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AANO Rapport du Comité

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POUR RÉSOUDRE ENSEMBLE LA QUESTION DU PARTAGE DES BIENS IMMOBILIERS MATRIMONIAUX DANS LES RÉSERVES

INTRODUCTION

Dans une lettre en date du 2 décembre 2004, l’honorable Andy Scott, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a demandé que le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes lui donne son avis «  quant à la meilleure façon pour la Couronne de résoudre la question de longue date relative aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves  ».

Au départ, le Comité a reconnu l’importance de cette question pour les résidants des réserves, et en particulier les femmes et les enfants des Premières nations. En même temps, il s’est rendu compte de la grande complexité du dossier, et il est devenu conscient au fil des audiences que les recommandations qu’il formulerait devraient concilier des intérêts apparemment divergents. Le Comité a en outre jugé impératif que toutes ses recommandations soient cohérentes avec la reconnaissance, par le gouvernement, du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en reconnaissant la compétence des Premières nations à l’égard des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. Il a aussi constaté que, malgré l’urgence de la situation, l’adoption de toute mesure devait passer par la consultation et la collaboration des Premières nations.

Presque partout au Canada, les lois provinciales et territoriales régissent le partage du patrimoine en cas de rupture du mariage ou, parfois, de l’union de fait. Le patrimoine inclut les biens personnels (meubles, véhicules et autres objets) et les biens immobiliers (terrains et biens qui y sont incorporés). Les lois provinciales et territoriales prévoient que le patrimoine doit être réparti également entre les deux conjoints, à part quelques exceptions. Ces lois font partie du droit matrimonial.

C’est la Loi constitutionnelle de 1867 qui a établi que le partage des biens en cas de rupture du mariage ou d’une autre forme d’union relevait des lois provinciales et territoriales, plutôt que fédérales. L’article 92 de la Loi énumère les domaines de compétence exclusive des provinces et le paragraphe 92(13) précise que les provinces ont compétence exclusive pour faire des lois relatives à la propriété et aux droits civils.

Cependant, le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement le pouvoir exclusif de faire des lois concernant «  les Indiens et les terres réservées pour les Indiens  ». Autrement dit, les lois matrimoniales des provinces et des territoires ne s’appliquent pas dans les réserves1, interprétation que la Cour suprême a confirmée dans les arrêts Derrickson c. Derrickson2 et Paul c. Paul3. Comme la Loi sur les Indiens ou les autres lois fédérales ne comportent aucune disposition sur le partage des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, il s’est créé un vide juridique. Par conséquent, les résidants des réserves n’ont pas accès au système juridique canadien pour régler le partage des biens immobiliers en cas de rupture du mariage ou de l’union de fait.

La question du vide juridique a été soulevée tant au Canada qu’au niveau international par les femmes des Premières nations et par des organismes comme l’Association des femmes autochtones du Canada. Elle a fait l’objet de documents de travail et de rapports commandés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et a été étudiée par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Le Comité des affaires autochtones et du développement du Grand Nord a entendu différents témoins, notamment des représentants d’organismes des Premières nations, des intervenants en droit familial, des experts juridiques et des fonctionnaires. Outre qu’ils ont formulé des recommandations originales, ces témoins ont fait ressortir certains des points auxquels le Comité devait être sensible en examinant la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.

Le Comité signale qu’en raison de l’échéancier, il n’a pu traiter de façon satisfaisante tous les points qu’il voulait examiner, sans compter que certains des témoins qu’il voulait entendre n’ont pu se présenter. En particulier, il a reçu peu de témoignages sur l’utilisation des systèmes d’attribution des terres fondés sur la coutume, par opposition au mode d’attribution prévu par la Loi sur les Indiens. Par conséquent, il ignore comment un régime législatif établi par le gouvernement fédéral de concert avec les Premières nations serait accueilli par les utilisateurs des systèmes fondés sur la coutume ou quel effet il aurait sur eux.

EXAMEN ANTÉRIEUR DE LA QUESTION

Divers rapports, tant canadiens qu’internationaux, présentent des observations et des recommandations sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves4.

1.         RAPPORTS CANADIENS CHOISIS

A.        COMMISSION D’ENQUÊTE SUR L’ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ET LES AUTOCHTONES DU MANITOBA

Le gouvernement du Manitoba a créé cette commission d’enquête en 1988. Chargée d’étudier tous les aspects du système provincial de justice, elle a produit un rapport final qui comprend un chapitre sur les femmes autochtones. Voici ce que dit le rapport au sujet des biens immobiliers matrimoniaux :

La Loi sur les Indiens ne reconnaît pas le partage égal des biens en cas de rupture du mariage. Cette situation doit être rectifiée. La modification de la Loi sur les Indiens n’est pas une grande priorité pour le gouvernement fédéral ni pour les dirigeants autochtones du Canada, nous le reconnaissons, mais nous pensons néanmoins que cette question demande une attention immédiate. En ne traitant pas les femmes autochtones de façon juste et équitable, non seulement la Loi est fort probablement inconstitutionnelle, mais elle semble aussi inciter le ministère des Affaires indiennes et les administrations locales à la discrimination administrative dans la prestation de services de logements et autres aux femmes autochtones.

Nous recommandons :

que la Loi sur les Indiens soit modifiée pour prévoir le partage égal des biens en cas de rupture du mariage5.

B.        COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES

La Commission royale sur les peuples autochtones a passé en revue les arrêts Paul c. Paul et Derrickson c. Derrickson dans le volume III, Vers un ressourcement, de son rapport. Elle a formulé ses recommandations sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves en tenant compte du fait qu’elle reconnaît le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale :

Recommandations

La Commission recommande :

[…]

3.2.10

Que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux reconnaissent sans tarder que le droit de la famille appartient généralement au centre du champ de compétence de gouvernements autochtones autonomes et que les nations autochtones peuvent prendre des initiatives dans ce domaine sans obtenir au préalable l'accord du fédéral, des provinces ou des territoires.

[…]

3.2.12

Que les nations ou organisations autochtones consultent les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux dans les domaines du droit de la famille en vue :

a) de modifier certaines dispositions législatives pour résoudre les anomalies rencontrées dans l'application du droit familial aux autochtones et combler les lacunes actuelles;

b) d'élaborer des mécanismes de transfert de responsabilités aux autochtones dans le cadre de l'autonomie gouvernementale;

c) de régler des questions d'intérêt mutuel concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions de leurs organes judiciaires respectifs.

3.2.13

Que, dans le but de prendre des initiatives dans le domaine du droit de la famille ou dans le cadre de l’autonomie gouvernementale, les nations ou les collectivités autochtones créent des comités, avec la pleine participation des femmes, qui seraient chargés d’examiner certaines questions, notamment :

a) les intérêts des membres de la famille dans les biens familiaux;

b) le partage des biens familiaux en cas d’échec du mariage;

c) les facteurs à prendre en considération pour déterminer l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où cette notion s'applique à la garde et à l’adoption chez les autochtones;

d) les droits de transmission des biens par testament ou par voie de succession ou de succession ab intestat;

e) les obligations alimentaires envers le conjoint et les enfants.

C.        COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

De juin à octobre 2003, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a tenu des audiences sur la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Il a publié son rapport intérimaire, Un toit précaire : Les biens fonciers matrimoniaux situés dans les réserves, en novembre 2003. Ce rapport intérimaire présentait les recommandations préliminaires suivantes6 :

 La Loi sur les Indiens devrait être modifiée de façon à ce que les lois provinciales et territoriales puissent s’appliquer au partage des biens matrimoniaux personnels et immobiliers dans les réserves. 
 Les modifications à la Loi sur les Indiens devraient tenir compte du fait que certaines Premières nations ont déjà pris des mesures pour le partage des biens immobiliers matrimoniaux; les mesures qui offrent une protection au moins équivalente à celle des lois provinciales devraient pouvoir continuer d’être appliquées. 
 Les modifications à la Loi sur les Indiens devraient tenir compte des droits des enfants. 
 La question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves devrait être expressément abordée dans toute négociation sur l’autonomie gouvernementale. 
 Les associations de femmes autochtones devraient recevoir les fonds nécessaires pour entreprendre des consultations approfondies auprès des femmes autochtones sur la question du partage des biens matrimoniaux dans les réserves. 

Le Comité sénatorial n’a pu poursuivre son étude parce que le Parlement a été dissous en vue des élections fédérales de juin 2004.

En novembre 2004, le Comité sénatorial a invité le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l’honorable Andy Scott, à comparaître devant lui pour répondre aux recommandations formulées dans son rapport intérimaire de novembre 2003. Dans son témoignage, le Ministre a dit au Comité qu’il croyait en la nécessité d’une solution législative et renverrait la question au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes en lui demandant de consulter les intervenants et de produire un rapport.

Après le témoignage de M. Scott, le Comité sénatorial a préparé un deuxième rapport intérimaire, où il démontrait son intérêt soutenu pour la question et soulignait la nécessité d’une action immédiate.

2.         RAPPORTS INTERNATIONAUX

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a exprimé un certain nombre de préoccupations au sujet des Autochtones dans sa réponse au troisième rapport périodique du Canada sur les droits visés aux articles 1 à 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En ce qui concerne les biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves, le Comité a fait observer ceci:

[…] les femmes autochtones qui vivent dans les réserves ne bénéficient pas, contrairement aux femmes vivant en dehors des réserves, du droit à un partage des biens conjugaux à égalité en cas de dissolution du mariage7.

Le Comité a demandé au Canada de remédier à la situation de concert avec les communautés intéressées « en vue d’assurer le plein respect des droits de l’homme  ».

Le Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones, publié en décembre 2004, signale que les femmes des Premières nations continuent d’être désavantagées en ce qui concerne les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et que des changements législatifs s’imposent. Le rapport recommande:

[q]ue le Gouvernement se penche, à titre hautement prioritaire, sur l’absence de protection que la loi accorde aux femmes des Premières nations qui vivent dans une réserve à l’égard des biens immobiliers matrimoniaux situés dans cette réserve et qui fait qu’elles se trouvent défavorisées 8.

AUDIENCES DU COMITÉ DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU
GRAND NORD

Au total, 31 témoins ont comparu devant le Comité en mars, avril et mai 2005.

En plus de situer l’enjeu dans son contexte et d’expliquer les mesures prises pour remédier à la situation au sein de certaines communautés, les témoins ont attiré l’attention du Comité sur différentes questions à considérer dans son étude. Voici certaines de ces questions clés :

 la nécessité de trouver des solutions qui reconnaissent et respectent le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale; 
 la nécessité de trouver des solutions qui concilient les droits individuels à l’égalité et les droits ancestraux collectifs; 
 la nécessité d’adopter des solutions qui viennent des Premières nations et la nécessité d’un travail de consultation et de collaboration pour l’élaboration de mesures législatives; 
 la nécessité de procurer des ressources aux organisations et aux communautés des Premières nations pour leur permettre de concevoir et d’appliquer des solutions. 

Les témoins ont aussi relevé des questions corollaires, dont les suivantes :

 la difficulté de faire exécuter les ordonnances judiciaires dans les réserves; 
 les droits des conjoints non membres; 
 la réticence ou l’incapacité de certaines communautés à remédier à la situation; 
 le fait que toutes les terres des Premières nations ne sont pas détenues ou attribuées en vertu de la Loi sur les Indiens — certaines sont distribuées d’après la coutume. 

De nombreux témoins ont proposé au Comité des solutions originales au problème des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves.

1.         MÉCANISMES ACTUELS SERVANT À RÉGLER LA QUESTION DES BIENS IMMOBILIERS MATRIMONIAUX DANS LES RÉSERVES

Le Comité a appris que les Premières nations abordaient la question des biens immobiliers matrimoniaux de différentes façons : au moyen d’ententes sur l’autonomie gouvernementale; en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations; par l’inclusion de dispositions sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les politiques sur le logement. Certaines Premières nations ont aussi pris des règlements administratifs sur les biens immobiliers matrimoniaux. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a toutefois rejeté ces règlements au motif que la Loi sur les Indiens n’autorise pas les règlements administratifs touchant les biens immobiliers matrimoniaux.

A.        ENTENTES SUR L’AUTONOMIE GOUVERNEMENTALE

Wendy Cornet, la conseillère spéciale auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien dans le domaine des biens immobiliers matrimoniaux, a expliqué que les ententes sur l’autonomie gouvernementale abordent la question de trois façons différentes. Certaines ententes reconnaissent à des Premières nations désignées une compétence en matière de biens matrimoniaux. D’autres prévoient une compétence partagée entre la Première nation et la province. D’autres encore stipulent que les lois provinciales d’application générale visent tous les biens matrimoniaux — immobiliers ou personnels — situés dans les réserves9. Maureen McPhee, directrice générale de l’autonomie gouvernementale au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a confirmé que le gouvernement avait adopté des lignes directrices à l’intention des négociateurs fédéraux pour leur donner un aperçu de la question des biens immobiliers matrimoniaux et les guider dans leurs négociations10.

B.        LOI SUR LA GESTION DES TERRES DES PREMIÈRES NATIONS

La Loi sur la gestion des terres des premières nations donne effet à l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations, qui soustrait les communautés participantes à l’application des dispositions de la Loi sur les Indiens portant sur la gestion des terres. Chaque communauté participante doit adopter un code foncier pour la gestion des ressources et des terres de réserve. Elle doit aussi, dans les 12 mois qui suivent l’entrée en vigueur du code, soit y incorporer des «  règles générales — de procédure et autres — applicables, en cas d'échec du mariage, en matière soit d'utilisation, d'occupation ou de possession des terres de la première nation, soit de partage des intérêts sur celles-ci  », soit prendre des textes législatifs sur le sujet11.

Le chef Robert Louie, président du Conseil consultatif des terres, a dit au Comité que 7 des 13 Premières nations qui sont opérationnelles en vertu de l’accord-cadre ont édicté des dispositions législatives sur les biens immobiliers matrimoniaux12.

C.        POLITIQUES ET RÈGLEMENTS ADMINISTRATIFS SUR LE LOGEMENT

Le Comité sait que des Premières nations ont abordé la question des biens immobiliers matrimoniaux dans leurs politiques sur le logement, mais il a entendu peu de témoignages sur cette approche, tout comme sur l’adoption de règlements administratifs. Tom Vincent, conseiller juridique à la Section des opérations et des programmes du ministère de la Justice, a confirmé que la prise de règlements administratifs sur les biens immobiliers matrimoniaux n’était pas valable :

L’article 81 n’habilite simplement pas le conseil de bande à prendre des règlements sur cette question […]

Ainsi, le pouvoir de prendre des règlements administratifs ne constitue pas une source d’autonomie locale qui permet aux conseils de bande de préserver les droits de propriété des membres d’une bande et des personnes qui ne sont pas membres de la bande13.

2.         QUESTIONS CLÉS À CONSIDÉRER

A.        DROIT INHÉRENT À L’AUTONOMIE GOUVERNEMENTALE

Le Comité reconnaît que le facteur clé à considérer dans l’étude des biens immobiliers matrimoniaux est que les Premières nations devraient avoir l’autonomie voulue pour travailler à la résolution du problème.

Pour les Premières nations, l’autonomie gouvernementale est un droit inhérent, et non un droit conditionnel ou délégué. Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les «  droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada ». Bien que cette disposition ne fasse pas explicitement état de l’autonomie gouvernementale, le gouvernement a reconnu le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en tant que droit ancestral existant au sens de l’article 35. Il y a cependant encore un différend sur la façon dont le gouvernement et les Premières nations interprètent cette disposition. Margaret Buist, conseillère juridique au ministère de la Justice, a indiqué ce qui suit au Comité:

Dans le contexte des biens immobiliers matrimoniaux, il reste encore à déterminer si un droit ancestral issu d’un traité, ou tout autre droit, intervient. Actuellement, nous n’avons pas d'affaires devant les tribunaux où une bande soutient qu’un droit de ce genre existe.

Cependant, les Premières nations, dans leurs témoignages devant divers organes, ont fait valoir que les droits autochtones leur donnaient le droit de gérer les terres de réserve. Elles ont aussi invoqué un droit d’autonomie gouvernementale, droit reconnu par le gouvernement et qui comprendrait le droit d’adopter des lois créant des règles pour le partage et la possession de biens immobiliers matrimoniaux à la rupture d’une relation.

[…] Il faut se rappeler que le Canada reconnaît un droit autochtone à l’autonomie gouvernementale. Toutefois, la façon d’appliquer ce droit n’est pas claire en ce qui concerne la création et la mise en œuvre d’un régime de gestion des biens immobiliers matrimoniaux pour les terres de réserve14.

Le professeur Kent McNeil a signalé qu’un des principaux problèmes auxquels se heurtent les Premières nations qui veulent résoudre la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves est l’absence de clarté quant à leur compétence en la matière :

Ainsi, les Autochtones peuvent-ils exercer leur droit inhérent pour résoudre ce problème? Il n'est pas clair que les conseils de bande peuvent exercer leur droit inhérent. Le droit inhérent est entre les mains de qui exactement? La Commission royale sur les peuples autochtones a dit qu’il est entre les mains des nations autochtones, et non pas des collectivités locales.

On se demande vraiment comment les Premières nations elles-mêmes pourront se tirer d'affaire. Donc, il ne s’agit pas simplement du fait que les Premières nations ne veulent pas s’en occuper ou ferment les yeux sur ce problème. Il y a des enjeux juridiques qui peuvent les empêcher de le faire15.

B.        CONCILIATION DES DROITS COLLECTIFS ET DES DROITS INDIVIDUELS

Toute solution devra concilier les droits collectifs des Premières nations (droits ancestraux) et les droits individuels des personnes qui vivent dans une réserve (droits à l’égalité). C’est ce qu’ont fait valoir plusieurs témoins, dont Margaret Buist, qui a expliqué ce qu’il faut entendre par «  conciliation des intérêts  » :

Les Premières nations prétendent avoir le droit de gérer leurs propres terres, d'adopter leurs propres lois familiales. Par ailleurs, les hommes et les femmes qui sont touchés par le vide législatif qui existe au chapitre des biens immobiliers matrimoniaux souhaitent que leurs droits à l’égalité soient reconnus. Ils veulent être traités de la même façon que les personnes qui vivent à l’extérieur des réserves16.

Les droits à l’égalité sont protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés :

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Les droits ancestraux, quant à eux, sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

(1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

[…]

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

Margaret Buist a cité les ententes sur l’autonomie gouvernementale et la Loi sur la gestion des terres des premières nations comme exemples de mécanismes pouvant concilier les droits individuels et les droits collectifs :

Dans les ententes sur l’autonomie gouvernementale, diverses façons de faire ont été adoptées par le gouvernement et les Premières nations pour régler cette question. Dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations, les bandes qui s’inscrivent au régime créent leurs propres codes en matière de régime matrimonial et immobilier.

Voilà deux exemples de façons dont on a mis en équilibre les droits des individus à l’égalité et la reconnaissance de l’opportunité d’avoir un régime pour les biens immobiliers et les questions matrimoniales, sans oublier le désir des Premières nations d’avoir un certain contrôle sur ce qui se passe sur leur territoire17.

Wendy Cornet a indiqué que le fait de reconnaître la compétence des Premières nations en matière de biens immobiliers matrimoniaux tout en adoptant des mesures législatives qui seraient seulement en vigueur jusqu’à ce que les Premières nations exercent cette compétence « établirait un équilibre [pourrait-on dire] entre la nécessité de respecter les droits individuels et celle de respecter les droits collectifs18  ».

Au sujet de l’équilibre entre les droits individuels à l’égalité et les droits ancestraux collectifs, Candice Metallic, conseillère juridique pour l’Assemblée des Premières Nations, a indiqué ceci :

[L]’on présume que les Premières nations ne tiennent pas compte des droits collectifs ni des droits protégés dans la Charte […] il appartient essentiellement aux diverses collectivités de déterminer l’approche à adopter dans leur sphère de compétence19.

C.        SOLUTIONS DEVRAIENT ÊTRE PILOTÉES PAR LES PREMIÈRES NATIONS ET TOUTE LÉGISLATION DEVRAIT IMPLIQUER CONSULTATION ET COLLABORATION

De nombreux témoins ont fait valoir que non seulement les Premières nations doivent être consultées dans la recherche de solutions au problème des biens immobiliers matrimoniaux, mais que c’est elles-mêmes qui devraient concevoir les solutions. D’après la chef Tina Leveque, du Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières Nations :

Les solutions ne seront légitimes et ne seront perçues comme telles que si elles émanent de la collectivité et sont appuyées par elle20.

Dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne en novembre 2004, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a déclaré qu’«  il est primordial que les intervenants soient officiellement consultés sur toute proposition qui viserait à modifier la Loi sur les Indiens21  ». La plupart des personnes qui ont témoigné devant le Comité ont souligné qu’il était important de consulter les Premières nations sur l’élaboration d’un cadre législatif visant à régler la question des biens immobiliers matrimoniaux. Danalyn MacKinnon, avocate en droit de la famille dans le Nord de l’Ontario, a formulé cette observation :

La réalité politique […] est que plus on a de temps pour élaborer cette législation avec l’aide des collectivités et moins les réactions seront défavorables22.

La chef Tina Leveque a confirmé que de vastes consultations des premières nations étaient nécessaires :

Nous reconnaissons naturellement qu'il est nécessaire de tenir des consultations générales, pas comme mesure dilatoire, mais pour obtenir la meilleure information et les meilleurs avis possible23.

Le professeur Kent McNeil a soutenu que l’absence de consultation des Premières nations pourrait susciter de l’opposition :

[…] la simple imposition, par le Parlement, d’un régime législatif ne fonctionnera pas. Cela va créer beaucoup d'opposition […] je ne pense pas que l’opposition soit nécessairement attribuable au fond de la législation; cependant, [les Premières nations] se sont opposées aux personnes qui leur imposaient ces choses et à leur provenance.

Si les Premières nations acceptent les mesures comme étant des choses souhaitables, et si elles ont leur mot à dire et ont l’impression de faire partie du processus, qu'elles ont eu le choix, et que ce n'est pas encore une fois quelque chose qui est imposé par le Parlement, je crois qu’il y a beaucoup plus de chances qu’elles soient acceptées et soient appliquées avec succès24.

Pendant les audiences, le Comité a demandé quelles consultations pourraient être considérées comme adéquates. Le professeur Larry Chartrand a répondu qu’il n’y avait pas de réponse claire à cette question :

La cour a examiné dans une certaine mesure le degré de consultation requis, selon l’importance du droit en question et l’intérêt que porte la collectivité à cette question. Plus le droit est important, plus on effectuera de consultations, et plus on insistera sur l’adaptation. Au bout du compte, si le droit est très important et est fondamental pour la collectivité, on insistera davantage sur le plein consentement. Ainsi, les tribunaux s’y intéressent en adoptant le point de vue des collectivités autochtones qui ont un droit.

Si le gouvernement devait consulter toutes les collectivités autochtones du Canada, toutes les Premières nations qui, collectivement, bénéficient d’un droit ancestral, disons le droit de décider de quelle façon on détermine le partage des biens matrimoniaux dans une réserve, et si l’État voulait justifier une violation des droits parce qu’on pourrait dire qu’une loi qu’on a adoptée porte atteinte à ce droit ancestral, quelle est l’obligation légale du gouvernement en matière de consultation, dans ce contexte? Doit-il aller consulter chaque collectivité autochtone du pays? S’il ne le fait pas, il s’expose au risque qu’une collectivité aille en cour et dise : «  Nous n’avons pas été consultés, et vous ne pouvez pas nous l’imposer  »25.

D.        RESSOURCES

Le Comité a été informé que les Premières nations ont besoin de ressources pour concevoir leurs propres solutions et qu’il faudrait aussi des ressources pour mettre en œuvre les dispositions législatives provisoires qui pourraient être édictées. La chef Tina Leveque a indiqué :

Si le gouvernement fédéral tenait vraiment à régler les questions liées aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, il donnerait aux Premières nations des ressources suffisantes pour élaborer ce type de politiques, lancer une vigoureuse campagne de sensibilisation pour les Premières nations et consigner les pratiques exemplaires qui pourraient être utiles à d’autres Premières nations.

[…]

Nous recommandons à votre comité que des ressources soient mises à la disposition des Premières nations pour leur permettre de tirer parti du travail déjà fait, de partager des pratiques exemplaires et de commencer à élaborer leurs propres politiques et lois, afin de corriger les problèmes et de combler les lacunes.

[…]

Si nous [obtenons les] ressources suffisantes, nous n’aurons peut-être pas besoin de dispositions législatives26.

Beverley Jacobs, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, a elle aussi fait observer que des ressources étaient nécessaires pour la tenue de consultations :

Nos avocates s’activent à rédiger des dispositions législatives et nous voudrions les utiliser après avoir consulté les femmes autochtones qui vivent dans les régions isolées, dans les régions urbaines, dans les collectivités des Premières nations et à travers le pays. Nous avons toutefois besoin des ressources nécessaires pour y arriver, parce que nous n’en avons pas suffisamment27.

3.         RECOMMANDATIONS DES TÉMOINS

Les témoins qui ont comparu devant le Comité ont formulé un certain nombre de recommandations. La plupart ont proposé des moyens directs de résoudre la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, par exemple la rédaction de mesures législatives provisoires qui établiraient un régime matrimonial pour les réserves. D’autres ont proposé des solutions aux problèmes connexes, par exemple la mise sur pied d’un registre des terres des Premières nations28.

A.        OPTIONS LÉGISLATIVES

i.          Modifier la Loi sur les Indiens ou rédiger un projet de loi qui créerait un régime matrimonial pour les biens dans les réserves

La majorité des témoins entendus par le Comité appuyaient l’idée de présenter un projet de loi provisoire qui créerait un régime matrimonial pour les biens immobiliers dans les réserves, ou reconnaissaient que cette option pourrait se révéler une solution à court terme. Tous convenaient que toute mesure législative gouvernementale devrait avoir un caractère provisoire. La chef Tina Leveque a déclaré ce qui suit :

Nous ne préconisons pas d’attendre que les ententes sur l’autonomie gouvernementale soient finalisées pour nous assurer que les droits de nos citoyens soient pleinement protégés. Nous ne voulons pas de modifications à la Loi sur les Indiens, mais on peut envisager d’adopter des mesures provisoires, pour autant qu’il soit bien entendu que ce sont des mesures provisoires et qu’elles resteront en vigueur jusqu’à ce que les Premières nations affirment leur compétence inhérente et leurs pouvoirs législatifs et pas plus longtemps29.

Candice Metallic a confirmé la position de l’Assemblée en ce qui touche au caractère provisoire de toute mesure législative :

[N]ous voulons insister sur le fait que toute nouvelle mesure législative particulière — à l’exclusion de modifications à la Loi sur les Indiens — doit être provisoire de nature; cela résulte du fait que les Premières nations affirmeront toujours avec détermination qu’elles ont, en droit, la compétence requise pour aborder, au sein de leurs collectivités et dans le périmètre de leurs territoires traditionnels, toutes les questions qui se situent à l’intérieur des limites de leurs attributions législatives. Ces prérogatives doivent être respectées30.

Les témoins ne s’entendaient toutefois pas sur la forme de cette législation provisoire : devrait-on modifier la Loi sur les Indiens ou présenter un projet de loi distinct? Bonnie Leonard, avocate en droit familial de la Colombie-Britannique, a ainsi recommandé de modifier la Loi sur les Indiens31.C’est également ce qu’a fait Ellen Gabriel, présidente de l’Association des femmes autochtones du Québec inc. :

[C]e serait probablement la façon la plus efficace de procéder pour le moment [modifier la Loi sur les Indiens].

[…]

Le sable du sablier est écoulé depuis longtemps en ce qui concerne les répercussions de cette loi sur nos collectivités et en particulier sur les femmes autochtones et leur famille. [...] [J]e pense qu’il faudrait commencer par des révisions à la Loi sur les Indiens, à moins que vous ne puissiez nous proposer demain une autre loi qui remplacerait celle-là. [...] [I]l faut par conséquent que nous utilisions les outils qui sont actuellement à notre disposition32.

Par contre, la chef Tina Leveque a déclaré sans équivoque que la modification de la Loi sur les Indiens ne constituait pas la solution :

Le message des chefs du Canada est unanime: ils ne veulent pas que l’on continue de rafistoler la Loi sur les Indiens. La loi est une des sources de ce problème et en fait la source de nombreux autres problèmes auxquels nous sommes confrontés à l’heure actuelle. On n’arrivera pas à les résoudre en apportant à la hâte quelques modifications à une loi colonialiste aussi mal conçue et désuète que la Loi sur les Indiens33.

Le professeur Kent McNeil a expliqué au Comité pourquoi certains pourraient s’opposer à la modification de la Loi sur les Indiens :

[O]n aurait tort d’interpréter l’opposition des Premières nations aux travaux parlementaires visant à régler ce problème en pensant que les Premières nations ou les particuliers qui s’y opposent s’opposent nécessairement au partage équitable des biens matrimoniaux. Je crois que la question est beaucoup plus complexe que ça. C’est vraiment une question d’autonomie gouvernementale. La Loi sur les Indiens proprement dite, selon moi, est considérée comme une mesure législative coloniale qui est en place depuis près de 130 ans. Cependant, il est très difficile de savoir comment on doit composer avec cet élément parce qu’il s'est ancré, il fait partie du système, et les gens vivent avec. Cependant, toute modification qui y est apportée est considérée comme une marque de colonialisme et une ingérence dans le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des Premières nations34.

En ce qui touche le choix à faire entre la modification de la Loi sur les Indiens et la rédaction d’un projet de loi prévoyant que les lois provinciales/territoriales sur les biens matrimoniaux s’appliquent aux biens immobiliers dans les réserves, Jim Aldridge, avocat général du gouvernement Nisga’a Lisims, a expliqué pourquoi les Nisga’a ont choisi la dernière approche :

[L]es Nisga’a ne devront pas concevoir un régime de biens immobiliers matrimoniaux de toute pièce, comme c’est le cas des bandes régies par la Loi sur la gestion des terres des premières nations. [L]es relations entre leur peuple et le reste de la population de la province seront plus harmonieuses car les conflits juridiques complexes seront évités35.

Plusieurs témoins ont formulé des recommandations concernant la mécanique de la législation provisoire. Ainsi, le professeur Larry Chartrand a proposé que la loi prévoie un mécanisme de retrait :

On pourrait mettre au point un code de biens matrimoniaux [...] on présumerait que ce code s’appliquerait à toutes les bandes, à moins qu’elles n’aient établi leur propre régime de biens matrimoniaux, auquel cas elles seraient dispensées de se conformer aux dispositions du code. Ensuite, les autres bandes pourraient abandonner le code une fois qu’elles auraient établi leur propre système.

C’est un peu l’inverse de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, selon laquelle les bandes doivent choisir de participer à un nouveau régime. Dans le cas qui nous occupe, le régime serait imposé, et les bandes pourraient ensuite se retirer ou, si elles disposent déjà d’un système, en être exemptées36.

La plupart des témoins ont toutefois proposé l’inverse, soulignant que la loi ne devrait s’appliquer que si une Première nation n’avait pas élaboré un code sur les biens matrimoniaux dans un délai précis. Danalyn MacKinnon a fait observer que l’imposition de mesures législatives ne serait pas aussi efficace que d’autres moyens. Elle a plutôt proposé ceci :

[La bande] a deux ans pour établir un code et si elle ne l’a pas fait dans ce délai, la loi sera imposée. Ce délai donne un répit aux bandes qui ont des méthodes traditionnelles pour régler ce type de problème.

Il serait insensé d’imposer des dispositions législatives modifiant cette tradition mais c’est bien beau d’accorder un certain délai, de deux ans en l’occurrence, aux collectivités traditionnelles pour mettre leurs règles par écrit [...] en permettant aux Premières nations d’élaborer leurs propres lois, on fait preuve de respect à leur égard et on leur permet de tenter de régler diverses situations37.

Il ne semblait pas se dégager de consensus entre les témoins quant au délai qui devrait être accordé à une Première nation pour établir ses propres lois avant que la législation fédérale ne s’applique à ses réserves. Danalyn MacKinnon a ainsi indiqué que la loi devrait être imposée si une Première nation n’a pas adopté une loi ou un code sur les biens matrimoniaux dans un délai de deux ans38. D’autres estimaient qu’une période plus longue était nécessaire. Ainsi, le chef Robert Louie a signalé que le délai d’un an durant lequel les Premières nations devaient en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations établir un code sur les biens immobiliers matrimoniaux s’était révélé irréaliste :

Les consultations communautaires durent essentiellement beaucoup plus longtemps qu’on ne s’y attendait. Le droit de la famille est complexe en ce qui concerne les biens et les décisions que prennent maintenant les collectivités auront une incidence sur les droits des membres pendant des années. C’est une question complexe et elle aura une incidence directe sur la vie des membres des collectivités.

[…]

Il est essentiel d’avoir du temps pour déterminer la politique que la collectivité suivra, que le Conseil aidera probablement à orienter. Il faut du temps pour rédiger des textes de loi. Il faut du temps pour tenir des consultations. Ce qui est peut-être encore plus important, c’est le délai imposé à la collectivité, compte tenu de la complexité des enjeux. En outre, il faut du temps pour promulguer la loi39.

Il a mentionné qu’un délai de trois ans pourrait être plus approprié. Joe Miskokomon, de la Commission du renouvellement de l’Assemblée des Premières Nations, a proposé trois ans avec une prolongation supplémentaire de deux ans pour permettre aux Premières nations d’élaborer un système de gestion foncière pour les biens immobiliers matrimoniaux40.

Les témoins ont traité de plusieurs sujets qui pourraient être inclus dans la loi. Ainsi, la chef Tina Leveque a déclaré ce qui suit :

Il est [...] impératif que toute législation ou réglementation potentielle soit le résultat des efforts conjoints des Premières nations et de l’État, dès le début du processus, et contienne certaines dispositions fondamentales. Par exemple, la législation doit être habilitante et non normative. Il est essentiel qu’elle reconnaisse les règles et les dispositions législatives qui ont été élaborées par les Premières nations, comme la Première nation de Sucker Creek. Il est indispensable qu’elle soit conforme aux lois des Premières nations concernant les biens matrimoniaux. Les dispositions législatives provisoires devraient en outre contenir une disposition d’extinction, afin d’assurer leur caractère temporaire, et des dispositions non dérogatoires, afin de protéger la compétence inhérente des Premières nations en cette matière41.

Danalyn MacKinnon a convenu que la loi ne devrait pas être normative :

Dans certaines collectivités, les femmes ont un statut très élevé et ne connaissent pas toutes ces difficultés. Par conséquent, il ne serait pas juste de dire qu’il faut imposer des dispositions législatives dans ces collectivités. Les collectivités ont en quelque sorte élaboré des méthodes personnelles qui leur semblent satisfaisantes42.

Le Comité a appris que l’Association des femmes autochtones du Canada était en train de préparer une législation provisoire qu’elle espère utiliser pour mener des consultations pancanadiennes auprès des diverses communautés des Premières nations. Mary Eberts, conseillère juridique de l’Association, a d’ailleurs décrit certains des éléments de la loi proposée lorsqu’elle a comparu devant le Comité :

Tout d’abord, la permission que les bandes indiennes aient leurs propres codes fonciers, dans ce cas les dispositions de la Loi sur les Indiens ne s'appliqueraient pas. Il est essentiel de reconnaître la souveraineté et l’autonomie gouvernementale des bandes indiennes en leur permettant d’adopter leurs propres codes fonciers, que ce soit ou non en vertu de la Loi sur la gestion des terres.

En feraient partie le droit familial, les codes fonciers relatifs au foyer conjugal établis par une bande qui se serait donné la peine de le faire. Dans le cas où une bande ne l'aurait pas fait, la mesure législative proposée par l’Association des femmes autochtones du Canada prévoit des ordonnances d’exclusion en cas de violence familiale, des ordonnances de mise en possession à la demande de l’un ou l’autre conjoint, ou une ordonnance de transfert ou de vente à la demande de l’un ou l’autre conjoint.

À notre humble avis, ces quatre éléments constituent l’essentiel de toute solution législative à ce problème. C’est l'occasion pour les gouvernements de bandes indiennes d’agir, d’avoir leurs propres régimes de biens matrimoniaux et les ordonnances d’exclusion, de mise en possession, de transfert ou de vente qui seraient disponibles en vertu de la Loi sur les Indiens si ces gouvernements de bandes indiennes n’avaient pas fait cela43.

Selon Mme Eberts, la loi devrait également : reconnaître le droit de chaque conjoint d’occuper le foyer conjugal durant la relation maritale, indépendamment de la personne qui détient le certificat de possession établissant la possession légale44; donner aux conjoints la possibilité de conclure des ententes sur leur terre et leur foyer conjugal; reconnaître les conjoints de fait; et être compatible avec la loi fédérale reconnaissant les partenaires conjugaux de même sexe.

Ellen Gabriel a recommandé des modifications à la Loi sur les Indiens de manière à :

 établir un régime matrimonial prévoyant que tous les biens acquis pendant le mariage sont la propriété commune des deux époux; 
 assurer l'égalité entre les hommes et les femmes quant aux biens matrimoniaux, et à garantir l'équité du partage des biens en cas de rupture; 
 prévoir le partage des biens pour les conjoints de fait en cas de rupture;  
 permettre au parent qui aurait la garde des enfants, en cas de rupture, de pouvoir continuer d'habiter la résidence familiale45. 

Un autre élément que les témoins ont proposé d’inclure dans la loi provisoire est que les Premières nations devraient respecter des normes minimales concernant l’élaboration de leurs lois ou codes sur les biens immobiliers matrimoniaux. Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a recommandé que ces lois ou codes fonciers des Premières nations visant les biens immobiliers matrimoniaux respectent les normes des lois provinciales pour être jugés valides. Danalyn MacKinnon a recommandé pour sa part d’appliquer les principes d’égalité. Le professeur Larry Chartrand a plutôt recommandé que les codes des Premières nations relatifs aux droits immobiliers matrimoniaux respectent les normes internationales sur les droits de la personne. À son avis, il pourrait être préférable d’utiliser ces normes internationales plutôt que les normes provinciales pour respecter les pouvoirs d’autonomie gouvernementale des Premières nations :

Lorsqu’un gouvernement autochtone exerce sa compétence légitime, on viole quand même le principe d’autonomie gouvernementale lorsqu’on impose une condition, quelle qu’elle soit. Cependant, l’ingérence dans les pouvoirs de la Première nation de s’autogouverner peut être justifiée — et j’utilise le terme « justifiée  » dans son sens moral le plus large — lorsque le Canada a l’obligation internationale de s’assurer que certains droits de la personne minimaux sont respectés, mais seulement jusqu’à ce que les Premières nations deviennent responsables, de façon indépendante, de veiller au respect des normes internationales en matière de droits de la personne46.

Enfin, la chef Tina Leveque a reconnu qu’il ne serait pas facile de trouver une solution :

Il y aura toujours des chocs; ceux-ci sont inévitables. C'est la nature humaine qui veut cela — un groupe s'oppose à un autre groupe: l’un dit oui alors que l’autre dit non. Cependant, l’être humain est un être doté de la raison. Je sais par conséquent que certains défis se poseront et qu’il y aura peut-être de l’opposition, mais je persiste à croire que nous pouvons surmonter toutes ces difficultés grâce à la raison. C’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui. Les Indiens ont réalisé de nombreux progrès sur bien des plans et je considère que cette question-ci n’est pas différente des autres. Nous réaliserons des progrès. Malgré les obstacles et les défis qui se posent, nous pouvons atteindre notre objectif. J’en suis vraiment convaincue.

Des témoins ont bien souligné au Comité qu’il faudrait surmonter certains obstacles pour mettre en œuvre efficacement la loi provisoire dans les réserves. L’un de ces principaux obstacles serait l’application de la loi dans les réserves47. Comme Margaret Buist l’a expliqué, l’expérience passée avec les règlements administratifs montre qu’il pourrait être difficile d’appliquer un code sur les biens immobiliers matrimoniaux ou une loi provinciale/territoriale sur les biens matrimoniaux dans les réserves :

Ils [les dirigeants des Premières nations] se sont aussi montrés préoccupés à l'idée que la loi soit discréditée en raison d'un manque de mécanismes d'exécution et de poursuites […]

Il faut également souligner qu'il est coûteux pour les services de police de veiller à l'application des lois des bandes48.

ii.         Abroger ou modifier l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Durant les audiences du Comité, plusieurs témoins ont soulevé la question de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Margaret Buist a expliqué comment cet article interdit à une personne vivant dans une réserve d’alléguer qu’une décision d’un conseil de bande prise en vertu de la Loi sur les Indiens est discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La suppression de l’article 67 «  ouvrirait la porte à l’égalité pour chacun, dans les réserves49  ». La chef Tina Leveque a reconnu que l’abrogation de l’article 67 pourrait se révéler une bonne idée :

L’abrogation [de l’article 67 de la [Loi canadienne sur les droits de la personne] exposerait la Loi sur les Indiens à ces protections et fournirait des mécanismes pour garantir l’égalité et l’équité. On éviterait ainsi de rafistoler une loi qui est de toute façon vouée à l’extinction, à mesure que les Premières nations accèdent vraiment à l’autodétermination50.

Beverley Jacobs a elle aussi reconnu que les discussions relatives à l’abrogation de l’article 67 sont pertinentes parce que ce geste fournirait aux femmes des recours51.

B.        OPTIONS NON LÉGISLATIVES

Plusieurs options non législatives ont également été présentées par les témoins. Deux d’entre eux ont souligné qu’il est important que les personnes vivant dans les réserves puissent compter sur un établissement de crédit disposant des fonds nécessaires pour leur permettre de verser une indemnisation lors de la rupture d’une relation. Ainsi, Bonnie Leonard a proposé ce qui suit :

[U]n projet pilote selon lequel on créerait un établissement de crédit que l’on investirait du mandat spécifique de fournir des fonds aux personnes qui ont obtenu une ordonnance d’indemnisation. J’imagine un organisme semblable à la First Nations Agricultural Lending Association, où le gouvernement fournit les fonds de démarrage, le prêt. Les fonds seraient administrés par un groupe, et ils seraient réservés à l’indemnisation des femmes ou des hommes qui se trouvent dans ces situations. On pourrait établir un plan de paiement souple, et on pourrait adopter un système d’évaluation officiel.

[…]

[L]orsqu'une personne passe par le système judiciaire et que les tribunaux sont au courant de l’accessibilité de ce fonds, les tribunaux seront plus susceptibles d'émettre des ordonnances d’indemnisation, et ils pourraient effectuer leurs évaluations en se fondant sur les éléments probants. On procéderait au cas par cas. Et, une fois qu’une personne aurait obtenu l’ordonnance d’indemnisation de la cour, elle pourrait présenter à l’établissement de crédit une demande de prêt pour verser à l’autre conjoint sa juste part des biens matrimoniaux52.

Joe Miskokomon a quant à lui formulé la suggestion suivante concernant l’établissement de crédit :

Industrie Canada [devrait élargir] le mandat des sociétés de financement des Autochtones [SFA] pour qu’elles puissent établir des prêts aux fins du partage des biens immobiliers matrimoniaux, la valeur foncière étant garantie par les Premières nations elles-mêmes. Il faudrait aussi donner aux SFA le pouvoir de fixer des taux d’intérêt qui correspondraient aux taux commerciaux des autres établissements de crédit. En permettant ainsi aux SFA de jouer un rôle dans la répartition équitable des biens au moment de la dissolution d’un mariage, on se donne une infrastructure et des ressources, parmi d’autres, qui permettront de s’attaquer aux problèmes des biens immobiliers matrimoniaux53.

La professeure Patricia Monture croyait pour sa part qu’il faudrait mettre l’accent non pas sur des dispositions législatives, mais plutôt sur des programmes de logement pour aider les femmes et les enfants aux prises avec divers problèmes liés au partage des biens immobiliers matrimoniaux lors de la rupture du mariage, particulièrement dans les cas de violence domestique. Elle a très bien résumé quelques préoccupations soulevées au fil des ans et au cours de notre étude concernant l’idée de mettre en vigueur une loi fédérale sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves :

Je suis donc sceptique en ce qui concerne l’accès que les femmes pourraient avoir dans la pratique à un régime juridique concernant les biens matrimoniaux mis en place par la voie législative; cela réglerait pourtant leur problème d’isolement, elles auraient accès à un conseiller juridique et, en comblant cette lacune juridique, on aiderait probablement les femmes des collectivités des Premières nations.

Je ne m’oppose pas à une telle initiative [parce que je suis] attachée aux traditions de [m]on peuple et convaincue de sa souveraineté. Ce n’est pas que je m'oppose au principe d’une loi. Je ne vois toutefois pas comment cela réglerait le problème dans la pratique

[…]

[J]e doute qu’un article supplémentaire dans la Loi sur les Indiens ou qu’un projet de loi distinct puisse mettre en œuvre le type de changement que nous souhaitons54.

La professeure Monture a expliqué de manière plus détaillée ce qui devrait être inclus dans un programme de logement pour atténuer les torts que cause ce genre de problèmes dans les réserves. Étant donné qu’il arrive souvent que les femmes quittent la réserve à la rupture de la relation, le programme de logement devrait comporter à la fois un volet dans la réserve et un volet hors réserve. Ce programme devrait offrir aux femmes des solutions à court terme de même qu’un soutien plus permanent. Enfin, et c’est un élément crucial, il faudrait reconnaître «  le défi que pose la sécurité des femmes dans les petites collectivités  ».

RECOMMANDATIONS

Le Comité reconnaît qu’un certain nombre d’options non législatives lui ont été présentées. Nous croyons que ces options non législatives pourraient régler certains des problèmes connexes qui nous ont été signalés, mais nous ne sommes pas d’avis que ces options permettraient de résoudre l’ensemble de la question aussi directement et rapidement qu’une solution législative.

Le Comité a attentivement examiné toutes les options législatives présentées par les témoins à la lumière de trois considérations fondamentales qui ont été reprises dans pratiquement tous les témoignages que nous avons entendus. La première est qu’il faut agir immédiatement étant donné le caractère urgent de la situation actuelle dans les réserves des Premières nations. Le Comité est d’accord avec les rapports canadiens et internationaux qui indiquent que les droits individuels de certains membres des Premières nations, le plus souvent des femmes et des enfants, sont violés chaque fois qu’ils sont incapables d’exercer des droits visant des biens immobiliers matrimoniaux dont ils pourraient se prévaloir à l’extérieur de la réserve. Ainsi, bien que nous reconnaissions que d’autres types d’interventions puissent être proposées si nous poursuivions l’étude de cette question, le Comité a conclu que le maintien du statu quo ne constituait pas une option acceptable. Le Comité souhaite toutefois souligner qu’il est d’avis que la revendication de droits individuels et le développement de recours pour corriger des problèmes visant les biens dans les réserves ne devraient pas affaiblir les droits collectifs propres aux membres des Premières nations.

La deuxième prémisse fondamentale qui a guidé nos travaux concerne la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des Premières nations. Pour le Comité, le respect de ce droit inhérent doit se traduire par la prise de mesures concrètes, notamment dans le domaine des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Toute mesure gouvernementale visant à régler des problèmes immédiats devrait et doit absolument tenir compte de la capacité autonome des Premières nations d’élaborer et de mettre en œuvre leurs propres solutions d’une manière qui est adaptée à leurs cultures, en attendant la mise en place de régimes d’autonomie gouvernementale plus complets.

Pour le Comité, le troisième principe directeur qui doit être respecté dans l’établissement de toute approche législative concerne la nécessité de tenir de larges consultations auprès des Premières nations et de collaborer avec elles. Tous les témoins ont répété ce besoin impérieux et ont souligné qu’il fallait absolument que les Premières nations elles-mêmes participent à part entière à l’élaboration des solutions pour que leur mise en œuvre se révèle un succès. Le Comité considère en outre que la participation des groupes de femmes des Premières nations et de leurs représentantes est absolument indispensable pour régler les vieux griefs relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Nous sommes bien conscients que ce dont il est finalement question ici, c’est de la vie et des problèmes des femmes des Premières nations et de leurs enfants. Ces femmes des Premières nations doivent donc jouer un rôle de premier plan dans la définition de solutions appropriées.

Selon le Comité, étant donné l’urgence de la situation et la nécessité de respecter le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, il faut adopter une approche à deux volets qui permettra de combiner une action immédiate et une solution à long terme.

ACTION IMMÉDIATE

Par conséquent, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 1 :

a)        Que le gouvernement, en consultant l’Association des femmes autochtones du Canada et l’Assemblée des Premières Nations dans toute la mesure du possible, et compte tenu de l’urgence de la situation, rédige immédiatement un projet de loi distinct et provisoire ou des modifications à la Loi sur les Indiens afin d’appliquer les lois provinciales/territoriales sur les biens matrimoniaux aux biens immobiliers dans les réserves.

Ce projet de loi devrait aussi :

 refléter un partenariat entre le gouvernement, l’Association des femmes autochtones du Canada et l’Assemblée des Premières Nations; 
 reconnaître la compétence inhérente des Premières nations à l’égard des biens immobiliers matrimoniaux; 
 autoriser les Premières nations à adopter leurs propres régimes des biens immobiliers matrimoniaux d’une manière habilitante plutôt que normative; 
 établir un délai pour l’élaboration par les Premières nations de leurs régimes des biens immobiliers matrimoniaux; 
 contenir une disposition de temporarisation prévoyant que la mesure législative deviendra caduque à la fin du délai prévu; 
 contenir une disposition de non-dérogation précisant que rien dans la mesure législative ne déroge ou ne porte atteinte aux droits ancestraux et issus de traités des Premières nations qui sont garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. 

Afin d’aider les Premières nations à exercer leur compétence sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, le Comité recommande en outre :

b)        Que le gouvernement s’engage à fournir aux organisations des Premières nations nationales et provinciales/territoriales reconnues les ressources humaines et financières nécessaires afin de permettre à leurs membres d’élaborer leurs propres codes des biens immobiliers matrimoniaux;

c)        Que le gouvernement fournisse une aide supplémentaire aux Premières nations qui souhaitent adopter des lois sur les biens immobiliers matrimoniaux en concevant un site Internet afin de présenter des «  modèles  » de lois sur les biens immobiliers matrimoniaux.

SOLUTION À LONG TERME

RECOMMANDATION 2 :

Reconnaissant que ce ne sont pas toutes les Premières nations qui puissent être en mesure d’élaborer leurs propres régimes des biens immobiliers matrimoniaux dans le délai prévu et qu’il faudra donc trouver une solution permanente, le Comité recommande en outre :

Que le gouvernement, après une large consultation des organisations et communautés des Premières nations, collabore avec ces organisations et communautés pour élaborer un projet de loi de fond sur les biens immobiliers matrimoniaux à l’intention des Premières nations qui n’ont pas adopté leurs propres lois en la matière dans le délai prévu par le projet de loi provisoire. Cette loi devrait cesser de s’appliquer aux Premières nations qui élaborent ultérieurement leurs propres régimes des biens immobiliers matrimoniaux.

ARTICLE 67 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

Le Comité souligne que certains ont déjà mentionné qu’il ne serait peut-être pas souhaitable d’abroger l’article 67 sans prendre d’autres mesures. Ainsi, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne permet pas de tenir spécifiquement compte de la culture et des valeurs autochtones lors de l’étude des plaintes de discrimination concernant la Loi sur les Indiens55. Le Comité est conscient que le rapport de l’an 2000 du comité indépendant chargé de procéder à la révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a recommandé à la fois l’abrogation de l’article 67 et l’inclusion d’une disposition interprétative visant à garantir qu’on tiendra compte des besoins et aspirations des communautés autochtones, et qu’on maintiendra un juste équilibre entre les droits individuels et les intérêts des communautés autochtones56.

Le Comité est d’accord avec ces témoins qui ont souligné que l’abrogation de l’article 67 offrirait une voie de recours aux femmes des Premières nations vivant dans les réserves et aux autres personnes qui ont des griefs relativement aux biens immobiliers matrimoniaux, mais souhaite rappeler que cette abrogation offrirait les mêmes recours à d’autres groupes et personnes visés par les décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous croyons que la question de l’abrogation de l’article 67 nécessiterait également des consultations auprès des organisations et communautés des Premières nations étant donné en particulier la nécessité de concevoir des mesures qui respectent à la fois les droits individuels et les intérêts collectifs.

Par conséquent, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 3 :

Que le gouvernement, après une large consultation des organisations et communautés des Premières nations, entreprenne un examen immédiat de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le but de modifier cette loi :

 pour protéger les membres des Premières nations vivant dans les réserves contre la discrimination dont ils pourraient faire l’objet en vertu de la Loi sur les Indiens; 
 pour y intégrer une disposition interprétative exigeant de maintenir un équilibre entre les droits individuels et les intérêts des communautés. 

 

CONCLUSION

Au cours de cette étude sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, le Comité s’est rendu compte qu’il n’y a pas de solution idéale permettant de répondre aux besoins de toutes les communautés des Premières nations. Selon nous, c’est à chaque communauté qu’il incombe de trouver la solution qui lui convient le mieux en exerçant son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Toutefois, comme nos recommandations le montrent, cette situation ne change rien à la responsabilité que le Comité ou le gouvernement a de s’assurer que les personnes vivant dans les réserves ne soient plus privées des recours qui sont offerts aux autres membres des Premières nations et aux autres Canadiens vivant à l’extérieur des réserves lorsqu’il y a rupture de la relation conjugale.

Le Comité estime que toutes les communautés des Premières nations parviendront un jour à résoudre les problèmes liés aux biens immobiliers matrimoniaux. Il est à espérer que les Premières nations qui ont réussi à régler cette question dans leurs communautés pourront servir de modèles à celles qui ont besoin d’aide à court terme, et que le gouvernement déploiera tous les efforts possibles pour accélérer ce processus, toujours en collaboration avec les Premières nations.

Entre-temps, le Comité, tout comme le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, la Commission royale sur les peuples autochtones et divers observateurs nationaux et internationaux, est convaincu que le gouvernement doit prendre immédiatement des mesures pour s’attaquer à cette question urgente. Comme plus d’un témoin nous l’ont affirmé, le temps presse.



1Les lois matrimoniales régissent toutefois le partage des biens personnels dans les réserves.
2[1986] 1 R.C.S. 285.
3[1986] 1 R.C.S. 306.
4Voir à l’annexe A la liste complète des rapports qui font état de la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
5Rapport de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones du Manitoba, chapitre 13 sur les femmes autochtones, http://www.ajic.mb.ca/volumel/chapter13.html. [traduction]
6Voir à l’annexe B la liste complète des recommandations du Comité sénatorial.
7Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Canada. 10/12/98, E/C.12/1/Add.31, 10 décembre 1998, par. 29, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/E.C.12.1.Add.31.Fr?OpenDocument.
8Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones, M. Rodolfo Stavenhagen, Additif, Mission au Canada, E/CN.4/2005/88/Add.3, 2 décembre 2004, par. 112, http://www.ohchr.org/english/bodies/chr/sessions/61/lisdocs.htm.
9Témoignages du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes, (ci-après appelé Témoignages), 24 mars 2005.
10Témoignages, 7 avril 2005.
11Loi sur la gestion des terres des premières nations, L.R. 1999, ch. 24, article 17.
12Témoignages, 12 avril 2005.
13Témoignages, 19 avril 2005.
14Témoignages, 5 avril 2005.
15Témoignages, 14 avril 2005.
16Témoignages, 24 mars 2005.
17Témoignages, 5 avril 2005.
18Témoignages, 7 avril 2005.
19Témoignages, 12 avril 2005.
20Ibid.
21Témoignages du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, 22 novembre 2004.
22Témoignages, 7 avril 2005.
23Témoignages, 12 avril 2005.
24Témoignages, 14 avril 2005.
25Ibid.
26Témoignages, 12 avril 2005.
27Ibid.
28L’annexe C, Questions à considérer, présente un témoignage en faveur de la création d’un registre des terres des Premières nations, ainsi que la recommandation du chef Robert Louie voulant que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien affecte plus de ressources à l’initiative sur la gestion des terres des Premières nations.
29Témoignages, 12 avril 2005.
30Ibid.
31Témoignages, 14 avril 2005.
32Témoignages, 5 mai 2005.
33Témoignages, 12 avril 2005.  Mme Leonard recommanda également d’amender la Loi sur le divorce.
34Témoignages, 14 avril 2005.
35Témoignages, 5 avril 2005.
36Témoignages, 14 avril 2005.
37Témoignages, 7 avril 2005.
38Ibid.
39Témoignages, 12 avril 2005.
40Témoignages, 3 mai 2005.
41Témoignages, 12 avril 2005.
42Témoignages, 7 avril 2005.
43Témoignages, 3 mai 2005.
44Loi sur les Indiens, paragraphe 20(2).
45Témoignages, 5 mai 2005.
46Témoignages, 14 avril 2005.
47Un autre problème d’application mentionné est que l’article 89 de la Loi sur les Indiens interdit la saisie des biens immobiliers et personnels d’un Indien dans une réserve par quiconque d’autre qu’un Indien. Cette question peut intéresser en particulier les conjoints non membres.
48Témoignages, 19 avril 2005.
49Témoignages, 5 avril 2005.
50Témoignages, 12 avril 2005.
51Ibid.
52Témoignages, 14 avril 2005.
53Témoignages, 3 mai 2005.
54Témoignages, 5 mai 2005.
55«  Exemption visant la Loi sur les Indiens — Options de réforme de la Loi canadienne sur les droits de la personne  », par Larry Chartrand, http://canada.justice.gc.ca/chra/fr/indact1.html.
56Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, La promotion de l’égalité : Une nouvelle vision, juin 2000, Ottawa, p. 185.