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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 4 mars 1999

• 0935

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): La séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international est ouverte.

Nous recevons ce matin des membres de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada dans le cadre de notre étude de l'Organisation mondiale du commerce entreprise au nom des Affaires étrangères.

Je sais que Peter Clark a déjà comparu devant notre comité, mais je voudrais rappeler notre mode de fonctionnement. Je ne sais pas si vous allez faire des exposés, mais nous commençons généralement par la déclaration d'un de nos participants, puis nous passons aux questions, et nous accordons un maximum de 10 minutes à chacun.

Qui veut commencer? Y a-t-il quelqu'un...?

Un témoin: Nous sommes quatre groupes.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Il y a quatre groupes? Excusez-moi.

Nous recevons Pamela Fehr, analyste des politiques à l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada, Jayson Myers, premier vice-président et économiste en chef de l'alliance. Nous recevons également M. Robert Kerton, de l'Association des consommateurs du Canada, Peter Clark, de Grey, Clark, Shih and Associates, ainsi que David Runnalls, de l'Institut international pour le développement durable. Soyez les bienvenus.

Qui veut commencer? Jayson Myers.

M. Jayson Myers (premier vice-président et économiste en chef, Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada): Merci, madame la présidente.

[Français]

Bonjour. Je m'appelle Jay Myers et je suis premier vice-président et économiste en chef de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada.

[Traduction]

L'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada est très heureuse de participer à cette discussion préliminaire sur les questions qui se posent au Canada alors qu'il s'apprête à participer à des négociations avec l'Organisation mondiale du commerce.

Nos 3 500 sociétés adhérentes et leurs 4 000 sociétés affiliées sont évidemment à l'avant-garde du commerce international et représentent presque tous les secteurs des affaires au Canada, de l'agriculture et de l'agroalimentaire à tous les secteurs manufacturiers, en passant par les services. Elles représentent 75 p. 100 de la production industrielle du pays, 95 p. 100 de nos exportations de biens et services et 90 p. 100 des activités de R-D en entreprise. Ces sociétés sont à l'avant-garde de la concurrence mondiale et des changements qu'implique cette concurrence pour les entreprises canadiennes. Elles investissent et étendent leurs activités dans de nouveaux marchés et de nouveaux secteurs commerciaux du monde entier, et concurremment elles dépendent de plus en plus des services, des capitaux, des compétences et de l'information qu'elles vont chercher auprès de sources internationales.

Nos membres reconnaissent donc l'importance de la mondialisation et des règles qui régissent le commerce international et l'investissement à l'échelle mondiale; ils accordent la plus haute importance à la prochaine ronde de négociations au sein de l'OMC.

Ils nous disent que la libéralisation du commerce lance un certain nombre de défis à leurs entreprises, mais qu'en même temps elle leur propose plus d'ouvertures qu'elles n'en avaient avant. L'été dernier, l'alliance a effectué son sondage annuel sur les questions stratégiques auprès de ses membres. Nous avons reçu 572 réponses provenant d'entreprises représentatives de toute la communauté d'affaires canadienne et des exportateurs; c'est également un bon reflet de la taille moyenne des entreprises canadiennes. Plus de 85 p. 100 d'entre elles sont de petites sociétés, ce qui, à mon avis, est bien significatif du nombre croissant de petites entreprises qui exportent et pour qui l'OMC représente un enjeu majeur. Les résultats du sondage sont fort intéressants.

En ce qui concerne particulièrement l'ALENA, 64 p. 100 des entreprises considèrent aujourd'hui le libre-échange davantage comme une chance supplémentaire, tandis que 5 p. 100 y voient une menace. Je dois dire que ces résultats constituent un changement par rapport à la situation d'il y a cinq ans, où environ 30 p. 100 des entreprises canadiennes considéraient le libre-échange comme une menace et environ 40 p. 100 comme une chance supplémentaire.

• 0940

Vous allez devoir m'excuser. Je dois partir pour l'Inde, et je me suis fait vacciner hier contre le tétanos, la polio, la typhoïde et l'hépatite A; j'ai donc de bonnes raisons de me sentir un peu fiévreux.

Soixante-dix-neuf pour cent de nos sociétés approuvent la négociation d'un accord de libre-échange avec les Amériques, tandis que 76 p. 100 d'entre elles estiment que le Canada devrait également conclure un tel accord avec l'Europe, et 58 p. 100 seraient favorables au libre-échange avec l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique. De toute évidence, la communauté d'affaires est plus favorable à une expansion des relations de libre-échange à un niveau régional ainsi qu'à un élargissement de l'accès aux marchés mondiaux grâce à des accords multilatéraux conclus dans le cadre de l'OMC.

Nous leur avons également demandé ce qu'elles pensaient des effets du libre-échange sur leurs affaires. Ces résultats ont aussi été intéressants. Bien sûr, un certain nombre de sociétés, soit 56 p. 100, affirment qu'elles vendent davantage aux États-Unis, 42 p. 100 achètent davantage aux États-Unis, et 17 p. 100 investissent aux États-Unis à cause du libre-échange. Elles sont plus nombreuses à faire des affaires avec le Mexique, mais vous comprendrez que ce n'est qu'une petite partie de l'ensemble. En revanche, 48 p. 100 de nos membres—et c'est une surprise—nous disent également que grâce au libre-échange ils vendent davantage au Canada, 37 p. 100 achètent davantage à des fournisseurs canadiens et 43 p. 100 affirment qu'ils ont étendu leurs affaires au Canada grâce à l'ouverture de l'accès aux marchés dans l'ensemble de l'Amérique du Nord. Dans une proportion de 20 p. 100, ce qui est très encourageant, ils disent qu'ils font des affaires en dehors de l'Amérique du Nord grâce à l'ALENA. Ils achètent davantage de biens, de services et de technologies—en Europe et au Japon—grâce au libre-échange nord-américain.

À mon avis, cela montre bien que le libre-échange—c'est-à-dire avant tout le libre-échange, mais aussi la plus grande facilité d'accès aux marchés—stimule la croissance économique. On voit également—et c'est à notre avis un principe que le Canada devrait défendre dans les négociations commerciales—qu'il faut rechercher des solutions qui ne font que des gagnants. Je crois que les expériences que nous avons connues avec l'ALENA et avec l'OMC, dans la mesure où il y a eu ouverture des marchés, ont été totalement positives pour tous les Canadiens. Nous sommes par ailleurs très sensibles au fait que ces gains n'ont pas toujours été acquis facilement, qu'il a fallu procéder à des restructurations massives, mais à long terme le libre-échange et l'ouverture des marchés constituent un avantage pour l'économie canadienne et pour les Canadiens.

Je dois dire également que si 72 p. 100 des entreprises considèrent les États-Unis comme le marché offrant le plus de perspectives de croissance... Les petites entreprises, en particulier, mettent beaucoup l'accent sur les relations économiques et les problèmes commerciaux avec les États-Unis—des problèmes comme le programme Buy America, les problèmes de douane à la frontière, et même les menaces de représailles et les mesures unilatérales de la part des autorités commerciales américaines. Tout cela est perçu comme une menace dans nos relations bilatérales, mais on voit également apparaître d'autres problèmes multilatéraux. En fait, c'est le signe que les sociétés canadiennes se tournent de plus en plus vers d'autres marchés situés en dehors de l'Amérique du Nord pour étendre leurs activités.

Plus de 15 p. 100 de nos membres ont signalé les marchés d'Amérique du Sud—particulièrement le Chili, l'Argentine et le Brésil—ainsi que l'Union européenne, l'Asie du Sud-Est, la Chine et le Mexique. Ce sont les marchés privilégiés des entreprises canadiennes, aussi bien du point de vue de l'expansion et des exportations que de celui des importations et des entreprises en coparticipation. L'économie est de plus en plus mondiale, même pour les petites entreprises. D'où l'importance des négociations au sein de l'OMC.

Les conclusions de notre sondage sont évidemment corroborées par les statistiques des exportations canadiennes. Depuis 1989, les exportations canadiennes de biens et de services ont doublé en chiffres réels et en dollars constants, tandis que la demande intérieure n'augmentait que de moins de 20 p. 100. C'est donc le marché des exportations qui détermine la croissance économique dans notre pays.

• 0945

Aujourd'hui, le marché des manufacturiers canadiens se trouve essentiellement à l'étranger: 65 p. 100 de la valeur totale de la production industrielle est exportée et environ 55 p. 100 de ces exportations sont destinées aux États-Unis ou y transitent. Environ 60 p. 100 de l'ensemble des biens manufacturés achetés au Canada sont importés par les États-Unis. Nos exportations de services commerciaux, comme les ordinateurs et les logiciels, les services de génie et d'architecture, la R-D, ainsi que les transferts technologiques, connaissent une croissance de plus de 20 p. 100 par an. Par ailleurs, les entreprises canadiennes investissent des montants records dans la création de nouvelles activités d'entreprises à l'étranger, et c'est cet investissement direct à l'étranger qui devrait créer davantage de possibilités d'exportation pour les producteurs canadiens.

C'est un fait que l'économie canadienne a prospéré grâce à la libéralisation du commerce, mais nous avons également tout intérêt à veiller à ce que les entreprises canadiennes aient accès à tous les marchés mondiaux. Je crois que cela devrait être l'axe principal de la politique commerciale canadienne à la veille de la prochaine ronde de négociations à l'OMC; il s'agit d'élargir l'accès aux marchés non seulement pour les producteurs de biens, mais également, bien sûr, pour les producteurs de services. Il convient, cependant, de ne pas minimiser les effets passés et actuels de la concurrence internationale sur les entreprises canadiennes. Toute l'économie a dû se restructurer, ce qui n'a pas été facile. De nombreuses sociétés ont fait faillite parce qu'elles n'ont pas réussi à faire face à la concurrence, mais aujourd'hui on ne peut plus faire demi-tour. La mondialisation est une réalité pour toutes les sociétés en affaires au Canada. Aujourd'hui, la concurrence internationale ne se manifeste plus uniquement sur les marchés d'exportation; elle est au coin de la rue, et chacun doit en tenir compte.

Comme l'indiquent les données des 10 dernières années, les sociétés canadiennes ne peuvent plus miser uniquement sur la concurrence au niveau des coûts. Nos atouts sont la spécialisation, notre aptitude à faire de la valeur ajoutée, à spécialiser et à adapter nos produits et nos services, et à fournir de la valeur ajoutée à nos clients. C'est bien le plus important aujourd'hui, et cela signifie également que la politique intérieure doit s'adapter à notre politique commerciale de façon à nous garantir le meilleur niveau d'innovation, le meilleur environnement et le meilleur climat d'investissement au Canada. C'est là un élément essentiel de notre succès sur la scène internationale.

À mon avis, c'est dans ce contexte qu'il faut envisager la participation du Canada à la prochaine ronde de négociations à l'OMC, qui vont revêtir une importance particulière. Notre sort dépend de plus en plus des règles régissant le commerce international des biens, des services et de l'investissement, à cause de l'importance de l'investissement direct dans les services et l'innovation. Nous avons intérêt à étendre les négociations au-delà de la portée traditionnelle du commerce international régi par les règles de l'OMC, pour établir une structure plus sûre et plus prévisible de règles gouvernant les services, la propriété intellectuelle et l'investissement. Presque tous les aspects de la politique intérieure aujourd'hui ont des conséquences pour le commerce international et l'investissement, de même que pour les questions de qualité de l'environnement et, bien sûr, de respect des droits de la personne à l'échelle mondiale. Nous devons faire en sorte que nos politiques intérieures soient conformes à nos engagements vis-à-vis de l'OMC, et nous reconnaissons que dans la mesure où les questions écologiques et sociales se répercutent sur l'investissement commercial international, elles doivent faire partie intégrante des prochaines négociations de l'OMC.

Je voudrais maintenant répondre brièvement à certaines questions essentielles que vous avez soulevées dans le débat.

Qu'est-ce que le Canada a obtenu jusqu'à maintenant dans le cadre de l'OMC? Pour l'essentiel, nous avons élaboré un ensemble de règles régissant le commerce international des biens et nous avons amorcé la négociation d'accords internationaux sur le traitement des services, particulièrement dans les télécommunications, les services financiers, les marchés d'État et la propriété intellectuelle.

Le problème, cependant, c'est que ces réalisations ne vont pas assez loin pour répondre aux difficultés qu'éprouvent les exportateurs canadiens sur les marchés mondiaux ou du fait de l'évolution de la concurrence proprement dite. Nous pensons qu'il y a encore beaucoup à faire. Je poursuis le travail de l'OMC en abaissant les tarifs, en éliminant les restrictions et les subventions aux exportations dans les secteurs des biens déjà couverts par l'OMC, mais aussi en renforçant l'imputabilité et les mécanismes de règlement des différends au sein de l'OMC. Les quatre principaux centres d'intérêt de l'alliance dans la perspective d'une expansion de la portée des règles de l'OMC sont le traitement des services, les produits agricoles et agroalimentaires, les droits de propriété intellectuelle et les marchés d'État.

• 0950

Nous pensons que les priorités du Canada dans la négociation devraient être fermement fondées sur les problèmes réels qu'éprouvent les sociétés canadiennes sur les marchés internationaux, et qui ne sont pas nécessairement couverts par les accords de l'OMC. Mais la première étape de la préparation de ces négociations devrait être un sondage général auprès des exportateurs canadiens pour connaître les problèmes en souffrance. À mon avis, certains d'entre eux pourront être réglés au plan bilatéral et régional, d'autres le seront dans le cadre de l'OMC, mais il importe de commencer à la base, puis de remonter pour bien cerner les véritables problèmes des entreprises et pour bien définir les priorités.

Dans les négociations de l'OMC, le Canada devrait se faire le champion d'un certain nombre de principes. Tout d'abord, il devrait favoriser une plus grande liberté d'accès aux marchés mondiaux pour les exportateurs et les investisseurs canadiens; il devrait exiger une application uniforme des règles du jeu au profit des sociétés canadiennes établies à l'étranger, une plus grande certitude concernant l'application des règles de l'OMC et de la réglementation au sein des États membres, une plus grande transparence dans le traitement de l'investissement et du commerce, une résolution plus rapide des différends commerciaux; il devrait mettre l'accent sur le rôle de l'OMC en tant qu'organisme qui définit les règles du commerce et de l'investissement au niveau international, et reconnaître que l'OMC doit tenir compte des questions sociales et écologiques dans la mesure où elles ont une incidence sur l'accès aux marchés et sur le traitement du commerce et de l'investissement; finalement, il devrait renforcer la capacité des autres institutions internationales d'intervenir auprès des gouvernements sur les questions sociales et environnementales à l'échelle mondiale.

En dernier lieu, comment le Canada doit-il aborder ces négociations? Nous pensons tout d'abord qu'il doit avoir une bonne compréhension de la situation actuelle des entreprises et des problèmes qu'elles rencontrent; deuxièmement, il doit se sentir fort de l'appui des entreprises canadiennes, en particulier de la communauté des exportateurs. Je dois vous dire que c'est là un lourd défi à relever. Nombreux sont les dirigeants de petites entreprises qui seraient incapables de vous dire ce que signifie le sigle OMC et, à plus forte raison, d'expliquer en quoi les questions qui seront négociées lors de la prochaine ronde de l'OMC concernent leur entreprise. Il faut donc adopter une stratégie de communication très efficace, une stratégie d'engagement axée sur la définition des priorités pour le gouvernement à la veille des négociations de l'OMC.

Il nous faut un mandat non équivoque, définissant des priorités qui défendent les exportations et les investissements canadiens à l'étranger, une bonne compréhension du rôle fondamental de l'OMC dans l'établissement des règles du commerce international, et il importe de reconnaître que les politiques intérieures doivent être conçues en fonction des engagements canadiens envers l'OMC. Je sais que c'est un programme très vaste, mais nous pourrons entrer dans les détails au cours des délibérations ultérieures. Je puis cependant vous dire que l'alliance s'est engagée à aider le ministère du Commerce international et ce comité à définir les problèmes et les priorités de nos membres et de toutes les sociétés canadiennes qui exportent. Nous aimerions que votre comité accepte notre invitation de rencontrer nos membres lorsqu'il voyagera à travers le Canada. Nous serions très heureux de vous accueillir dans nos divisions provinciales pour vous faire entendre le point de vue de nos sociétés exportatrices sur les problèmes commerciaux qu'elles rencontrent.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je crois que ce serait très utile à chacun d'entre nous.

Monsieur Kerton.

M. Robert Kerton (président du Comité du commerce, Association des consommateurs du Canada): Merci beaucoup, madame la présidente. Je m'appelle Bob Kerton et je travaille pour l'Association des consommateurs du Canada et pour l'Université de Waterloo. J'ai également présidé le conseil d'administration de l'Institut Nord-Sud, qui, comme vous le savez, a fait des recherches très intéressantes sur le tiers monde dans le commerce mondial.

L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Un instant, monsieur Kerton. Avez-vous un document?

M. Robert Kerton: Oui, j'en ai un. Il aurait dû vous être distribué.

[Français]

Il y a aussi une version française.

[Traduction]

L'Association des consommateurs du Canada est un organisme national composé d'associations locales et provinciales de l'ensemble du pays. Sa création remonte à 1948, et l'essentiel de ses activités antérieures concernait le domaine du commerce. En fait, l'association s'est battue pour faire supprimer les tarifs sur les chaussures pour enfants dans les années 40, 50 et 60, ainsi que sur les vêtements pour enfants. Nous avons également participé au débat sur le libre-échange. Nous avons fait parler la raison dans un débat qui s'était polarisé entre les partisans farouches du libre-échange et ceux pour qui il ne devait apporter que le chaos et le désastre.

Nous appartenons à un organisme international appelé Consumers International. Il s'agit d'un regroupement d'associations de consommateurs de plus de 160 pays, dont une bonne partie de pays du tiers monde. CI a un service spécialisé dans le domaine commercial au Royaume-Uni. De mon côté, j'ai travaillé auprès de cet organisme dans son service de l'Asie-Pacifique au cours des années 80.

• 0955

C'est un plaisir tout particulier pour moi d'être ici, parce qu'il est tellement rare—je pense que c'est la première fois—qu'une association de citoyens est invitée à comparaître devant le comité. Nous avons soutenu, sans succès, qu'il devrait y avoir un mécanisme permettant d'incorporer la vie des citoyens aux discussions de l'OMC, et nous sommes d'avis que le système dominé par des experts exclut certains éléments déterminants.

J'aimerais aborder deux questions. La première, tirée de votre document, est de savoir comment l'intérêt national du Canada et l'intérêt d'économies plus petites et plus faibles peut être protégé, y compris ceux du système financier; la deuxième, la question de savoir si le processus de consultation au pays peut être amélioré. J'aimerais faire des recommandations précises. Elles se trouvent dans le document que j'ai fait circuler.

Pour montrer combien il est important d'obtenir le point de vue du consommateur et d'en discuter, je vous invite à prendre connaissance de la feuille que j'ai fait circuler et qui donne des informations en français et en anglais sur certains problèmes d'exportation. Si vous...

Mme Sheila Finestone: Pardon. Je pense qu'il vaudrait mieux obtenir la feuille.

M. Robert Kerton: Bonne idée.

En guise d'introduction, je vous dirais que nous avons rencontré systématiquement des problèmes tout au long du passage de l'économique domestique, où l'on cultivait ses propres ignames et où on ne fraudait pas le consommateur, aux systèmes nés au XVIIIe siècle pour garantir que les produits échangés sur le marché n'étaient pas mortels. On a donc créé tout un ensemble d'organismes dans les pays occidentaux, comme la Food and Drug Administration, qui garantissent que la plupart des biens échangés sont bénéfiques, ou à tout le moins qu'ils ne sont pas nocifs. Ils sont peut-être sans effet, mais ils ne sont pas tout à fait nocifs.

L'Organisation mondiale de la santé a effectué une étude dans 111 pays en développement pour voir combien d'entre eux disposent d'un organisme de protection efficace capable de garantir que les produits pharmaceutiques et agricoles importés sont bien sans danger. On a constaté qu'à peine 9 des 111 pays en développement comptaient un organisme de ce genre, doté des laboratoires ou des compétences scientifiques nécessaires.

Cela nuit directement au consommateur. Prenons un exemple que je connais bien; le clioquinol, produit distribué par une grande multinationale, a causé la cécité et la paralysie des membres inférieurs de plus de 20 000 Japonais dans les années 70. Dans les années 80, à l'époque où Consumers International essayait de faire interdire la vente du produit, on pouvait encore le trouver dans plus de 60 pays, et on peut encore l'acheter aujourd'hui. Les grands producteurs ont accepté de le retirer parce que le produit avait peu d'effets bénéfiques et peu d'effets nocifs. D'autres, cependant, ont pris le relais.

Considérez maintenant le tableau 2, que je vous ai remis. Prenons le cas de l'Inde. Je suis très fier d'appartenir à l'institut national de recherche en consommation de ce pays. On trouve en Inde 44 produits anti-inflammatoires non stéroïdiens. De ce nombre, 13 figurent sur la liste de produits pharmaceutiques essentiels de l'Organisation mondiale de la santé, une liste très utile. Reportez-vous maintenant à la colonne d'extrême droite: on constate que 20 des 44 marques sont interdites à la vente dans les pays industriels. Minute, dites-vous; on trouve en effet sur ce marché 44 produits, dont 20 sont interdits par des pays où il y a un organisme de protection de la santé. Pourquoi fait-on le commerce de produits comme ceux-là?

Si je signale ce cas à votre attention, c'est pour montrer pourquoi il faut que le consommateur se fasse entendre à l'occasion de ces discussions commerciales. Examinez maintenant le tableau 1. Je vais citer une étude que j'ai réalisée moi-même en 1990. Reportez-vous à la dernière ligne des totaux: produits interdits et (ou) dangereux, par catégorie. Il existe 8 063 produits vendus dans le monde qui sont interdits dans les pays dotés de ministères efficaces de protection du consommateur. Vous vous demandez sûrement pourquoi diable on fait ce genre de commerce. Cette liste a été mise à jour. Celle de 1994 compte 11 000 produits interdits. Pour figurer sur la liste, le produit doit faire l'objet de commerce. Autrement dit, si le produit est retiré de la circulation, il est supprimé de la liste.

• 1000

Cela signifie que lorsqu'on examine des documents extrémistes comme l'Accord multilatéral sur l'investissement, on se demande: où diable dit-on quelque part qu'il existe des responsabilités et que les entreprises doivent vendre des produits qui sont efficaces et non interdits à la vente? Où est l'équilibre? Il ne peut pas y en avoir si l'on ne donne pas voix au chapitre au consommateur.

Je vous signale d'ailleurs que les exportateurs canadiens sont pénalisés par cette situation. En effet, si vous exportez un produit efficace, vous ne voulez surtout pas faire concurrence à des produits qui font du tort aux gens; vous ne voulez pas ternir la réputation du marché. C'est pourquoi il faut être présent.

Je vais à peine effleurer le document que je vous ai remis. À la page 1, je parle de nos méthodes de participation, qui vont du voyeurisme symbolique à l'adhésion à part entière. On sait également qu'il y a un consommateur qui fait partie du comité consultatif sur le commerce extérieur. Tous ceux qui s'intéressent à la chose publique et qui ont observé ce comité vous diront qu'il est débordé par les autres questions. Les études officielles recommandent d'augmenter la représentation des consommateurs.

Il en va de même pour les comités consultatifs sectoriels. Ils comptent très peu de représentants du grand public. Je ne suis pas certain que ce soit la seule formule possible.

Dans l'autre partie du document, voici l'hypothèse que j'ai posée. Si ces accords commerciaux étaient un produit de consommation, comme un pneu, à quels critères devrait-il répondre? Quelles sont ses caractéristiques? Quelle est sa résistance à l'usure ou sa durabilité? Il faut établir ces caractéristiques. C'est une question qu'il est très utile de poser. J'ai énuméré des critères à la page 5 du document, qui est en anglais.

On s'apercevra qu'un bon accord commercial fera baisser les tarifs douaniers. Chose plus importante encore, il devrait réduire les obstacles non tarifaires. Il devrait éviter d'occasionner le déplacement des courants commerciaux. Il devrait permettre de faire profiter le consommateur des gains obtenus, comporter un mécanisme efficace de règlement des différends et de participation des consommateurs.

Si l'on sait ce que l'on veut trouver dans le document, on peut l'évaluer sans tomber dans le piège des radicaux, qui sont soit, pour soit contre.

Dans ce cas, que faut-il faire pour améliorer la représentation du consommateur ou du citoyen lors des discussions sur le commerce? La suggestion la plus utile, je crois, est la première que j'ai faite: adopter le modèle de l'Association canadienne de normalisation. Comme les autres associations de normalisation, l'association canadienne exige que soient représentés tous les groupes touchés lorsqu'elle fixe une norme. Pour cette raison, c'est le seul secteur des discussions commerciales où le consommateur a réussi à se faire entendre, et le Canada est l'un des chefs de file en la matière. Nous le sommes devenus grâce aux dispositions que nous avons prises ici. On devrait en faire autant pour tous les autres accords que nous signons.

L'autre problème, c'est celui de ce que j'appelle l'agent libre. Il est tout à fait impossible de financer ces interventions dans l'intérêt public.

Je vais vous donner un exemple. L'été dernier, le TCCE, le Tribunal canadien du commerce extérieur, a tenu une audience sur les aliments pour bébés, et il n'y avait aucun moyen de financer la participation des consommateurs. Avec quoi se retrouve-t-on? Avec de grosses entreprises qui se disputent entre elles. J'estime, moi, que c'est un débat très important pour le consommateur. Dans sa décision préliminaire, le tribunal a créé un monopole. Je vous pose la question: pourquoi diable se sert-on des instances publiques du pays pour créer un monopole? Ce monopole existe toujours.

J'ai passé une nuit blanche, de 10 heures du soir à 4 heures du matin, pour rédiger un mémoire, et je l'ai présenté à titre personnel. Je n'ai pas été rémunéré, il va sans dire. Toujours en ce qui concerne la concurrence, j'ai constaté qu'il n'y avait aucun moyen d'obtenir des fonds pour mon voyage à Ottawa pour comparaître aux audiences. Puis j'ai reçu une citation à comparaître... ce n'était pas la première. Aujourd'hui, je fais mon emploi normal et je dois aussi comparaître à l'audience à Ottawa pour témoigner. Je l'ai fait. Si je vous le dis, c'est pour vous montrer que c'est dur quand on n'a pas de financement pour faire une intervention dans l'intérêt public. Le fait que cela se passe ainsi défie le bon sens économique. Chaque fois que je fais quelque chose de ce genre, je perds du temps, et d'habitude aussi de l'argent.

• 1005

En ce qui concerne la troisième question, les mesures relatives au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, je n'ai pas vraiment de recommandation à vous faire; je viens plutôt vous demander votre aide. Le comité a une grande expérience et sait comment faire participer les consommateurs et les citoyens au processus de discussion sur le commerce. Dans votre rapport, je vous demanderais donc de recommander que le comité s'organise pour obtenir de l'information fiable sur l'opinion du consommateur, surtout des pays du tiers monde et de Consumers International, mais aussi des Canadiens, qui sont les premiers concernés.

Voyez comment vous pouvez organiser quelque chose avec le ministère pour que cette consultation se fasse régulièrement. Certains recommandent que le MAECI crée un service consommation qui serait chargé de ces questions. Cela éviterait quelque chose d'aussi absurde qu'un accord multilatéral sur l'investissement biaisé produit sans la moindre participation des citoyens.

Voilà donc une recommandation. À vous de voir.

La quatrième, une meilleure représentation au CCCE et aux GCSCE, cela pourrait être utile.

La cinquième, c'est la valorisation du Bureau de la consommation. Il s'agit d'un petit service à Industrie Canada qui s'occupe de consommation et qui, lui non plus, n'a pas de budget pour intervenir dans les discussions sur le commerce ou pour financer l'intervention d'autres groupes.

Je vais m'arrêter ici. Merci beaucoup. Vous ne savez pas combien j'ai été surpris de recevoir votre invitation. Après avoir réclamé par écrit pendant des années qu'on entende le consommateur, cela a été toute une surprise pour moi d'être invité.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je dois vous dire, monsieur Kerton, que cela a été épatant. Nous n'avons jamais entendu un représentant des consommateurs aborder des questions que beaucoup d'entre nous ont soulevées par le passé, mais auxquelles nous n'avions obtenu que des réponses superficielles. Sachez que beaucoup d'entre nous ont vraiment apprécié votre exposé.

M. Robert Kerton: Je suis très heureux d'être venu ici. Je sais qu'il est possible de trouver des solutions qui profiteront à tout le monde. Si vous ne sollicitez pas d'avis, vous n'entendrez que le point de vue limité de ceux qui ont les moyens de venir à Ottawa et de faire du lobbying.

Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Clark.

M. Peter Clark (Grey, Clark, Shih and Associates): Vous n'avez pas mon document parce que je l'ai révisé à la lumière des discussions de mardi matin; je vais en effet essayer ce matin de répondre aux questions de Mme Finestone sur le fonctionnement du système.

Mme Sheila Finestone: Vraiment?

M. Peter Clark: Même si mon texte est assez long, j'ai pensé vous parler du fonctionnement du système et de certaines choses dont il est question dans les journaux ces temps-ci à propos de l'OMC et de la façon dont cela touche directement les Canadiens.

J'ai été heureux de voir la façon dont le processus de consultation a été élargi, car si l'on a appris quelque chose du débat sur l'AMI—cela n'a pas vraiment été un débat; le ministre essayait plutôt de rattraper ceux qui le menaient—c'est qu'il faut que tous les éléments de la société canadienne discutent de ces questions en connaissance de cause.

Je ne sais pas ce qu'on entend par «société civile». J'ai essayé de comprendre, et je pense que cela désigne tous les Canadiens. Quelqu'un a dit «les citoyens ordinaires», et moi je dis que ça n'existe pas, le Canadien ordinaire. Tous les citoyens sont différents. En bout de ligne, cependant, c'est à vous que revient la responsabilité finale. C'est vous qui représentez les Canadiens; c'est vous qui représentez la société civile. Je suis heureux de voir que la structure vous permettra de parcourir le pays et de sonder l'opinion.

Ce que je répète aux gens que je représente—et je représente des regroupements agricoles, des gouvernements provinciaux, des gouvernements étrangers, des entreprises—c'est que le commerce extérieur est une question qui ne se discute plus seulement au conseil d'administration, mais aussi en conseil de famille. Secouez-vous, sinon vous allez en pâtir. C'est le principal message que mes amis des médias peuvent transmettre aux milieux des affaires: si ceux qui profitent du commerce extérieur ne viennent pas exposer leur point de vue devant des comités comme celui-ci, c'est quelqu'un d'autre qui va fixer les objectifs.

Pourquoi l'OMC est-elle importante pour le Canada et les Canadiens? Pour commencer, il y a 6 milliards de consommateurs dans le monde, et c'est un marché que l'on commence à peine à exploiter. Si nous ne sommes pas aux premières lignes, quelqu'un d'autre y sera.

Deuxièmement, notre pays est le seul au monde à avoir un accès illimité au marché américain, notre plus gros marché, sur lequel s'effectue une si grande partie de notre activité commerciale. Sauf que chaque fois que les États-Unis négocient un accord de libre-échange avec un autre pays, soit de l'ASEAN, soit des Antilles, soit de la zone de libre-échange des Amériques, ils restreignent l'accès à leur marché, que nous avons déjà chèrement payé. Nous sommes concurrentiels lorsque l'on compare nos deux pays, et il faut miser sur cet atout pour continuer à prendre de l'expansion et à prospérer.

• 1010

Les thèmes phares de vos consultations doivent être la productivité et la compétitivité. Si nous ne sommes ni productifs ni compétitifs, nous allons régresser parmi les nations commerciales du monde. L'OCDE nous a envoyé un message. Elle nous dit que notre situation n'est pas mal aujourd'hui, mais qu'elle ne sera peut-être pas aussi bonne dans cinq ou dix ans. Si notre dollar se raffermit et atteint le niveau où il devrait se situer, nous aurons encore plus de problèmes d'adaptation. Il faut donc jouer le jeu.

Je ne vais pas vous égrener un chapelet de statistiques. La réalité, c'est qu'il devrait crever les yeux qu'un pays comme le Canada, au marché très petit, doit exporter pour survivre et qu'il nous faut des règles pour faire en sorte que le jeu oppose le bien et le mal, et non pas le grand et le petit. C'est encore un jeu qui oppose le grand et le petit, comme on le voit dans les journaux de ce matin.

Pour ce qui est de la discussion, donc, la transparence est la vertu primordiale. Je vous recommande aussi de diffuser sur votre site Web, sous forme électronique, tous les témoignages que vous recevez. J'ai constaté que c'est ce que fait le comité chargé de revoir la Loi sur l'expansion des exportations, et il est très utile de pouvoir consulter son site pour voir tout ce que chacun a dit. C'est essentiel. Tant qu'il y aura dans la société des groupes qui ne sont pas financés comme le sont les entreprises, qui vous présentent des points de vue éclairés en connaissance de cause, il faut qu'ils aient accès à ce que les autres ont dit. Il faut qu'ils se fondent sur des faits, et non pas sur des mythes.

L'autre jour, Mme Finestone a demandé comment se fait la négociation quand 130 pays s'en mêlent. Les pays qui s'intéressent le plus à une question déposent un document de discussion qui expose leurs vues. Le secrétariat rassemble un certain nombre de documents de discussion en documents plus volumineux qui sont débattus dans un groupe élargi. On recense les divergences de vues, et d'autres documents de discussion sont préparés, que le secrétariat transforme en textes de négociation. Ces textes contiennent diverses options pour chaque question. Ces divergences sont revues à l'occasion de discussions poussées au sein de groupes de plus en plus petits, jusqu'à ce qu'ils aboutissent à un texte consensuel ou quasi consensuel. Les groupes se réunissent ensuite pour aplanir les divergences et aboutir à un texte net auquel tout le monde pourra se rallier.

Dans la pratique, par le passé, ces négociations ont été en majeure partie conduites par les États-Unis et la Communauté européenne, la participation du Japon et du Canada étant plus grande que celle de tout autre pays. L'ambassadeur Shannon vous a dit l'autre jour que les pays en développement vont jouer un plus grand rôle cette fois-ci, et il a tout à fait raison. Cela ne va pas accélérer le processus, mais ça va le rendre plus juste et plus sensible aux besoins des pays plus petits.

J'ai travaillé dans les milieux du GATT et de l'OMC pendant bien des années. Je suis un grand défenseur du système, mais il comporte des lacunes. Notamment, il favorise les pays développés au détriment des pays en développement, et les grands pays au détriment des petits. Dans ce contexte, on ne peut prétendre que le Canada est un petit pays, car c'est un important partenaire commercial. Mais le processus nous cause des difficultés, et nous devrons défendre nos positions avec plus de fermeté. Vos travaux permettront de recenser les préoccupations et les priorités et de mieux nous préparer à faire part de nos vues au début du processus dans les premiers documents de travail. Le Canada devra être très actif à cette étape-là s'il veut survivre.

J'aimerais maintenant aborder la question du règlement des différends. Bien des députés des différents partis m'ont demandé pourquoi le Canada s'en tire si mal à ce chapitre sous l'égide de l'OMC. Je répondrai que nous ne nous en tirons pas si mal, et voici pourquoi.

Premièrement, lorsque nous avons gain de cause, on en parle moins. Nous avons eu un différend avec la France sur le nom que nous pouvions donner à nos pétoncles vendus sur le marché français. Nous avons eu gain de cause, mais à une étape intérimaire, et la France, ne voulant pas perdre la face, a préféré un règlement à l'amiable. Le groupe spécial n'a jamais remis de rapport final, et il n'y a pas eu de publicité. Nous avons donc gagné, mais cette victoire n'a pas été publicisée. Nous avons aussi eu gain de cause contre l'Australie au sujet des règlements sanitaires et phytosanitaires touchant nos exportations de saumon. Nous avons aussi eu un différend important avec les États-Unis, aux termes de l'ALENA, qui allait au coeur de la gestion des approvisionnements dans le secteur laitier. Tout le monde s'attendait à ce que nous perdions, mais nous avons gagné.

• 1015

Dans le cas de conflits tels que le différend actuel sur les produits laitiers, où je représente le Conseil national de l'industrie laitière du Canada, et celui sur les magazines, où je ne représente personne, le gouvernement n'avait d'autre choix que de protester. Dans le deuxième cas, la politique existait avant que ne soit créée l'OMC. Dans l'autre cas, nous sommes fermement convaincus que les agriculteurs ont le droit de travailler collectivement à l'exportation de leur lait. Cela nous apparaît tout à fait logique.

Le rapport, que j'ai vu, mais que je ne peux aborder en détail, sauf pour dire que c'est une abomination, fera l'objet d'un appel.

Vous êtes tous des élus, et que vous siégiez au gouvernement ou au sein de l'opposition, comme politiciens, si vous devez défendre une politique difficile, vous ne pouvez dire à vos commettants que vous allez céder et que vous ne vous battrez pas si vous avez l'occasion de le faire. Nous menons donc tous ces combats, les plus faciles comme les plus difficiles. Nous perdons des batailles, mais pas la guerre.

M. Manley a parlé de son Programme de partenariats technologiques. L'autre jour, Mme Barlow a déclaré que ce programme ferait en sorte que le Canada n'aurait plus de politique industrielle indépendante. Ce sont des balivernes. C'est faux. Je ne peux entrer dans le détail de ce rapport non plus, mais je puis dire que ce groupe spécial a jugé que le gouvernement canadien ne pouvait subventionner la conception de produits destinés aux marchés d'exportation, car cela constitue de facto une subvention à l'exportation. M. Manley n'est pas d'accord, et il interjettera appel.

Le groupe spécial n'a toutefois pas dit que le Canada ne pouvait financer les réacteurs nucléaires. Il n'a même pas examiné la question des réacteurs nucléaires. Il n'a pas dit non plus que M. Manley ne pouvait se servir du PPT, un programme très novateur, pour financer l'élaboration de technologies émergentes, de nouveaux matériaux ou de technologies environnementales. Il n'a traité que d'une question bien particulière.

Les groupes spéciaux rappellent aux pays qui vont trop loin où se situe la limite. Ils ne leur interdisent pas d'aller de l'avant. De petites modifications ici et là représentent une façon légitime de régler certains de ces problèmes.

En ce qui concerne le projet de loi C-55 sur les magazines et le choix qu'a fait le Canada, il s'agit en fait de subventionner nos éditeurs de magazines. Nous sommes menacés par les États-Unis. Hier, les États-Unis ont mis leurs menaces à exécution contre les Européens dans l'affaire des bananes.

Mon ami, M. Myers, a indiqué que les membres de son association craignent de subir le même sort, mais le Canada a adopté une approche tout à fait conforme aux règlements de l'OMC. Dans son affaire initiale, l'OMC n'a pas déclaré que nous ne pouvions protéger notre secteur culturel si nous respectons les règles. Le gouvernement canadien a un avis juridique disant que le projet de loi C-55 est conforme aux règles de l'OMC. J'ai lu les annexes canadiennes à l'accord sur les services de l'OMC, et il ne prévoit aucune obligation de notre part en ce qui a trait aux services de publicité. Aux termes de l'OMC et de l'ALENA, les États-Unis ne peuvent unilatéralement déterminer si une mesure ou une politique canadienne est non conforme aux règles; cela doit se faire par le biais du mécanisme de règlement des différends.

Je suis allé plusieurs fois en Arizona, et j'ai vu les cimetières de Tombstone et Boot Hill. Sur certaines tombes, il est écrit «Pendu par erreur»: c'est ça, la politique commerciale des États-Unis. Les menaces de représailles des États-Unis ne sont que des tactiques de justiciers. Elles ne respectent pas les règles. Ces tactiques sont inacceptables, et le Canada ne les acceptera pas. Le gouvernement canadien ne peut simplement se tordre les mains de désespoir et ramper devant Charlene Barshefsky ou l'ambassadeur Giffin chaque fois que leurs menaces font les manchettes.

Si le Canada ou l'Europe cède devant les menaces des États-Unis, nous perdrons tous les avantages que nous avons obtenus de l'Uruguay Round, lequel a grandement restreint la possibilité pour les États-Unis de faire des menaces et de les mettre à exécution, comme ils l'ont fait et comme nous l'avons fait dans le dossier de la bière.

Pour l'OMC, la question n'est pas de savoir si le secteur des magazines canadiens devrait être protégé, mais bien de déterminer si notre politique est conforme aux règles. Nous avons le droit d'exiger d'un groupe spécial qu'il examine notre politique pour déterminer si tel est le cas.

J'ai pris plus que le temps qui m'était alloué, madame la présidente, et j'en suis désolé. Je serais ravi de répondre à toute autre question.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vous avez dit une chose intéressante—je ne parle qu'en mon nom, car je suis certaine que les autres membres du comité sont bien mieux informés et plus compétents que moi—lorsque vous avez dit qu'il fallait retourner à la base, sur le terrain. Je crois que vous avez attiré notre attention en disant cela. Nous obtenons des renseignements ici et là, et lorsque nous nous entretenons avec des gens qui négocient ces ententes et travaillent dans ce milieu depuis des années, bon nombre d'entre nous se sentent un peu perdus. Vous avez fait là une remarque très pertinente, et c'est très bien.

• 1020

M. Peter Clark: Si je peux prendre encore une minute pour répondre à cela, lorsque moi et mes clients nous sommes préparés en vue du processus de consultation—nous en avons discuté avec le ministre Marchi—je me suis dit que, compte tenu de mon expérience de l'AMI, je devais agrandir mon réseau. J'ai parlé au plus grand nombre de gens possible. J'ai parlé à des serveurs, dans les restaurants. Dans mon métier, on passe beaucoup de temps à parler avec des cameramen de la télévision en train d'attendre la transmission de Toronto ou d'ailleurs, et ces gens-là ne sont pas bêtes. Ils posent des questions assez pointues auxquelles moi, qui suis spécialisé dans un domaine, ou même vous, qui avez une perspective différente, ne penseriez pas. C'est à eux que vous devez vous adresser.

Je dois reconnaître que je suis toujours heureux d'écouter Maude Barlow, car elle présente un point de vue intéressant. Parfois, je suis d'accord avec elle, parfois pas. J'ai été toutefois extrêmement déçu d'entendre Tony Clarke. Essentiellement, il a dit: «Je veux que le monde s'arrête, je veux descendre», ce qui est irréaliste.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Runnalls.

M. David Runnalls (président intérimaire, Institut international pour le développement durable): Merci beaucoup, madame la présidente. Je dois reconnaître que la performance de M. Clark sera difficile à égaler.

Il faut vous expliquer que je n'ai eu qu'un court préavis avant de comparaître, et ce que vous avez sous les yeux, c'est ce que j'ai préparé à l'intention des interprètes. Je n'ai pas l'intention de le lire.

Je suis président intérimaire de l'Institut international pour le développement durable, qui est une organisation sans but lucratif dont le siège social se trouve à Winnipeg. Notre tâche est d'analyser et de promouvoir l'enjeu que représente le développement durable.

Madame la présidente, au mois d'avril, nous allons témoigner lors de vos audiences publiques à Winnipeg, et à cette occasion nous vous présenterons un mémoire plus complet.

Vous avez entre les mains, outre mes notes, un document que nous avons préparé en prévision du symposium de haut niveau de l'OMC sur le commerce et l'environnement qu'aura lieu la semaine prochaine à Genève. Je vais faire un commentaire général de ces documents.

L'institut n'a cessé d'appuyer la libéralisation du commerce. Cela peut ne pas sembler très révolutionnaire, mais ceux d'entre vous qui savent ce que les promoteurs de l'environnement et du développement au Canada pensent du commerce et de la libéralisation du commerce comprendront que nous sommes une espèce menacée. Certaines suggestions que je ferai tout à l'heure visent à nous protéger de cette menace, en faisant de l'OMC une organisation plus ouverte et plus sensible aux préoccupations environnementales.

Nous sommes d'avis que des modifications de ce genre sont non seulement cruciales pour l'avenir du développement durable, mais également indispensables pour maintenir la légitimité du commerce. Il faut dire que le Canada n'est pas l'unique pays où les promoteurs de l'environnement et du développement se méfient de la libéralisation du commerce. Cela est vrai désormais en Europe de l'Ouest et aux États-Unis.

Il faut reconnaître, et j'insiste là-dessus auprès de mes collègues, que l'OMC est l'une des entreprises les plus fructueuses réalisées dans l'après-guerre. À cause de son succès, l'OMC est menacée de deux dangers. Tout d'abord il y a la tendance à surcharger l'organisation. Son succès et la nature quasi judiciaire de son régime de résolution des différends nous poussent à saisir l'organisation de questions toujours en plus grand nombre. Dans certains cas, l'OMC ne dispose pas des moyens nécessaires pour les traiter, et notamment elle devrait aborder avec beaucoup de circonspection toute la question de l'investissement et des règles régissant l'investissement.

On a tendance à croire qu'en raison de ses succès passés l'OMC pourra également trouver une solution à de nouveaux enjeux. L'OMC est conçue à des fins très précises. Essentiellement, l'organisation doit servir à élaborer et à faire appliquer les règles régissant l'échange de biens et en outre, comme notre collègue de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs l'a rappelé, elle s'occupe désormais également des services et de la technologie de l'information. Les dossiers non réglés sont encore nombreux. Il s'agit des nouvelles tâches auxquelles elle s'est attaquée, ce que l'on appelle le mandat d'office de l'OMC—en matière d'agriculture et de droits de propriété intellectuelle, notamment.

• 1025

À mon avis, si l'OMC devait se prononcer sur l'investissement, l'ensemble de son action serait menacée. J'ai cinq suggestions à faire en réponse à votre question quant à savoir comment le Canada pourrait se rendre utile à cet égard au sein de l'OMC.

Tout d'abord, il faut y rationaliser le développement durable. Dans le préambule de l'accord de l'OMC, madame la présidente, on trouve une phrase très appropriée. Je la cite dans mon témoignage écrit, mais je vais la paraphraser à votre intention: l'OMC devrait exercer sa compétence tout en permettant l'utilisation optimale des ressources mondiales conformément à un objectif de développement durable, soucieux de la protection et de la préservation de l'environnement et de l'amélioration des moyens pour y parvenir, tout en tenant compte des moyens et des préoccupations correspondant aux divers niveaux de développement économique.

Hélas, madame la présidente, au cours de ses quatre premières années d'existence, l'OMC s'est très peu souciée de veiller à ce que les mesures qu'elle prenait répondent à ses aspirations, à savoir garantir que la libéralisation du commerce n'enrichisse pas seulement certains pays, mais aboutisse à un développement durable pour tous. Selon moi, le gouvernement canadien fait une proposition qui pourrait être intéressante: que l'OMC, par le truchement de son nouveau directeur général, qui pourrait très bien être un Canadien, fasse ce que le secrétaire général de l'OCDE, Donald Johnston, a fait lors de son entrée en fonction.

Au moment d'assumer ses nouvelles fonctions, M. Johnston a demandé à un groupe de 14 experts et expertes de recommander des moyens permettant d'intégrer le développement durable aux activités de l'organisation. Le comité a déposé son rapport auprès du secrétaire général, et ses recommandations sont actuellement mises en oeuvre pour garantir que l'OCDE respecte ses engagements à l'égard de la durabilité. Ainsi, le nouveau directeur général de l'OMC pourrait faire de même, et le Canada serait tout à fait désigné pour en faire la proposition.

Ma deuxième suggestion reprend les propos de M. Clark quand il disait qu'il faut que l'OMC soit une organisation plus ouverte. L'OMC est de loin l'organisation internationale la plus opaque qui existe. Ses réunions sont interdites à ceux qui n'en sont pas, la société civile. Ses groupes de résolution des différends se réunissent à huis clos. Il y a peu, ou pas, de possibilités de présenter des mémoires à titre d'intervenants désintéressés. Les seules parties autorisées dans la salle sont les représentants des gouvernements en litige. Les décisions sont rendues publiques au petit bonheur. On constate que toute décision concernant les États-Unis fait immédiatement l'objet d'une fuite par le bureau du représentant commercial américain, d'ordinaire avant même qu'elle ne soit traduite dans les langues officielles de l'OMC.

À mon avis, madame la présidente, cela constitue une véritable menace à la légitimité du système commercial. Il y a eu un certain nombre d'affaires, dont l'affaire des crevettes et des tortues n'est pas la moins éclatante—et il y a ici un vocabulaire pour initiés—qui ont véritablement suscité la colère des environnementalistes américains. Je rentre d'Europe, où on trouve encore à la une des journaux le débat public concernant le différend sur l'hormone bovine. D'autres questions ont été présentées de telle sorte qu'on en a saisi des groupes spéciaux qui semblent avoir pris leurs décisions dans le plus grand secret, en toute confidentialité. Je pense que cela risque d'entraver l'adoption par certaines assemblées législatives du résultat de la prochaine ronde de négociations. Dans le cas de l'Accord multilatéral sur l'investissement, on a pu constater que la réaction du public peut être parfois très irrationnelle, pour la simple raison que les négociations sont menées en secret. Ce que l'on ne voit pas rend automatiquement très méfiant.

Ma quatrième suggestion a été évoquée par M. Kerton. L'OMC pourrait insister davantage sur le développement durable dans les pays en développement. Parmi les pays adhérant à l'OMC, il y a désormais un assez grand nombre de pays en développement. Comme l'a signalé M. Clark, ils sont désavantagés lors des négociations. Sans être automatiquement des victimes, ils ne sont pas autant bénéficiaires que certains pays développés, lors des négociations. Je pense que le Canada, qui a des relations étroites avec un grand nombre de pays en développement, pourrait jouer un rôle intéressant en garantissant que les pays en développement puissent intervenir comme il se doit lors des négociations et que l'on adopte des dispositions fermes dans les secteurs qui sont importants pour eux: les textiles, les exportations agricoles, etc.

• 1030

Cinquièmement, je dirais—et je pense que nous sommes dans une très bonne position à cet égard—qu'il faudrait essayer de trouver une solution idéale pour que se rapprochent les environnementalistes et les commerçants. Quant à moi, je préconise que nous agissions au niveau des subventions. Les subventions agricoles en particulier peuvent être de réelles sources de perturbations de l'environnement et de distorsions du commerce, si bien que je pense que le Groupe Cairns au Canada, et les environnementalistes, en Europe, auraient tout intérêt à s'allier, car, étant donné le nouveau gouvernement en Allemagne, l'on pourrait saisir l'occasion de constituer un front commun pour exiger la suppression des subventions qui perturbent à la fois le commerce et l'environnement.

Je dirais également—et il faudrait pour cela compter plusieurs années—qu'on ressentira le besoin d'un accord général sur le commerce et l'environnement, émanant de l'OMC. Cela est inévitable, quand ce ne serait qu'à cause de l'opinion publique en Europe de l'Ouest et, jusqu'à un certain point, aux États-Unis. On constatera de plus en plus que les groupes de consommateurs et les gouvernements eux-mêmes essaieront de légiférer ou de boycotter les produits qu'ils estiment ne pas avoir été produits suivant des méthodes écologiques.

Pour l'instant, cela est prévu dans les règles de l'OMC, mais si on laisse cela au bon vouloir des parties les règles ne sont pas respectées. À mon avis, comme c'est souvent le cas, un régime axé sur les règles vaut sans doute mieux que l'absence de régime. Pour l'heure, un nombre considérable de cas soumis au mécanisme de résolution des différends de l'OMC comportent des composantes environnementales. Le nombre de cas va grimper considérablement si l'on ne trouve pas un moyen, avec le temps, de fixer des règles en matière de protection de l'environnement. Il existe des politiques de marché public maquillées de telle sorte qu'elles contournent les restrictions visant la protection de l'environnement. Certains gouvernements européens sont dotés actuellement de politiques de marché public variables. Sans des règles régissant cet aspect-là, nous risquons d'en être victimes.

Nous recommanderions donc que le Canada, tel que l'a proposé sir Leon Brittan, envisage une analyse générale environnementale de l'impact potentiel des négociations commerciales. Cela s'est fait auparavant. Nous l'avons fait à l'occasion de l'ALENA. Nous faisons régulièrement des analyses économiques de l'impact des accords commerciaux. Rien n'empêche que nous fassions une analyse de l'incidence environnementale des accords commerciaux, ce qui, madame la présidente, nous éviterait bien des ennuis plus tard.

En terminant, je voudrais revenir sur la question dont j'ai parlé au début, celle des investissements. Après l'échec de l'AMI à l'OCDE, on s'accorde généralement à croire, jusqu'à un certain point poussé par le Canada, qu'il serait bon que les discussions portant sur les investissements se déroulent au sein de l'OMC. Selon nous, cela serait une erreur pour diverses raisons, dont la principale est que les exigences d'un régime d'investissement dépendent d'une structure différente de celle de la libéralisation du commerce des biens.

Un investissement rentable ne peut l'être qu'à long terme; parfois il faut 50 ans, et cela suppose de nombreux changements en cours de route, pour s'adapter à de nouvelles technologies, à des débouchés différents ou à un changement de cap quant au résultat. L'investisseur étranger devient ni plus ni moins un citoyen du pays hôte, et les droits dont il jouit sont assortis d'obligations. Les principes fondamentaux de l'OMC, à savoir la nation la plus favorisée et le traitement national, ne suffisent pas à garantir qu'un investissement sera traité de façon juste et équitable.

En conclusion, je vais vous donner un exemple pour illustrer ce que je viens de dire. Si vous avez un réseau hydrographique où sont construites cinq usines de pâtes et papiers, la cinquième, celle qui est construite en dernier, fera l'objet de normes plus exigeantes que les quatre premières, en vertu de la politique environnementale adoptée par le Canada. C'est ainsi que les choses fonctionnent. Cela est dû à la capacité d'absorption du cours d'eau. Si une compagnie canadienne est propriétaire de la cinquième usine, elle doit se plier à ces exigences. Si c'était une compagnie américaine, je peux vous assurer qu'il y aurait un recours au mécanisme de résolution des différends, car nous serions accusés de ne pas réserver le traitement national, mais bien un traitement discriminatoire, différent de celui dont jouissent les quatre premières usines, vraisemblablement propriété de compagnies canadiennes. Il y a encore divers exemples de ce genre que l'on peut puiser dans la politique actuelle en matière environnementale, laquelle pourrait rendre extrêmement difficile l'application des règles plutôt rigides imposées par l'OMC, et concernant en l'occurrence le traitement national et la non-discrimination.

• 1035

Madame la présidente, je crois que mon temps est écoulé. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous. Je pense que votre tâche ici est sans doute une des choses les plus importantes qui puissent être faites pour les accords commerciaux de l'avenir, car vous contribuez à l'ouverture des débats, le public pouvant participer davantage à la démarche, et, comme l'a dit M. Kerton, vous donnez aux gens la possibilité de comparaître devant vous pour exposer leurs points de vue. À défaut de cela, nous ne parviendrons pas à faire du résultat des négociations... ou du moins les États-Unis ne parviendront pas à faire adopter le résultat des négociations par leur assemblée législative, car les gens entretiendront un mécontentement dissimulé à l'égard de l'OMC et de son processus de décision plutôt obscur.

Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Le défi était de taille, mais vous vous êtes débrouillé comme un as.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier nos témoins d'être venus ce matin pour nous aider dans nos délibérations sur le prochain cycle de négociations à l'OMC.

Je remarque que pour plusieurs il est impératif que nous comprenions mieux nos accords commerciaux, que nous comprenions mieux ce que les entreprises souhaitent voir inclus dans ce genre d'accords. Au printemps dernier, avec des représentants élus des États-Unis, du Mexique et du Canada, j'ai participé à une conférence au Mexique, où nous avons fait une évaluation de l'ALENA. De façon générale, on s'accordait à croire que tant que les gens ne seraient pas sensibilisés aux avantages de la libéralisation du commerce et de l'investissement, il serait difficile de progresser.

J'ai trouvé révélateur—car cela est assurément vrai dans ma circonscription également—qu'un représentant du Missouri au Congrès américain raconte avoir constaté que toute la production d'une usine de sa région était vendue au Canada ou au Mexique, alors qu'en s'entretenant avec les travailleurs de l'usine, il a décelé une énorme résistance à tout accord commercial avec le Canada et le Mexique, et à l'ALENA en particulier. J'ai trouvé cela révélateur, parce que ces travailleurs devaient leurs emplois précisément à cet accord, au fait que l'usine exportait ses produits, et pourtant ils y étaient hostiles.

Je pense que ce genre de difficulté existe au Canada également. Nous avons pu le constater dans les discussions sur l'AMI, et tant que nous n'aurons pas progressé sur ce plan nous aurons du mal à faire avancer la cause de la libéralisation du commerce et de l'investissement. Il faut donc que nous arrivions à convaincre les gens que leur sort en sera amélioré, qu'ils ont tout à gagner, si nous voulons réussir.

Mais il y a des secteurs importants de notre économie qui n'ont rien tiré de la libéralisation du commerce. Le secteur agricole est essentiellement laissé pour compte. En 1993, les produits agricoles ont été pour la première fois négociés lors du cycle de l'Uruguay, mais ce ne fut là qu'un modeste départ. Je suis de l'Ouest, et, croyez-moi, bien des gens là-bas avaient l'espoir que cette fois-là, ils y gagneraient—car ils en ont grandement besoin, soit dit en passant. À cause des énormes subventions, à hauteur de 60 milliards de dollars en Europe l'année dernière, nos agriculteurs se trouvent dans une très mauvaise passe. Ils ont beaucoup de mal à faire concurrence à cela.

Je voudrais savoir essentiellement comment nous pourrons être dignes d'être crus si à la prochaine ronde de pourparlers nous nous révélons protectionnistes nous-mêmes dans plusieurs domaines du secteur agricole—et en outre, pour ce qui est de l'aide que nous apportons à nos exportateurs par l'intermédiaire de la SEE, par exemple, grâce au crédit d'exportation—alors qu'à la table nous réclamerons que les autres pays nous ouvrent leurs marchés, nous donnent un meilleur accès, réduisent leurs subventions, abaissent les tarifs. Ici même au Canada, nous n'en faisons pas autant dans certains secteurs importants. Je vous demande donc où cela nous mènera. Selon vous, quelle serait la meilleure façon de résoudre cette question?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Myers.

• 1040

M. Jayson Myers: Je vais tenter de répondre.

J'en conviens, il y a un problème de communication dans le milieu des affaires et dans le public canadien en général non seulement concernant les avantages du libre-échange, mais aussi concernant le profit que le Canada peut tirer de sa participation aux négociations de l'OMC, et concernant également les enjeux. Cela est dû à mon avis en partie au fait que les négociations seront entamées dans le contexte des accords existants au sein de l'OMC, de sorte que la discussion porte davantage sur l'orientation, délaissant les questions plus concrètes dont nous avons parlé. Ainsi, on s'éloigne des problèmes bien réels des milieux d'affaires des aspirations des Canadiens sur le plan de l'emploi, sur le plan d'éventuels emplois, et on passe sous silence certaines modifications que connaît l'économie canadienne en matière de restructuration et de compétitivité.

Le problème qui se pose relève donc du domaine des communications. Le défi que nous devons relever est d'écouter plus attentivement les Canadiens pour bien comprendre quelles sont leurs préoccupations, mais nous devons aussi veiller à ce que nous participions à des négociations multilatérales à l'OMC, qui porteront notamment sur le commerce des produits agricoles. Nous devons convaincre les Canadiens qu'il ne s'agit pas simplement de démanteler nos propres systèmes et d'ouvrir nos marchés aux produits d'autres pays, qui, eux, n'auraient pas à démanteler leurs propres systèmes. Nous devons trouver un moyen de faire savoir aux Canadiens que nous cherchons à obtenir l'élimination des subventions protectrices, des restrictions commerciales et d'autres types d'obstacles techniques au commerce auxquels ont recours d'autres pays pour restreindre l'accès à leur marché aux produits canadiens. Il faut que le débat porte maintenant sur les objectifs que nous pouvons nous donner à l'échelle multilatérale. J'attache beaucoup d'importance à cette question.

Vous avez soulevé la question de la cohérence entre nos politiques internes et nos objectifs à l'échelle multilatérale. Il existe toujours au Canada des restrictions au commerce interprovincial qui sont tout à fait illogiques dans la perspective de l'ouverture de nos marchés aux produits internationaux. Divers autres types de problèmes se posent dans notre pays: problèmes réglementaires à tous les paliers de gouvernement, règlements contradictoires et superflus et absence de normes communes. Si nous pouvions résoudre ce genre de problèmes, nous pourrions commencer à faciliter le commerce à l'échelle internationale tout en protégeant davantage le consommateur canadien tant au plan de l'environnement, des mesures sociales, de la santé qu'au plan de la sécurité. Notre régime réglementaire serait aussi sans doute plus efficace et plus ouvert. Il faut aussi accepter le principe de la transparence au pays si nous voulons qu'il soit accepté à l'échelle internationale. Veillons donc à prendre les mesures qui s'imposent.

M. Charlie Penson: Permettez-moi de poursuivre dans la même veine. Ma question porte sur la crédibilité des négociateurs canadiens et de la position canadienne. Si nous imposons des tarifs de 300 p. 100 sur certains produits sur notre propre marché, comment pouvons-nous réclamer un accès élargi à d'autres marchés ainsi que l'élimination de barrières tarifaires et de subventions? Notre position ne doit-elle pas être cohérente? Ne faut-il pas défendre une position crédible lors des négociations?

M. Jayson Myers: Je crois que nous serons crédibles en disant que nous sommes prêts à discuter de ces questions et en précisant que nous voulons un accès élargi aux marchés d'autres pays et l'élimination des obstacles au commerce. C'est un élément important de notre stratégie de négociation. Comme vous le savez, il n'y a pas de consensus au sein du groupe que nous représentons. Je sais que l'industrie agricole et agroalimentaire souhaiterait l'ouverture le plus rapidement possible du marché agricole. À long terme, je crois que la compétitivité, la productivité et le renforcement de la valeur ajoutée du secteur agroalimentaire reposent sur l'ouverture des marchés. Si nous ouvrons notre marché à nos partenaires commerciaux et que ceux-ci continuent de mettre en oeuvre des politiques restrictives ou de subventionner les exportations, je ne pense pas que cela créera les conditions voulues pour favoriser l'essor de l'industrie au pays.

• 1045

M. Robert Kerton: J'ai des cicatrices qui montrent que j'ai participé aux discussions sur le commerce des oeufs. Le problème est épineux. Il est cependant peut-être moins grave qu'il ne l'était, puisqu'il y a maintenant beaucoup moins d'agriculteurs à toucher la subvention dont vous parlez. La question laitière est une question dont le caractère politique est évident. Les 35 000 producteurs laitiers disposent d'un pouvoir politique évident.

Lors des audiences sur le commerce des oeufs auxquelles j'ai participé, on s'est entendu sur une formule qui devait permettre d'établir le coût de production des oeufs. Cette formule tenait compte du temps nécessaire pour recueillir les oeufs, mais au lieu de multiplier les salaires versés aux travailleurs par le nombre d'heures de travail, on s'est servi du salaire industriel parce que cela permettait d'aboutir à une somme plus élevée. C'est la position qui a été défendue avec succès devant le Conseil national de commercialisation des produits agricoles.

J'ai été cité à comparaître lors d'une audience tenue à Regina sur la question et j'ai dû payer un collègue pour me remplacer auprès de mes étudiants pendant que je me rendais à Regina dans une tempête. Le Conseil national de commercialisation des produits agricoles a fini par reconnaître que la méthode utilisée était mauvaise et a donc obligé les producteurs à réduire légèrement le prix des oeufs. Cette décision a fait épargner des millions de dollars aux Canadiens au fil des ans. Il est cependant assez difficile d'expliquer cela aux Canadiens qui ont profité de ces réductions dans les tarifs de 300 p. 100 et à ceux à qui la réduction des tarifs risque de coûter cher. Les politiciens n'ont pas de mal à comprendre cela.

À mon avis, bien des consommateurs du tiers monde et d'autres pays se rangeraient à l'avis de certaines entreprises canadiennes dans ce domaine. Les accords de libre-échange ont entraîné une réduction des ventes de tissus du Bangladesh. Cette mesure peu sage a entraîné une diminution du niveau de vie des habitants du Bangladesh. Je pense cependant qu'on ne peut qu'enrichir le débat en abordant la question des intérêts des consommateurs internationaux, dans la mesure où on pourra ainsi faire ressortir les avantages et les inconvénients des concessions qui sont faites.

M. Peter Clark: Monsieur Penson, tout le monde a quelque chose à se reprocher à Genève. Personne ne peut prétendre avoir toujours agi avec la plus complète rectitude, et c'est ce qui explique les concessions qui sont faites. Les Australiens et les Néo-Zélandais, pour leur part, adoptent un ton très moralisateur lorsqu'ils parlent de leurs politiques agricoles. Or, la politique qu'ils adoptent dans d'autres domaines est loin d'être au-dessus de tout reproche.

On peut s'attendre à ce que nos politiques soient contestées, mais en bout de ligne des décisions doivent être prises. Pour obtenir le plus possible en contrepartie de nos concessions, il ne faut pas faire celles-ci trop rapidement.

M. David Runnalls: Puis-je ajouter quelque chose, madame la présidente? Je crois qu'on oublie le premier point que faisait valoir M. Penson. Aux États-Unis, bien que tout aille pour le mieux—faible taux de chômage, faible taux d'inflation et importante croissance du revenu—, il se trouve encore des gens dans diverses usines qui craignent beaucoup les conséquences de la mondialisation des échanges malgré les avantages qu'ils en tirent.

Je reviens d'un séjour de deux semaines en Suède, un pays dont l'économie a toujours été relativement ouverte. On exprime les mêmes préoccupations dans ce pays. Mon institut se trouve à Winnipeg. Le Manitoba est sans doute la province canadienne à qui le libre-échange profite le plus. Winnipeg compte une industrie manufacturière diversifiée ainsi qu'un important secteur agricole. Or, il est bien évident que les gens s'inquiètent beaucoup de la mondialisation des échanges. La crise asiatique a créé beaucoup d'incertitude, et les gens s'inquiètent aussi du fait qu'ils doivent être compétitifs. La question de savoir comment améliorer la productivité inquiète les gens, et en particulier les syndicats.

Je m'attends à ce que les prochaines négociations commerciales soient difficiles et qu'on ait aussi du mal à en faire comprendre l'importance aux gens, à moins qu'on ne puisse expliquer quels sont les avantages concrets que peuvent en tirer les Canadiens, les habitants du tiers monde et les autres participants aux négociations. L'époque est maintenant révolue où il était possible à un groupe d'hommes réunis à Genève d'en arriver à une entente, ou plutôt à Charlene Barshefsky et à Leon Brittan de s'enfermer dans une chambre d'hôtel pendant 12 heures pour aboutir à un accord.

Je pense que ce que vous avez dit au sujet du Missouri vaut aussi pour les gens de Tokyo, de Stockholm, de Winnipeg ou de Vancouver. Lorsqu'un important intervenant politique, un intervenant bien organisé—et je fais ici allusion aux écologistes—s'oppose à la libéralisation du commerce, il est très difficile de faire accepter un certain nombre de ces accords, même s'ils sont l'aboutissement de négociations.

• 1050

La présidente suppléante (l'hon. Sheila Finestone): J'aimerais dire à M. Runnalls et à tous ceux qui sont ici autour de la table que j'estime que ce volet de la discussion est d'une très grande importance. J'ai bien hâte de voir si vous allez nous expliquer comment la société civile—et je donne à cette expression son sens le plus large—c'est-à-dire vous et moi et tous les gens qui vivent au Canada, peut être informée et davantage à l'aise avec ces questions.

M. Charlie Penson: J'ai une proposition.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Je vous en prie.

M. Charlie Penson: Je pense à quelque chose qui a trait, monsieur Runnalls, à une entreprise qui est située dans votre ville d'origine. Le secteur du meuble n'était pas censé survivre au libre-échange. Il était censé devenir très mal en point. Une entreprise de Winnipeg a même jugé opportun de diversifier ses activités aux États-Unis. Les responsables estimaient que l'activité aux États-Unis prendrait de l'ampleur et que l'activité au Canada finirait par s'étioler. Or, 10 ans plus tard, c'est exactement le contraire qui s'est passé. L'entreprise a très bien réussi en adaptant ses activités de Winnipeg. On s'apprête même à fermer l'usine située en Caroline du Nord, aux États-Unis.

Il me semble donc qu'il faut faire connaître ce genre de réussites. Nous sommes capables d'être concurrentiels en opérant les adaptations structurelles voulues. Dans le cas de cette entreprise, tout va très bien.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Oui, monsieur Clark.

M. Peter Clark: Le document que je vous ai soumis contient justement un certain nombre d'exemples de ce que M. Penson vient de dire. Permettez-moi de vous en citer quelques-uns.

Dans le cadre de l'accord de libre-échange conclu avec les États-Unis, la bière a été exclue du processus de libéralisation. Aujourd'hui, les représentants du secteur des brasseries sont les premiers à vouloir aplanir les obstacles au commerce un peu partout dans le monde, étant donné que leur secteur s'est adapté et veut exporter. Dans le secteur du vin, ce devait être la dévastation; pourtant, aujourd'hui, on exporte vers l'Europe. Le secteur de l'automobile, pour sa part, a connu une croissance continue à Windsor. Par ailleurs, la société Astra Pharma, de Suède, investit dans la construction d'une usine de produits pharmaceutiques à Mississauga pour exporter vers l'hémisphère occidental.

Pour ma part, j'ai déjà été président de l'Institut canadien des manufacturiers de vêtements, il y a de cela un bon nombre d'années. On estimait généralement que ce secteur allait piquer du nez en situation de libre-échange. Toutefois, la valeur des exportations vers les États-Unis à l'heure actuelle est très considérable—elle se chiffre en milliards de dollars. Les fournisseurs de logiciels et de services informatiques trouvent des débouchés partout dans le monde. Nous exportons des composantes de satellite. Nous exportons pour des milliards de dollars de pommes de terre frites congelées. Ainsi, le secteur des aliments transformés est en croissance, alors qu'il devait être dévasté en Amérique du Nord.

Les réussites sont nombreuses. Il y a bien des gens qui sont des héros dans leur coin de pays, mais qui sont réticents à parler de leur réussite. Il serait important de les faire venir ici pour qu'ils puissent expliquer à leurs amis, à leurs voisins et à leurs employés à quel point l'ouverture des marchés est importante pour eux.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Nos audiences devraient être télévisées par le CPAC.

M. Peter Clark: Je me suis dit qu'il serait peut-être bon pour certains sujets d'adopter la formule radiophonique de la ligne ouverte.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Avec votre participation.

M. David Runnalls: Un autre aspect mérite également d'être souligné. Ceux qui ont suivi le débat concernant l'AMI se rappelleront à quel point le ton du débat public a changé après que le ministère des Affaires étrangères eut publié le document de négociation et après que le ministre eut comparu devant un sous- comité de votre comité pour faire connaître la position du Canada.

C'était là de la pure hérésie par rapport aux principes traditionnels de la négociation commerciale. On ne divulgue jamais, au grand jamais, un texte avant la toute dernière minute, et on ne tient pas de discussions publiques pour donner l'occasion aux gens de s'exprimer sur la question. Il me semble cependant que le résultat serait fort différent si on visait une plus grande mesure de transparence pour la prochaine ronde de négociations, de manière à ce que les gens ne fondent pas leur action essentiellement sur des rumeurs et le contenu d'un certain nombre de sites web créés par tout un chacun.

Toute négociation commerciale est délicate et doit comporter certaines composantes non divulguées. Par contre, tout n'a pas à rester secret. Si l'AMI a suscité un climat de méfiance, c'est en grande partie parce que personne ne savait au juste de quoi on parlait. À mon avis, la communication par Internet peut être d'un grand bienfait dans ce genre de situation. Elle permettrait certainement d'élargir les discussions. Et tout dépendra évidemment de la mesure dans laquelle les gouvernements seront disposés à publier des documents officiels. Autrement, les intéressés devront se contenter de documents trafiqués par l'organisation de Ralph Nader, des organisations agricoles européennes, ou à peu près n'importe qui qui gravite autour de la question, et les opposants vont faire de ces documents leur source d'inspiration. Or, de tels documents risquent de ne ressembler en rien ou de ne refléter en rien le véritable contenu des négociations.

• 1055

Nous envisageons donc, du moins c'est ce que j'espère, un style tout à fait nouveau de négociations commerciales, qui sera plus ouvert et qui accordera une plus grande place à la discussion publique à mesure que les négociations se dérouleront. Voilà un moyen, selon moi, d'assurer une plus grande intégration du public au processus. Ainsi, personne n'aura de mauvaise surprise à la dernière minute.

M. Robert Kerton: Ce dont David parle, en fin de compte, c'est de crédibilité. Or, certaines des personnes qui sont chargées de faire connaître les ententes commerciales n'ont pas nécessairement le monopole de la crédibilité, et le web n'a parfois pas aidé non plus, comme l'a signalé David. En 1989, par exemple, il existait une liste d'environ 400 produits visés par des boycotts de consommateurs. Elle était publiée à partir de Seattle. Il y avait moyen de trouver là à peu près tout ce qui valait la peine d'être soutenu ou désapprouvé par un consommateur. Cependant, à l'heure actuelle, le web invite le consommateur à boycotter plus de 5 000 produits. Dans bien des cas, l'information n'est pas claire, et bon nombre de produits ont été proposés par des gens qui ont une opinion bien arrêtée. Il peut s'agir de producteurs, de groupes de consommateurs malavisés, d'environnementalistes bien informés, ou encore d'environnementalistes passablement moins bien informés. Ce qu'il faut à l'heure actuelle, ce sont des sources crédibles.

Les ententes commerciales qui sortent toutes faites d'une boîte de polichinelle ont un problème de crédibilité dès le départ. Nous devons savoir à l'avance si telle ou telle entente subventionne les exportations de produits antiparasitaires. Dans le tiers monde, on se méfie considérablement de certains produits du génie génétique qui sont conçus de telle manière que les agriculteurs doivent toujours acheter les nouvelles semences.

Un certain nombre de questions doivent donc faire l'objet d'un débat public. Si nous ne trouvons pas le moyen d'intégrer davantage la discussion publique au processus, les gens estimeront dès le départ qu'il s'agit d'un processus dont il faut se méfier.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci.

[Français]

Madame Debien, s'il vous plaît.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, messieurs.

Monsieur Myers, lors de votre allocution, vous avez dit que les négociations de l'OMC devraient inclure toutes les questions relatives au respect des droits de la personne, des clauses sociales ou des droits sociaux, ainsi que les questions environnementales. Hier, nous avons entendu des témoins qui nous ont dit le contraire. J'aimerais connaître les motifs pour lesquels l'alliance insiste pour que toutes ces questions soient incluses dans les négociations de l'OMC.

Ma deuxième question s'adresse aussi à vous, monsieur Myers. Lors de votre allocution, vous nous disiez également que l'alliance était prête à aider le ministère à identifier les problèmes qui allaient se présenter. M. Clark a abondé un peu dans le même sens en disant que le Canada devait définir clairement ses priorités et cerner les sujets d'inquiétude. J'aimerais que vous nous parliez de ces préoccupations et inquiétudes, ainsi que de ces priorités que le Canada devrait bien clairement identifier et cerner au départ.

Je vais maintenant faire une observation, plutôt que poser une question, qui s'insère dans le prolongement de la question de M. Penson. Devant toutes ces inquiétudes manifestes de la société et de différents groupes devant la mondialisation, quels sont, comme M. Penson et Mme la présidente le demandaient, les moyens concrets que le gouvernement canadien devrait prendre pour informer le public? On a parlé de CPAC, d'Internet et de tribunes téléphoniques. Moi, je pense que la réponse est ici, en la présence de M. Kerton. Je crois pour ma part que les associations de consommateurs sont le plus près des consommateurs et des besoins de ces derniers, et que les entreprises sont généralement là pour répondre aux besoins des consommateurs. Idéalement, bien sûr, un des mécanismes importants serait que des associations nationales ou internationales de consommateurs puissent participer aux négociations de l'OMC. Mais je pense que je rêve en couleur. Mais, à tout le moins en ce qui nous concerne ici, je pense que les associations de consommateurs sont les outils privilégiés que le gouvernement devrait utiliser pour informer le public sur ce qu'est l'OMC, sur l'état des négociations et sur les intérêts et priorités des Canadiens et des Canadiennes. On a cet outil-là, mais on ne l'utilise malheureusement jamais assez. C'était plutôt une observation qu'une question.

• 1100

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Il me semble que

[Français]

vous avez bien raison. J'aimerais bien entendre le point de vue des témoins à cet égard. Monsieur Myers.

[Traduction]

M. Jayson Myers: Permettez-moi de mettre tout d'abord l'accent sur les questions liées à l'environnement et aux droits de la personne. Ce sont là des questions importantes pour les entrepreneurs canadiens. Ce qui est bon en matière de normes environnementales, de pratiques environnementales, et de pratiques en matière de droits de la personne et de droits sociaux, est également bon pour l'entreprise. Les sociétés canadiennes qui font des affaires un peu partout dans le monde sont souvent d'ailleurs les premières à favoriser des normes très exigeantes dans leur domaine d'activité.

Rappelons tout d'abord que l'OMC est une organisation qui vise à élaborer des règles en matière de commerce international. Disons ensuite que les normes environnementales, les normes techniques et les questions touchant les droits de la personne sont en voie de devenir des prétextes auxquels les gouvernements peuvent avoir recours pour ériger des barrières commerciales. Un certain nombre de gouvernements les utilisent à l'heure actuelle pour exclure de leurs marchés certains produits et services canadiens. En matière de libéralisation des marchés, voilà l'un des aspects qui nous préoccupent le plus et dont nous devrions discuter dans le cadre de l'OMC, selon moi.

Nous devons cependant être prudents dans notre façon d'envisager et d'aborder les questions liées à l'environnement et aux droits de la personne. En effet, l'objectif de l'OMC ne consiste pas à favoriser la protection de l'environnement et le développement social et politique un peu partout dans le monde. Il s'agit d'un organisme qui formule des règles en matière de commerce international. Il faut donc reconnaître l'importance de certains enjeux tout en continuant à mettre l'accent sur l'objectif principal de l'OMC. Dans la mesure où nous voulons bénéficier non seulement du soutien des Canadiens, mais aussi de celui d'autres pays par rapport aux négociations de l'OMC, je crois qu'il faut aborder les questions de l'environnement et des droits de la personne.

Nous devrions tendre vers ce qui est bénéfique à tous, vers ce qui est dans l'intérêt de tous les Canadiens. Or il est dans l'intérêt aussi bien des groupes environnementaux que des milieux d'affaires que le gouvernement canadien favorise une plus grande transparence des processus de réglementation pour assurer l'application et l'observation des normes réglementaires existantes dans les diverses régions du monde. C'est ce que nous devrions préconiser, dans l'intérêt général.

Je suis pour ma part passablement préoccupé par le fait que, ici au Canada, le débat entre les milieux de l'entreprise et ceux de l'environnement concernant l'opportunité d'intégrer les questions environnementales ou plutôt de ne s'en tenir qu'aux questions qui intéressent directement l'entreprise soit assez peu constructif. Pourquoi ne pas tenter de trouver une issue où tout le monde est gagnant? Il me semble que c'est justement le genre de solution que devrait favoriser le gouvernement. Ainsi, à mon avis, la présence d'une plus grande transparence est un aspect crucial de l'amélioration de la conduite des affaires des entreprises et des structures gouvernementales en général partout dans le monde.

• 1105

En deuxième lieu, vous parliez de la définition des problèmes. Nous avons dialogué avec des représentants de petites et de grandes entreprises. Il est très difficile, me semble-t-il, de les aborder en leur énumérant les enjeux sur lesquels se penche le gouvernement dans le cadre de ses nouvelles négociations à l'OMC. Il est même très difficile de susciter la participation des chefs d'entreprise qui prennent part depuis plusieurs années aux discussions concernant la politique commerciale en leur demandant quelle orientation ils voudraient donner aux négociations de l'OMC et quels sont les grands enjeux à envisager. En effet, tous les interlocuteurs risquent de donner la même liste et de tout structurer en fonction des ententes en vigueur qui font l'objet de négociation. Il est préférable, au départ, de demander aux entreprises ou aux Canadiens quelles sont leurs grandes préoccupations.

Étant donné que nous effectuons assez régulièrement des enquêtes auprès de nos sociétés, je suis en mesure de vous dire quelles sont certaines des grandes questions qui les préoccupent à l'heure actuelle. Il s'agit par exemple des pratiques d'achat aux États-Unis, des droits de permis, des obstacles techniques au commerce, des problèmes de douanes des problèmes d'accès au marché à la frontière. À l'extérieur de l'Amérique du Nord, on peut citer les problèmes liés à la limitation des importations par voie législative, aux normes de qualité, aux normes à forte incidence réglementaire, aux subventions, etc. Certains des problèmes peuvent être très bien réglés par voie de négociations dans le cadre de l'OMC. D'autres doivent être abordés dans le cadre de négociations bilatérales. D'autres encore peuvent être réglés par le truchement de négociations régionales. De toute manière, il est important de connaître la nature des problèmes pour pouvoir susciter l'intérêt des milieux d'affaires et des Canadiens. Il est donc important d'aller du particulier au général.

J'aurais une autre observation à formuler, après quoi je céderai la parole à mes autres collègues.

Sur le plan des communications, nous devons inciter les Canadiens à participer au débat. Nous parlions un peu plus tôt des avantages très considérables que se sont mérités les entreprises canadiennes sur le plan international. Il suffit de voir l'importance de nos exportations de produits manufacturés pour s'en convaincre. En 1989, les sceptiques prédisaient la déconfiture des fabricants canadiens avec l'avènement du libre-échange. Aujourd'hui, nous constatons qu'un demi-million de nouveaux emplois ont été créés. Un plus grand nombre d'emplois sont créés aujourd'hui dans le secteur de la fabrication qu'en 1992. Je proviens de la circonscription de M. Calder et je sais à quel point le secteur du meuble y a été... Très peu de fabricants de meubles sont établis à cet endroit, mais ce qu'il faut retenir de cette situation c'est l'importance de l'innovation, de l'accroissement de la productivité et de la communication d'information aux Canadiens ordinaires.

La présidente suppléante (Mme Sheila Finestone): Merci, monsieur Myers.

[Français]

Est-ce que d'autres témoins aimeraient répondre aux questions de Mme Debien avant que les 10 minutes soient écoulées?

[Traduction]

À vous, monsieur Clark, et ensuite nous passerons à M. Calder.

M. Peter Clark: Vous avez parlé d'établir l'ordre des priorités et je crois qu'on peut le faire si on adopte un certain nombre de principes. Il m'apparaît essentiel de rendre les documents de négociation et de discussion disponibles à tous les Canadiens. Il me semble certain que le ministre Marchi est favorable à l'idée de verser les documents de discussion canadiens sur son site web. À la réunion de Seattle, il aura certainement l'appui de Charlene Barshefsky, puisqu'elle en a elle-même parlé. Il pourrait soutenir que tous les documents de travail de tous les pays, ainsi que les documents faisant l'objet de négociation, devraient être rendus publics sur ce site web, de manière à ce que les intéressés puissent suivre les délibérations. Si nous évoluons dans une tour d'ivoire, nous allons nous exposer justement au risque dont a parlé M. Runnalls: celui de donner libre cours à toutes sortes de spéculations et celui de nous faire reprocher d'agir en catimini.

Pour ce qui est de nos priorités, deux choses: d'abord, nous les avons déjà établies dans le passé, de façon très efficace. Lors des négociations de Tokyo, les représentants du Canada ont dressé une liste exhaustive des préoccupations des Canadiens en regard de leurs objectifs. Il faut aussi tenir compte des secteurs qu'ils ne veulent pas voir touchés ni abordés dans le cadre des négociations.

Ensuite, il y a le problème des ressources. La fonction publique a fait l'objet de compressions considérables qui ont été imposées de façon horizontale et à l'aveuglette, compressions qui ont eu pour effet que tous les secteurs ont subi des pertes à peu près également, mais sans que l'on tienne compte réellement des priorités. Aujourd'hui—et c'est malheureux que je doive le dire au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international—les gens brillants qui aboutissent au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n'ont pas intérêt à devenir des spécialistes dans un secteur d'activité car ils reluquent tous le fauteuil de l'ambassadeur, au bout de quelque temps. C'est vrai. Je leur parle, et tous ceux qui sont démotivés m'envoient leur CV toutes les semaines car ils n'envisagent pas leur avenir au ministère des Affaires étranges et du Commerce international dans le secteur du commerce. De plus, on fait la différence entre le personnel diplomatique et le personnel non permutant, ce qui est très mauvais pour le moral des employés.

• 1110

Comme nous perdons nos gens, vous voudrez peut-être envisager de revenir à un système plus coordonné, ou à une organisation qui s'intéresse à la fois à l'industrie et au commerce international. Si c'était le cas, le milieu des affaires vous appuierait sans doute. Vous voudrez peut-être revenir là-dessus à la fin de votre comité.

Pour vous, l'essentiel c'est d'avoir plus de ressources. Il ne suffit pas d'augmenter l'équipe de négociation pour négocier l'accord; il vous faut au ministère des gens qui aient une mémoire institutionnelle et suffisamment d'expérience pour suivre la mise en oeuvre des accords et pour vous représenter lors des différends. En effet, c'est l'un des plus graves problèmes que nous ayons. On a beau avoir une élite professionnelle, si on la disperse dans d'autres secteurs du gouvernement, on ne peut plus jamais faire appel à son expérience. C'est bien beau d'avoir tous ces gens-là pour faire rouler la machine, mais une fois que les négociations sont terminées, cela ne sert à rien de remiser le bolide au garage. Il faut l'entretenir, et pour ce faire il nous faut de l'argent et des ressources.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Calder.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

La semaine dernière, le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire a eu l'occasion de se rendre aux États-Unis et, une fois là-bas, nous avons pu causer avec Larry Combest, qui préside le Comité permanent du Congrès sur l'agriculture. Nous avons également eu l'occasion de discuter avec le sénateur Richard Lugar, pour avoir la perspective du Sénat.

Nous avons fait valoir nos préoccupations aux Américains, et j'ai pu constater qu'ils ne savaient à peu près rien de ce que nous faisions ici au Canada. Ils ont été tout à fait surpris de découvrir que le Canada était le deuxième consommateur en importance de produits agricoles américains. Seul le Japon nous dépasse. Les Américains ont donc appris avec surprise que les Canadiens consomment pour 216 $ par année de produits américains, tandis que les Américains ne consomment par année que pour 31 $ de produits canadiens.

Nous avons même creusé la question. Lorsque M. Penson parle des barrières à la frontière et d'un contingent tarifaire de 300 p. 100, ces barrières n'existent qu'à partir du moment où les Américains dépassent le pourcentage d'accès que nous leur accordons à notre marché canadien. C'est à partir de ce moment-là que le taux supérieur s'applique.

M. Charlie Penson: Il est de 4,5 p. 100.

M. Murray Calder: Non. Dans le cas du poulet, par exemple, il est de 7,5 p. 100. Vous vous trompez là-dessus, Charlie.

M. Charlie Penson: D'accord.

M. Murray Calder: Mais nous n'avons pas un accès à leurs marchés aussi élevé que cela, ce qui fait que nous les devançons à cet égard. De plus, lorsque les contingents tarifaires ont été fixés en 1994, nous sommes convenus de les réduire de 15 p. 100 au moment de notre retour à la table des négociations en l'an 2000, mais cela a déjà été fait. En fait, d'après un sondage d'Angus Reid effectué récemment, le Canada devance de dix ans les États-Unis pour ce qui est de la réduction des subventions.

La première question que je me poserais est donc de savoir ce que nous pouvons faire étant donné que nous avons respecté les règles du jeu et que nous avons abaissé nos barrières au commerce, contrairement à d'autres pays. Faudrait-il faire du surplace et attendre que le reste du monde nous rattrape? On parle sans cesse de conditions égales. Jayson, vous avez parlé de l'ouverture des marchés. Je crois que nous nous retrouvons dans une mauvaise situation à l'aube de ces négociations. Nous avons respecté les règles du jeu, contrairement à d'autres. Prenons le cas des États- Unis qui injectent 15,2 milliards de dollars par année dans le domaine agricole aux termes de la FAIR Act et du Farm Bill. Le Canada n'est certainement pas allé aussi loin.

Lorsque nous étions aux États-Unis, on nous a aussi beaucoup parlé des craintes que suscite l'intégration verticale. Ces craintes proviennent de la base et se manifestent maintenant dans les milieux politiques. Vous avez mentionné le cas des écologistes. Les entreprises ont décidé que grâce à l'intégration verticale, elles allaient élever des milliers de têtes de bétail et des milliers de porcs dans une région parce que cela cadre avec leur plan d'entreprise. L'ancien système des exploitations familiales qui reposait sur les offices de commercialisation supposait une répartition de la production sur une très vaste région. D'importantes questions environnementales se posent de toute évidence et j'aimerais connaître votre avis là-dessus.

M. Jayson Myers: Permettez-moi de commencer.

Je vais d'abord aborder le premier point que vous avez soulevé, monsieur Calder, à savoir que le Canada a pris de l'avance en ce qui touche à la libéralisation du marché. Il est donc d'autant plus important pour le gouvernement canadien, lorsqu'il s'assiéra à la table des négociations, de chercher à voir comment nous pourrions continuer de protéger notre industrie, car il faudrait presser encore davantage nos partenaires commerciaux d'ouvrir leurs marchés. On ne peut pas vraiment dire que nous avons pris de l'avance ou que nous n'avons pas connu comme d'autres pays des difficultés à ouvrir notre marché ou à éliminer nos subventions. Voilà, à mon avis, une bonne raison de réclamer que nos partenaires commerciaux fassent la même chose dans le cadre de négociations multilatérales.

• 1115

M. Murray Calder: J'aimerais que vous précisiez ce que vous entendez par là. Lorsque vous dites que nous devons presser nos partenaires commerciaux de faire certaines concessions et notamment d'ouvrir davantage leurs frontières, dites-vous que nous devons ouvrir davantage les nôtres et espérer qu'ils nous emboîteront le pas...?

M. Jayson Myers: Je dis que les négociations à l'OMC sont l'occasion pour nous de négocier à l'échelle multilatérale l'élimination de certaines restrictions et de certaines subventions, en particulier dans le domaine agricole.

Je suis en accord avec ce qu'a dit M. Clark. Nous ne devrions pas faire certaines concessions trop rapidement, mais je crois que l'OMC est la tribune voulue pour réclamer à l'échelle multilatérale l'élimination de certaines restrictions ou du moins leur diminution. C'est exactement le but des négociations multilatérales.

Je crois qu'il doit effectivement y avoir cohérence entre notre politique intérieure, en particulier dans le domaine agricole, et les objectifs que nous fixons à l'échelle multilatérale. S'il est logique dans certains cas que nous réduisions nos propres restrictions ou que nous réduisions nos tarifs dans certaines industries, je pense qu'il faut envisager ces réductions à la lumière des objectifs que nous poursuivons à l'échelle multilatérale. L'occasion nous est donnée de réclamer avec force que d'autres pays éliminent leurs restrictions ainsi que certaines de leurs subventions dans le domaine agricole.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Kerton.

M. Robert Kerton: J'ai deux suggestions à faire. Dans la plupart des pays, les associations locales de protection des consommateurs ont été favorables à la production de chaussures bon marché en Jamaïque, pour donner un exemple. Voilà un aspect de la question. Aux États-Unis, la Consumers Union, une association très efficace et très solide financièrement qui compte 500 employés, qui est en mesure de procéder à des tests d'ingénierie très poussés, ne maîtrise cependant pas les dossiers commerciaux. Je crois qu'il serait tout à l'avantage des exportateurs canadiens que la Consumers Union des États-Unis ait une aussi bonne connaissance des dossiers commerciaux que la plupart des autres organismes de protection des consommateurs au monde.

Mon deuxième argument est tout à fait différent; je vous demande d'imaginer la situation dans 10 ans. Ce qui nous donnerait les moyens d'action les plus efficaces, ce serait une politique de la concurrence internationale, car actuellement, les gouvernements nationaux peuvent abuser... Disons qu'ils peuvent monter au créneau pour leur industrie du tabac ou pour quelque autre secteur, et adopter des règlements conformes aux intérêts des secteurs industriels qui font des pressions. Une politique de la concurrence internationale atténuerait l'influence gouvernementale dont doivent se préoccuper un certain nombre d'industries. Elle limiterait sans doute le recours aux accords de collaboration que peuvent conclure les sociétés internationales et qui vont en toute impunité à l'encontre des intérêts des consommateurs dans tous les pays.

À plus longue échéance encore, le Canada pourrait jouer un rôle prépondérant en définissant un ensemble de règles de la concurrence—c'est tout à fait dans les cordes de l'OMC—qui fixeraient les limites acceptables en matière de pratiques commerciales, de télémarketing, etc. Certains aspects de cette politique de la concurrence pourraient permettre aux entreprises canadiennes de réussir sur un marché international plus équitable.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Clark.

• 1120

M. Peter Clark: Merci.

Monsieur Calder, l'une des réalités auxquelles nous devons faire face, c'est qu'on utilise l'argument de l'élimination des tarifs pour s'en prendre à l'agriculture et à tout le reste. Vous abordez là un problème bien réel. Il est un fait que les disparités existent, notamment parce que certaines d'entre elles n'ont jamais été dénoncées.

Vers 1992, j'ai réalisé une étude pour les producteurs laitiers du Canada; j'ai évalué toutes les subventions proposées directement ou indirectement aux producteurs laitiers américains. On m'a demandé de faire la même étude au printemps dernier. Plusieurs années après l'instauration de l'OMC, on constate que ces subventions ont augmenté alors qu'elles étaient censées diminuer. Les Américains ont mis davantage l'accent sur les exportations.

Le gros problème, que vous connaissez certainement puisque vous avez une certaine expérience de l'agriculture, c'est que ces accords sont rédigés de telle sorte que les formes de subventions américaines, qui passent par le régime fiscal et par d'autres mécanismes, sont acceptables, tandis que les subventions plus sélectives qu'utilisent notamment les Canadiens ne le sont pas.

Parmi les questions dont nous avons discuté au sein du groupe des producteurs laitiers depuis les actions intentées par les États-Unis... Et on remarque avec intérêt qu'ils ont intenté ces actions sur les catégories d'exportation de lait à cause de la Californie, qui produit de ces mêmes catégories, de même que certaines parties du Northeast Dairy Compact. Les producteurs laitiers américains se sont adressés à la USDA en disant: «Nous voulons faire la même chose que le Canada». Ils se sont fait répondre: «Non, nous ne voulons pas faire cela parce que nous craignons que l'Europe en fasse autant; nous allons donc contester le Canada et s'il gagne, nous allons faire la même chose pour vous.» Ils visent l'Europe, mais ils s'en prennent à nous.

Pour en revenir à ce qu'on a dit de la Jamaïque, je viens de passer quelque temps en Jamaïque pour l'ACDI; j'ai travaillé avec le gouvernement jamaïquain sur la mise en oeuvre des règles de l'OMC et effectivement, la Consumers Union a réussi à empêcher là-bas la protection de l'industrie de la chaussure, qui a disparu. Actuellement, la Jamaïque vit des situations catastrophiques dans l'horticulture, dans l'industrie du boeuf, dans l'industrie laitière et dans de nombreux autres secteurs et le gouvernement doit envoyer l'armée dans les régions touristiques parce que les Jamaïquains ne peuvent plus travailler dans les fermes.

Les pays en développement sont très durement touchés parce qu'ils n'ont personne pour les représenter dans toutes les réunions à Genève ou ailleurs. Les règles sont conçues pour favoriser les plus gros pays. Dans le cas de la Jamaïque, avant même le début des négociations, le pays s'est trouvé privé par le FMI de toute protection tarifaire. Il ne peut plus recourir à aucune restriction, à aucun contingentement.

Lorsque les marchés ralentissent aux États-Unis parce qu'ils ne peuvent plus exporter vers l'Asie, ils se retournent vers les Caraïbes, dont ils détruisent rapidement l'économie. La nature du marché nous pose un problème, mais il est encore bien pire pour les pays des Caraïbes. Malgré l'intervention plus active des pays en développement, il y a une différence entre les pays comme l'Inde, le Brésil et les autres qui disposent des moyens administratifs nécessaires, et les petits pays qui en sont dépourvus, et à moins que ces derniers ne s'organisent, ce qu'ils ne pourront faire qu'à très long terme, leur situation va encore se détériorer.

Mme Sheila Finestone: Ce que vous venez de dire est bien décourageant.

M. Peter Clark: Mais c'est la vérité. C'est ainsi que les négociations sont menées.

Le problème, c'est que la plupart des négociations ont été réglées au cours des deux dernières semaines dans des salles où les États-Unis et les pays d'Europe étaient les principaux protagonistes. On appelait de temps en temps le Japon et le Canada, puis l'Inde ou le Brésil venait parfois traiter des problèmes des pays en développement. C'est ainsi que cela s'est passé. Il ne faut pas que ça continue.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Runnalls, pouvez-vous nous faire un bref commentaire à ce sujet?

M. David Runnalls: Je corrobore ce que vient de dire M. Clark et je peux vous donner une idée de la disparité entre les différentes délégations.

Par exemple, il y a actuellement 25 ou 30 comités à l'OMC. Chaque pays est membre de chacun des comités. Un pays comme l'Inde, dont le contingent scientifique se classe au troisième rang mondial et qui est doté d'un très important corps diplomatique, a une délégation permanente qui ne dépasse pas 10 personnes. La plupart des pays comme la Jamaïque n'ont qu'un seul délégué.

Vous devez savoir par expérience combien ces négociations peuvent être complexes. Il suffit d'être un expert en commerce et en textile, en politique agricole, en obstacles techniques au commerce, en utilisation des pesticides et on devient membre d'une délégation. C'est pourquoi les règles du jeu dans la négociation s'appliquent de façon très inégale.

Peter Clark a tout à fait raison. Les décisions dans le dernier cycle de négociations ont été prises par Mickey Kantor et Leon Brittan, avec l'aide occasionnelle d'une équipe de soutien, mais la plupart des délégués à l'OMC, ou plutôt au GATT, n'ont jamais vu le texte final avant qu'il soit publié.

M. Peter Clark: Si je peux ajouter quelque chose à ce que vient de dire M. Runnalls, la moitié environ des pays membres de l'OMC n'ont pas de représentation permanente à Genève. En fait, si quelqu'un exigeait un quorum, il ne serait jamais atteint.

• 1125

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Penson.

Mme Sheila Finestone: Excusez-moi, pourrais-je obtenir une précision? Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Certainement, allez-y.

Mme Sheila Finestone: Monsieur Clark et monsieur Runnalls, vous dites que tous ces pays n'ont jamais vu le texte final. Est-ce qu'ils n'ont pu participer à sa rédaction? Est-ce qu'ils n'ont pas reçu le texte final et la possibilité d'y répondre?

M. Peter Clark: Techniquement, si. J'ai lu tous les textes. Chacun peut les recevoir. Mais pour le texte final, il faut trois ou quatre mois—les délégations doivent se rendre à différents endroits comme Marrakesh—pour que les ministres approuvent le tout avant les réunions finales. Dans le dernier cas, c'était à Genève en décembre, puis les délégations se sont rendues à Marrakesh en avril avant que le texte soit finalisé. Chaque pays avait quatre mois pour l'examiner.

Mais sur un plan pratique, le délégué d'un pays en développement à Genève se fait peut-être appeler ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, mais il est également cuisinier et marmiton. Il a parfois un employé de soutien et doit s'occuper des Nations Unies, de l'OMC et de tous les organismes spécialisés présents à Genève—il y en a une douzaine—, ce qui est tout à fait impossible. Chacun doit choisir certains domaines, on ne peut pas être expert en tout.

Chacun accepte donc les accords, qui sont très difficiles à lire, même pour les experts. Les délégués n'en connaissent pas les conséquences. Ils doivent s'en remettre à des organismes comme la CNUCED et le PNUD pour obtenir un point de vue général sur chaque accord, mais même cette information est souvent trop volumineuse pour qu'ils puissent l'assimiler.

M. David Runnalls: Si vous me permettez, madame la présidente, nous parlons ici d'un accord très volumineux, qui ne saurait se contenter de sept ou huit pages. Il remplit tout un camion.

M. Robert Kerton: C'est bien le paradoxe. Si c'était un accord de libre-échange, la première page porterait la mention «libre-échange», mais les 2 200 pages suivantes n'énoncent que des restrictions et des conditions qui profitent à quelqu'un.

M. Peter Clark: Mais il est préférable d'avoir cet accord que de ne pas en avoir.

M. Robert Kerton: Je peux vous proposer, dans une perspective optimiste...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Excusez-moi, il faut continuer. Nous garderons cela pour une prochaine fois.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Je ne suis pas sûr des effets de l'accord, car il faudrait que je le consulte moi aussi. Sauf tout le respect dû aux membres du groupe, il y a encore des pays qui se joignent à l'OMC.

Monsieur Clark, vous étiez sans doute présent au 50e anniversaire à Genève. Il y avait des délégations de nombreux pays, et même si elles n'ont pas toute l'expertise de la délégation canadienne ou américaine, personne ne les a menacées avec un pistolet. Ces pays considèrent de toute évidence qu'ils ont intérêt à adhérer à l'OMC, comme en atteste le nombre des pays qui y ont déjà adhéré.

Mais j'aimerais surtout poser à nos témoins la question suivante: Quel devrait être notre but dans nos discussions à l'OMC? Il doit y avoir des négociations sur les services et sur l'agriculture. À votre avis, le Canada a-t-il intérêt à s'en tenir à l'approche sectorielle ou à envisager une autre formule pour obtenir ce qu'il veut? Est-il préférable de participer à une série de négociations générales pour amener chacun à exprimer son opinion? J'aimerais avoir votre avis sur la stratégie que devrait déployer le Canada pour atteindre ses objectifs.

M. Peter Clark: Monsieur Penson, je reconnais que de nombreux pays se tournent vers l'OMC et nous les avons vus ensemble à Singapour. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que près de la moitié de ces pays ne pouvaient assumer eux-mêmes les frais de transport et d'hébergement, qui ont dû être pris en charge sur le budget général de l'organisme pour qu'on atteigne le quorum et que tous les sièges de présidence soient occupés. C'est une honte. Je ne dis pas que l'organisme ne fonctionne pas ou qu'il soit mauvais, je dis simplement qu'en réalité, il est dominé de telle façon que les petits pays n'en obtiennent pratiquement rien.

M. Charlie Penson: Mais c'est la même chose dans tous les aspects de la vie.

M. Peter Clark: Je suis d'accord, mais j'aimerais que chacun comprenne que ces pays se heurtent à d'énormes difficultés et qu'il sera de plus en plus difficile de continuer dans les mêmes conditions. C'est pourquoi j'ai dit à Mme Finestone que cela ne peut pas continuer. Je ne prétends pas que les choses vont changer, je dis qu'elles devraient changer.

En ce qui concerne notre mandat de négociation, il devrait être aussi vaste que possible. Je ne sais pas d'où vient cette idée des groupes d'activités, mais que l'on procède par groupe ou par secteur, il est un fait que l'on va négocier sur les groupes ou les secteurs qui intéressent les États-Unis et l'Union européenne, et pas sur les autres. Il faudra que le gâteau soit suffisamment gros pour intéresser tout le monde. Et de notre point de vue, les États-Unis vont viser un certain nombre de choses qui nous intéressent au premier point. Ils ont déjà envoyé quelques signaux, et nous devrons nous aussi viser des domaines qui les intéressent.

M. Myers en a invoqué certains. Nous devrons aborder le domaine des marchés d'État, celui des petites entreprises et des secteurs écartés dans les marchés d'État aux États-Unis, nous devrons parler des mesures incitatives à l'établissement qui sont proposées par certains États américains et qui infléchissent considérablement les décisions d'investissement en Amérique du Nord. Nous devrons également nous en prendre aux vaches sacrées. À mon avis, il n'y a pas besoin d'une grande négociation pour le faire.

• 1130

M. David Runnalls: Je suis d'accord, et pour les mêmes raisons. Monsieur Penson, ce qu'on espérait lors de la création de l'OMC, c'est que grâce à un organisme permanent, on n'aurait plus besoin de procéder, comme auparavant, à des séries de négociations de sept ou huit ans. L'expérience en matière d'environnement et avec le comité du commerce et de l'environnement, qui a siégé au cours des quatre premières années de l'OMC, nous apprend que si l'on négocie dans un seul secteur, il n'y a pas suffisamment de compromis pour qu'on parvienne à un accord. Je pense que si l'on n'a pas véritablement progressé en matière d'environnement, c'est essentiellement parce que les pays en développement qui ont fait obstacle au progrès étaient favorables à un élargissement de l'accès aux marchés. Mais ce n'était pas inscrit au programme. Il y a donc toute une série de mini-négocations qui sont pratiquement vouées à l'échec.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui, monsieur Myers.

M. Jayson Myers: J'ajouterais que lorsqu'on parle de faire intervenir les entreprises dans ce processus pour qu'elles exposent leurs problèmes, à cause de l'intégration du monde des affaires, même pour les fabricants et les exportateurs, l'importance des services, des télécommunications, la protection de la propriété intellectuelle, les normes techniques, etc., tous ces problèmes ne peuvent pas être facilement circonscrits dans un secteur particulier de la négociation. Si nous voulons être certains de couvrir tous les secteurs qui préoccupent le plus les manufacturiers canadiens, il est essentiel de commencer du moins par une série très générale et avec le mandat de négociation le plus vaste possible.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Kerton.

M. Robert Kerton: Si l'on essaye de voir les succès que nous avons remportés dans ces négociations, il y a deux éléments positifs. Je suis tout à fait d'accord sur ce qu'on a dit de la procédure. Mais lorsque le Royaume-Uni a adhéré à l'Union européenne, les règles de la communauté ont été modifiées et on a ajouté un service des consommateurs auprès de chaque directeur général. Les 17 directeurs généraux ont donc eu un groupe d'experts qui se consacraient aux intérêts des consommateurs. Il s'est passé un certain temps avant que les discussions du groupe du commerce régional n'accueillent des représentants des consommateurs.

C'est rêver en couleur que de croire qu'on pourrait obliger l'OMC à créer des services qui accueillent des consommateurs. Mais le deuxième succès de l'Association canadienne de normalisations nous permet de dire que nous avons réussi en matière de commerce international. La méthode actuelle oblige à prendre en compte les intérêts du consommateur, qui doit participer dès le début à toutes les démarches. Que l'on parle de salubrité des aliments, de sécurité des jouets ou de choses de ce genre, on peut dire que les normes ont été sensiblement améliorées grâce à l'intervention des consommateurs. C'est une méthode parmi d'autres. En tout cas, cela m'amène à préconiser une forme de protocole du consommateur. Avant la publication de tout accord commercial, il faudrait prouver que les consommateurs ont été consultés.

M. Charlie Penson: Est-ce que vous parlez de l'intérêt public tel qu'il a été intégré à la Loi sur les mesures spéciales d'importation?

M. Robert Kerton: Il conviendrait qu'un conseil examine la question, mais il n'existe actuellement aucun organisme bénéficiant de fonds publics qui puisse défendre l'intérêt du public. On a accepté les lois du marché au point de considérer que tout ce qui se vend est bon; on ne peut faire actuellement appel à aucun expert pour comparaître devant ces commissions. Donc, au plan international, on peut dire...

M. Charlie Penson: Monsieur Kerton, ce que vous nous dites, c'est que l'expertise n'existe pas?

M. Robert Kerton: Exactement, c'est ce que je vous explique. Chaque fois qu'un représentant d'une association nationale de consommateurs comparaît, c'est toujours un bénévole.

M. Charlie Penson: Mais il doit y avoir des experts quelque part. C'est simplement qu'ils ne sont pas organisés, qu'ils manquent d'argent. Est-ce que ce n'est pas la source du problème?

M. Robert Kerton: Oui, c'est exact. Les experts restent silencieux et comparaissent rarement. Les audiences du TCCE sont un bon exemple de ce type de problème. Ces audiences existent, ce sont des audiences publiques, mais nous y assistons rarement, et lorsque nous le faisons, ce n'est pas un expert en la matière, une personne bien financée qui comparaît. Cela dit, c'est tout de même un processus utile.

M. Charlie Penson: Je vous demande pardon, mais j'aimerais que vous précisiez quel type de processus vous envisagez pour l'OMC: est-ce que l'intérêt public serait directement défendu, de quoi parlez-vous exactement?

M. Robert Kerton: Oui. En fait, sur la scène internationale, la situation n'est pas aussi désespérée. Nous avons un groupe qui est bien financé, Consumers International; ils ont des experts en matière de négociations commerciales et ils peuvent discuter de chaque article. Il y a donc une solution canadienne, mais les intérêts des Canadiens seraient mieux défendus s'il y avait un lien direct entre ce groupe et les négociations de l'OMC.

• 1135

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

J'ai écouté la discussion avec le plus grand intérêt, et je suis certainement en accord avec certaines des observations que nous avons entendues, et en particulier l'idée que nous avons besoin de beaucoup plus de communications, d'une plus grande ouverture, d'une meilleure transparence dans le commerce mondial.

Toutefois, je comprends bien l'autre côté de la médaille, certaines de ces questions sont si compliquées, si bien contrôlées par des intérêts importants que cela complique beaucoup les choses. Quand on sait que 90 p. 100 des décisions sont prises par les deux groupes les plus importants et que le reste des pays se démènent comme de beaux diables pour protéger un peu leurs intérêts, cela rend l'ouverture à la transparence particulièrement difficile.

En ce qui concerne l'agriculture—et on a parlé plus particulièrement de ce secteur—, je suis personnellement convaincu que la tarification est une bonne chose pour le Canada. Dans mon esprit, cela ne fait aucun doute, la tarification a été mise en place... Dans des secteurs comme la volaille, la production d'oeufs, les produits laitiers, nous ne sommes pas une nation exportatrice, ou du moins nous ne l'étions pas. Nous construisions un secteur qui était axé uniquement sur les besoins de notre pays, cela ne fait pas le moindre doute. Notre objectif n'était pas d'exporter vers le Royaume-Uni, vers l'Australie ou n'importe où ailleurs dans le monde, mais plutôt de bien servir et de protéger les consommateurs canadiens. En fait, c'est un secteur qui a été conçu en pensant à la fois aux consommateurs canadiens et aux producteurs.

Lorsque la tarification est arrivée, vous avez raison, des tarifs affreux ont été imposés sur certains produits, mais ce fut pour protéger un secteur qui était déjà protégé par d'autres moyens.

J'imagine qu'un certain équilibre se rétablit. Nous devons tenir compte de l'intérêt national, de l'intérêt du consommateur, et les comparer ensuite aux intérêts internationaux et aux intérêts commerciaux. Quand on pense que chaque pays dans le monde protège ses propres industries, utilise des moyens propres pour protéger ses intérêts nationaux... effectivement, on peut citer l'exemple des États-Unis et observer que nous n'avons pas contesté leurs tarifs, que nous n'avons pas non plus protesté contre les mécanismes qu'ils ont adoptés pour protéger leur production. Cela dit, nous revenons toujours très vite à notre secteur agricole, et c'est une de mes préoccupations.

Ce qui m'inquiète un peu, c'est que dans certains secteurs nous avons imposé des tarifs extrêmement élevés, nous avons dit au reste du monde: bas les mains, et si nous l'avons fait, c'est pour des raisons nationales bien précises. En effet, nous avons voulu assurer une certaine production et une certaine stabilité à ce secteur de notre marché. Je suis tout à fait d'accord quand on dit que la transparence, l'ouverture et l'intensification du commerce représentent presque toujours un avantage pour le Canada, et d'autre part, je pense que dans nos négociations commerciales, nous nous sommes bien débrouillés. Je pense que nous nous sommes bien débrouillés et que nous avons fait des progrès, mais on ne peut pas dire que nous sommes particulièrement dynamiques. Nous devons nous associer à d'autres pays, former des coalitions. Nous ne pouvons pas nous défendre seuls. En dépit de l'expertise que nous possédons, nous n'avons pas suffisamment de pouvoir, et chaque fois, nous perdons un peu de terrain dans cette bataille contre les grands blocs commerciaux.

Pour vous donner un point de vue un peu différent, quand M. Clark a dit que tout le monde avait un peu les mains sales, je pourrais dire, moi, que tout le monde a des intérêts nationaux. C'est simplement une façon différente de s'exprimer.

Mais quand je réfléchis à la réalité, je me dis que nous nous en tirons infiniment mieux avec des ententes écrites, avec des ententes dont nous pouvons nous accommoder, des accords qui nous laissent suffisamment de marge pour bousculer un peu nos partenaires commerciaux, pour les enjôler un peu, petit à petit, et pour nous placer sur un terrain où il nous est possible de protester devant un tribunal si nous nous estimons injustement traités.

Pendant tout ce processus, les membres du groupe ont souvent été très pessimistes, mais personnellement, je pense que c'est excellent pour le Canada, je suis convaincu que nous faisons des progrès solides. Personnellement, je me dis que nous devrions peut- être insister plus sur tout ce que nous avons obtenu de nos partenaires internationaux, insister sur le fait que nous envoyons beaucoup plus de produits aux États-Unis que nous ne le faisions il y a 20 ans et que nous sommes beaucoup plus sur un pied d'égalité avec nos partenaires des autres pays. Je vous le dis, c'est ce que nous avons accompli, et nous le faisons avec beaucoup de succès, mais nous devons continuer à protéger un peu nos intérêts canadiens.

• 1140

J'aimerais insister sur cet aspect car la situation est loin de mériter tout ce pessimisme. En effet, c'est une situation positive, et nous ferions mieux d'insister sur les aspects positifs que nous pouvons développer encore, et non pas sur les difficultés qu'il y a à traiter avec ces monstres que sont nos partenaires. Voilà mon opinion personnelle.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vous allez devoir répondre très vite car la déclaration de M. Pickard a occupé tout le temps dont il disposait. Si vous pouviez répondre en quelques mots...

M. Jayson Myers: Nous devrions effectivement penser avant tout à nos réalisations, et nos exportateurs ont de bonnes raisons d'être fiers. Si nous voulons mobiliser les Canadiens, c'est le genre de message qu'il va falloir donner. En effet, je pensais que nous devrions mieux expliquer... Le gouvernement devrait se fixer un mandat, une série d'objectifs à atteindre lors des négociations de l'OMC et il devrait mobiliser toute la population derrière ces objectifs que nous recherchons. Dans le cadre de ces objectifs, il importe d'adopter des règles, sans nécessairement les expliciter, mais l'important c'est qu'il y ait des règles.

M. Jerry Pickard: Monsieur Myers, avez-vous des objectifs à nous citer, une orientation à nous proposer? J'imagine que c'est votre position.

M. Jayson Myers: Je pense qu'on va vous donner un exemplaire de nos observations; vous y trouverez la liste de ces objectifs.

Cela dit, vos observations au sujet de l'agriculture m'inquiètent un peu. Bien qu'étant de Fergus, je connais beaucoup mieux le secteur manufacturier que celui de l'agriculture.

Les problèmes qui se sont manifestés après l'Accord de libre- échange... Les compagnies qui ont cessé de produire étaient, dans l'ensemble, des compagnies axées sur le marché national. Leurs coûts étaient particulièrement élevés, ce n'étaient pas des compagnies concurrentielles et, comme vous l'avez dit, elles servaient le marché national.

Vous avez parlé du problème de l'intégration verticale dans le secteur agroalimentaire. Dans l'ensemble, c'est un problème qui est très concret au Canada. Nous avons des petits producteurs et nous devons nous assurer qu'ils font preuve de suffisamment d'innovation, qu'ils ajoutent suffisamment de valeur à leur production. À mon avis, un élément important de cette dynamique c'est d'ouvrir de nouveaux marchés.

Ainsi, nous ne devrions même pas considérer que l'agriculture relève exclusivement de la politique nationale. Nous devons placer notre secteur agricole dans une position qui lui permette d'être innovateur, une position qui lui permette d'ajouter de la valeur à sa production. De ce point de vue, il faut trouver un point d'équilibre entre le marché national et les marchés internationaux.

M. Jerry Pickard: Je suis tout à fait d'accord. Si vous me permettez une deuxième observation...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Pickard, s'il vous plaît, il ne vous reste plus de temps.

Monsieur Tremblay.

[Français]

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): Monsieur Clark, vous avez dit tout à l'heure qu'on ne pouvait pas interrompre les choses. Je crois qu'on peut dire que certaines bonnes choses se produisent actuellement et que l'ouverture des marchés offre des possibilités assez incroyables, comme c'est le cas dans mon propre comté.

Vous avez toutefois aussi parlé des témoignages de Tony Clarke et de Maude Barlow, ainsi que des inquiétudes qu'éprouve la population en général face au phénomène de l'ouverture des marchés. M. Clarke et Mme Barlow semblaient faire un lien entre la croissance économique, qui est probablement due à la possibilité d'exporter davantage et dont je suis très heureux, et le phénomène de l'accroissement de la pauvreté, qui semble s'installer de plus en plus au fil des ans. Est-ce qu'il y a vraiment un lien à faire entre ces deux phénomènes, comme semblaient l'indiquer Mme Barlow et M. Clarke?

[Traduction]

M. Peter Clark: Merci, monsieur Tremblay.

J'étais présent l'autre matin lorsque Mme Barlow vous a cité et qu'elle a présenté au comité des statistiques selon lesquelles trois personnes dans le monde ont une fortune personnelle supérieure à celle de nombreux autres pays, sans parler de la répartition inégale de la richesse. À ce propos, je dirais que tous les problèmes ne sont pas attribuables à l'OMC et que cet organisme ne permettra pas de les résoudre. Si nous voulons vraiment nous débarrasser d'un grand nombre de ces problèmes et des perturbations qu'ils occasionnent, nous devrions peut-être abolir les bourses et interdire les transferts électroniques de fonds et nous replier sur nous-mêmes. Le monde des transactions financières pourrait revenir à l'âge des cavernes. Ces problèmes sont attribuables au mouvement des capitaux.

• 1145

Ce n'est pas le commerce international en lui-même qui cause de véritables problèmes. Je ne vois pas comment quelqu'un qui n'arrivait pas à survivre en autarcie agricole à un moment donné et qui travaille maintenant dans une usine a plus de mal à boucler ses fins de mois. Peut-être n'aime-t-il pas travailler en usine. Lorsque je faisais mes études universitaires, j'étais un joueur professionnel de golf et cela m'a beaucoup plu car je n'ai jamais dû porter de cravate. Une fois mes études terminées, j'ai dû porter une cravate, si bien que ma qualité de vie a chuté, mais dans d'autres sens, je suis sûr que ce n'est pas le cas.

En conséquence, je ne pense pas qu'on puisse utiliser ces indicateurs généraux dont Mme Barlow et M. Clark se sont servis pour faire des analyses. Il faut trouver des jalons et aider nos propres collectivités. Je connais bien le monde de l'industrie car j'ai travaillé pendant des années dans l'industrie du vêtement. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec l'industrie du bois et l'industrie du savoir qui fleurissent dans de nombreuses régions du Québec et ces secteurs d'activité profitent de la libéralisation des échanges. Ils sont installés au Massachusetts, au Vermont, en Georgie et dans d'autres États. Ils n'ont pas peur du marché libre. Ils n'ont peur de rien. L'ennui, c'est qu'ils sont tellement occupés qu'ils n'ont pas le temps d'en parler à d'autres, si bien que lorsque vous irez au Québec, j'espère qu'ils comparaîtront devant le comité pour vous parler de l'importance des échanges commerciaux à leurs yeux.

M. Robert Kerton: Il serait bien plus facile d'expliquer la panacée que représentent les échanges commerciaux si les revenus familiaux avaient augmenté au cours des 10 dernières années; ils ont pratiquement stagné pendant cette période.

Si je le pouvais, j'interdirais l'expression «libre-échange» pour que personne ne puisse s'en servir. Mais au titre des derniers accords que nous avons signés, la population canadienne doit désormais payer des prix de monopole pour les produits pharmaceutiques, et il est donc indéniable que ces prétendus accords de libre-échange se répercutent sur votre niveau de vie ainsi que sur le coût des régimes d'assurance-santé. Si vous vous penchiez sur ce que les consommateurs étaient censés tirer dans les années 80 de la libéralisation des échanges, les produits canadiens, d'après les études faites par le Conseil économique à l'époque, devaient parvenir à toutes les municipalités américaines et notamment la bière et le lait—les produits qui importent vraiment aux consommateurs. Or, tout ou presque qui était jugé très important a été exclu.

Alors ne prétendons pas qu'il y a vraiment eu libéralisation des échanges. Ce n'est pas le cas. Les échanges commerciaux présentent des avantages et je crois que Peter a raison. Ces avantages sont plus tangibles dans le secteur des biens immobiliers que dans le secteur financier où plusieurs établissements internationaux importants manquent, et dont nous devrions assurer la création.

M. Stéphan Tremblay: Je sais que ces avantages existent, mais vous ne parlez pas de la croissance de la pauvreté. C'est ce que j'essaie de comprendre. Y a-t-il un rapport entre ces deux éléments? C'est ce que j'essaie de comprendre.

M. Robert Kerton: Si nous augmentons fortement nos exportations en polluant notre environnement et que nous tomberons tous malades, nous aurons effectivement augmenté les échanges commerciaux, ce qui se traduira dans les statistiques, mais nous ne serons pas plus avancés pour autant. Dans une certaine mesure, je m'associe à votre scepticisme.

Il est tout à fait possible que les échanges commerciaux puissent améliorer la vie de certains, mais il ne faut pas perdre de vue ce que David disait. Si une activité pollue l'environnement, vous ne devriez pas demander à vos lobbyistes d'essayer de contourner les règles afin de protéger ce type d'industrie. L'avenir n'est pas rose et c'est probablement vrai de certains secteurs d'activité importants, comme l'industrie du tabac. Ainsi, à l'avenir, les négociations devront être mieux abordées que celles qui ont déjà eu lieu. Puisque tout ce qui était important aux yeux de la population a été exclu.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Clark.

M. Peter Clark: Ce que je ne comprends pas à propos du Québec—et j'ai fait des tas d'analyses économiques au Québec pendant de nombreuses années—c'est pourquoi l'industrie du vêtement est beaucoup plus solvable que l'industrie du textile où la main-d'oeuvre n'existe pratiquement plus. Je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec le libre-échange. C'est un phénomène que je ne comprends pas du tout. Il n'est pas facile d'y trouver une explication, que des droits de douane soient imposés ou non.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Runnalls.

M. David Runnalls: On aurait tort de croire que le libre- échange n'a pas fait de victimes et que tout le monde en a tiré profit. Les responsables de la création de l'OMC ont tort de penser que la libéralisation des échanges profite automatiquement à tous les acteurs. Dans les pays en développement, je peux citer des tas d'exemples où une couche, très souvent une couche importante, de la population a subi des torts économiques considérables du fait de la libéralisation des échanges. D'ailleurs M. Clarke en a cité quelques-uns tout à l'heure.

• 1150

Je ne crois pas que cela signifie pour autant que la libéralisation des échanges soit une mauvaise chose. Ce qui cloche, c'est que chacun semble penser que l'OMC ne s'intéresse qu'à la libéralisation des échanges et non aux conséquences de cette libéralisation, tout comme certains semblent penser que l'OMC ne devrait s'intéresser qu'aux effets de la politique environnementale sur le commerce et non aux effets de la politique commerciale sur l'environnement. L'OMC semble penser qu'elle n'est pas compétente en la matière.

Je dirais que c'est de la dérobade intellectuelle et que ce distinguo subtil est complètement incompréhensible pour le Canadien moyen. Comment pouvez-vous dire à vos électeurs que l'OMC ne s'intéresse qu'aux conséquences des politiques environnementales sur le commerce et non aux effets de la politique commerciale sur l'environnement car ce n'est pas de son ressort. Quelqu'un d'autre le fait.

On a tout autant tort de dire que tout le monde profite de la libéralisation des échanges, que cette libéralisation ne fait pas de victimes et dans le cas contraire, quelqu'un d'autre s'en occupera—le système d'aide sociale, le système d'aide à l'étranger et ainsi de suite.

Comme je l'ai dit au tout début, nous pensons que tout compte fait, la libéralisation des échanges permet de réduire la pauvreté et de préserver l'environnement mais uniquement si elle s'accompagne des mesures appropriées.

M. Jayson Myers: Monsieur Tremblay, permettez-moi de répondre très brièvement.

Un problème existe; c'est celui de la disparité croissante des revenus et de la rentabilité des entreprises au Canada. Mais ce ne sont pas ceux qui exportent qui souffrent de ce problème. Ce sont précisément ces secteurs qui enregistrent une hausse très rapide des revenus ainsi qu'une hausse de l'emploi. De nos jours, le secteur manufacturier emploie plus de Canadiens que ce n'était le cas en 1989. Dans ce secteur, les revenus augmentent plus rapidement que dans n'importe quel autre secteur du pays. Ceux qui souffrent de ce problème sont les services communautaires, les services du personnel, les entreprises qui emploient des gens à temps partiel. Le niveau de compétence des employés, etc. pose problème.

Il serait plus facile de chanter les louanges du marché libre si le revenu réel par habitant des Canadiens n'avait pas diminué de 12 p. 100 depuis 1989. C'est un problème très réel. Cela m'amène à la conclusion que l'action publique devrait se porter sur la scène internationale et nationale; nous devrions revoir sérieusement notre politique de l'éducation, notre politique fiscale et adopter des politiques qui attirent des investissements dans ce pays. C'est là où réside le véritable défi, à mon avis.

J'ai l'impression que les gouvernements et les associations qui représentent soit des consommateurs soit des entreprises ou d'autres types d'intérêts sociaux n'ont toujours pas compris que le Canada évolue au sein des marchés internationaux et qu'il doit régler certains des problèmes qui se posent au niveau de l'action publique nationale.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Il est midi et nous devrions lever la séance, madame Debien, mais si vous pouviez être brève...

[Français]

Mme Maud Debien: Mon intervention sera très brève. Madame la présidente, on a beaucoup parlé de la volaille et des oeufs et j'aimerais qu'on parle maintenant de la culture.

Vous savez qu'actuellement, chaque pays négocie ses exceptions ou ses exemptions culturelles à la pièce lors des réunions de l'OMC. Quelle devrait être la stratégie du Canada? Est-ce qu'il devrait continuer ces négociations à la pièce concernant l'exemption culturelle? Devrait-il plutôt mettre tout le dossier de la culture sur la table, vider la question une fois pour toutes et s'entendre avec tous les pays qui sont à la table? D'abord, est-ce que c'est possible? Sur le plan stratégique, comment le Canada doit-il aborder cette question-là: en mettant tout sur la table ou en continuant de demander des exemptions à la pièce? Je pose cette question à qui voudra bien y répondre, sachant que je m'adresse à... [Note de la rédaction: Inaudible].

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Qui se lance le premier?

M. Peter Clark: Depuis octobre dernier, j'ai passé beaucoup de temps à Genève à régler des différends et j'en ai parlé à un certain nombre de personnes. J'ai constaté que beaucoup avalisaient la résistance que la ministre Copps affiche à l'égard des États- Unis. L'Asie, l'Amérique du Sud et l'Europe, où la situation est évidemment inquiétante, l'appuient.

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Cet appui se manifeste surtout dans le domaine du cinéma. Les gens s'inquiètent de ce que les États-Unis exportent leur culture dans le monde en imposant ses films. En Asie et dans une certaine mesure en Amérique du Sud, les gens pensent qu'on leur impose ainsi les valeurs américaines. En Asie en particulier, ils estiment que les rapports familiaux s'en trouvent modifiés et que les valeurs familiales traditionnelles s'effritent du fait de l'exposition à ces films qui glorifient ce qui, à leurs yeux, sont des aspects indésirables de la vie américaine.

Je pense qu'il faudrait exploiter et explorer cette communauté d'intérêts. Il faut imposer une solution globale et non pas à la pièce. Lorsque je fais affaire avec les États-Unis, j'ai constaté qu'à chaque fois qu'on discute d'un cas particulier avec eux, c'est comme si on se faisait torturer à petit feu. On perd chaque point. Je pense donc qu'il vaut mieux adopter une approche globale.

M. Robert Kerton: On pourrait adopter une stratégie différente. Je crois que c'est très important mais nous avons tendance, lorsqu'il est question de politique culturelle, de subventionner les intrants. Si vous songez à la différence qui existe entre les intrants et les extrants, ce que nous voulons en fait c'est la culture; c'est ce qui importe. Si nous subventionnons effectivement la réalisation de films par des Canadiens, il faut se demander si les valeurs qui seront transmises seront canadiennes. C'est ce que nous pensons tous, je suppose, car c'est ce que nous faisons.

Mais je crois qu'il faudrait lutter avec les Américains. On pourrait leur dire que la production nous intéresse mais que chaque fois qu'un film montre à quelqu'un que la meilleure solution c'est d'utiliser une arme à feu, il faudrait imposer une taxe sur chaque assassinat gratuit—disons 1 $ par incident. Vous mettriez ainsi l'accent sur ce que vous ne voulez pas et en plus, une taxe serait imposée. Elle pourrait être neutre et viser les biens de tout pays. Peu importe que ce soit un film indien, thaïlandais ou américain. Et qui plus est, cela respecte les règles de l'OMC. C'est donc une façon de retourner l'argument américain lorsque les États-Unis prétendent que certaines choses ne sont que de simples exportations.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui, monsieur Myers.

M. Jayson Myers: Pour placer la culture en perspective, je ne sais pas si les problèmes qui se posent actuellement dans le secteur des revues existeraient si, par exemple, les tirages dédoublés faisaient l'objet d'un accord sur le dumping qui couvrirait les services, par exemple. Ouvrir la voie à d'autres types de négociations pourrait peut-être régler certains des problèmes en suspens, du moins en ce qui concerne le côté commercial des industries culturelles.

Également, lorsqu'on essaie d'exclure un vaste secteur comme la culture des négociations ou de l'application des règles de l'OMC, par un texte de loi qui aborde une perspective différente, les conséquences pour la politique commerciale ne seront pas négligeables. Ce qui m'inquiéterait, par exemple, ce sont les dispositions qui élargiraient l'application extraterritoriale d'une loi alors que la politique commerciale du Canada cherche surtout à éliminer certains des aspects extraterritoriaux des textes de loi américains, particulièrement en ce qui a trait à nos relations avec Cuba.

Je vous mets en garde; il ne faudrait pas que la façon dont nous abordons les questions culturelles, même si nous demandons une dérogation, se retourne contre nous ou que cela anéantissent les objectifs que nous essayons de poursuivre avec notre politique commerciale.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): J'aurais beaucoup de questions à poser, et j'espère que nous aurons de nouveau l'occasion de vous rencontrer lorsque nous nous déplacerons en dehors d'Ottawa. Cette séance a été très instructive. Contrairement à mon collègue, je n'y ai pas vu d'apocalypse. J'y ai simplement vu une approche plus réaliste. Je crois que tout le monde pense que l'Organisation mondiale du commerce devrait donner de bons résultats, mais il ne faut pas perdre de vue la réalité. J'ai beaucoup apprécié tous les exposés qui ont été présentés ce matin. Je vous remercie infiniment.

La séance est levée.