. De plus, des limites maximales reconnues et vérifiées pour les armes nucléaires tactiques, sinon leur élimination complète, devraient être inscrites au programme. En outre, l'engagement de la Grande-Bretagne, de la France et de la Chine en faveur d'une limite maximale vérifiée de leurs propres arsenaux amènerait pour la première fois les trois plus petits États dotés d'armes nucléaires à participer au processus START, sans les forcer nécessairement, du moins pour le moment, à entreprendre d'importantes réductions.

Troisièmement, il y aurait lieu de renforcer la confiance. Il faudrait accorder la priorité aux mesures destinées à mettre les forces nucléaires actuelles hors d'état d'alerte, la plus simple consistant à séparer les ogives des vecteurs. Associées aux pratiques de vérification respectives, ces mesures pourraient grandement contribuer à renforcer la confiance mutuelle des États dotés d'armes nucléaires, ce qui s'impose plus que jamais dans les circonstances actuelles. Il serait très souhaitable d'inclure le plus tôt possible les trois plus petits États possédant des armes nucléaires.

• 0920

Quatrièmement, il faudrait mettre l'accent sur la transparence. La proposition allemande d'un registre d'armes nucléaires, englobant à la fois les armes et la matière fissible, a été rejetée presque aussi vite qu'elle a été faite en décembre 1993. Néanmoins, c'est une proposition raisonnable. Une transparence accrue est une condition préalable à une collaboration plus étroite entre les pays membres du P-5 et certainement une condition préalable à un désarmement nucléaire total.

Rien dans le contexte actuel et prévisible de la sécurité en Europe n'empêche que des mesures radicales soient prises en faveur de la dénucléarisation. L'OTAN est assurée de la supériorité de ses armes conventionnelles. Le fait que l'Alliance se réserve l'option de riposter la première par les armes nucléaires à une attaque conventionnelle—elle semble tenir à la doctrine de la première frappe même dans le nouveau cadre stratégique actuellement à l'étude—est un anachronisme incroyable. Cela va à l'encontre de ses propres objectifs de non-prolifération. Comment expliquer à des pays qui se trouvent dans une situation beaucoup plus difficile sur le plan de la sécurité que les plus grandes puissances militaires que le monde a jamais connues ne peuvent pas renoncer à utiliser l'arme nucléaire peu importe les circonstances tandis qu'eux, par comparaison, sont censés s'en tenir à leur statut d'États non nucléaires?

Dans les circonstances actuelles, une nouvelle façon de penser s'impose. Même une déclaration de la part de l'OTAN qu'elle ne sera pas la première à utiliser des armes de destruction massive serait un petit pas en avant. Qui plus est, le déploiement d'armes nucléaires tactiques en Europe est inutile. Ceux qui croient que c'est la seule voie possible pour l'Alliance ont beaucoup moins confiance que moi dans les valeurs qui préservent nos démocraties et suscitent chez chacun d'entre nous un intérêt vif pour notre sécurité, notre survie et notre bien-être respectifs. Le temps est venu de rompre avec une théorie nucléaire démodée.

À mon avis, il aurait été raisonnable également d'examiner la proposition de zone exempte d'armes nucléaires en Europe centrale et de l'Est. Une telle zone aurait contribué à l'amélioration de la sécurité pour l'OTAN si le Bélarus, l'Ukraine, la région de Kaliningrad et une portion du territoire de l'ouest de la Russie en avaient fait partie. Pour le moment, l'OTAN s'est engagée politiquement à ne pas déployer d'armes nucléaires dans les nouveaux États membres, quoique la Russie n'ait pris aucun engagement réciproque. On ne saurait parler là du triomphe d'une diplomatie alliée éclairée. Dire qu'une telle zone aurait conféré aux nouveaux membres un statut de deuxième ordre est un autre de ces mythes illogiques qui abondent là où il est question d'armes nucléaires.

L'article V du Traité de Washington s'applique à toutes les parties, peu importent le mode de déploiement et d'autres obligations juridiques. La partie est de mon propre pays est une zone libre d'armes nucléaires par traité, et mes compatriotes de la Saxe ou de Berlin ne sont pas moins en sécurité que je le suis à Francfort.

Les armes nucléaires ont-elles un effet de dissuasion et en avons-nous besoin, le cas échéant, pour riposter contre l'emploi d'armes biologiques? Il ne fait aucun doute que c'est là une question de la plus haute importance et très difficile. J'ai personnellement tendance à me ranger à l'avis de ceux qui, comme l'ancien commandant du SAC, le général Butler, ou le commandant de la force aérienne alliée durant la guerre du Golfe, le général Horner, croient que les armes conventionnelles suffisent à la tâche. J'ai aussi extrêmement de difficulté à croire qu'un dirigeant occidental ordonnerait l'utilisation d'armes nucléaires dans une telle éventualité. Mais, ce qui est clair pour moi, c'est que la réponse ne peut pas être laissée aux seuls décideurs nationaux. C'est à la communauté internationale de décider comment elle aimerait réagir à un crime aussi horrible. Si des armes nucléaires doivent être utilisées, la doctrine nucléaire veut que la décision ne soit pas laissée aux seuls États dotés d'armes nucléaires. Les armes nucléaires n'existent qu'à l'intérieur d'un cadre juridique, à savoir le traité de non-prolifération, lequel oblige ceux qui en possèdent à s'employer à leur abolition. L'ajout de nouvelles missions qui vont, à ce que l'on prétend, à l'encontre du désarmement est donc une question internationale et non seulement nationale.

• 0925

Comme vous avez pu en juger d'après mes observations, je suis en faveur de la stratégie progressive d'élimination. Des calendriers fixes contredisent toutes les expériences du contrôle des armements nucléaires et du désarmement, et je ne crois pas non plus à la négociation à la hâte aujourd'hui d'une convention sur les armes nucléaires. Les armes nucléaires font trop partie intégrante de la pensée stratégique et politique des élites des États qui en sont dotés. Il faudra donc un certain temps pour convaincre les majorités qui les ont élues que l'abolition est à la fois souhaitable et faisable.

À mesure que le désarmement nucléaire progressera, toutefois, les conditions dans lesquelles les prochaines mesures seront prises s'amélioreront considérablement. Les relations entre les États dotés d'armes nucléaires se modifieront entre-temps. Cela veut dire que la politique de sécurité, d'une part, et le désarmement, d'autre part, sont étroitement liés. Il serait illogique de parler de relation de cause à effet. Leur rôle sera appelé à changer au fur et à mesure de l'évolution du processus. Le monde dans lequel la dénucléarisation sera devenue chose possible n'est pas celui où nous vivons aujourd'hui. Mais pour que ce monde soit un jour possible, il est essentiel que nous soyons déterminés à oeuvrer pour le désarmement nucléaire.

Le Canada joue déjà un rôle très constructif dans le système international de non-prolifération, ainsi que dans les négociations multilatérales sur le désarmement. Il peut établir un rapprochement entre les positions extrêmement différentes du Nord et du Sud, et il est d'autant plus crédible du fait qu'il est un fidèle allié de l'OTAN. J'espère que le Canada continuera à avancer dans cette voie politique avec plus de détermination encore étant donné la détérioration de la situation internationale et j'espère même qu'il mettra les pays européens au défi de suivre son exemple.

Merci beaucoup.

Le président: C'est nous qui vous remercions, monsieur Müller.

Nous allons maintenant passer à Sir Michael Quinlan qui est à Oxford. Sir Michael Quinlan, si vous pouvez m'entendre, je pense que vous devez appuyer sur votre touche de discrétion pour apparaître à l'écran.

Sir Michael Quinlan (directeur, Ditchley Foundation of the United Kingdom): Je vous entends bien.

Le président: Merci. Bonjour, monsieur. Non seulement nous vous entendons, mais nous vous voyons. Nous sommes heureux de vous avoir avec nous.

Sir Michael Quinlan: Merci. Il me fait grand plaisir d'être à Ottawa, même si c'est indirectement seulement. Je suis heureux d'avoir le privilège de participer aux discussions du comité.

Si vous me le permettez, je voudrais tout d'abord souligner que mes commentaires sur les politiques nucléaires dans le monde d'aujourd'hui se situent dans le contexte de quatre réalités permanentes que je vais vous décrire brièvement.

Premièrement, nous devons vivre avec nos connaissances en matière nucléaire et en gérer les conséquences à tout jamais.

Deuxièmement, il est impossible d'avoir des garanties que les guerres entre États avancés se dérouleront comme un match de football, où des règles sont établies et un arbitre peut trancher. Par la même occasion, nous n'avons aucune garantie qu'elles se dérouleront en vase clos.

Troisièmement, les armes nucléaires sont dans une classe à part et surpassent toute autre sorte d'armes. Elles confèrent une force destructive infinie. Par conséquent, elles ont réduit à l'absurde, au sens strict du terme et plus que n'importe quelle autre arme, des guerres importantes entre les États capables de les produire. De telles guerres, qui constituent des démonstrations de force, n'ont plus de sens. C'est un fait qui, en soi, devrait nous réjouir.

Monsieur le président, m'entendez-vous toujours?

Le président: Il y a des parasites sur la ligne, Sir Michael. Nous suivons votre texte, mais nous avons de la difficulté à vous entendre.

Sir Michael Quinlan: Oui, j'entends des parasites moi aussi. Je suis mon texte d'assez près.

Le président: Vous êtes toujours à la première page, n'est-ce pas?

Sir Michael Quinlan: Oui.

Quatrièmement, et en partie pour cette raison, l'objectif central et fondamental doit être la prévention de la guerre entre États avancés. Le fait que des armes particulières existent ou non en temps de paix est logiquement une question subordonnée.

Il se peut, même si cela ne peut pas être prouvé en soi, que les armes nucléaires aient joué un rôle dans l'absence remarquable de guerre importante au cours des quarante années de confrontation de la Guerre froide. Ce serait encore mieux, toutefois, si nous pouvions faire en sorte que l'absence de guerre se poursuive grâce à des moyens politiques pacifiques. Cependant, la configuration politique mondiale n'en est pas rendue là. Pour cette raison, il est loin d'être clair que l'abolition proposée des armes nucléaires, même si elle faisait l'objet d'un accord, serait nécessairement souhaitable.

Prenons, par exemple, une question importante qui n'a été abordée nulle part dans le long rapport de la Commission Canberra. Supposons qu'après l'abolition—peut-être, donc, avec degré moindre de dissuasion de guerre—des guerres importantes éclatent ou grondent entre deux États puissants, sur le plan technologique. Chacun sera-t-il convaincu que l'autre ne recourra pas à des armes nucléaires? Continueront-ils d'accepter les règles applicables en temps de paix, l'inspection et la surveillance? Dans la négative, comment nous sentons-nous face à la possibilité d'une course au réarmement qui serait engendrée par la menace d'une crise ou d'une guerre?

Il ne sert à rien de dire que ce genre de choses ne devrait pas arriver ou que nous ne pouvons pas, pour le moment, prévoir avec précision un scénario plausible ou nous concentrer sur un adversaire en particulier. Rien n'est certain dans le monde, et on ne peut pas élaborer une politique de sécurité à long terme en nous fondant uniquement sur nos espoirs et sur nos capacités de prédiction, qui sont limitées.

• 0930

J'estime donc que, dans le monde actuel, l'abolition envisagée n'est aucunement souhaitable. Cependant, il y a une réalité dont nous devons absolument tenir compte: c'est que l'abolition n'est tout simplement pas possible. Il n'y a aucune chance que tous les principaux États, comme la Russie, la France et Israël, l'acceptent. Il n'y a aucune chance non plus qu'un système de vérifications et de sanctions visant à assurer l'universalité, la rigueur et la certitude requises puisse être établi.

Pensez seulement aux problèmes connus avec l'Iraq, un État de taille moyenne qui pourrait être traité, en vertu des pleins pouvoirs de l'ONU, comme un État défait et tombé en disgrâce. Pensez à quel point il a été difficile à la fois sur le plan technique de faire vérifier le désarmement et sur le plan politique, d'amener tous les membres du Conseil de sécurité à appuyer les mesures coercitives nécessaires. Pensez ensuite à la situation avec laquelle nous aurions à composer si les actions de la Chine, par exemple, donnaient lieu à des troubles importants. Je tiens à souligner également que nous avons accepté une vérification imparfaite dans certains accords conclus par le passé, comme la Convention sur les armes biologiques, parce que nous savions que nous avions comme protection, en réserve, l'énorme pouvoir des armes nucléaires. L'abolition des armes nucléaires, par définition, n'aurait pas de fondement semblable.

Je pense qu'il est bon d'aspirer à long terme à un monde sans armes nucléaires et qu'il ne faudrait pas renoncer à une telle aspiration tout comme, pendant la Guerre froide, nous avons continué de souhaiter la disparition du Mur de Berlin et la fin de l'empire communiste soviétique. Mais ce qui, finalement, a donné lieu à ces deux formidables événements a été un changement politique fondamental dans les régimes politiques du monde et la certitude qu'on a acquise que les conflits peuvent être gérés de façon pacifique. L'abolition doit être une conséquence plutôt que la cause de ce changement fondamental.

Mais cela ne signifie pas que l'on ne peut rien faire d'ici là dans le domaine nucléaire grâce à des modifications des politiques de défense et de contrôle des armements. Je pense qu'il y a des mesures fort valables que l'on peut ajouter aux nombreuses autres qui ont déjà été prises depuis la fin de la Guerre froide.

Premièrement, on pourrait faire encore beaucoup plus en matière de réduction des arsenaux. La principale mesure doit, bien entendu, concerner les États-Unis et la Russie, et je souhaiterais que l'on puisse en arriver jusqu'aux arsenaux d'armes non stratégiques de la Russie, qui sont encore très importants.

Le président: Sir Michael, puis-je vous interrompre un instant? Nos techniciens nous disent que le problème vient peut- être de Francfort et du fait que M. Müller n'aurait pas actionné sa touche.

Monsieur Müller, si vous m'entendez, pouvez-vous vous assurer que votre système est fermé? J'ai l'impression que les lignes sont brouillées. C'est comme si la voix de Sir Michael nous parvenait du fond d'un puits et il se pourrait que ce puits se trouve quelque part à Francfort.

Sir Michael, pouvez-vous parler?

• 0935

Sir Michael Quinlan: Merci.

Mon premier objectif serait la réduction des arsenaux. Je pense qu'il reste encore beaucoup à faire. Je suis d'accord moi aussi pour dire que les trois plus petites puissances nucléaires pourraient également envisager ce qu'elles pourraient faire d'autre. La Grande-Bretagne, par exemple, est déjà l'État qui a le moins grand nombre d'ogives et elle ne possède qu'un seul système de lancement. Cependant, dans ce cas-là aussi, il pourrait encore y avoir des réductions supplémentaires.

J'ose espérer que l'examen du chef de la défense, dont les résultats seront bientôt annoncés par le secrétaire de la Défense George Robertson, contiendra quelque chose à ce sujet.

Deuxièmement, je ne vois pas pourquoi—et là aussi, je suis d'accord avec Harald—il faut encore conserver des vecteurs nucléaires à des stades d'alerte élevée. Il pourrait certes y avoir beaucoup plus de transparence concernant les arsenaux d'armes nucléaires—leur nombre, leurs types, leur rendement, les vecteurs, le déploiement. Je pense encore une fois que la Grande-Bretagne aurait peut-être quelque chose à dire à ce sujet. Il semble particulièrement souhaitable de convaincre la Chine d'être moins secrète à cet égard.

Quatrièmement, on pourrait améliorer les échanges au sujet des meilleures pratiques de manutention et d'entreposage des armes. On exagère souvent les risques réels dans ce domaine, mais il faudrait obtenir la garantie la plus complète possible, et l'expérience collective pourrait contribuer à la renforcer.

Cinquièmement, diverses mesures pourraient être prises pour aider à renforcer, sur les plans technique ou politique, le régime de non-prolifération. Les événements survenus en Inde et au Pakistan constituent, de toute évidence, un recul sur le plan politique, mais ce n'est pas nécessairement la fin de tout. Il y a sûrement de la place pour des progrès concernant les vérifications, la limitation ou la prolongation du régime afin de limiter l'étendue de la technologie des missiles, et de renforcer peut-être l'efficacité des mesures de protection de l'AIEA.

Enfin, on pourrait faire encore plus pour assurer la gestion en toute sécurité des anciens dépôts d'armes soviétiques. Le gouvernement britannique a récemment apporté son aide à cet égard.

Cette liste est variée et loin de moi l'idée que tous ces points sont de valeur ou de portée égale. Dans l'ensemble, cependant, cette liste propose un important programme qu'il vaut la peine de se fixer, avec peut-être un peu plus de coordination. J'espère que le Royaume-Uni y participera de façon active. J'ose espérer également que le Canada, de son point de vue différent en tant que pays non nucléaire membre de l'OTAN, fera de même.

Toutefois—et je pense qu'Harald serait d'accord avec moi—les efforts pour rattacher ce programme à un plan directeur ou à un calendrier non réaliste pour l'abolition n'en faciliteront pas l'exécution; au contraire, ils pourraient y nuire ou la retarder.

Messieurs, voici en bref mon point de vue sur ces questions. Je me ferai un plaisir de discuter plus longuement avec vous de n'importe lequel de ces points ou d'aborder des aspects que je n'ai pas mentionnés ici, comme les graves événements sur le sous- continent et la raison pour laquelle je pense, contrairement à Harald, que les promesses de «non-usage en premier» des armes ne sont pas une très bonne idée et qu'une zone officiellement exempte d'armes nucléaires en Europe centrale aurait peu de valeur.

Je suis maintenant entre vos mains. Merci.

Le président: Merci beaucoup, Sir Michael.

La procédure du comité, messieurs, est de passer aux questions. Je vais demander aux différents membres du comité s'ils ont des questions. Nous allons des partis de l'opposition au parti du gouvernement.

Je vais d'abord donner la parole à M. Mills du Parti réformiste. J'imagine, monsieur Mills, que vous allez commencer par Sir Michael.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): C'est exact, monsieur le président.

Le président: Parfait. Vous pourriez partager votre temps pour que chacun d'eux ait cinq minutes, par exemple.

M. Bob Mills: J'aimerais une fois de plus souhaiter la bienvenue à nos invités. La technologie fonctionne—à peu près.

J'ai parcouru le document intitulé «Prospects for Further Nuclear Arms Control» et ce qui m'a probablement le plus frappé, c'est le problème que pose le temps que tout cela pourrait prendre. On parle souvent d'imposer des délais. Pensez-vous que c'est une possibilité et, dans l'affirmative, quel type de calendrier envisageriez-vous?

Mon autre question a trait aux préoccupations quant à la Russie et quant à savoir qui y a vraiment le contrôle. Est-il possible de composer avec la Russie à cette étape-ci de son histoire politique?

• 0940

Sir Michael Quinlan: Merci, monsieur Mills.

Pour ce qui est des délais, je dois dire que je m'en méfie à cause de ma grande expérience des négociations du côté du gouvernement. Je sais qu'il faut hâter les choses le plus possible, mais le fait d'imposer des délais ne changera rien à la réalité. Ils risquent d'exercer des pressions indues sur les négociations.

Par exemple, ceux qui dirigent une démocratie pourraient se sentir beaucoup plus pressés que ceux qui ne se soucient pas tellement de la démocratie. L'expérience, par exemple, du traité START II, qui a été longtemps retardé, et non pas seulement par les États-Unis, illustre le problème. J'ai l'impression que l'imposition d'un délai n'aurait absolument rien changé à l'attitude de la Douma, par exemple. Je ne pense pas que des délais servent à grand-chose. Des délais artificiels ne peuvent tout simplement pas faire avancer ce genre de négociations internationales.

Cela m'amène d'une certaine façon à la deuxième partie de la question que M. Mills a posée. Je ne prétends pas être un expert de la Russie. Le gouvernement russe peut conclure des accords, mais le problème du START II montre que ceux-ci ne sont pas automatiquement adoptés par l'assemblée législative. Bien entendu, ce problème n'est pas propre à la Russie.

Mais je ne pense pas qu'il faille pour autant douter de la capacité du gouvernement russe de tenir parole. Il est vrai que nous n'avons personne d'autre avec qui négocier. Je pense que nous devons avoir foi en la capacité ultime du gouvernement russe de conclure des accords et de tenir ses promesses.

M. Bob Mills: Merci.

Je pourrais peut-être passer à M. Müller. Est-ce technologiquement possible?

Le président: Nous l'espérons.

Vous allez disparaître, Sir Michael, mais j'espère que vous nous reviendrez.

Monsieur Müller.

M. Bob Mills: Monsieur Müller, j'imagine que la plupart d'entre nous souscrivent à une bonne partie de ce que vous proposez et à la nécessité de restreindre, voire d'éliminer complètement les armes nucléaires. Je me demande toutefois, à cause de la situation en Inde et au Pakistan, si vous n'entrevoyez pas la possibilité...

Prenons des États voisins. Prenons, par exemple, l'Iran et Israël. Ne pensez-vous pas que le même type de pressions qu'au Pakistan s'exercera sur ces pays maintenant que l'Inde a appuyé sur le bouton? Ne pensez-vous pas que le contraire pourrait arriver? Qu'est-ce qui empêche ces deux pays... S'ils montraient ce dont ils sont capables, qui serait le pays suivant?

Pourriez-vous, s'il vous plaît, répondre à cette question?

Le président: Avant que vous commenciez, monsieur Müller, je pense que nous avons le même problème que nous avions lorsque Sir Michael a pris la parole.

Sir Michael, je vous demanderais d'appuyer sur la touche de discrétion ou de ne pas rendre la pareille à M. Müller afin que nous, de ce côté-ci de l'Atlantique, ne pensions pas qu'il n'y a aucun espoir d'intégration européenne.

Monsieur Müller.

M. Harald Müller: Je pense que le problème sera réglé lorsque la Grande-Bretagne aura adhéré à l'Union monétaire européenne.

Je suis d'accord avec M. Mills pour dire que les événements en Asie du Sud peuvent avoir des conséquences très dévastatrices dans cette région du monde. Je pense davantage à la Chine et à l'Iran qu'à l'Iran et Israël, parce qu'il ne me semble pas que la situation en Israël ait considérablement changé. L'État Israël est doté d'une solide capacité nucléaire et rien n'y changera quoi que ce soit.

• 0945

La situation est très différente pour l'Iran. Il a été question de coopération non nucléaire entre l'Iran et le Pakistan, mais, au cours des deux dernières années—c'est-à-dire depuis la victoire du Taliban à Kaboul—les relations entre les deux pays ont très mal tourné. L'Iran et le Pakistan appuient des camps opposés en Afghanistan. Trois diplomates iraniens ont été tués au Pakistan l'année dernière. Ces deux États musulmans—un chiite et l'autre sunnite—pourraient donc se trouver aux prises avec de très graves problèmes. Je suppose que les essais menés au Pakistan ont donné un puissant coup de fouet à la faction partisane des armes nucléaires de Téhéran.

Pour arriver à maîtriser la situation, ou en reprendre le contrôle, il faudrait de toute urgence essayer de faire avancer le dialogue avec l'Iran et amener les États-Unis à y participer, même s'ils ont des réticences pour le moment. Je crois qu'il serait très important de parler aux Iraniens de leur propre sécurité et de la manière de la garantir sans que l'Iran se dote d'armes nucléaires. Ces pourparlers auraient dû avoir lieu il y a longtemps. L'Iran est un pays dont les troupes ont été attaquées avec des armes chimiques sans que la communauté internationale pousse un seul cri de protestation. Ce serait donc une chose à faire.

Par ailleurs, il est absolument essentiel que les pays membres du P-5 entament des pourparlers, du genre de ceux qui sont actuellement en cours à Genève, pour bien cerner le problème devant lequel la Chine se trouve actuellement et pour la rassurer parce que, comme je l'ai dit tout à l'heure, son programme de modernisation au complet avait pour toile de fond un possible affrontement avec les États-Unis. Maintenant, il lui faut tenir compte d'un tout nouveau facteur, c'est-à-dire l'armement nucléaire de l'Inde.

Par conséquent, je crois qu'il est nécessaire que les deux parties entament un dialogue sur la sécurité de manière à favoriser le désarmement et à parer aux conséquences de la prolifération.

M. Bob Mills: Puis-je vous poser une autre question à ce sujet? Ne pensez-vous pas que nous avons laissé passer la chance de garantir la sécurité du Pakistan? Si nous avions pu garantir la sécurité du Pakistan, ne pensez-vous pas que nous aurions peut-être pu empêcher cette escalade qui a débouché sur l'explosion d'une bombe nucléaire au Pakistan?

M. Harald Müller: Je pense que le jeu en aurait valu la chandelle. Cependant, je doute que cela aurait fonctionné à ce stade avancé, parce que les Pakistanais pensent depuis longtemps que l'Ouest, et notamment les États-Unis, ne prennent pas leur sécurité suffisamment au sérieux. Mais si les pays membres du P-5 avaient tous détaché leurs ministres des Affaires étrangères à Islamabad pour offrir une certaine forme de garantie de sécurité, la réponse du Pakistan aurait pu au moins être retardée et nous aurions alors eu un peu plus de temps pour essayer de régler le problème. Bien sûr, ce qui est fait est fait et l'occasion ne se représentera pas.

Si vous me le permettez, monsieur Mills, j'aurais quelque chose à ajouter au sujet des délais. Bien sûr, comme je l'ai indiqué, je suis d'accord en principe avec Sir Michael lorsqu'il dit douter de l'utilité des délais. Mais il y a une chose qu'on pourrait faire, qui a été faite lors de la conférence de 1995 sur la prolongation du TNP—c'est-à-dire identifier une ou deux mesures prioritaires auxquelles les États dotés d'armes nucléaires seraient censés donner suite au cours des cinq prochaines années. Cela s'est fait en 1995; le CTBT a été conclu et de sérieux efforts ont été mis en oeuvre en vue de la signature de conventions de limitation. Ils ont tous les cinq observé le moratoire sur la production de matière fissible. Il serait tout à fait logique que les participants à la conférence sur le TNP de l'an 2000 identifient eux aussi une ou deux mesures, au plus trois, que les États dotés d'armes militaires pourraient entreprendre de mettre en oeuvre au cours des cinq années suivantes. C'est le seul genre de délai que je trouve raisonnable.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Müller.

Je vais maintenant céder la parole à M. Turp.

• 0950

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Je vais m'adresser à nos témoins en anglais pour ne pas accentuer les problèmes que nous avons déjà.

Je vais d'abord poser une question à M. Müller.

[Traduction]

Le président: Puisque nous avons M. Müller...

M. Daniel Turp: Monsieur Müller, j'aimerais que vous me disiez quel rôle, selon vous, le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait jouer à cet égard. Étant donné ce qui s'est passé en Inde et au Pakistan, le Conseil de sécurité pourrait-il jouer un rôle qu'il n'a jamais joué auparavant? Pourrait-il imposer des mesures quelconques à des États qui, comme l'Inde et le Pakistan, ne semblent pas vouloir être partie au Traité sur la non- prolifération? Pourriez-vous nous faire part de vos vues sur le Conseil de sécurité et sur son rôle dans ce domaine?

Ma deuxième question a trait à ce que vous avez mentionné dans votre exposé au sujet du lien entre les armes nucléaires et les armes chimiques et biologiques. Pourriez-vous nous dire quels gouvernements ou quels acteurs essaient de faire valoir le lien entre ces deux types d'armes et d'invoquer les armes biologiques et chimiques comme argument pour justifier le maintien ou la production d'armes nucléaires, voire même la menace de leur utilisation?

Ce sont là mes deux questions.

M. Harald Müller: Merci.

À mon avis, le Conseil de sécurité n'est pas en mesure d'imposer un régime particulier à des pays comme le Pakistan et l'Inde. Il peut certainement servir à exercer certaines pressions sur ces pays. Il peut aussi s'employer à offrir des garanties de sécurité dans des situations comme celle-là. Le Conseil de sécurité pourrait exhorter ces pays à essayer de régler leur profond différend relatif au Cachemire et bien sûr décider de leur imposer des sanctions. Mais je crois que l'Inde particulièrement est déjà un pays trop puissant, d'une certaine façon, pour qu'il puisse l'emporter sur elle. Je crois aussi que toute tentative d'imposition de sanctions à l'Inde pourrait se retourner contre le Conseil de sécurité.

Mon espoir, c'est que tôt ou tard les Indiens se lasseront du parti fanatique qui est à la tête de leur gouvernement. Mais si nous leur menons la vie dure—et je pense que de nombreux Indiens se méfient particulièrement du Conseil de sécurité—nous pourrions les pousser à se tourner vers le BJP, ce qui serait très malheureux.

Le Conseil de sécurité pourrait peut-être offrir au sous- continent une garantie analogue à celle qui a été ajoutée au document d'Helsinki en 1975—à savoir que les frontières ne peuvent pas être modifiées par la violence, par le recours à la force. Bien entendu, cela est tout à fait conforme au droit international et pourrait, d'une certaine manière, aider à faire en sorte que la situation se détende un peu sur le sous-continent. Je ne sais pas si cette mesure suffirait à prévenir une course aux armements, parce que je pense que tout dépend tellement de la situation dans les deux pays, l'Inde en particulier, que le reste du monde ne peut pas faire grand-chose.

Quant à votre deuxième question, nous savons que la doctrine nucléaire des États-Unis, telle qu'elle a été confirmée dans la dernière directive présidentielle, leur donne la possibilité de recourir à tous les moyens disponibles en réponse à une attaque au moyen d'armes chimiques et plus particulièrement d'armes biologiques. Il est également implicite dans la nouvelle doctrine nucléaire dévoilée par la Russie qu'elle se réserve elle aussi ce droit. Les autres États dotés d'armes nucléaires sont plus muets à ce sujet, mais nous devrions aussi reconnaître qu'une réponse nucléaire à une attaque biologique ou chimique est également implicite dans la doctrine actuelle de l'OTAN. Donc, d'une certaine façon, nos pays sont impliqués eux aussi.

Merci.

• 0955

M. Daniel Turp: J'ai une autre question.

En tant qu'universitaire allemand qui connaît bien la politique de l'Allemagne, que fera le gouvernement allemand, selon vous, au sujet de la révision du concept stratégique de l'OTAN? Des déclarations ont-elles déjà été faites ou à quoi devrions-nous nous attendre de la part de l'Allemagne lorsque le moment sera venu de revoir le concept stratégique de l'OTAN?

M. Harald Müller: Il faut que vous compreniez bien que je témoigne ici à titre personnel, mais, à mon avis, le gouvernement allemand est extrêmement prudent à l'égard de toutes les questions concernant la modification de la doctrine de l'OTAN. D'une certaine manière, le fait d'avoir parmi ses voisins des États dotés d'armes nucléaires n'a pas la même incidence sur l'Allemagne que sur le Canada.

Le Canada s'enorgueillit d'avoir une position très indépendante, surtout parce qu'il est le voisin des États-Unis, mais il a toujours été très difficile pour l'Allemagne de s'exprimer à haute voix et avec détermination sachant qu'elle pourrait s'attirer les foudres de ses amis, proches et lointains, dotés d'armes nucléaires.

Je souhaiterais parfois que mon gouvernement mâche moins ses mots, mais je ne m'attends pas à ce que le gouvernement actuel se montre très révolutionnaire, ou même réformiste, au sujet de l'aspect nucléaire de la doctrine de l'OTAN. Bien sûr, nous allons avoir des élections cette année, comme vous le savez, et les choses pourraient alors changer. Mais, pour le moment, il est un peu trop tôt pour faire des prédictions. Il faudrait donc s'attendre à ce que l'Allemagne adopte une position plutôt conservatrice.

M. Daniel Turp: J'aurais une ou deux questions à poser à Sir Michael Quinlan.

Le président: Puis-je vous interrompre au sujet d'un détail technique?

Monsieur Müller, lorsque Sir Michael prendra la parole, je vous demanderais de bien vouloir appuyer sur votre touche de discrétion pour qu'il n'y ait pas de parasites. Merci.

Nous allons maintenant passer à Sir Michael Quinlan.

Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Sir Michael, je m'appelle Daniel Turp et je suis le porte-parole du Bloc québécois en matière d'affaires étrangères.

Dans votre exposé, vous faites une déclaration très générale qui est plutôt intéressante, mais j'aimerais que vous nous expliquiez ce que vous voulez dire au juste, ou ce que cela suppose. Vous dites que les arsenaux nucléaires ne disparaîtront que lorsque des changements fondamentaux auront été apportés aux différents régimes politiques. De quels changements fondamentaux voulez-vous parler? J'aimerais que vous nous donniez un peu plus de détails.

Ma deuxième question est la suivante. Qu'arrivera-t-il, selon vous, au concept stratégique de l'OTAN? Vous avez indiqué que l'OTAN pourrait ne pas modifier et ne devrait probablement pas modifier sa doctrine de non-usage en premier, mais cela suppose-t- il des changements au concept stratégique?

Ma troisième et dernière question est la suivante. Seriez-vous d'accord avec M. Müller pour dire qu'il devrait y avoir un registre des arsenaux nucléaires? Vous souhaiteriez probablement, je pense, qu'il y ait une plus grande transparence au sujet de ces arsenaux.

Sir Michael Quinlan: Merci, monsieur Turp.

Est-ce que je pourrais dire quelque chose avant de répondre à vos questions? J'espère que je n'enfreins pas les règles, monsieur le président. C'est au sujet de l'Inde et du Pakistan.

Harald semble peindre un tableau très sombre de ce qui va vraisemblablement arriver. Il a peut-être raison. Il se peut qu'il n'ait pas raison, cependant, et j'espère que nos gouvernements ne partiront pas du principe que tout est perdu d'avance et qu'il faut mettre l'accent sur l'armement, les vastes déploiements, la course aux armements avec la Chine et le Pakistan. Je devrais peut-être m'arrêter là.

Pour ce qui est de vos trois questions, lorsque je parle de changements fondamentaux dans le système politique, je n'ai pas de programme précis en tête. Ce que je veux faire ressortir, c'est ceci: il y a toujours eu des conflits dans l'histoire du monde, de mémoire d'homme, et nous voulons trouver des moyens de les régler sans faire la guerre.

• 1000

Les armes nucléaires nous ont un peu permis de respirer, si je peux m'exprimer ainsi, en raison précisément de leur caractère épouvantable, parce que toute guerre impliquant leur utilisation ou toute escalade qui risque de mener à leur utilisation est pure folie.

Je pense que nous ne vivrons dans un monde plus mûr, plus paisible que lorsque nous aurons réussi à instaurer des conditions propices au règlement des conflits sans recours à la force, soit parce que tous les États seront des démocraties pacifiques, rationnelles et transparentes, soit parce que les Nations Unies auront le pouvoir et la volonté de forcer à rentrer dans le droit chemin même les États puissants qui s'en seront écartés. Je ne peux pas prédire ce qui devra arriver au juste, mais le démantèlement du Mur de Berlin, dont j'ai parlé, et l'effondrement de l'empire soviétique sont le genre de changement, plutôt qu'une intervention directe, qui peuvent entraîner le type de transformation que je préconise.

Pour répondre à votre deuxième question, au sujet de la nature du concept stratégique, je crois qu'un examen est en cours à ce sujet. Je ne suis plus tellement au courant de ce qui se passe maintenant que je suis moi aussi un simple citoyen. L'aspect nucléaire du concept actuel est défini en des termes extrêmement vagues et le thème est celui du «dernier recours».

Je ne suis pas certain de ce qu'on voudrait chercher à changer ou s'il faut que quatre comités étudient la question pour en arriver à une opinion en particulier. Je ne vois pas ce qu'on pourrait vouloir modifier, à moins de parler de dénucléarisation complète, ce qui m'apparaît plutôt irréaliste.

Pour ce qui est de votre troisième question, au sujet du registre, j'ai dit que je suis tout à fait en faveur d'une plus grande transparence de la part de toutes les puissances nucléaires. Quant à savoir si celle-ci devrait prendre la forme précise d'un registre, je n'ai pas vraiment d'opinion dans ce cas-là non plus, mais je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas faire preuve d'une très grande transparence. Comme je l'ai indiqué, j'espère que la Grande-Bretagne s'orientera dans cette direction très bientôt.

M. Daniel Turp: Merci.

Le président: Est-ce tout, monsieur Turp?

M. Daniel Turp: Oui.

Le président: Monsieur Assadourian, je vous suggérerais de commencer par Sir Michael pour ensuite passer à M. Müller, étant donné que...

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): D'accord.

Bonjour, monsieur.

Voici ma question. Depuis 1945, de nombreux universitaires et dirigeants attribuent la paix entre l'Est et l'Ouest à la course aux armements entre les pays du Pacte de Varsovie et l'OTAN. Pensez-vous qu'on pourrait dire la même chose du Pakistan et de l'Iran à propos d'une course aux armements? C'est ma première question.

Ma deuxième question s'adresse à M. Müller.

Le président: Vous voulez dire l'Inde et le Pakistan.

M. Sarkis Assadourian: L'Inde et le Pakistan. Oui. Qu'est-ce que j'ai dit?

Le président: L'Iran.

M. Sarkis Assadourian: Oh, je suis désolé.

Sir Michael Quinlan: Bien entendu, nous ne pouvons pas expliquer la remarquable absence de guerre au cours de ces 40 années de confrontation. Je dirais—comme la plupart des gens je pense—que les armes nucléaires ont joué un rôle essentiel en ce sens. Je n'ai aucune preuve à vous donner, mais c'est vraisemblablement ce qui s'est produit.

Si nous essayons de comparer la situation à la confrontation entre l'Inde et le Pakistan, je serais en partie d'accord avec Harald Müller. Nous ne pouvons pas supposer que la bonne entente qui a fini par s'installer parfois péniblement parfois de manière un peu précaire sur une période de 40 ans sera chose faite du jour au lendemain.

Les armes nucléaires, précisément parce qu'elles sont tellement horribles, donnent en elles-mêmes à réfléchir. Je suis personnellement loin de croire que le risque de guerre s'est considérablement accru à cause des frictions politiques entre l'Inde et le Pakistan.

Il y a cependant une chose que j'exhorterais la communauté internationale à faire, en plus d'exprimer ses sincères regrets et sa désapprobation au sujet de ce qui s'est passé, et c'est d'essayer d'inculquer à ces nouvelles puissances nucléaires une partie du savoir que les puissances nucléaires reconnues de longue date ont acquis au cours de ces 40 années. Il me semble que ce serait là une des mesures constructives à prendre.

M. Sarkis Assadourian: Oui.

Monsieur Müller.

Je suppose qu'il doit maintenant appuyer sur la touche de discrétion. Nous devons lui donner des instructions.

Le président: Il va désactiver sa touche de discrétion et nous serons alors en ligne avec M. Müller.

M. Harald Müller: Pouvez-vous m'entendre?

M. Sarkis Assadourian: Oui. Bonjour.

Tout d'abord, je tiens à vous exprimer mes condoléances pour les victimes de l'accident d'hier en Allemagne. J'ai entendu dire qu'il y a eu hier un terrible accident de train. Je suis certain que mes collègues se joignent à moi pour vous offrir leurs condoléances.

• 1005

Monsieur, ma question est la suivante. De nombreuses personnes soutiennent qu'il y a eu une coopération entre Israël et l'Inde et entre le Pakistan et la Chine. Pourriez-vous tout d'abord nous parler de cette coopération? Ensuite, si cette coopération est maintenue avec d'autres pays, pensez-vous que dans quatre, cinq ou dix ans d'ici, nous aurons dix-huit puissances nucléaires au lieu d'en avoir huit? Que pouvons-nous faire pour mettre un terme à cette coopération pour éviter la prolifération des armes nucléaires?

M. Harald Müller: Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de vos bons sentiments pour les personnes décédées en Allemagne. C'est un terrible accident, le pire accident de train depuis la Seconde Guerre mondiale.

Quant à la coopération entre Israël et l'Inde, à ma connaissance, elle était essentiellement confinée aux armes conventionnelles et à l'échange de renseignements. Quant aux contacts entre le Pakistan, les pays arabes et l'Iran, à ma connaissance, il n'y a eu aucune coopération dans le secteur nucléaire.

Il y a indéniablement eu une coopération très étroite entre le Pakistan et la Chine qui a considérablement aidé les Pakistanais à produire de la matière fissible. À l'heure actuelle, ils travaillent à un réacteur plutonigène qui va leur permettre d'accroître considérablement leur arsenal de matière fissible dans les années à venir.

Il y a de toute évidence eu une certaine coopération qui a pris la forme d'un transfert de technologie des missiles et de pièces de la Chine au Pakistan, qui a bien sûr joué un rôle important dans la position actuelle du Pakistan.

On dit même que la Chine aurait, il y a quelques années, fait l'essai d'un engin nucléaire conçu par le Pakistan sur son propre territoire à Sinkiang, mais, bien sûr, le gouvernement chinois a toujours très loyalement nié cette allégation, et il n'y a actuellement aucun moyen de le prouver.

J'en suis arrivé à la conclusion que la coopération entre la Chine et le Pakistan a été beaucoup plus étroite qu'entre l'Inde et Israël. Je dois cependant ajouter en passant que sans une aide considérable, légale et illégale, de la part des pays occidentaux, dont le mien, le Pakistan n'en serait pas où il est actuellement. J'ai le regret de dire que toute la chaîne de production de l'uranium naturel à l'enrichissement de l'uranium a bénéficié d'un bon coup de pouce des entreprises et des particuliers allemands.

Est-ce que j'en conclus qu'il y aura une explosion du nombre d'États dotés d'armes nucléaires dans dix ans d'ici? Non, je ne le pense pas, tout d'abord parce que le nombre de pays qui sont vraiment déterminés à suivre cette voie est plutôt limité et depuis longtemps.

Voyons qui la nucléarisation pourrait intéresser. Nous avons la Corée du Sud. Nous avons l'Iran. Nous avons parlé de l'Iran tout à l'heure. Nous avons, bien entendu, l'Irak, qui continue à faire l'objet d'un traitement spécial de la part des Nations Unies. Tant que ce pays demeurera sous la tutelle des Nations Unies, je pense qu'il n'y aura aucun danger. Nous avons la Libye, qui a déjà essayé de mettre la main sur la bombe, mais qui s'est plutôt tournée vers les armes chimiques. Nous avons encore des doutes à propos de l'Algérie, mais ce sont à peu près là les seuls pays que la chose intéresse.

Si les arrangements en matière de sécurité pris par les États- Unis, par exemple, en Asie de l'Est demeurent ce qu'ils sont aujourd'hui, selon moi, l'acquisition d'armes nucléaires par la Corée du Nord ne déclencherait même pas une réponse automatique de la part du Japon et de la Corée du Sud.

Je pense donc que ces pays sont très peu nombreux, qu'on peut les compter sur les doigts de la main, mis à part les huit États qui sont officiellement dotés d'armes nucléaires. Je crois que le principal instrument qui nous permette de faire en sorte que la situation ne changera pas demeure le Traité sur la non- prolifération des armes nucléaires, renforcé par quelques mesures convaincantes prises par les États dotés d'armes nucléaires en faveur d'une plus grande réduction des armements.

• 1010

M. Sarkis Assadourian: Puis-je vous poser une autre petite question?

Monsieur Müller, que pensez-vous de ce qu'on appelle les bombes portatives? Peuvent-elles être facilement transférées aux pays que vous avez mentionnés?

M. Harald Müller: Nous devons commencer par évaluer la situation dans la Fédération de Russie pour répondre à cette question. Les autorités de la Fédération de Russie, aujourd'hui en étroite collaboration avec le gouvernement des États-Unis, font de leur mieux pour contenir ce danger, parce que c'est dans leur intérêt. De nombreux pays considérés comme suspects sont situés bien entendu tout près de la Russie de sorte que le gouvernement russe a tout intérêt à se montrer prudent.

Ce qu'on appelle des bombes portatives, les plus petites armes de l'arsenal russe, sont des mines et des grenades d'artillerie. Leur décomposition est prévue pour bientôt de sorte que le danger diminuera avec le temps à mesure que la Russie démantèlera ces armes qui risquent particulièrement, bien entendu, d'être utilisées par inadvertance ou illégalement. Tant qu'il en sera ainsi et tant que le ministère de l'Énergie atomique de la Russie et le ministère de la Défense recevront beaucoup moins d'argent que ce dont ils ont besoin pour s'acquitter de toutes leurs obligations, il y a des risques que de telles armes soient volées et transférées à un autre pays. Il reste à savoir si ce pays serait en mesure de les utiliser—c'est-à-dire de déchiffrer les codes électroniques l'empêchant de s'en servir. J'imagine qu'il lui faudrait importer, en plus du matériel, quelques experts russes en armes.

Autrement dit, la réponse à la question est oui. Il y a un certain risque, mais ce risque est statistiquement beaucoup plus petit peut-être que le risque que ces pays produisent eux-mêmes des armes chimiques ou biologiques.

M. Sarkis Assadourian: Merci.

Le président: Est-ce tout, monsieur Assadourian?

M. Sarkis Assadourian: Merci, oui.

Le président: Nous allons passer à M. Grewal.

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je m'appelle Gurmant Grewal. Je suis le porte-parole adjoint de l'opposition officielle en matière d'affaires étrangères. Tout à l'heure, mon collègue M. Mills vous a posé certaines questions, mais j'en ai d'autres.

Monsieur Müller, j'ai suivi votre exposé attentivement. Vous avez beaucoup parlé d'un changement de dynamique en Asie du Sud et j'ai une certaine expérience de la situation parce que je suis né et j'ai été élevé en Inde. Je sais donc par expérience, comme nous le savons tous, qu'il est dangereux de mêler la religion à la politique. Mais lorsque nous mêlons la religion, la politique et les armes nucléaires, la situation devient très explosive.

Nous savons que l'incertitude politique règne dans ces deux pays. Nous savons que ces deux pays ou que les foules fanatiques que nous voyons à la télévision... Ils affirment tous les deux l'avoir fait pour assurer leur défense. Ni l'un ni l'autre ne semble avoir l'intention de passer à l'attaque, mais chacun représente une grave menace.

Même si ces deux pays ont certaines caractéristiques en commun—ils ont une culture commune, ils sont aux prises avec les mêmes problèmes, comme la pauvreté, et leurs budgets sont limités—je pense que la communauté internationale ne devrait pas sous-estimer la menace qu'ils représentent. Je crois, et c'est là mon opinion personnelle, que la communauté internationale devrait examiner la cause première du problème en Asie du Sud, surtout le différend frontalier au sujet du Cachemire, un des plus vieux différends territoriaux entre ces deux pays. Ni la communauté internationale ni le Conseil de sécurité ne s'est adéquatement attaqué à la question par le passé, même si les Nations Unies ont adopté certaines résolutions, auxquelles les deux pays ont passé outre.

• 1015

Je pense que l'occasion s'offre à la communauté internationale de jouer un rôle de premier plan dans la résolution de ce conflit. Je prends toujours l'exemple de la marmite à pression. Lorsqu'il y a de la chaleur sous la marmite et de la vapeur, nous essayons d'exercer une pression pour contenir la vapeur. Mais lorsque nous enlevons la source de chaleur, nous n'avons pas besoin d'autant de pression pour contenir la vapeur. Pourquoi ne pas essayer d'enlever la source de chaleur, c'est-à-dire de régler la question du Cachemire et le différend au sujet de la frontière? Selon vous, quel rôle la communauté internationale pourrait-elle jouer?

M. Harald Müller: C'est peut-être la question la plus difficile que vous puissiez me poser. J'ai étudié ces pays et je suis allé dans la région. Le différend territorial suscite tellement d'émotion de part et d'autre et il y a tellement de ressentiment en Inde, non seulement au sein du BJP mais aussi chez le parti du Congrès, contre la communauté internationale et notamment le P-5 qu'on accuse d'ingérence, qu'il est très difficile pour le moment de voir ce que la communauté internationale pourrait faire. Bien sûr, le Pakistan est toujours prêt à avoir une tribune internationale, parce que chaque tribune internationale a tendance à niveler les différences avec son voisin, et c'est pour cette même raison que l'Inde éprouve énormément de réticence à discuter ouvertement du Cachemire.

Il est plutôt remarquable qu'il y ait eu un rapprochement sous le gouvernement Gowda et Gujral entre l'Inde et tous ses voisins, y compris le Pakistan, après le sommet de l'ASACR sur les Maldives en mai. On avait l'impression en général que la région allait entrer dans une ère de coopération et, bien entendu, l'Inde et le Pakistan avaient alors convenu d'entamer le dialogue sur toutes les questions qui les divisaient, y compris le Cachemire. Le présent gouvernement indien a d'abord annoncé la fin de cette ère et, immédiatement après les essais, il a donné à entendre en termes non équivoques—par la bouche du ministre de l'Intérieur, M. Advani—que la situation était maintenant différente et que le Pakistan aurait intérêt à se soumettre aux demandes de l'Inde concernant le Cachemire.

Je pense que lorsque les pays du P-5 se rencontreront, ils devraient indiquer très clairement que seul un règlement pacifique de la question du Cachemire serait acceptable, qu'il serait inacceptable que des pressions soient exercées par une partie ou par l'autre et que si de telles pressions étaient exercées sous la forme d'essais nucléaires, elles entraîneraient des sanctions auxquelles tous les pays membres du P-5 souscriraient. Ces pays peuvent aussi offrir aux deux parties une tribune dans laquelle elles pourraient tenir des négociations sur la question. Mais j'ai bien peur qu'ils ne puissent rien faire d'autre.

Je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de la dynamique interne des deux pays. Je doute fort que le gouvernement indien actuel démêle la question, parce que le BJP compte sur la grande tension des relations avec le Pakistan pour accroître sa popularité auprès de l'électorat indien. Si tout va bien, l'idéologie du BJP n'ira pas loin; si la situation s'envenime et que les relations sont hostiles, il pourra peut-être arriver à fanatiser le peuple, à persuader la classe moyenne, les gens établis, de voter pour lui, parce qu'il s'érigera en défenseur de la nation indienne contre la grande menace.

M. Gurmant Grewal: Je comprends.

M. Harald Müller: Selon moi, la médiation internationale aura beaucoup plus de chances de réussir si la coalition actuelle en Inde se désagrège et qu'un nouveau gouvernement soit élu. Et c'est ce que j'espère personnellement.

M. Gurmant Grewal: Monsieur le président, Sir Michael aimerait peut-être commenter la situation.

Le président: Oui, bien sûr. Sir Michael.

• 1020

Sir Michael Quinlan: Monsieur le président, j'en connais beaucoup moins que M. Müller au sujet du sous-continent. Je ne suis en désaccord avec lui sur rien. Et je n'oserais certainement pas porter de jugement sur la situation politique interne en Inde si ce n'est de dire, en me tordant les mains, si vous voulez, que nous devons composer avec le gouvernement que la population indienne a élu, pour le moment.

La communauté internationale, les partenaires internationaux, ne peuvent pas adopter une ligne de conduite qui repose sur l'espoir qu'il sera défait. Nous souhaiterions peut-être qu'il en soit autrement, mais c'est là la réalité.

M. Gurmant Grewal: Pendant que nous vous avons en ligne, je vais vous poser une autre question.

Je pense qu'il faudra, dans le cadre de l'examen de la politique nucléaire de l'OTAN, qui s'inscrit dans la revue du concept stratégique, et des dangers nucléaires que posent actuellement la Russie et l'Asie du Sud, s'arrêter aux conséquences que pourraient avoir des accidents, la contrebande, le terrorisme et d'autres questions du genre. Que devraient faire les États membres de l'OTAN? Pourrais-je avoir vos commentaires? Vous avez déjà abordé cette question dans votre exposé.

Sir Michael Quinlan: Je crois que les pays membres de l'OTAN devraient certainement faire ce qu'ils peuvent pour être utiles à cet égard, quoique la question des arsenaux nucléaires russes incombe essentiellement à la Russie elle-même qui est responsable de sa propre sécurité. La Russie, qui demeure un pays fier, doit s'occuper elle-même de cette question. Et je ne crois pas que des ajustements, que j'arrive mal à imaginer, je dois dire, auraient quelque rôle que ce soit à jouer.

Cela dit, la liste des mesures que je préconise, qui devraient être examinées, pourrait en fait englober la possibilité d'une aide externe, dans la mesure où elle est acceptable, à la gestion de la configuration nucléaire russe. J'ai indiqué que mon propre pays, qui a déjà versé une importante contribution en ce sens il y a quelques années—je pense que c'était 30 millions de dollarsé—a récemment pris une autre mesure. Nous avons entrepris de débarrasser la Géorgie d'une matière très désagréable provenant d'anciens circuits et de la transporter en Grande-Bretagne où elle sera entreposée. Si d'autres pays trouvaient un moyen ou un autre d'aider les Russes, leur contribution m'apparaîtrait utile.

M. Gurmant Grewal: Auriez-vous des observations à faire au sujet du principe du non-emploi en premier? Comment le renforcer et quel rôle l'OTAN pourrait-elle jouer?

Sir Michael Quinlan: Je n'en ai pas parlé, parce que je ne suis pas d'accord avec M. Müller et que je ne souscris pas au principe sur lequel la question repose.

Laissez-moi vous expliquer, tout d'abord, que je n'ai rien contre le fait qu'on se prononce clairement en faveur du non-emploi en premier, qu'on s'attende à ne devoir jamais recourir à la première frappe. Mais je ne crois pas aux promesses de renonciation à la première frappe s'il faut promettre que jamais, peu importent les circonstances, peu importe ce qui arrivera, on ne sera les premiers à employer des armes nucléaires.

J'aurais trois observations à faire. Premièrement, une promesse aussi absolue de renonciation à la première frappe consisterait à essayer de modifier à l'aide de mots une situation qui serait, par définition, excessivement difficile. On ne pourrait simplement rien changer à la réalité. Si un État envisageait sérieusement de recourir aux armes nucléaires, ce serait en désespoir de cause parce qu'il se trouverait devant la pire des calamités. Autrement, il n'envisagerait pas du tout cette option.

Si c'était le cas, et si un État—prenons Israël, par exemple, qu'on s'apprêterait à envahir—croyait que l'emploi des armes nucléaires est l'option la moins pire qui s'offre, je n'arrive tout simplement pas à croire qu'il se laisserait convaincre d'opter pour une option pire encore à cause d'une promesse faite en temps de paix, dans des circonstances tout à fait autres et à l'abri des iniquités qu'une situation aussi épouvantable a entraînées.

Je pense donc que toute promesse officielle équivaut simplement à une démarche visant à modifier la réalité alors qu'elle ne peut pas l'être.

Deuxièmement, je tiens à faire observer que la Russie a récemment modifié sa position, qui a toujours tenu de la propagande, au sujet de la première frappe. Quiconque voudrait obtenir une promesse universelle de renonciation à la première frappe, une espèce d'accord sur le contrôle des armements, se heurterait tout de suite, selon moi, à la réticence de la Russie, une réticence attribuable à sa nouvelle perception de la sécurité et notamment à la faiblesse de ses forces classiques.

• 1025

Troisièmement, et c'est là une observation de nature plus générale, l'existence des armes nucléaires projette une ombre que je trouve salutaire sur l'utilisation de la force d'une manière que je qualifierais d'intolérable. Je ne veux pas que cette ombre disparaisse. Il ne fait presque aucun doute pour moi que cette ombre a joué un rôle dans la guerre du Golfe, dans la décision de Saddam Hussein de ne pas avoir recours à son très nombreux et très déplaisant arsenal d'armes chimiques. Peu importe le moyen, le résultat me paraît souhaitable.

C'est pour toutes ces raisons que je dis que si nous voulons par tous les moyens possibles éviter de ne pas avoir à envisager la première frappe, il serait à la fois irréaliste et plutôt inutile, en fin de compte, de faire une promesse officielle, inconditionnelle et absolue.

M. Gurmant Grewal: Merci.

Le président: Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie de vos interventions ici aujourd'hui. J'ai deux questions. Elles s'adressent à vous deux et vous pouvez y répondre dans n'importe quel ordre.

Ma première question est la suivante. Le Canada devrait-il continuer à insister pour que soit créé un comité spécial à la Conférence sur le désarmement de Genève qui aurait pour mandat de discuter du désarmement nucléaire? Étant donné que la question ne fait pas l'unanimité, pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

Ma deuxième question est la suivante. Si vous étiez à notre place et si vous vous apprêtiez à faire des recommandations au gouvernement canadien sur les mesures à prendre, que lui recommanderiez-vous?

Merci, monsieur le président

Le président: Bien entendu, Mme Augustine ne promet pas pour autant d'être la première à employer vos recommandations, mais c'est un début.

Nous pourrions peut-être commencer par vous, Sir Michael, après quoi nous passerons à M. Müller.

Sir Michael Quinlan: Merci, monsieur Graham.

En réponse à votre première question, je dois dire que je ne suis pas assez au courant de ce qui se passe à Genève sur le plan administratif pour savoir si nous avons besoin d'un nouveau comité. Cependant, comme je l'ai déjà indiqué, je crois qu'il serait utile d'examiner de concert les mesures constructives qui pourraient être prises—et Harald est d'accord avec moi pour dire qu'il y en a—et de choisir celles qu'il faudrait essayer de mettre en oeuvre en premier.

Je pense que cela rejoint ce qu'Harald disait à propos de la nécessité d'établir des priorités. Il serait essentiel d'avoir une communauté de vues, un programme concret au lieu d'y aller de manière décousue—je suis un peu injuste, je l'admets. Si un nouveau comité à Genève ou une reproduction d'un comité existant à Genève est le meilleur moyen de s'y prendre, tant mieux. Je n'ai pas d'idée précise au sujet du mécanisme. Mais je crois qu'il serait utile d'avoir un plan d'ensemble et d'essayer de faire un lien entre les différents éléments.

Quant aux recommandations, j'aimerais bien avoir eu comme Harald le temps d'y réfléchir, mais l'une d'elles serait certainement que le Canada appuie le genre de mesures dont nous venons de parler, par exemple la mise en oeuvre de manière logique et réaliste du plan en question—qui consiste à faire ce qui peut être fait au lieu d'essayer de voir ce qui pour le moment ne peut pas être fait.

J'espère que le Canada jouera aussi son rôle, par l'entremise des Nations Unies ou comme membre du Commonwealth, dans le dialogue qui pourra être engagé, je l'espère, avec l'Inde et le Pakistan, sans se refuser à exprimer sa consternation et sa désapprobation, pour essayer de les persuader d'aller aussi loin qu'il soit politiquement possible.

Le président: Merci.

Pourrions-nous maintenant demander à M. Müller de répondre à ces questions?

M. Harald Müller: Pour ce qui est de la première question, je vous encouragerais fortement—c'est-à-dire le Canada—à continuer d'essayer de faire adopter cette proposition à Genève. Le fait qu'il n'y ait pas de tribune où les États non dotés d'armes nucléaires et les pays non alignés en particulier puissent discuter de la question du désarmement nucléaire, le fait qu'au moins quatre des États dotés d'armes nucléaires leur refusent cette petite concession, empoisonnent énormément les relations entre les pays non alignés et le Nord.

• 1030

Il est absolument essentiel que certains des pays occidentaux membres de l'OTAN montrent qu'ils n'ont pas à tous points de vue la même position que les États dotés d'armes nucléaires.

Un comité spécial à Genève pourrait prendre l'une des deux formes suivantes: il pourrait s'agir d'un comité spécial ayant le mandat de négocier ou d'un comité spécial chargé d'examiner la situation, mais qui n'aurait pas le mandat de négocier. En réalité, dans le secteur du désarmement nucléaire, seul le deuxième type de comité serait possible, parce que ce serait peut-être une concession que les États dotés d'armes nucléaires seraient prêts à faire sans vraiment renoncer à leurs propres décisions.

Si j'ai bien lu la proposition, je pense que c'est précisément ce à quoi songeait le gouvernement canadien: créer une tribune où ces questions pourraient être abordées, où les États dotés d'armes nucléaires pourraient expliquer en détail les mesures prises pour réduire les armes nucléaires et où les États qui n'en possèdent pas pourraient leur proposer certaines mesures, mais sans que la négociation soit vraiment possible à cette étape.

C'est une proposition très sensée qui a trouvé des appuis ailleurs qu'au Canada. D'autres pays du groupe des non-alignés et du groupe occidental y ont souscrit. Vous devriez donc poursuivre vos efforts.

Il m'est beaucoup plus difficile de répondre à la deuxième question puisque vous nous proposez un menu très alléchant et qu'il est toujours très difficile de choisir, car une fois qu'on a choisi un mets, on ne peut pas goûter à tous les autres. Je vais quand même essayer d'y répondre.

Pour sortir de l'impasse actuelle concernant le désarmement nucléaire, la démarche la plus audacieuse serait de passer aux négociations de START III sans attendre que la Douma ait ratifié le traité START II. Le comité pourrait recommander au gouvernement canadien de faire de son mieux pour persuader les États-Unis d'entreprendre une telle démarche.

La deuxième recommandation serait de persévérer avec entêtement dans les efforts en vue de négociations sur la limitation à Genève et, s'ils continuent d'échouer, de demander aux cinq puissances nucléaires d'entamer des pourparlers au sujet d'un registre des armes nucléaires, ce qui pourrait au moins favoriser la transparence qui aurait été rendue possible par la limitation.

Mme Jean Augustine: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

J'aurais peut-être dû vous avertir tous les deux que Mme Augustine pose toujours des questions difficiles.

J'aurais moi-même une ou deux questions à vous poser. Je devrais peut-être commencer par M. Müller pour laisser à Sir Michael la chance de réfléchir, mais je lui demanderai ensuite de répondre aux mêmes questions.

En guise d'introduction, monsieur Müller, il nous semble que la situation de l'Inde et du Pakistan a complètement modifié la dynamique de notre discussion. Nous avons entrepris cette étude à la lumière de la déclaration de Canberra, de la décision de la Cour internationale et du rapport de la National Academy of Sciences des États-Unis et c'est ce qui a orienté notre discussion. Mais la discussion était... je ne dirais pas théorique, mais elle n'avait pas l'urgence que les événements qui se sont produits en Inde et au Pakistan nous ont imposée.

J'ai été heureux de lire en manchette des journaux que, d'après Mme Albright, les États-Unis vont exhorter les pays membres du P-5 à hâter la dénucléarisation, parce qu'ils reconnaissent que c'est quelque chose... et c'est ce qu'ont dit au comité de nombreux témoins qui ont quasiment prédit ce qui allait arriver, parce que les puissances nucléaires elles-mêmes n'étaient pas prêtes à procéder plus rapidement à la dénucléarisation. Premièrement, pouvez-vous nous dire quelles sont les chances qu'elle réussisse?

• 1035

Deuxièmement, pour en revenir à l'OTAN, vous avez dit tous les deux ce matin que vos gouvernements répugneraient probablement à traiter de la question nucléaire dans le cadre de la revue stratégique. Nous savons que c'est aussi là la position du gouvernement des États-Unis. Je dois vous avouer franchement que je ne comprends pas pourquoi il n'en serait pas question.

Je peux comprendre que quelqu'un pourrait décider de maintenir le statu quo, mais j'ai de la difficulté à voir pourquoi on refuserait d'en discuter, étant donné surtout la position de l'OTAN face à la Russie et aux armes tactiques—et aux armes tactiques en Europe en général—et la doctrine du non-emploi en premier dont nous avons déjà parlé ce matin. Il me semble que toutes ces questions devraient à tout le moins être abordées si l'OTAN doit procéder à une revue stratégique.

Étant donné ce qui s'est passé en Inde et au Pakistan, j'aimerais que vous me disiez si, à titre d'experts, vous pensez que l'OTAN devrait peut-être réfléchir à nouveau à la question de savoir si elle devrait en discuter.

J'aimerais aussi connaître vos vues sur l'opinion publique dans vos pays. C'est bien beau de savoir ce que les gouvernements diraient, mais quelle est l'opinion publique en Allemagne et quelle est l'opinion publique au Royaume-Uni? Que pense le public de l'idée que vos gouvernements jouent un rôle plus actif dans la discussion du désarmement nucléaire dans le contexte de l'OTAN?

Enfin, j'aimerais savoir si l'un de vous a des observations à faire sur le rapport de la National Academy of Sciences dont nous avons discuté avec les auteurs lors de notre passage à Washington. Nous avons été plutôt impressionnés par certaines de leurs conclusions.

Donc, à moins que je ne me trompe, je vous ai posé trois questions.

M. Harald Müller: Devrais-je commencer, monsieur le président?

Le président: Oui, si vous voulez, allez-y, monsieur Müller. Puis, nous reviendrons à Sir Michael.

M. Harald Müller: J'ai compté quatre questions au lieu de trois...

Le président: C'est parfait.

M. Harald Müller: ...et je vais essayer de répondre à chacune d'elles.

Le président: C'est un problème politique.

Des voix: Ah, ah.

M. Harald Müller: Tout d'abord, je pense que Mme Albright avait tout à fait raison d'oser dire que le temps est venu d'aborder avec plus de détermination la réduction des armements nucléaires. C'est très encourageant de la part de la Secrétaire d'État américaine, qui n'aurait vraisemblablement pas fait une telle déclaration sans avoir consulté le secrétaire de la Défense. Si les États-Unis sont vraiment en faveur de cette politique, je crois qu'elle a de bonnes chances de succès.

Je crois savoir que les deux États européens dotés d'armes nucléaires seraient peut-être prêts à collaborer, d'autant plus qu'on ne peut pas trop leur en demander dans la situation actuelle étant donné l'énorme écart entre leurs arsenaux et ceux des États- Unis et de la Russie.

Je dirais que dans le cas de la Russie, c'est le financement plutôt que la nécessité de conserver chaque ogive nucléaire qu'elle possède qui pose problème. Malgré un changement de doctrine, elle a quand même une grande latitude et vraiment un bon bout de chemin à parcourir avant d'atteindre les limites de ce que cette doctrine lui impose.

Quant à la Chine, je suppose que son intérêt pour le contrôle des armements nucléaires et le désarmement s'est considérablement accru ces deux dernières semaines en raison de la situation dans laquelle elle se trouve maintenant.

Il est étonnant de voir les efforts que les Chinois ont pu mettre en oeuvre au cours des deux ou trois dernières années pour arriver à comprendre en quoi consistent le contrôle des armements et le désarmement, dont la formation de nouveaux experts et la création de nouveaux instituts. Je pense que le moment est bien choisi pour leur exposer cette politique américaine particulière et je pense que c'est une des mesures qui peuvent être prises pour au moins essayer d'influencer l'opinion en Asie du Sud, notamment en Inde.

• 1040

Je ne comprends pas du tout moi non plus la grande répugnance du siège de l'OTAN à revoir la politique nucléaire. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je n'y comprends rien et cela vaut aussi pour la question de la première frappe qui est une de mes plus grandes causes de désaccord avec Sir Michael.

Tout d'abord, pour ce qui est de l'argument de l'ombre projetée par les armes nucléaires, cette ombre sera là, peu importe la doctrine, aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires. La dissuasion existentielle existera toujours, mais permettez-moi de revenir sur ce que j'ai dit dans mon exposé et qui est plus important encore. C'est vraiment le contraire de la propagande de non-prolifération que l'OTAN présente au monde en disant que nous devons nous réserver cette option, que même si nous sommes tout à fait supérieurs à tout ennemi auquel nous pourrions devoir faire face dans un avenir prévisible, nous ne pouvons pas renoncer à l'option de la première frappe.

Quelle influence cela a-t-il sur la pensé stratégique dans d'autres régions du monde où les pays sont beaucoup plus faibles sur le plan des armes conventionnelles et sont confrontés à des menaces beaucoup plus graves à la sécurité?

Je crois que l'OTAN ne tient pas compte de l'incidence que sa position peut avoir sur la façon de penser ailleurs et c'est selon moi une très grave erreur.

Des sujets tout à fait différents—comme le chômage, l'immigration, l'accident de train, les élections qui s'en viennent—retiennent actuellement l'attention de l'opinion publique dans mon pays. Il est très difficile d'attirer suffisamment l'attention du public et des médias sur ce très important problème. Aujourd'hui, j'ai été chassé de la télévision à cause de l'accident de train, ce qui vous donne une petite idée des priorités qui prévalent ici.

Cependant, l'opinion publique ne serait pas opposée à ce que notre gouvernement adopte une position plus ferme. Lorsqu'on parle aux gens, on s'aperçoit qu'ils sont extrêmement surpris qu'il y ait encore des armes nucléaires en Allemagne. Ils n'arrivent pas à le croire. Donc, ils ne s'opposeraient pas à ce que le gouvernement prenne des mesures en ce sens, mais je dois vous avouer que le public n'exerce pas tellement de pressions.

Enfin, je suis tout à fait d'accord avec vous sur la grande qualité du rapport de la NAS. Je crois que nos collègues là-bas ont fait un merveilleux travail. Elle a bien défini ses priorités et montré la voie à suivre—jusque dans un avenir assez lointain. Je crois que vous pouvez choisir parmi les mesures qu'elle propose sans jamais vous tromper.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Müller.

Sir Michael.

Sir Michael Quinlan: Merci, monsieur le président.

Pour ce qui est de l'impact de la situation dans le sous- continent, Harald et moi sommes à peu près sur la même longueur d'ondes. De toute évidence, toute la question revêt maintenant beaucoup plus d'importance à cause de ce qui s'est passé. On a dorénavant l'impression qu'il faut faire vite, ce que je ne déplore pas, bien que je déplore ce qui nous y a poussés, la façon dont les choses se sont passées.

Même si je ne suis pas en désaccord, je tiens toutefois à préciser qu'il est important que nous ne nous laissions pas écarter de la voie sur laquelle nous nous sommes engagés. Le message à retenir, c'est que le régime de non-prolifération tient bon et continue à compter. Mais, si vous me le permettez, je dirais qu'Harald nous a donné un aperçu très réaliste et très sage des possibilités qui s'offrent.

À dire vrai, je ne pense pas qu'il faille se montrer alarmistes et penser que la digue s'est rompue et que les chiffres vont grimper à 10, 20, 30 ou plus. Et ce ne serait pas utile non plus au régime de non-prolifération. Je dirais plutôt que tout cela aura servi à donner encore plus d'importance et une plus grande priorité au programme d'action qui a déjà été élaboré.

Il y a un petit commentaire que je vais oser faire en passant. Je ne souscris pas au point de vue que les actions du gouvernement indien ont été de quelque manière que ce soit motivées par des plaintes au sujet de ce que le P-5 pourrait avoir ou ne pas avoir fait. C'est un argument très utile, mais je pense que le BJP a agi essentiellement sous l'influence d'autres facteurs.

• 1045

Pour ce qui est de la question de la réduction de l'arsenal militaire de l'OTAN, je n'ai pas consulté mes ex-collègues à ce sujet, mais je trouve logique de ne pas procéder à un nouvel examen de questions qui ont été réglées plutôt soigneusement à moins d'avoir des raisons de supposer que des changements s'imposent. C'est à ceux qui souhaitent des changements que revient le fardeau de la preuve.

La preuve n'en a pas encore été faite, certainement pas en ce qui concerne le non-emploi en premier. Je ne peux pas résister entièrement à la tentation d'ajouter qu'Harald me donne raison en disant que la dissuasion existentielle demeure. Ce qu'il dit, en fait, c'est que tout le monde sait que ces armes pourraient être utilisées, et c'est précisément ce que j'essaie de vous faire comprendre.

Les déclarations de ce genre ne changent rien à la réalité. En un sens, c'est ce que je voudrais qu'on reconnaisse honnêtement. Laissez-moi vous donner un exemple. La Convention sur les armes chimiques de 1995 contenait en annexe une déclaration de non-emploi en premier, de nul autre pays que l'Union soviétique, au sujet des armes chimiques. L'OTAN n'a pratiquement jamais supposé qu'elle était fiable, et je ne pense pas qu'aucune autre déclaration de non-emploi en premier serait considérée comme plus fiable. Elle ne changerait rien à la réalité.

Qu'il soit tout à fait clair qu'il est fort peu probable que nous voulions porter la première frappe. Disons clairement, si nous tenons à être précis, que nous ne voulons pas être confrontés à cette option. Cependant, elle ne peut pas être officiellement abolie.

Quant à l'opinion publique, je dirais qu'elle est à peu près la même au Royaume-Uni que dans la république fédérale à en juger par ce qu'Harald a dit. Ce n'est pas une question qui retient beaucoup l'attention. Notre gouvernement, au cours d'une période de transition très pénible marquée par une forte opposition, s'était éloigné de l'absolutisme antinucléaire et avait adopté une position qui n'est pas facile à différencier de celle de son prédécesseur. C'est une question qui ne suscite pas naturellement le débat.

Je ne sais pas si les événements qui se sont produits sur le sous-continent vont la mettre plus en évidence. Je n'en sais rien. On a beaucoup parlé de cette situation. L'opinion publique n'a cependant pas été ameutée au point où des pressions s'exercent sur le gouvernement pour qu'il modifie sa position.

Enfin, pour ce qui est du rapport de l'Association nationale et de l'Académie des sciences, j'aurais tort d'essayer de le commenter étant donné que je n'en ai plus tellement souvenir. Je pense me rappeler qu'il n'y avait pas de première frappe. Je ne suis pas d'accord. L'académie avait un grand nombre de choses très sages à dire, au sujet notamment de la nécessité d'exercer des pressions en vue de nouvelles réductions des arsenaux importants. Je ne sais pas si le chiffre avancé, qui était de 1 000 ogives, je pense, est exact. À mon avis, il faudrait procéder à une évaluation beaucoup plus détaillée pour en arriver à un chiffre crédible. Je suis tout à fait d'accord, mais je vais m'arrêter ici parce que j'ai peur que vous vous aperceviez de mon ignorance ou de mon manque de mémoire.

Le président: Merci beaucoup, Sir Michael.

J'ai une petite question complémentaire. Plusieurs témoins nous ont dit croire que le stationnement d'armes nucléaires tactiques américaines en Europe a une plus grande valeur politique que stratégique et que des sous-marins ou d'autres systèmes de lancement feraient tout aussi bien l'affaire sur le plan militaire. Avez-vous des observations à faire à ce sujet? Une discussion du rôle des armes nucléaires tactiques en Europe, avec les Russes, serait-elle un moyen de sortir de l'impasse actuelle?

Sir Michael Quinlan: Je ne sais pas si je serais prêt à dire que nous sommes actuellement dans une impasse. La présence de ces systèmes en Europe ne soulève aucune question stratégique d'importance. Ils ont jusqu'à un certain point, comme vous-même l'avez dit, une valeur politique qui n'est pas négligeable. Ils mettent en évidence l'unité de l'Alliance. Le fait que le territoire de l'OTAN forme un tout sur le plan de la sécurité et que les systèmes se trouvent en un endroit plutôt qu'en un autre ne reflète aucune différence fondamentale de but.

• 1050

Je suis persuadé que les Russes ne sont plus tellement sensibles au nombre grandement réduit de systèmes et d'armes encore stationnés dans les régions européennes de l'Alliance. Les pays qui acceptent leur présence en leur sol et qui contribuent—je pense qu'il en reste six—au maintien des systèmes d'exploitation ne s'en font pas trop.

À un niveau purement technique, il resterait à savoir, advenant des pressions en faveur d'un changement pour d'autres motifs, s'il est tout à fait essentiel d'y maintenir ces systèmes plutôt que de les installer aux États-Unis. Mais s'ils servent d'autres objectifs et que personne ne s'oppose vraiment, je ne vois pas quel intérêt il y aurait à inscrire cette question plus haut sur la liste des priorités.

Le président: Merci, Sir Michael.

M. Mills a une dernière question, après quoi nous allons devoir nous quitter parce que la sonnerie d'appel va se faire entendre pour un vote. Je tiens à informer les députés que le vote aura lieu à 11 h 04 de sorte qu'il va falloir partir sans faute à 11 heures.

Monsieur Mills.

M. Bob Mills: Très brièvement, pour en revenir à la réunion du G-5 qui se tient actuellement et à la réunion du G-8 qui a eu lieu il y a quelques semaines, je dois dire qu'il a été plutôt décevant pour la plupart d'entre nous que le G-8 n'ait fait absolument aucune déclaration ni ne soit arrivé à aucune conclusion et que les États-Unis et le Canada se soient prononcés en faveur de sanctions tandis que la France et l'Allemagne, notamment, semblaient être d'un avis tout à fait différent et n'ont pas voulu imposer de sanctions.

Je me demande si vous pensez que les réunions actuellement en cours seront différentes de la séance du G-8, et pourquoi.

Le président: Sir Michael.

Sir Michael Quinlan: Si la question s'adresse à moi, monsieur le président, je dois vous avouer que ce n'est pas un dossier que j'ai suivi de très près. Le gouvernement britannique a laissé clairement entendre qu'il déplore tout à fait ce qui est arrivé. Je pense que les possibilités de sanctions sont plutôt limitées, mais M. Cook, que j'ai pu entendre par hasard au début de la semaine parler de questions nucléaires, se fera sûrement un plaisir, je n'en doute pas, quoique je ne puisse parler en son nom, de faire ce qu'il peut pour amener les gouvernements de l'Inde et du Pakistan à adopter la position à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure: cesser de s'armer.

Le président: Merci.

Nous pourrions peut-être passer à M. Müller. Avez-vous des observations à faire au sujet de la question de M. Mills?

M. Harald Müller: Oui. Si vous me le permettez, j'aimerais d'abord faire une petite correction. Pour le moment, l'Allemagne a interrompu l'aide au développement que son gouvernement accorde à celui de l'Inde. Cela représente à peu près 300 millions de marks allemands. À part cela, vous avez raison, le gouvernement n'a souscrit à aucune sanction.

Je crois personnellement qu'il est absolument indispensable qu'aucune somme d'argent ne soit versée par un pays occidental au gouvernement indien, y compris par le biais d'organisations internationales de subventions et de prêts, dont le Fonds monétaire international. À mon avis, il s'agit à long terme d'une sanction assez sévère qui aura des répercussions sur la monnaie des pays en cause.

Je crois savoir que la France considère la politique de l'Inde comme une politique essentiellement défensive adoptée en réaction à ce que New Delhi considère comme une menace chinoise grandissante. La position de la France est donc que le moment est venu d'essayer d'amener l'Inde à cerner ses inquiétudes, à comprendre sa situation sur le plan de la sécurité, et cela est bien sûr contraire aux sanctions. Cependant, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, sans vouloir vous offenser, je ne souscris pas à l'analyse du problème et je ne pense donc pas que cette solution soit acceptable. J'ai plutôt l'impression qu'on cherche à apaiser l'Inde et je ne pense pas que c'est ce qu'il faille faire avec le gouvernement indien actuel.

Le président: Merci, monsieur Müller.

Étant donné que notre devoir de parlementaires exige que nous allions voter, il va falloir que je lève la séance.

Je tiens à vous remercier infiniment tous les deux.

Notre comité est allé à Washington. Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec nos collègues politiques, différents représentants du gouvernement américain et de la National Academy of Sciences et d'autres personnes qui y étaient. Je trouve parfait que nous ayons pu avoir l'avis d'Européens. Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré ce matin. La semaine prochaine, nous allons rencontrer de la même manière M. Camille Grand de France. Nous vous remercions.

• 1055

Sir Michael, je tiens à vous signaler avant de terminer que plusieurs témoins nous ont cité votre monographie, Thinking About Nuclear Weapons. Nous sommes heureux de pouvoir associer un visage à votre nom qui figure déjà dans le compte rendu des délibérations du comité.

Merci beaucoup à tous les deux. Nous vous savons gré de votre présence ce matin. L'expérience a été intéressante pour nous. C'était la première fois que nous établissions une connexion entre trois pays et nous sommes heureux d'avoir eu la chance d'entendre d'aussi éminents témoins au début de cette nouvelle phase technologique pour notre comité. Merci beaucoup.

C'est maintenant aux députés que je m'adresse. Nous allons aller voter, après quoi nous nous rendrons directement à la pièce 209 de l'édifice de l'Ouest pour l'audience sur le Chiapas. Merci.

La séance est levée.