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JUST Rapport du Comité

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ÉTUDE DE L’OBJET DU PROJET DE LOI C-583 : LOI MODIFIANT LE CODE CRIMINEL (ENSEMBLE DES TROUBLES CAUSÉS PAR L’ALCOOLISATION FŒTALE)

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION

1.1 CONTEXTE DE L’ÉTUDE ET MANDAT DU COMITÉ

Chaque année, au Canada et ailleurs dans le monde, des enfants naissent avec des lésions cérébrales permanentes causées par une exposition prénatale à l’alcool. Ces enfants risquent d’éprouver, à divers degrés, des problèmes comportementaux et cognitifs complexes qui persisteront tout au long de leur vie – problèmes qui se compliqueront en l’absence d’un soutien adéquat, et qui pourraient donner lieu à une prise en charge par le système de justice pénale.

Le système de justice pénale est pourtant mal adapté à la fois pour repérer les personnes atteintes de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF) et intervenir auprès d’elles. Plusieurs témoins qui ont comparu devant le Comité permanent de la Justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (le Comité) ont fait valoir que la recherche sur l’ETCAF nous force à remettre en question les présomptions qui sous-tendent le cadre normatif du droit pénal, à savoir que « les gens sont responsables de leurs actions, qu’ils savent contrôler leurs comportements en fonction des attentes de la société et qu’ils apprennent de leurs expériences passées et peuvent être dissuadés par ces dernières »[1].

C’est en grande partie pour combler cette lacune et éviter des injustices que le député du Yukon, Ryan Leef, a présenté le projet de loi C-583, Loi modifiant le Code criminel (ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale) à la Chambre des communes le 5 juin 2014. Le projet de loi C-583 poursuivait trois objectifs principaux. Il cherchait premièrement à définir l’ETCAF dans le Code criminel (le Code). Deuxièmement, il cherchait à permettre aux tribunaux de demander l’évaluation d’un accusé par une personne compétente en vue de déterminer si ce dernier est atteint de l’ETCAF et, le cas échéant, d’en préciser le degré de gravité. La modification s’inspirait de l’article 34 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) qui permet au tribunal d’exiger l’évaluation d’un jeune qui souffre d’un trouble d’ordre physique ou mental, dont l’ETCAF[2]. Enfin, il établissait l’ETCAF comme une circonstance atténuante pour la détermination de la peine, dans le cas où il aurait été démontré que les symptômes de l’ETCAF avaient contribué à la perpétration de l’infraction.

Le 26 novembre 2014, M. Leef a rayé le projet de loi C-583 du Feuilleton à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes, tandis que l’objet du projet de loi a été renvoyé au Comité pour examen. La motion adoptée à la Chambre lors du débat se lit comme suit :

Que le projet de loi C-583, Loi modifiant le Code criminel (ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale), ne soit pas maintenant lu une deuxième fois, mais que l’ordre soit révoqué, le projet de loi rayé du Feuilleton et l’objet renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, et que le Comité présente son rapport à la Chambre dans les quatre mois suivant l’adoption de cet ordre.

Considérant la charge de travail du Comité, la Chambre des communes lui a accordé, le 24 mars 2015, une extension de 45 jours pour réaliser son étude.

1.2 DÉMARCHE DU COMITÉ ET STRUCTURE DU RAPPORT

Le Comité a entrepris son étude le 25 février 2015 et y a consacré au total 4 réunions au cours desquelles les points de vue 13 témoins ont été recueillis. Cela comprend le parrain du projet de loi C-583, des témoins du Aboriginal Legal Services of Toronto, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, du Fetal Alcohol Syndrome Society of Yukon, de l’Association du Barreau canadien, de l’Alberta Health Services, du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, de l’Assemblée des Premières Nations et du Groupe d’Ottawa de l’ETCAF, ainsi que de Rodney Snow et Jacqueline Pei[3].

Le présent rapport fait le point sur les connaissances accumulées par le Comité au cours de ces réunions et par l’entremise des mémoires qui lui ont été remis pendant l’étude. Le rapport se divise en cinq chapitres, dont le premier chapitre qui sert d’introduction. Le deuxième chapitre présente un survol des connaissances scientifiques relatives à l’ETCAF. On y traite notamment de la définition de l’ETCAF, des causes sous-jacentes de cette affection, des nombreuses incapacités qui y sont associées et de son incidence au Canada. Le troisième chapitre examine plus spécifiquement les répercussions de l’ETCAF sur le système de justice pénale. On y présente des données concernant la prévalence de l’ETCAF au sein du système de justice en général et de la population correctionnelle en particulier. On y présente également des informations concernant l’expérience des personnes atteintes de troubles l’alcoolisation fœtale avec le système de justice pénale, que ce soit en tant qu’accusé, victime ou témoin d’une infraction criminelle. Le cinquième chapitre discute de la réponse des tribunaux à l’ETCAF. Il porte notamment sur les dispositions du Code relatives aux troubles mentaux et sur l’impact d’un diagnostic d’ETCAF sur la détermination de la peine. Enfin, dans le dernier chapitre se trouvent les observations et recommandations du Comité en réponse aux principaux enjeux soulevés par les témoins concernant cette problématique sanitaire, sociale, judiciaire et économique complexe qu’est l’ETCAF. On y traite notamment des trois objectifs du projet de loi C-583, des activités de prévention de l’ETCAF et de la nécessité d’intensifier la recherche dans le domaine.

1.3 LE PARTAGE DES COMPÉTENCES

En janvier 2012, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique ont convenu « que la réponse du système de justice aux personnes atteintes de l’ETCAF continue de constituer une priorité ». Ils ont par ailleurs fait ressortir l’importance de la prévention et ont demandé « aux fonctionnaires FPT de continuer à travailler ensemble à examiner la meilleure façon de faire face à cette situation »[4].

Pour bien comprendre le contexte des interventions entourant l’ETCAF au Canada, il importe de bien saisir les rôles et responsabilités qui incombent aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Au Canada, la santé, la justice et les services correctionnels sont des domaines dont la compétence est partagée entre le fédéral, les provinces et les territoires.

1.3.1 Le domaine de la santé

Historiquement, la santé était perçue comme étant une affaire de nature purement privée. C’est pourquoi elle n’a pas fait l’objet d’une attribution spécifique dans la Loi constitutionnelle de 1867[5]. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral a de nombreuses responsabilités en matière de santé, mais c’est toujours aux provinces qu’il revient de fournir des soins de santé à la majorité des Canadiens.

En 1982, la Cour suprême du Canada déclarait que la santé « constitue plutôt un sujet indéterminé que les lois fédérales ou provinciales valides peuvent aborder selon la nature ou la portée du problème de santé en cause dans chaque cas »[6]. L’exercice de la compétence en matière de santé relève donc d’une multitude de sujets énumérés dans la Loi constitutionnelle de 1867.

C’est ainsi que la compétence en santé des provinces se rattache principalement aux pouvoirs d’adopter des lois relatives à « l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux » (par. 92(7)), à « toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province » (par. 92(16)) et à « la propriété et les droits civils dans la province » (par. 92(13)). Ces dispositions sont considérées comme attribuant aux provinces la responsabilité principale dans le domaine de la santé, dont les services hospitaliers ou de soins de santé, l’assurance-maladie, la formation des professionnels de la santé et la pratique médicale[7]. Dans le cas des évaluations médicales, notons que celles-ci découlent généralement de la responsabilité des provinces, sauf en ce qui concerne les populations fédérales comme les délinquants détenus dans un pénitencier.

Les secteurs de la santé où le gouvernement fédéral est le plus directement engagé proviennent généralement de trois pouvoirs constitutionnels : le pouvoir de dépenser[8], celui d’adopter des lois pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (paragraphe introductif de l’article 91) et, principalement, la compétence en matière de droit criminel (par. 91(27))[9]. Selon la Cour suprême du Canada, une loi qui relève de la compétence en droit criminel doit viser un objectif de nature publique, comme la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé ou la moralité[10].

1.3.2 Le domaine criminel

Selon la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement possède une compétence exclusive en matière de droit et de procédure criminelle (par. 91(27)), tandis que la constitution des tribunaux de juridiction criminelle et l’administration de la justice relèvent des provinces (par. 92(14)). La compétence fédérale sur le droit criminel a été interprétée de manière large par les tribunaux[11]. De plus, « la jurisprudence a reconnu que le droit criminel peut valablement agir en matière de prévention, soit en protégeant la majorité contre les individus qui présentent un risque important pour la sécurité publique et, inversement, protéger les groupes vulnérables »[12].

1.3.3 Le domaine correctionnel

La compétence en matière correctionnelle est divisée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ou territoriaux en fonction de la peine imposée par le tribunal. Les délinquants adultes qui ont reçu une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus relèvent du gouvernement fédéral, tandis que ceux qui purgent une peine d’emprisonnement de moins de deux ans relèvent des gouvernements provinciaux ou territoriaux. Les services correctionnels provinciaux et territoriaux sont aussi responsables des accusés en détention provisoire (en attente de leur procès), des délinquants condamnés à l’emprisonnement avec sursis et des jeunes contrevenants.

Le Service correctionnel du Canada est chargé de la prise en charge et de la garde des délinquants qui purgent une peine d’emprisonnement de ressort fédéral. Il est aussi responsable de la supervision de ceux qui bénéficient d’une libération sous condition et ceux visés par une ordonnance de surveillance de longue durée.

1.3.4 Le rôle du gouvernement fédéral et l’ETCAF

Comme l’indique le rapport préparé par la Direction de l’évaluation de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada :

Le gouvernement du Canada et l’Agence de la santé publique du Canada ont un rôle de premier plan à jouer relativement à l’ETCAF. La Loi sur le ministère de la Santé et la Loi sur l’Agence de la santé publique du Canada encadrent les rôles et les responsabilités de l’Agence en matière de prévention des maladies. Le ministre de la Santé a un mandat général de protection des Canadiens contre les risques pour la santé. Pour sa part, l’Agence doit diriger les efforts fédéraux et mobiliser les interventions pancanadiennes en matière de prévention des maladies et des blessures. Elle exerce ce mandat sous la direction de l’administrateur en chef de la santé publique et en collaboration avec ses partenaires[13].

D’autres ministères fédéraux, dont Justice Canada et Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, ont aussi un rôle à jouer dans le volet national du dossier de l’ETCAF. En outre, certains organismes fédéraux sont responsables des soins de santé primaires à l’égard de certaines clientèles particulières. C’est le cas notamment du Service correctionnel du Canada qui est responsable des soins de santé des détenus dans les pénitenciers ou encore de Santé Canada qui a la responsabilité d’orienter le financement des programmes et des services de lutte contre l’ETCAF pour les Premières nations et les Inuits admissibles.


[1]           Comité permanent de la Justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (JUST), 2e session, 41e législature, mémoire, 9 mars 2015 (Association du Barreau canadien).

[2]           Le paragraphe 34(1) se lit comme suit :

  • Le tribunal pour adolescents, à toute phase des poursuites, peut exiger, par ordonnance, que l’adolescent soit évalué par une personne compétente chargée de faire un rapport écrit au tribunal :
  • a) soit avec le consentement de l’adolescent et du poursuivant;
  • b) soit d’office ou à la demande de l’adolescent ou du poursuivant, lorsque soit le tribunal a des motifs raisonnables de croire que l’adolescent pourrait souffrir d’une maladie ou de troubles d’ordre physique ou mental, d’un dérèglement d’ordre psychologique, de troubles émotionnels, de troubles d’apprentissage ou de déficience mentale, soit plusieurs déclarations de culpabilité ont été prononcées contre lui dans le cadre de la présente loi ou de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985), soit une infraction grave avec violence lui est reprochée, et lorsqu’un rapport médical, psychologique ou psychiatrique concernant l’adolescent pourrait lui être utile à l’une des fins visées aux alinéas (2)a) à g) [le paragraphe 34(2) énumère les buts de l’évaluation].

[3]           La liste des témoins qui ont comparu devant le Comité figure à l’annexe A, et la liste des mémoires, à l’annexe B.

[5]           Voir André Braën, « La santé et le partage des compétences au Canada », Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada, étude No 2, juillet 2002.

[6]           Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, p.142.

[7]              André Braën, « La santé et le partage des compétences au Canada », Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada, étude No 2, juillet 2002, p.7.

[8]              Ce pouvoir n’est pas prévu expressément dans la Loi constitutionnelle de 1867. Il découle plutôt de l’interprétation d’une combinaison de pouvoirs : le pouvoir fédéral de taxation (par. 91(3)), celui de légiférer sur les biens du domaine public (par. 91(1A)) et le pouvoir d’affectation des fonds fédéraux (art. 106).

[9]              Marlisa Tiedemann, « Le rôle fédéral dans le domaine de la santé et des soins de santé », Bibliothèque du Parlement, 20 octobre 2008.

[10]           Voir les décisions de la Cour suprême du Canada: Reference: Validity of Section 5(A) of the Dairy Industry Act, [1949] S.C.R.1; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; RJR - MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1995] 3 R.C.S. 199.

[11]           Voir R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571.

[12]           Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, Éditions Yvon Blais, 19e édition, Cowansville, 2012, p.15 et 16. Les auteurs font notamment référence à la décision de la Cour suprême du Canada, Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, qui a reconnu la validité de l’ancienne version de l’article 672.54 du Code criminel portant sur le verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. La Cour s’est ainsi exprimé : « L’objectif et l’effet de la partie XX.1 [« Troubles mentaux »] représentent le point de vue selon lequel l’accusé non responsable criminellement a le droit de recevoir des soins attentifs, d’être réadapté, et de faire l’objet de tentatives valables en vue de sa participation à la société dans la plus grande mesure possible, compte tenu de sa situation véritable (…) Toute restriction de la liberté d’un accusé non responsable criminellement est infligée essentiellement à des fins de réadaptation, et non à des fins pénales » (par. 91 et 94).

[13]           Santé Canada et Agence de la santé publique du Canada, Évaluation de l’Initiative sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF) de 2008-2009 à 2012-2013, mars 2014. L’évaluation de l’Initiative conclut ceci : « L'Initiative sur l'ETCAF est largement conforme aux priorités du gouvernement du Canada et de l'Agence de la santé publique du Canada. Sans être une priorité explicite du gouvernement, l'ETCAF est reconnu comme un problème sanitaire, social, judiciaire et économique. Les objectifs de l'Initiative sont liés aux priorités récemment énoncées par le gouvernement du Canada en matière de promotion de la santé, de santé mentale et de prévention de la violence et de la criminalité ».