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FAAE Rapport du Comité

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Évaluer les risques, prévenir les détournements et accroître la transparence : renforcer les contrôles à l’exportation des armes du Canada dans un monde volatil

Introduction

Le 27 septembre 2020, l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, a adressé au gouvernement du Canada un « rapport éclair » faisant état d’une « aggravation majeure » de ce qu’on appelle le conflit dans le Haut-Karabakh. Ce territoire contesté a été la source d’affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à la suite de la dissolution de l’Union soviétique – affrontements qu’un cessez-le-feu conclu en 1994 n’a pas permis de résoudre. Dans sa description des événements récents dans ce dossier, le rapport éclair de l’ambassade mentionne qu’il était question sur les médias sociaux d’une utilisation possible de drones turcs Bayraktar TB2 par l’Azerbaïdjan[1]. Le 29 septembre 2020, il était rapporté par la presse que les drones (véhicules aériens sans pilote, ou UAV) étaient munis de systèmes d’imagerie et de ciblage canadiens – des « capteurs » fabriqués par L3Harris Wescam[2]. Ces préoccupations faisaient écho à celles exprimées en septembre 2020 dans un rapport publié par l’organisme Project Ploughshares, qui affirmait que la même technologie avait été « largement utilisée par la Turquie » dans ses récentes opérations militaires en Syrie, en Iraq et en Libye[3].

Le 5 octobre 2020, François-Philippe Champagne, alors ministre des Affaires étrangères du Canada, a émis une déclaration indiquant que, dès qu’il avait pris connaissance des allégations formulées en lien avec le Haut-Karabakh, il avait « immédiatement ordonné à Affaires mondiales Canada d’enquêter à ce sujet ». Le ministre avait indiqué que les licences d’exportation d’armes « pertinentes » à destination de la Turquie avaient été suspendues[4].

Le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (le Comité) a tenu deux réunions en octobre 2020 sur la situation dans le Haut-Karabakh, y compris une avec des représentants d’Affaires mondiales Canada. Lors de ces réunions, le Comité a cherché à mieux comprendre les origines du conflit, le processus d’approbation des licences d’exportation d’armes vers la Turquie, ainsi que la nature de ces exportations et le moment où elles ont été effectuées. Toutefois, le Comité n’a pu obtenir que peu d’information, les fonctionnaires invoquant la nécessité de respecter « le caractère confidentiel des renseignements commerciaux[5] ».

Étant donné l’importance de ces questions, le Comité a décidé d’entreprendre une étude sur le régime canadien d’octroi de licences d’exportation d’armes, en accordant une attention particulière aux licences d’exportation vers la Turquie[6]. Outre l’examen des documents qu’il avait ordonné à Affaires mondiales Canada de produire[7], le Comité a entendu les témoignages d’universitaires, d’organisations de la société civile, de représentants de l’industrie, ainsi que d’autres représentants d’Affaires mondiales Canada.

Au cours de l’étude du Comité, l’actuel ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, a rendu public un rapport résumant l’examen mené par le gouvernement du Canada des licences d’exportation d’armes vers la Turquie, qui est arrivé à la conclusion que « [d]es indices crédibles permettent de croire que des drones Bayraktar TB2, équipés de capteurs canadiens, ont été utilisés dans le conflit du Haut-Karabakh[8] ». Une telle utilisation a été jugée incompatible avec la politique étrangère du Canada et les garanties quant à l’utilisation finale fournies par le gouvernement de la Turquie. Ces conclusions, publiées le 12 avril 2021, ont conduit le ministre à annuler les licences qui avaient été suspendues à l’automne 2020[9].

Or, la question des licences d’exportation vers la Turquie avait auparavant soulevé des inquiétudes. En octobre 2019, le gouvernement du Canada a suspendu temporairement la délivrance de nouvelles licences d’exportation de marchandises et technologies d’exportation contrôlée vers la Turquie à la suite de l’incursion militaire de celle-ci dans le nord-est de la Syrie[10]. Le 16 avril 2020, un Avis aux exportateurs (no 992) a ensuite été publié pour préciser que, jusqu’à nouvel ordre, les demandes de licences d’exportation vers la Turquie seraient examinées au cas par cas selon les critères du Traité sur le commerce des armes (TCA) et que l’exportation d’articles faisant partie du groupe 2 (Matériel de guerre) de la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée (LMTEC) du Canada serait présumée refusée, à moins que des circonstances exceptionnelles justifient la délivrance d’une licence, notamment par rapport aux programmes de coopération de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Les exportateurs dont les licences ont été délivrées avant le 11 octobre 2019 ont pu poursuivre leurs exportations vers la Turquie jusqu’à la fin de leur période de validité[11].

Même si 29 licences d’exportation vers la Turquie ont désormais été annulées[12], une décision bien accueillie par de nombreux témoins, le Comité estime que d’importantes leçons sont à tirer de ce dossier. Le présent rapport donne d’abord une vue d’ensemble du régime canadien de contrôle des exportations de marchandises et de technologies militaires. Il résume ensuite les points de vue des témoins sur les principales pressions qui s’exercent sur ce système, avant d’aborder plus précisément les préoccupations exprimées au sujet de l’évaluation des risques réalisée à l’égard des licences d’exportation vers la Turquie. Après avoir énoncé ses recommandations sur ces questions, le Comité présente ses constatations sur les mesures visant à prévenir le transfert de marchandises et de technologies militaires à des utilisateurs non autorisés ou à des fins non autorisées, c’est-à-dire le détournement de ces articles.

Le régime de contrôles à l’exportation du Canada

Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée, demandes de licences et approbations

La Loi sur les licences d’exportation et d’importation[13] (LLEI) constitue le principal instrument permettant au Canada de contrôler ses exportations de marchandises et de technologies militaires. En vertu du paragraphe 3(1) de cette loi, le gouverneur en conseil – c’est-à-dire le gouverneur général agissant sur recommandation du Cabinet – peut dresser et mettre à jour une Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée (LMTEC)[14]. L’actuelle LMTEC comporte neuf « groupes » de marchandises réglementées[15], dont les suivants qui sont visés par l’objet du présent rapport : les marchandises à double usage (groupe 1)[16], le matériel de guerre (groupe 2)[17] et les marchandises contrôlées en application du Traité sur le commerce des armes (groupe 9)[18]. Les marchandises des groupes 2 et 9 sont appelées « marchandises et technologies militaires », une expression utilisée tout au long du présent rapport[19]. Les Canadiens ou les entreprises canadiennes qui souhaitent exporter de telles marchandises et technologies doivent d’abord présenter une demande de licence d’exportation[20].

Le processus d’évaluation des licences a été renforcé par le projet de Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications), qui a été présenté par le gouvernement en avril 2017, a été amendé par le Comité en mars 2018[21] et a reçu la sanction royale le 13 décembre 2018[22]. Le règlement d’application est entré en vigueur le 1er septembre 2019, ce qui a permis au Canada de devenir un État partie au Traité sur le commerce des armes (TCA) le 17 septembre 2019[23]. L’objectif du TCA, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 avril 2013, est double :

  • instituer les normes communes les plus strictes possibles aux fins de réglementer ou d’améliorer la réglementation du commerce international d’armes classiques;
  • prévenir et éliminer le commerce illicite d’armes classiques et empêcher le détournement de ces armes[24].

Le TCA compte 110 États parties[25].

La législation du Canada relative à la mise en œuvre a ajouté le nouveau paragraphe 7.3(1) à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, indiquant les critères que le ministre des Affaires étrangères doit prendre en considération pour décider s’il délivrera une licence d’exportation « à l’égard d’armes, de munitions, de matériels ou d’armements de guerre[26] ». Ces critères, qui correspondent aux critères d’évaluation du TCA, servent à évaluer si les marchandises ou les technologies mentionnées dans la demande de licence :

  • a) contribueraient à la paix et à la sécurité ou y porteraient atteinte;
  • b) pourraient servir à la commission ou à faciliter la commission :
    • 1) d’une violation grave du droit international humanitaire,
    • 2) d’une violation grave du droit international en matière de droits de la personne,
    • 3) d’un acte constituant une infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme auxquels le Canada est partie,
    • 4) d’un acte constituant une infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au crime organisé transnational auxquels le Canada est partie,
    • 5) d’actes graves de violence fondée sur le sexe ou d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants[27].

La loi canadienne de mise en œuvre a aussi ajouté à la Loi l’article 7.4, selon lequel le ministre ne peut délivrer une licence « s’il détermine, après avoir pris en compte les mesures d’atténuation disponibles, qu’il existe un risque sérieux que l’exportation ou le courtage des marchandises ou des technologies mentionnées dans la demande entraînerait une conséquence négative visée au paragraphe 7.‍3(1)[28] ».

Des représentants d’Affaires mondiales Canada ont décrit la façon dont les critères d’évaluation sont appliqués. Les articles militaires et stratégiques destinés à des endroits présentant un « faible risque » (comme des pays aux vues similaires qui participent aux mêmes régimes multilatéraux de contrôle des exportations que le Canada) sont évalués en fonction des facteurs de risque, et la licence peut être délivrée par « un agent des licences ». Lorsqu’il existe des préoccupations ou que la destination n’est pas jugée « à faible risque »[29], la demande fait l’objet de consultations avec des experts au sein d’Affaires mondiales Canada et de ses missions à l’étranger, du ministère de la Défense nationale et si cela est nécessaire « d’autres ministères et organismes gouvernementaux ». Si aucune préoccupation n’est exprimée à l’issue de ces consultations, et à la suite d’une « approbation supplémentaire de la direction », la demande de licence est soumise au ministre des Affaires étrangères « dans le cadre d’un rapport hebdomadaire afin qu’il en fasse l’examen[30] ». En revanche, si des inquiétudes sont exprimées,

la demande est envoyée à un comité interministériel composé de hauts fonctionnaires pour examen. Si le comité recommande la délivrance de la licence, la demande est envoyée au ministre pour examen et approbation finaux. S’il n’y a pas consensus ou si le comité de spécialistes recommande de refuser la licence, la demande est soumise au ministre, qui doit trancher[31].

Le ministre a aussi le pouvoir « de suspendre, de modifier ou d’annuler toute licence délivrée à la lumière de tout élément de preuve que les marchandises exportées sont utilisées ou seront utilisées d’une manière qui ne correspond pas à la politique étrangère du Canada, ni à ses intérêts en matière de défense et de sécurité[32] ».

Un système sous pression

Le Comité a été informé que l’industrie canadienne de la défense et de la sécurité emploie quelque 60 000 personnes[33], qu’elle tire plus de la moitié de ses revenus de l’exportation et que le marché canadien est trop restreint pour soutenir ce secteur[34]. Tout en soulignant l’importance de ce secteur pour l’économie et la base industrielle de défense du Canada, les représentants de l’industrie ont tous exprimé leurs préoccupations concernant la transparence, la rapidité et la prévisibilité du processus de délivrance des licences d’exportation. Il a été dit au Comité que les propres normes de service du Ministère s’appliquant à l’examen des articles du groupe 2 (Matériel de guerre) ne sont pas respectées, même à l’égard de destinations à faible risque. Selon Christyn Cianfarani, présidente-directrice générale de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité,

[n]ous estimons que ces retards et incertitudes ont coûté à nos membres des centaines de millions de dollars en contrats et occasions perdus. En outre, l’incapacité de l’industrie à dire à ses clients, qui sont généralement des États, quand ils pourront recevoir leurs produits fait du tort à la réputation du Canada à titre de partenaire fiable pour le commerce et la sécurité[35].

Outre ces longs délais de traitement, Mike Mueller, président par intérim et chef de la direction de l’Association des industries aérospatiales du Canada, a évoqué le manque de clarté des critères sur lesquels le gouvernement du Canada se fonde pour évaluer les risques. Comme il l’a souligné, les entreprises exportatrices « recherchent un cadre clair indiquant les pays à qui elles peuvent exporter ou non[36] ». Mark Agnew, vice-président, Politique et international, de la Chambre de commerce du Canada, a abondé dans le même sens, en soutenant qu’« [u]ne communication plus tôt dans le processus au sujet d’un pays d’exportation et de destination en particulier serait très utile et permettrait aux entreprises de se centrer sur les contrats les plus susceptibles d’obtenir l’appui du gouvernement ». Un tel système, selon lui, pourrait être renforcé par des lignes directrices écrites, qui aideraient les exportateurs « à évaluer les soumissions possibles. Elles pourraient non seulement comprendre comment les règles sont appliquées dans chaque pays, mais aussi comprendre comment les critères d’évaluation sont appliqués dans le cadre du processus d’évaluation, et ainsi savoir quelles sont les considérations qu’elles doivent aborder de manière proactive[37]. » M. Mueller a également indiqué que l’industrie canadienne accueillerait favorablement « un système qui offre aux entreprises plus de renseignements sur le cheminement de leur demande[38] ».

Un équilibre difficile à atteindre

Ces problèmes d’ordre « systémique[39] » décrits par l’industrie peuvent dénoter – en partie – la complexité inhérente au processus d’évaluation et d’atténuation du risque. Selon les représentants du gouvernement, il leur incombe d’établir un juste équilibre tenant compte des intérêts liés à la politique étrangère du Canada. Bruce Christie, sous-ministre adjoint délégué, Politique et négociations commerciales, d’Affaires mondiales Canada, a fait observer que les mesures de contrôle des exportations du Canada « ne visent pas à nuire de manière indue au commerce international, mais plutôt à veiller à ce que les marchandises contrôlées soient exportées de façon conforme à nos valeurs et intérêts[40] ». Toutefois, M. Christie a également mentionné que « l’introduction d’un cadre d’évaluation plus rigoureux » lors de l’adhésion du Canada au Traité sur le commerce des armes en 2019 a entraîné des retards dans le traitement des demandes de licences. Il a fait observer :

Ces retards ont été remarqués par l’industrie, qui a réclamé haut et fort un régime plus transparent, rapide et prévisible. Actuellement, nous étudions de quelle façon nous pourrions rationaliser notre processus d’évaluation tout en maintenant le degré de rigueur exigé au titre de la Loi et en demeurant fidèles aux attentes des Canadiens[41].

M. Christie a aussi reconnu qu’il « est devenu de plus en plus difficile pour nous d’équilibrer les intérêts canadiens en matière d’exportation de biens et de technologies militaires, tout en continuant d’appliquer un cadre rigoureux d’évaluation des risques à l’aide des critères énoncés dans le Traité sur le commerce des armes[42] ».

Michael Byers, professeur au Département de sciences politiques de l’Université de la Colombie-Britannique, a indiqué qu’il était d’autant plus difficile d’établir cet équilibre en raison d’un problème structurel causé par le mandat d’Affaires mondiales Canada. Il a fait remarquer que le Ministère était chargé de « ces deux tâches importantes — promouvoir les exportations d’armes et protéger les droits de la personne ainsi que la paix et la sécurité internationales ». Par conséquent, à son avis, les fonctionnaires « finissent par prendre des décisions qui ne permettent pas d’accomplir pleinement l’une ou l’autre de ces tâches, et ils ne réussissent pas, en particulier, en ce qui concerne ma principale préoccupation, à mettre en œuvre intégralement le Traité sur le commerce des armes[43] ».

Pour d’autres, l’établissement d’un juste équilibre entre ces objectifs concurrents ne constitue pas la responsabilité première du gouvernement. Peggy Mason, ancienne ambassadrice et présidente de l’Institut Rideau sur les affaires internationales, a fait ressortir que Canada n’a pas « l’obligation juridique internationale d’exporter des armes », mais plutôt « l’obligation juridique internationale d’exporter ces armes conformément aux obligations prévues dans le Traité sur le commerce des armes[44] ». Elle a aussi indiqué que ces obligations « doivent s’appliquer pleinement à tous les pays destinataires potentiels[45] ». Faisant référence à l’article 7.4 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, qui interdit au ministre de délivrer une licence lorsqu’il existe « un risque sérieux » que certaines conséquences négatives ne puissent être atténuées, Mme Mason a ensuite réitéré par écrit au Comité que

toute autre considération, telle que l’effet général de la décision de refuser une licence d’exportation sur une relation commerciale, ne présente aucune pertinence dans le cadre de l’évaluation d’un risque sérieux. S’il est établi qu’un risque sérieux existe et que les mesures d’atténuation disponibles sont insuffisantes, la licence d’exportation doit être refusée, quelles que soient les incidences commerciales[46].

Évaluer l’existence d’un risque sérieux : les licences d’exportation délivrées par le Canada à destination de la Turquie

Une conception étroite du risque

Outre les observations formulées au sujet de l’orientation et du fonctionnement général du régime canadien de contrôle des exportations de marchandises et de technologies militaires, les témoins se sont penchés sur l’évaluation du risque qui semble avoir éclairé la prise de décision dans le cas des licences d’exportation délivrées à destination de la Turquie. Comme le soulignent les paragraphes qui suivent, quelques-uns des témoignages entendus par le Comité laissent entendre qu’une plus grande attention aurait dû être accordée au plus vaste contexte dans cette région marquée par une volatilité engendrée par de nombreux conflits actifs et non résolus, où la Turquie est un acteur clé sur les plans diplomatique et militaire, notamment à la lumière de sa volonté grandissante de s’affirmer au moyen de sa politique étrangère.

Les documents fournis au Comité laissent penser que les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, lorsqu’ils ont donné des avis au ministre sur les demandes de licences d’exportation à destination de la Turquie, se sont attardés sur les relations du Canada avec ce pays, à la fois sur le plan bilatéral et dans le contexte de l’OTAN, ainsi que sur la situation en Syrie. D’ailleurs, au sujet de celle-ci, différentes conclusions ont été tirées au sujet de rôle et du comportement de la Turquie dans différentes phases du conflit en Syrie. Alors que l’incursion turque contre les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie a été vue comme une tentative de déstabilisation, ce qui a mené à la décision d’octobre 2019 de suspendre la délivrance de toute nouvelle licence d’exportation visant des articles contrôlés[47], on a jugé que l’opération militaire de la Turquie menée quelques mois plus tard à Idlib (nord-ouest de la Syrie) contre les forces soutenues par la Russie et le régime Assad était justifiée pour répondre à des préoccupations légitimes de la Turquie sur le plan de la sécurité et pour aider à endiguer une crise humanitaire.

C’est dans le mémoire aux fins d’intervention du 2 septembre 2020 que l’on mentionne pour la première fois le rôle de la Turquie dans des situations se produisant à l’extérieur de ses frontières et dans le conflit syrien[48]. Affaires mondiales Canada a noté que, étant donné que le ministre avait approuvé – comme il lui avait été recommandé de le faire – la délivrance de licences à Wescam pour exporter des produits en Turquie en mai 2020[49],

[l]a Turquie a poursuivi son engagement militaire en Syrie, en Iraq et en Libye. Elle a également adopté une position publique ferme en faveur de l’Azerbaïdjan lors des récents combats avec l’Arménie, et a adopté une approche conflictuelle sur les forages en Méditerranée orientale (avec des drones escortant les navires de forage) qui a alimenté les tensions avec l’Égypte, la France et la Grèce, ce qui pourrait accroître le risque de l’utilisation des drones dans les conflits[50].

Néanmoins, Affaires mondiales Canada a précisé au ministre Champagne que « rien n’indiquait » que la Turquie avait violé les garanties fournies au ministre concernant les conditions s’appliquant aux exportations d’armes déjà approuvées. Ces garanties avaient été données pendant l’appel du 13 avril 2020 entre le ministre Champagne et le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, lequel « a garanti que ces articles seraient utilisés et sont nécessaires pour les activités de défense de la Turquie à Idlib[51] ». Affaires mondiales Canada a aussi recommandé l’approbation d’autres demandes, dont le nombre a été caviardé[52].

À la lumière de ces informations, le professeur Michael Byers a fait observer que les fonctionnaires examinent « les circonstances dans un cadre temporel et géographique très étroit », en précisant ceci :

Une petite partie du Nord de la Syrie est le point central d’une exemption à la suspension des licences, alors que ces drones peuvent fonctionner pendant une demi-journée et parcourir des milliers de kilomètres. Un drone en mission de protection des civils dans le Nord de la Syrie pourrait ensuite être détourné par ses opérateurs pour remplir une autre mission à seulement 100 kilomètres de là, dans le Nord de l’Irak. La portée géographique et temporelle est étroite; on pense à ces drones, à leur utilisation et à ces systèmes de ciblage en fonction d’un mois, voire d’une année, sans se rendre compte que les opérateurs ou les assistants les utiliseront pendant une décennie ou plus[53].

Un partenaire de l’OTAN et un acteur unilatéral

Affaires mondiales Canada a décrit la Turquie comme « un partenaire bilatéral et stratégique important du Canada et […] un partenaire précieux de l’OTAN[54] ». D’autres témoins ont brossé un portrait plus nuancé de la situation. Concernant la posture militaire de la Turquie, Chris Kilford, qui a servi 36 ans dans les Forces armées canadiennes et a été pendant trois ans l’attaché de défense du Canada en Turquie (aussi accrédité auprès de l’Azerbaïdjan), a indiqué qu’il ne voyait « aucune autre force armée dans le monde qui soit actuellement impliquée dans autant de conflits armés, que ce soit directement ou indirectement, à part la Russie[55] ». Pour sa part, Christian Leuprecht, professeur au Département des sciences politiques du Collège militaire royal du Canada, a fait observer que la « Turquie poursuit une politique étrangère révisionniste et hégémonique qui, à certains moments, s’accorde avec nos intérêts et ceux de l’OTAN, mais à d’autres moments, c’est le contraire », ajoutant que ce pays « agit souvent de façon beaucoup plus souveraine et unilatérale que la plupart des autres pays membres de l’OTAN[56] ».

James Fergusson, professeur au Centre d’étude sur la défense et la sécurité, département des études politiques, Université du Manitoba, a indiqué que les alliés de l’OTAN et les pays de l’Union européenne entretenaient des préoccupations à l’égard de la Turquie depuis plusieurs années. Selon le professeur Fergusson :

Ce qui pose problème pour toutes les parties concernées, c’est le statut de la Turquie en tant que membre géostratégique clé de l’alliance, les effets des contrôles coordonnés des exportations de marchandises militaires et à double usage sur l’adhésion de la Turquie, et en particulier son importance par rapport aux activités de dissuasion de l’OTAN sur le flanc sud et dans la mer Noire. Il y a également des répercussions sur la paix et la stabilité en Europe du Sud et dans la mer Égée[57].

De l’avis du professeur Fergusson, le principal enjeu concernant la Turquie est « le conflit » qui existe entre les engagements juridiques des alliés de l’OTAN dans la zone (comme l’obligation d’aide mutuelle et de maintien d’une capacité collective de résistance à une attaque armée prévue à l’article 3 du traité fondateur de l’Alliance) et les intérêts nationaux hors de la zone. À cet égard, il a fait remarquer que la Turquie « a des intérêts nettement différents au Moyen-Orient, que le reste des membres de l’alliance n’appuient pas entièrement[58] ».

Libye : un signal d’avertissement passé inaperçu?

Pour l’organisme Project Ploughshares, les risques associés à l’exportation d’armes vers la Turquie auraient dû éveiller des soupçons, particulièrement à la lumière de l’implication turque en Libye. Kelsey Gallagher, chercheur, Project Ploughshares, a attiré l’attention du Comité sur le rapport de décembre 2019 du groupe d’experts des Nations Unies sur la Libye. Dans le résumé qu’il a fait de ce conflit, qui englobe des incidents échelonnés du 5 septembre 2018 au 20 octobre 2019, le groupe d’experts a constaté que « [l]es Émirats arabes unis, la Jordanie et la Turquie ont fourni régulièrement des armes, parfois de manière flagrante, sans se donner la peine d’en dissimuler la provenance[59] ». Le véhicule aérien sans pilote Bayraktar TB2 est énuméré parmi les drones de combat utilisés en Libye[60]. Le groupe d’experts a indiqué avoir adressé par écrit à la Turquie et au gouvernement d’entente nationale de la Libye « des demandes d’information concernant le transfert de drones de combat Bayraktar TB2 à la Libye en violation des dispositions du paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), qui sont restées sans suite[61] ». S’appliquant à l’embargo sur les armes à destination de la Libye, ce paragraphe exige que tous les États membres de l’ONU prennent les mesures nécessaires pour empêcher la fourniture directe ou indirecte d’armements et de matériel connexe à la Libye[62]. Faisant référence au rapport du groupe d’experts, M. Gallagher a affirmé que le drone Bayraktar TB2 « est invariablement équipé de capteurs Wescam fabriqués au Canada ». À son avis, « ces conclusions auraient dû faire ressortir clairement le risque important associé à ces exportations d’armes[63] ».

Dans le rapport que le gouvernement du Canada a publié en avril 2021 sur les licences d’exportation vers la Turquie, le rapport du groupe d’experts des Nations Unies est jugé comme « très crédible ». La Turquie et le gouvernement d’entente nationale de la Libye ont conclu un accord de coopération en matière de défense et de sécurité le 27 novembre 2019. À cet égard, le rapport du gouvernement du Canada indique ce qui suit :

Le Groupe d’experts a recensé de nombreux cas où la Turquie a fourni des drones Bayraktar TB2 au [gouvernement d’entente nationale] entre mai et décembre 2019, avant l’intervention militaire de la Turquie. Le rapport indique qu’en date du mois de novembre 2019, la Turquie avait fourni au moins 13 drones Bayraktar TB2 au [gouvernement d’entente nationale], mais probablement plus. Les évaluations de sources ouvertes suggèrent que des éléments turcs exploitaient probablement les drones pour le compte du [gouvernement d’entente nationale], compte tenu de la complexité du système. Toutefois, le rapport du Groupe d’experts ne fournit pas suffisamment de preuves pour déterminer si les drones fournis au [gouvernement d’entente nationale] pendant cette période étaient équipés de capteurs Wescam[64].

Néanmoins, il est indiqué ailleurs dans le même rapport que les « capteurs canadiens sont inscrits comme la technologie de capteurs exclusive équipant les drones de Baykar selon le catalogue [du fabricant][65] ».

Parmi les inquiétudes exprimées au Comité à propos du processus d’évaluation des risques du Canada, on a notamment fait valoir qu’il n’est pas proactif[66] et qu’il est trop axé sur la preuve directe de l’utilisation faite d’une exportation[67] plutôt que sur la « perspective[68] » qu’un risque existe. Le rapport d’avril 2021 du gouvernement du Canada indique que le ministre Champagne a été informé au début d’octobre 2020 « de rapports selon lesquels des drones Bayraktar TB2 fabriqués en Turquie – et probablement équipés également de capteurs canadiens – auraient été utilisés lors d’opérations armées dans le Haut-Karabagh et en Libye, et auraient été liés à des violations présumées du droit international humanitaire en Syrie[69] ». M. Christie a indiqué au Comité que, même si l’examen du gouvernement est arrivé à la conclusion « qu’il y avait peut-être des preuves crédibles » que des capteurs canadiens intégrés à drones turcs ont été utilisés en Libye, « avant cela, nous n’avions aucune preuve que les exportations militaires canadiennes ou les exportations de technologie étaient utilisées à des fins offensives en Libye ou en violation des critères du Traité sur le commerce des armes[70] ».

Le professeur Michael Byers estime que « [m]ême si le gouvernement n’avait pas la preuve que de l’équipement de Wescam était utilisé en Libye, la communauté des experts n’entretenait certainement aucun doute sur notre implication dans cette affaire ». À son avis, « [c]ela aurait dû suffire à empêcher la délivrance de nouvelles licences d’exportation d’armes vers la Turquie[71] ».

Un conflit que l’on croyait « gelé »

Lorsque l’on suit la dynamique d’un conflit, un incident ou un fait nouveau pouvant par la suite être compris comme l’une des étincelles ayant mené à un embrasement peut sembler, lors de cette analyse, ne pas avoir changé fondamentalement la situation. En outre, il est possible de ne pas déceler certains liens entre des incidents et des acteurs, ainsi que l’accumulation d’éléments qui peuvent alimenter encore plus le feu qui couve.

Comme l’a décrit M. Christie, du point de vue d’Affaires mondiales Canada, le conflit dans le Haut-Karabakh était resté en grande partie « en veilleuse » avant d’« éclat[er] assez rapidement » le 25 septembre 2020[72]. Selon Sandra McCardell, sous-ministre adjointe pour l’Europe, l’Arctique, le Moyen-Orient et le Maghreb à Affaires mondiales Canada, les échauffourées qui se sont produites à la frontière en juillet 2020 entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises s’inscrivaient dans un contexte « de tensions variables entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh, qui durent depuis de nombreuses années ». Elle a souligné au Comité que, malgré le caractère préoccupant de la « flambée » ayant eu lieu en juillet 2020, celle-ci « ne laissait pas présager ce qui viendrait quelques mois plus tard : un éclatement de violence très important et un conflit entre les deux pays[73] ».

D’autres témoignages ont fait ressortir la nature imprévisible du conflit dans le Haut-Karabakh, alors qu’il était notoire que la Turquie apportait un soutien croissant à l’Azerbaïdjan. Christopher Waters, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Windsor, qui étudie le Caucase du Sud depuis 1998 et s’y est aussi déjà rendu pour ses travaux, a fait observer que le conflit dans le Haut-Karabakh « n’a jamais été gelé ». Selon lui :

Il s’agissait d’un conflit latent qui a souvent dégénéré et qui, la plupart du temps, a fait de nombreuses victimes. Il s’agissait également d’un conflit dans lequel la Turquie soutenait depuis longtemps l’Azerbaïdjan. L’État turc s’est montré intransigeant quant à toute volonté réelle de rétablir les relations avec l’Arménie, et pendant ce temps, ses relations avec l’Azerbaïdjan n’ont fait que se renforcer ces dernières années pour des raisons culturelles et stratégiques. La Turquie forme des officiers des forces armées azerbaïdjanaises; elle fournit des armes à l’Azerbaïdjan et organise des exercices militaires avec ce pays[74].

Le professeur Waters a ensuite souligné que la Turquie « a vendu six fois plus d’armes à l’Azerbaïdjan pendant l’année précédant le conflit[75] ».

La complexité des facteurs de risque en jeu dans cette situation – décrite comme une « poudrière » par le professeur Waters – ressort clairement de ses réponses aux questions sur la façon dont les tendances et indicateurs mentionnés plus tôt auraient dû être interprétés. Le professeur Waters a reconnu qu’il y a eu « tellement de poussées de ce conflit au fil du temps qu’il était difficile de prévoir, selon moi, que ce conflit serait celui où l’Azerbaïdjan lancerait sa grande offensive[76] ». Toutefois, il s’est aussi dit d’avis qu’une « lecture experte du renseignement aurait révélé — y compris en raison des ventes d’armes aux Azéris et d’exercices menés en commun — qu’il y avait accumulation de forces, sous l’impulsion de la Turquie[77] ». Bessma Momani, professeure à l’Université de Waterloo, a relevé le fait que l’Azerbaïdjan avait profité de ses revenus tirés de la vente de pétrole pour faire l’acquisition de systèmes d’armes modernes au cours des 10 à 15 années ayant précédé le conflit. « Les observateurs ont pensé que l’Azerbaïdjan voulait tenter de reprendre la mainmise sur la région[78] », a-t-elle souligné.

En ce qui concerne le rôle joué par la Turquie, Pierre Jolicoeur, professeur au Département de sciences politiques du Collège militaire royal du Canada, a indiqué que, même si la Turquie est une alliée de longue date de l’Azerbaïdjan, elle lui a offert un soutien limité par le passé, y compris dans le contexte de l’instauration d’un embargo contre l’Arménie au début des années 1990. Selon le professeur Jolicoeur, la « participation plus active de la Turquie[79] » constitue un nouveau facteur dans la reprise du conflit en 2020 dans le Haut‑Karabakh.

Comme nous l’avons noté plus haut, le gouvernement du Canada compte sur l’expertise et les renseignements d’Affaires mondiales Canada et son réseau à l’étranger, ainsi que d’autres ministères, dans son évaluation des risques. Des témoins ont toutefois noté que le Canada n’a aucune présence diplomatique sur le terrain dans le Caucase du Sud. L’ambassade du Canada à Moscou, en Russie, est responsable de l’Arménie, alors que l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, est responsable de l’Azerbaïdjan. Le professeur Leuprecht a avancé que « si nous nous livrons à ce type d’exportations dans ces zones et régions à risque élevé, nous devons nous assurer d’avoir notre propre représentation sur le terrain[80] ». De l’avis du professeur Waters, « l’absence de services de renseignements locaux devrait nous rendre encore plus vigilants lorsqu’il s’agit d’évaluer des partenariats régionaux et la probabilité de ventes ou de transferts d’armes[81] ».

Certains témoignages donnent à penser que toute exportation de marchandises et de technologies militaires vers des pays liés à des régions aussi complexes du monde devrait faire l’objet d’une évaluation approfondie du risque, voire être traitée selon un processus comparable au principe de précaution. Le professeur Byers a souligné que, étant donné l’importance des enjeux dans le Caucase et au Moyen-Orient, « notre premier objectif devrait être d’éviter de jeter de l’huile sur le feu[82] ».

Toutefois, et en gardant en tête la grande complexité des différentes situations de conflits, la présence d’une représentation diplomatique canadienne sur place facilite la collecte d’informations et, donc, le fait d’avoir une idée plus précise de ce qui se passe sur le terrain. Dans le cas du conflit dans le Haut-Karabakh, le Comité note que le Canada ne disposait d’aucune représentation diplomatique dans la région et, plus particulièrement à Erevan ou à Bakou, malgré l’engagement du gouvernement à s'impliquer dans la région, et que cela a pu nuire à la qualité des informations dont il disposait pour évaluer correctement la situation sur le terrain.

Une technologie qui change la donne

Les témoignages ont laissé entrevoir les risques associés à la technologie avancée des drones. Pour la professeure Momani, les drones constituent « une technologie qui change la donne » dans la guerre moderne[83]. Comme elle l’a fait observer, les drones permettent d’accomplir efficacement la même chose qu’une force aérienne, mais « à une fraction du coût[84] ».

Alors que le gouvernement du Canada s’en remettait aux garanties fournies quant à l’utilisation à des fins défensives des systèmes de ciblage et d’acquisition d’objectifs exportés par une entreprise canadienne en vue de leur incorporation dans des drones fabriqués en Turquie, le professeur Leuprecht a fait ressortir combien il est difficile d’évaluer la technologie des drones « du fait qu’elle peut être utilisée aussi bien pour des missions de surveillance et d’aide humanitaire que dans des situations de conflit ». Selon lui, « [c]’est la raison pour laquelle il faut miser à fond sur l’évaluation stratégique[85] ».

Il ressort également des témoignages que, étant donné leur portée et leurs capacités de ciblage, les drones Bayraktar TB2 fournis par la Turquie à l’Azerbaïdjan ont eu un impact sur le conflit au sujet du Haut-Karabakh. Chris Kilford a décrit ces drones comme suit :

Les drones Bayraktar TB2 peuvent survoler un secteur pendant un maximum de 25 heures. Ils sont équipés de fonctions de surveillance, mais aussi de quatre points d’accrochage pour des armes. Il leur est ainsi possible de lancer une roquette ou un missile vers une cible qu’ils ont détectée. C’est vraiment du tout‑en‑un[86].

De l’avis du professeur Leuprecht, il incombe à l’appareil gouvernemental de poser « des questions plus difficiles à propos de l’exportation de technologies qui pourraient entraîner ce type de répercussions et qui sont contraires aux intérêts des Canadiens et de l’OTAN[87] ».

L’avis du Comité

Le régime actuel de contrôle des exportations de marchandises et de technologies militaires du Canada semble se trouver dans un entre-deux, où il est jugé trop permissif par la société civile[88] et trop lourd par l’industrie. Ces deux points de vue semblent se conjuguer dans le cas des licences d’exportation vers la Turquie, qui ont fait l’objet d’un long processus d’évaluation au sein du gouvernement, ayant débouché sur l’approbation de l’exportation de la technologie en question – les capteurs de Wescam – malgré les facteurs de risque énumérés par les témoins entendus par le Comité, comme on l’a vu plus tôt.

Différentes options ont été présentées au Comité pour renforcer le système, tout en le rendant plus transparent et efficace. Ces mesures peuvent se résumer comme suit :

  • tenir de véritables consultations et un dialogue réel sur une base régulière avec des représentants de la société civile et de l’industrie;
  • rendre plus clair et prévisible les processus d’évaluation des risques et de délivrance des licences qui pourraient aider les entreprises à ne pas se lancer dans des projets qu’elles ne pourront pas réaliser ou qui sont susceptibles de présenter des problèmes[89];
  • investir plus de ressources dans les volets diplomatique et technique afin que le gouvernement puisse mieux comprendre les pays et régions concernés par la politique sur les exportations d’armes du Canada, ainsi que les marchandises et technologies militaires qui en font l’objet;
  • formuler une directive ministérielle indiquant aux ministères fédéraux que les obligations du Canada découlant du droit international doivent constituer le facteur qui l’emporte sur toute autre considération dans la prise de décision sur l’approbation des demandes de licences[90] et que ces obligations doivent être appliquées de manière universelle et inconditionnelle[91].

Des propositions précises ont aussi été formulées pour résoudre la question des rôles multiples – et, selon certains, contradictoires – que doit remplir Affaires mondiales Canada. Comme il a été mentionné, le Ministère est chargé à la fois de faire avancer les intérêts commerciaux et diplomatiques du Canada, ainsi que d’imposer les restrictions à l’exportation de marchandises et de technologies militaires sur la base d’une évaluation du risque[92].

L’organisme Project Ploughshares souhaite que ce champ d’activité soit soumis à une surveillance parlementaire continue par « la création d’un sous-comité chargé de surveiller le respect des contrôles à l’exportation d’armes[93] ». Donnant l’exemple des notifications qui doivent être faites au parlement aux Pays-Bas[94], Jean-Christophe Boucher, professeur assistant à l’Université de Calgary, a recommandé que le Canada dresse « une liste des pays pour lesquels il est nécessaire d’avoir un palier d’autorisation supplémentaire et d’aviser le Parlement avant toute exportation d’armes ». Selon lui, une telle pratique permettrait d’accroître la transparence[95]. Comparativement aux rapports produits aux Pays-Bas, le professeur Boucher a indiqué que le rapport annuel présenté par Affaires mondiales Canada « ne permet pas vraiment de faire une analyse exhaustive de ce qui est vendu et de l’endroit où c’est vendu[96] ».

Peggy Mason recommande pour sa part « un organisme expert indépendant chargé d’administrer de manière impartiale nos exportations d’armes, dans le plein respect des lois canadiennes et internationales[97] ». Ce faisant, Mme Mason reconnaît qu’il s’agirait là de quelque chose d’« entièrement nouveau » de la part du Canada[98]. En attendant, elle préconise que des consultations soient tenues sur « la création d’un groupe consultatif indépendant d’experts », comme l’a annoncé le gouvernement du Canada en avril 2020[99], ou que l’obtention d’un avis juridique d’experts indépendants « sur le respect des obligations juridiques internationales du Canada » fasse partie intégrante du processus d’examen actuel d’Affaires mondiales Canada à l’égard des demandes de licence d’exportation[100]. Christyn Cianfarani a donné un point de vue différent, considérant l’absence dans d’autres pays de modèles d’organisme ou de groupe d’experts indépendants sur les exportations d’armes comme une indication que « les biens et services de cette nature sont des instruments de politique étrangère qui relèvent de la compétence des gouvernements mêmes ». Selon elle, « [l]e gouvernement ne peut pas transférer sa responsabilité légale d’approbation des licences à un organisme externe[101] ».

Le Comité convient de la nécessité de rendre plus transparente et prévisible la politique du Canada sur les exportations d’armes, y compris en ce qui concerne l’application des critères d’évaluation des risques qui la sous-tendent. Le Comité reconnaît l’importance de l’industrie canadienne des exportations de défense pour la base industrielle de défense et la capacité d’innovation du Canada. Néanmoins, le Comité est aussi d’avis que les exportations de nouvelles technologies militaires à destination de régions volatiles du monde devraient être envisagées, par défaut, avec prudence, sans qu’il soit nécessaire de disposer de preuves incontestables – ou accablantes – de leur mauvais usage. Autrement dit, il ne saurait être question, dans l’esprit du Comité, d’établir un équilibre entre les intérêts commerciaux et diplomatiques et l’évaluation du risque découlant des obligations juridiques contractées par le Canada. S’il convient, à juste titre, de faire avancer les intérêts commerciaux du Canada à l’étranger, lorsque ces intérêts entrent en conflit avec la probabilité qu’un risque se concrétise, la ligne de conduite dictée par l’évaluation du risque doit toutefois l’emporter.

Le Comité n’est pas disposé, pour le moment, à recommander la création d’un nouvel organisme indépendant, étant donné le temps et l’argent qu’il faudrait vraisemblablement y consacrer, le risque qu’un autre organisme soulève certaines des mêmes préoccupations exprimées dans ce rapport, ainsi que le lien fondamental qui existe entre les contrôles à l’exportation et les relations internationales du Canada. Bien que le Comité estime que les ressources consacrées à la gestion de la politique du Canada sur les exportations d’armes devraient être bonifiées par la tenue de consultations régulières avec des représentants de l’industrie et des experts indépendants, il ne perd pas de vue qu’il revient au premier chef à l’appareil gouvernemental de veiller au respect des obligations et des intérêts du Canada et d’obtenir les renseignements voulus pour prendre des décisions éclairées.

Le Comité est d’avis que, en premier lieu, il faudrait mettre en place un processus renforcé et plus transparent d’évaluation des risques, qui dispose d’un délai donné pour produire les effets escomptés et qui fait l’objet d’évaluations. Estimant que le Parlement a un rôle important et constant à jouer à cet égard, le Comité réitère au gouvernement du Canada que l’examen parlementaire de ces questions exige que le Comité ait pleinement accès à l’information dont il a besoin – lorsqu’il la demande – pour mener ses travaux, conformément aux droits et privilèges des comités parlementaires.

Recommandation 1

Que les obligations juridiques nationales et internationales du Canada représentent le facteur qui l’emporte sur toutes les autres considérations éclairant la politique du gouvernement du Canada sur les exportations d’armes, y compris l’évaluation du risque, et que ces obligations soient appliquées de manière universelle et uniforme dans toutes les décisions prises au sujet des demandes de licences.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada s’assure d’avoir accès à toute l’expertise, les connaissances et les renseignements, y compris sur le plan diplomatique, nécessaires au sujet de tous les pays, régions et marchandises, technologies, systèmes et sous-systèmes militaires concernés par les demandes de licence d’exportation à l’étude. Lorsque les renseignements, les connaissances ou l’expertise nécessaires ne sont pas disponibles, les licences d’exportation ne devraient pas être approuvées.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada tienne, sur une base régulière, des consultations constructives avec des représentants de l’industrie et de la société civile ainsi qu’avec des experts indépendants au sujet de la politique du Canada sur les exportations d’armes.

Recommandation 4

Que, dans tous les cas où la société civile et des experts indépendants ont soulevé des préoccupations crédibles au sujet de la mauvaise utilisation de la technologie canadienne dans le cadre du régime de contrôles à l’exportation d’armes, le gouvernement du Canada prenne des mesures immédiates en vue d’approfondir ces préoccupations et de faire enquête. Si une enquête devait révéler l’existence d’un risque sérieux qu’une telle licence d’exportation ne soit pas conforme aux obligations canadiennes et internationales, que, comme dans le cas qui nous intéresse, la licence soit suspendue ou annulée, ou les deux.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada mette en place un système permettant aux entreprises qui demandent une licence en vue d’exporter des marchandises et des technologies militaires de connaître l’état de leur demande.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada étudie le moyen le plus efficace d’indiquer clairement les destinations et les marchandises et technologies militaires qui sont normalement considérées comme présentant un faible risque, ainsi que celles habituellement considérées comme présentant un risque élevé et pour lesquelles un long processus d’examen par le gouvernement ou une forte probabilité de refus de la licence serait donc à prévoir.

Détournement

Comme ce fut le cas au sujet de l’évaluation du risque, le Comité a entendu différents points de vue sur la question du détournement, lequel n’est pas défini dans le Traité sur le commerce des armes – mais ce dernier appelle les États parties à le prévenir[102]. Selon Affaires mondiales Canada, la Loi sur les licences d’exportation et d’importation « a pour but de réglementer le mouvement des marchandises et des technologies contrôlées à partir du Canada ». Le Ministère a indiqué qu’il « n’a pas le pouvoir juridique de contrôler les réexportations de marchandises et de technologies stratégiques de fabrication canadienne entre deux pays étrangers », mais qu’il a « le pouvoir de demander au destinataire de l’exportation certaines garanties, notamment que la marchandise ou la technologie contrôlée ne sera pas "réexportée" vers un autre pays »[103].

Le Canada a imposé aux demandeurs de licences des exigences concernant des garanties quant à l’utilisation finale des marchandises exportées, et ce, dans sa politique[104] et par règlement[105]. La Loi sur les licences d’exportation et d’importation interdit le détournement de tout article visé par la Liste des pays visés et la Liste des pays désignés (armes automatiques) du Canada[106], le transfert de licences à des personnes non autorisées[107], de même que le fait de fournir sciemment des renseignements faux ou trompeurs ou de faire sciemment une déclaration erronée dans une demande visant l’obtention d’une licence[108]. Toutefois, le risque de détournement au sens large de la part des utilisateurs finaux n’est pas mentionné explicitement dans les critères prévus dans la Loi pour évaluer le risque présenté par des demandes de licence[109].

Portée et conséquences du détournement des exportations dans le cas des licences délivrées à destination de la Turquie

Certains témoins ont fait valoir que le rapport de 2019 du groupe d’experts des Nations Unies sur la Libye aurait dû servir de signal d’avertissement quant au risque de détournement de marchandises visées par des licences d’exportation vers la Turquie. Kelsey Gallagher a indiqué que, après avoir constaté le « comportement effronté de la Turquie en Libye, Affaires mondiales Canada n’aurait pas dû être surpris d’apprendre que les mêmes armes canadiennes alimenteraient la guerre dans le [Haut]-Karabakh ». Pour lui, la « fourniture par la Turquie de capteurs Wescam à ses alliés » constitue « un exemple classique de détournement, soit le transfert illicite de systèmes d’armes à des utilisateurs non autorisés[110] ».

Dans les documents fournis au Comité, des représentants d’Affaires mondiales Canada ont confirmé « qu’aucune des licences délivrées à Wescam pour des articles destinés à la Turquie entre 1er janvier 2016 et le 27 septembre 2020 n’indique une utilisation finale en Libye, en Azerbaïdjan ou en Arménie[111] ». Bruce Christie a dit au Comité que, en plus des garanties relatives à l’utilisateur final et à l’utilisation finale jointes aux demandes de licences, les fonctionnaires ont entretenu un dialogue avec leurs « homologues turcs afin de confirmer que les caméras ou les capteurs canadiens exportés vers la Turquie allaient être utilisés à des fins défensives et humanitaires, mais non pour participer au conflit dans le Haut-Karabakh[112] ». La Turquie n’a pas fourni d’information ayant contribué à parvenir à cette détermination[113].

Le rapport du gouvernement du Canada publié en avril 2021 sur les licences d’exportation vers la Turquie indique que le « Ministère n’est pas en mesure de confirmer que les marchandises et les technologies militaires canadiennes exportées vers la Turquie ont été détournées », mais que « les actions prises par le gouvernement turc pourraient être interprétées comme étant incompatibles avec les garanties d’utilisation finale fournies au gouvernement du Canada en mars 2020 ». Le rapport précise que ces garanties d’utilisation finale sont les lettres du vice-président de la Direction des industries turques de la défense, qui donnaient l’assurance que « les capteurs de Wescam “ne sont pas détournés, réexportés ou transférés à destination d’un tiers pour quelque raison que ce soit”[114] ».

En ce qui concerne la société turque Baykar, le rapport du gouvernement du Canada conclut que « d’après les renseignements dont dispose le Ministère, Baykar n’a violé aucune de ses garanties d’utilisation finale[115] ». Cette conclusion repose sur deux facteurs : l’entreprise était le « destinataire[116] » officiel des capteurs de Wescam qu’elle a intégrés dans un produit fini (les véhicules aériens sans pilote TB2) destiné à être utilisé par d’autres clients. Le rapport donne à entendre que la responsabilité directe de la livraison des TB2 aux forces armées azerbaïdjanaises revient aux forces armées turques et non au destinataire, à savoir la société Baykar. Le rapport indique que la société Baykar ne peut être tenue « responsable des actions du gouvernement turc dans le Haut-Karabagh, en Syrie, en Libye ou ailleurs ». On y fait observer que Baykar n’a pas détourné de capteurs Wescam, tels qu’ils ont été importés, vers une destination ou un utilisateur final non autorisés; la société a plutôt intégré les capteurs dans ses véhicules aériens sans pilote TB2, « précisément comme l’avait indiqué Baykar ». Selon le Ministère, après cette transformation, le TB2 est considéré comme « un nouveau bien[117] ». De plus, Affaires mondiales Canada affirme que, du fait que le Canada n’exporte pas de véhicules aériens sans pilote complets vers la Turquie, « l’exportation continue de capteurs canadiens pour utilisation sur des drones n’est pas incompatible avec l’article 11 du TCA » (visant à empêcher le détournement)[118].

Selon Kelsey Gallagher, l’explication du Ministère

peut assurément être considéré[e] comme une échappatoire. On le voit aussi pour d’autres produits canadiens, notamment les moteurs de Pratt & Whitney Canada. L’utilisateur final est considéré comme étant l’entreprise qui l’installe dans un avion; ainsi, l’utilisateur final serait considéré être la Suisse, qui a un bilan exemplaire en matière de droits de la personne. L’avion est ensuite vendu à un auteur de violations des droits de la personne en série[119].

De l’avis de M. Gallagher, « c’est assurément quelque chose qui devrait être corrigé[120] ».

Pour le professeur Byers, les conclusions auxquelles le gouvernement est parvenu au sujet du détournement dans ce cas précis constituent un exemple où la loi est interprétée « de façon très étroite » :

[I]ls disent qu’il n’y a pas de détournement lorsqu’il s’agit des systèmes de ciblage de Wescam pour les drones, car ils considèrent le système de ciblage comme un simple élément et non comme le système d’armes en tant que tel. C’est une interprétation très étroite alors qu’en fait, le système de ciblage constitue les yeux de la machine. C’est l’élément central qui rend ces drones opérationnels et efficaces, mais ils essaient de vous dire que, non, il ne s’agit pas du système d’armes. Il ne s’agit que d’une partie, comme un gadget sur une machine[121].

Sauf en ce qui concerne les licences annulées en avril 2021, Affaires mondiales Canada a conclu qu’il n’existait pas de « risque sérieux » que les exportations de marchandises et technologies militaires canadiennes vers la Turquie enfreignent les dispositions du Traité sur le commerce des armes qui ont été intégrées dans la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Comme l’indique le rapport :

Malgré les risques associés à certains aspects de la politique étrangère énergique de la Turquie, et aux préoccupations que ces risques soulèvent, le processus d’évaluation et de prise de décisions pour les demandes de licence en attente et futures du Groupe 2 dans le cas de la Turquie devrait se poursuivre au cas par cas, comme l’indique l’Avis aux exportateurs d’avril 2020[122].

L’annonce par le ministre Garneau de sa décision d’annuler les licences concernées vers la Turquie indique aussi qu’un dialogue sera lancé afin « d’établir une confiance mutuelle et une plus grande collaboration en ce qui a trait aux licences d’exportation, et de veiller à ce qu’on ait une régularisation des garanties d’utilisation finale avant d’octroyer toute nouvelle licence portant sur des biens et technologies militaires (groupe 2)[123] ».

Vérification après l’expédition

Kelsey Gallagher a indiqué au Comité que le régime de contrôles à l’exportation du Canada pourrait être renforcé par l’ajout d’un processus de vérification après l’expédition, citant l’Allemagne et la Suisse comme modelés possibles[124].

Un document de référence fourni au Comité par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) présente plusieurs processus de vérification après l’expédition en vigueur dans différents pays, dont les États-Unis et la Suisse. La plupart des directives élaborées un peu partout dans le monde, indique le SIPRI, « insistent sur le fait que les inspections sur place doivent être acceptées à la fois par l’État exportateur et l’État importateur ou l’utilisateur final, et précisent qu’elles doivent être utilisées pour éclairer les futures décisions en matière d’octroi de licence d’exportation[125] ». Le document du SIPRI souligne aussi que seuls quelques pays exportateurs « ont élaboré et mis en œuvre des mesures complètes suivant l’expédition qui incluent la possibilité d’effectuer des inspections sur place » et attribue l’adoption limitée d’un tel processus d’inspection à « des questions liées à la souveraineté nationale, à la juridiction et à la confiance entre exportateurs et importateurs[126] ».

S’agissant du rôle que l’industrie pourrait jouer dans un processus de vérification après l’expédition, Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie à l’Université Laval, a fait valoir au Comité qu’il serait « vraiment compliqué » pour une entreprise d’intervenir à l’extérieur de sa propre organisation, et d’autant plus lorsque le produit se trouve entre « les mains d’organismes gouvernementaux ». Il a fait observer que les contrats de service après-vente constituent un moyen d’instaurer une certaine supervision de l’utilisation finale faite après l’expédition des produits[127].

L’avis du Comité

De l’avis du Comité, les événements qui se sont produits à la suite de l’exportation de capteurs canadiens destinés à être utilisés dans des drones turcs dénotent un besoin d’améliorer la façon dont le Canada conçoit et gère les garanties relatives à l’utilisation finale. Pour tirer sa conclusion, le Comité se fonde sur sa compréhension que le Canada ne voulait pas – et en fait n’aurait pas autorisé – que les capteurs en question se retrouvent sur les champs de bataille en Libye et dans le Haut-Karabakh.

Le Comité est aussi d’avis que, en dépit de la complexité et des points sensibles en jeu[128], une forme quelconque de vérification après l’expédition pourrait accroître la confiance du public à l’égard du régime de contrôle des exportations d’armes du Canada, particulièrement dans les cas où l’orientation de la politique étrangère du pays destinataire ou son bilan au chapitre des droits de la personne suscite des inquiétudes. Cela est d’autant plus vrai si le Canada entend demeurer un important exportateur de marchandises et technologies militaires, y compris vers des destinations autres que ses plus proches alliés. Le Canada, lors du processus d’élaboration d’un tel mécanisme de vérification, pourrait s’inspirer de l’Allemagne, des États-Unis et de la Suisse, ainsi que du document de référence fourni au Comité par le Stockholm International Peace Research Institute. Un tel système de vérification pourrait aussi s’avérer une précieuse source d’information à l’appui du processus continu d’évaluation des risques du gouvernement, en permettant à ce dernier de se montrer plus proactif.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada examine les moyens d’inclure des mesures de contrôle plus rigoureuses des garanties d’utilisation finale figurant dans les documents fournis à l’appui de l’exportation de composants et sous-systèmes expédiés à partir du Canada en vue d’être ensuite intégrés dans des systèmes et produits militaires finis, dans le but de prévenir leur transfert vers toute destination présentant un risque élevé sans l’autorisation du Canada.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada explore les options possibles pour mettre en place un système efficace et réalisable de vérifications après l’expédition qui pourrait s’appliquer aux marchandises et technologies militaires exportées vers des destinations autres que celles jugées à faible risque. Le degré de priorité accordé pourrait être fonction du volume et du type de marchandises et technologies militaires exportées vers de telles destinations, ainsi que de toute préoccupation signalée quant à la possibilité d’un détournement.


[1]              Courriel d’Andrea Schoenauer, mission d’Ankara, 27 septembre 2020, 12 h 25, dans Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement – documents soumis, p. 501. Ce rapport mentionne des mémoires, notes d’information et courriels, entre autres, reçus par Affaires mondiales Canada (AMC) et le Bureau du Conseil privé (BCP). Ces documents sont accessibles en anglais et en français sur le site Web du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (FAAE) de la Chambre des communes. Il convient de noter que l’analyse présentée dans ce rapport ne tient compte que des documents reçus en date du 7 avril 2021; d’autres documents ont été reçus le 16 juin 2021.

[2]              Steven Chase, « Ottawa probing allegations Canadian tech used in Azerbaijan-Armenia conflict », The Globe and Mail, 29 septembre 2020.

[3]              Kelsey Gallagher, Killer Optics: Exports of WESCAM Sensors to Turkey—A Litmus Test of Canada’s Compliance with the Arms Trade Treaty, Project Ploughshares, septembre 2020, p. 7.

[4]              AMC, Déclaration du ministre Champagne sur la suspension des licences d’exportation vers la Turquie, déclaration, 5 octobre 2020.

[5]              FAAE, Témoignages, 22 octobre 2020 (Shalini Anand, directrice générale intérimaire, Contrôles à l’exportation, Affaires mondiales Canada).

[6]              FAAE, Témoignages, 29 octobre 2020.

[7]              FAAE, Procès-verbal, 11 mars 2021; et FAAE, Procès-verbal, 13 avril 2021. Le Comité s’est réservé « le droit d’avoir accès sans entrave aux documents non expurgés demandés aux fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, conformément à la motion [adoptée le 29 octobre 2020] ».

[8]              AMC, Déclaration du ministre Garneau pour annoncer l’annulation de licences d’exportation vers la Turquie, déclaration, 12 avril 2021. La technologie en question est un système de caméra et d’acquisition d’objectif – communément appelé « capteur » – produit par L3 Harris WESCAM à Burlington, en Ontario. L3Harris WESCAM est une filiale d’une entreprise américaine du secteur de la défense, L3Harris Technologies.

[10]            La suspension d’octobre 2019 « n’a pas eu d’incidence sur les licences d’exportation valides, et les entreprises canadiennes détenant de telles licences ont pu continuer d’exporter vers la Turquie ». Voir Gouvernement du Canada, Rapport final : examen des licences d’exportation vers la Turquie.

[12]            Voir AMC, réponses écrites aux questions, reçue le 2 juin 2021.

[13]            Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19.

[15]            La Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée applique également des contrôles liés à la non‑prolifération des technologies nucléaires (groupes 3 et 4) et des armes chimiques et biologiques (groupe 7), ainsi qu’a l’exportation de marchandises et de technologies diverses (groupe 5) et de la technologie des missiles (groupe 6). Le groupe 8 a été supprimé en 2006, et la pratique juridique courante veut que l’on évite de réutiliser des numéros; c’est ce qui explique pourquoi les marchandises contrôlées en vertu du TCA sont dans le groupe 9 plutôt que le groupe 8. Voir Gouvernement du Canada, Foire aux questions : Renforcer le programme de contrôles à l’exportation du Canada.

[16]            Ce sont des marchandises pouvant servir à des fins tant civiles que militaires.

[17]            Le groupe 2, « comprend des produits conçus ou modifiés expressément à des fins militaires et des produits préoccupants sur le plan militaire et stratégique, notamment les produits sur lesquels le Canada s’est engagé à exercer un contrôle à l’exportation en tant que signataire de l’Accord de Wassenaar ». On trouve 22 catégories de marchandises sous le groupe 2, dont : armes à feu, munitions, autres dispositifs explosifs conçus pour l’usage militaire, matériel d’imagerie et de contre‑mesures conçus pour l’usage militaire ainsi que composants et accessoires spécialement conçu. Voir AMC, Manuel des contrôles du courtage et à l’exportation, août 2019. L’Accord de Wassenaar consiste en un regroupement de 42 États qui cherchent à « contribuer à la sécurité et à la stabilité régionales et internationales en favorisant la transparence et une responsabilité accrue dans les transferts d’armes classiques et de biens et technologies à double usage, empêchant de ce fait l’accumulation d’arsenaux déstabilisateurs. »

[18]            Le groupe 9, qui est un sous-ensemble du groupe 2, comprend « les armes conventionnelles à système complet dans les catégories suivantes : chars de combat; blindés; systèmes d’artillerie de gros calibre; avions de combat; hélicoptères d’assaut; bâtiments de guerre; missiles et lance-missiles; armes à feu de poing et armes légères ». Voir AMC, Manuel des contrôles du courtage et à l’exportation, août 2019.

[19]            Gouvernement du Canada, 2020 Exportations de marchandises militaires.

[20]            Il existe une importante exception à cet égard. Selon AMC, « en raison de la coopération militaire étroite et de longue date entre le Canada et les États-Unis, y compris l’Accord sur le partage de la production de défense de 1956 qui sous‑tend la nature intégrée de l’industrie de la défense nord-américaine, le Canada et les États-Unis ont conclu des ententes mutuelles pour assurer la circulation de la plupart des marchandises militaires sans permis ou licence entre nos deux pays ». Voir Gouvernement du Canada, 2019 Exportations de marchandises militaires.

[24]            Traité sur le commerce des armes, article 1.

[25]            Traité sur le commerce des armes, Treaty Status [Disponible en anglais seulement].

[26]            Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19, par. 7.3(1). Lorsque le gouvernement du Canada a déposé son instrument d’adhésion au TCA, il a indiqué ceci : « Les critères d’évaluation et l’examen des risques prévus par le TCA s’appliquent aux armes classiques à systèmes complets (telles que définies à l’article 2 du traité). Toutefois, le Canada ira au-delà de l’exigence du TCA et appliquera les critères du TCA et l’évaluation des risques à l'évaluation des demandes de licences d'exportation de biens et technologies militaires et stratégiques figurant sur la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée […] ». Voir AMC, Dépôt de l'instrument d'adhésion du Canada au Traité sur le commerce des armes, document d’information.

[28]            Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19. Le rapport du gouvernement du Canada intitulé 2020 Exportations de marchandises militaires, note que 58 demandes de licence d’exportation de biens ou de technologies militaires, à double usage et stratégiques ont été rejetées en 2020. « Cinq demandes ont été rejetées parce qu’il y avait un risque important que l’exportation proposée du Groupe 2 ait entraîné l’une des conséquences négatives des critères d’évaluation du TCA énoncés à la section 7.4 de la LLEI ». Le rapport de 2019 ne fait pas état de demandes de licence refusées par rapport au critère de risque sérieux.

[29]            Le rapport de 2019 sur les exportations militaires du Canada dresse la liste des 31 destinations « à faible risque ». La Turquie ne figure pas sur cette liste.

[30]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021 (Bruce Christie, sous-ministre adjoint délégué, Politique et négociations commerciales, AMC).

[31]            Ibid. Sur les 5 300 demandes de licences reçues en 2020, 1 013 (19,1 %) ont été envoyées à des partenaires de consultation. Cela représente une légère baisse par rapport à 2019 (22 %), mais sensiblement la même chose qu’en 2017, où 18,9 % des demandes avaient été envoyées à des partenaires de consultation, avant que le Canada ne soit un État partie au TCA. Le Comité a été informé que 25 employés travaillent à temps plein directement au traitement des demandes de licences, ce qui ne tient pas compte des partenaires de consultation qui peuvent participer au traitement des demandes complexes. Des ressources budgétaires supplémentaires ont été investies dans la gestion du régime de contrôle des exportations du Canada par l’entremise du budget de 2017. Du financement supplémentaire a été proposé dans le budget de 2021. Voir AMC, réponses écrites aux questions, reçue le 2 juin 2021.

[32]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[33]            FAAE, Témoignages, 4 mai 2021 (Mark Agnew, vice-président, Politique et international, Chambre de commerce du Canada).

[35]            FAAE, Témoignages, 4 mai 2021.

[36]            Ibid.

[37]            Ibid.

[38]            Ibid.

[39]            FAAE, Témoignages, 4 mai 2021 (Christyn Cianfarani).

[40]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[41]            Ibid.

[42]            Ibid.

[43]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[44]            Ibid.

[45]            Ibid.

[46]            Institut Rideau sur les affaires internationales, mémoire, soumis le 13 mai 2021.

[47]            Voir par exemple, Justin Ling, « Ottawa halts weapon sales to Turkey after it invades Syria », National Post, 15 octobre 2019. L’article cite une déclaration d’Affaires mondiales Canada selon laquelle l’incursion unilatérale de la Turquie dans le nord-est de la Syrie, un territoire majoritairement kurde, risque « de compromettre la stabilité d’une région déjà fragile, d’aggraver la situation humanitaire et de faire perdre les progrès accomplis par la coalition mondiale dans sa lutte contre Daech, dont la Turquie est membre ». Affaires mondiales Canada a réclamé la « protection des civils » et demandé à toutes les parties de « respecter leurs obligations en vertu du droit international, dont le libre accès, sans entrave, de l’aide humanitaire » [traduction].

[48]            Affaires mondiales Canada, Mémoire aux fins d’intervention à l’intention du ministre des Affaires étrangères, SSPI : 03389-2020, 2 septembre 2020, dans Ministre des Affaires étrangères – documents soumis, p. 230.

[49]            À l’issue des consultations d’Affaires mondiales Canada auprès des partenaires interministériels, on a déterminé qu’il n’existait pas de « risque sérieux » que des articles visés par les demandes de licences d’exportation et les demandes de modification de licence d’exportation jointes au mémoire du 1er mai 2020 entraînent l’une des conséquences négatives précisées dans la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. L’approbation par le ministre Champagne de la recommandation du Ministère du 6 mai 2020 comprenait la condition que les licences citées dans le mémoire « soient valides un an uniquement ». Voir : Affaires mondiales Canada, Mémoire aux fins d’intervention à l’intention du ministre des Affaires étrangères, SSPI : 01794-2020, 1er mai 2020, dans Ministre des Affaires étrangères – documents soumis, p. 224 et p. 227.

[50]            Affaires mondiales Canada, Mémoire aux fins d’intervention à l’intention du ministre des Affaires étrangères, SSPI : 03389-2020, 2 septembre 2020, dans Ministre des Affaires étrangères – documents soumis, p. 232.

[51]            Affaires mondiales Canada, Mémoire aux fins d’intervention à l’intention du ministre des Affaires étrangères, SSPI : 01794-2020, 1er mai 2020, dans Ministre des Affaires étrangères – documents soumis, p. 224. Ce point a été confirmé dans un témoignage d’un représentant du Ministère : M. Christie a déclaré au Comité que « le gouvernement turc nous avait assurés qu’il n’utiliserait pas ces capteurs canadiens, ces technologies, à des fins offensives. Nous savions qu’ils étaient utilisés dans des drones construits en Turquie, mais nous n’avions aucune preuve que leur utilisation contrevenait à notre engagement en vertu du Traité sur le commerce des armes. » Voir FAAE Témoignages, 13 avril 2021. Le mémoire aux fins d’intervention du 1er mai 2020 indique que les articles visés par les licences d’exportation dont le nombre a été caviardé devaient « être intégrés dans des véhicules aériens sans pilote de moyenne altitude et longue endurance ». Ces véhicules aériens sans pilote, d’après le mémoire, « peuvent être utilisés de manière défensive et offensive ». Ailleurs, le mémoire indique que les drones construits en Turquie étaient « essentiels » à la campagne aérienne turque à Idlib et « agiraient probablement de nouveau comme un élément important des opérations de la Turquie si le cessez-le-feu du 5 mars était rompu » (voir p. 225).

[52]            La décision rendue par le ministre n’est pas indiquée dans la copie du mémoire aux fins d’intervention du 2 septembre 2020 que le Comité a reçue. Des courriels indiquent que le ministre Champagne devait examiner les licences le lundi 28 septembre 2020. Cependant, des informations diffusées pendant le week-end précédent mentionnaient le transfert possible de matériel militaire turc vers l’Azerbaïdjan. Une séance d’information semble ensuite avoir été organisée pour le 2 octobre 2020. Voir le courriel de Robert Coleman, 1er octobre 2020, 13 h 25 min 51 s., dans Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement – documents soumis le 7 avril 2021, p. 232. La suspension des licences concernées vers la Turquie a été annoncée le 5 octobre 2020.

[53]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[54]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021 (Bruce Christie).

[55]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021. Le Dr Kilford, qui a pris sa retraite des Forces armées canadiennes en septembre 2014, a comparu à titre personnel.

[56]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[57]            FAAE, Témoignages, 11 mai 2021.

[58]            Ibid.

[59]            Nations Unies, Conseil de sécurité, Rapport final du Groupe d’experts sur la Libye créé par la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité, S/2019/914, 9 décembre 2019, p. 2.

[60]            Ibid., tableau 5, p. 33.

[61]            Ibid., par. 121, p. 40.

[62]            Voir Conseil de sécurité des Nations Unies, S/RES/1970 (2011), 26 février 2011.

[63]            FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020. Le rapport de M. Gallagher indique qu’« on peut raisonnablement supposer que les UAV envoyés au [gouvernement d’entente nationale de la Libye] étaient équipés de dispositifs WESCAM, étant donné la dépendance de la plateforme à l’égard de ces capteurs, l’absence apparente de remplacements en Turquie ou en Libye ». Le rapport s’appuie aussi sur les photos et vidéos publiées dans les médias sociaux montrant des dispositifs WESCAM sur des TB2 du gouvernement d’entente nationale de la Libye. Voir Kelsey Gallagher, Killer Optics: Exports of WESCAM Sensors to Turkey – A Litmus Test of Canada’s Compliance with the Arms Trade Treaty, Project Ploughshares, septembre 2020, p. 20.

[64]            Gouvernement du Canada, Rapport final : examen des licences d’exportation vers la Turquie.

[65]            Ibid.

[66]            FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020 (Cesar Jaramillo, directeur exécutif, Project Ploughshares).

[67]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021 (Peggy Mason, ancienne ambassadrice et présidente de l’Institut Rideau sur les affaires internationales; et Daniel Turp, professeur associé, Université de Montréal). Se concentrant sur la façon dont le gouvernement évalue le risque que des actes de violence fondée sur le sexe soient commis, Allison Pytlak, gestionnaire du programme de désarmement à la Women’s International League for Peace and Freedom, a aussi fait ressortir que les concepts de « servir à la commission » et de « faciliter la commission » de tels actes sont peut-être interprétés de la même façon. Comme elle l’a souligné, le fait de faciliter consiste à « rendre une chose possible ou plus facile », ce qui est beaucoup plus large que le fait d’établir que des gens ont été délibérément ciblés. Voir FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[68]            FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020 (Stacia Loft, stagiaire, Amnistie internationale Canada).

[69]            Gouvernement du Canada, Rapport final : examen des licences d’exportation vers la Turquie.

[70]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[71]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[72]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[73]            Ibid.

[74]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[75]            Ibid. Le rapport publié en avril 2021 par le gouvernement du Canada sur l’examen des licences d’exportation vers la Turquie mentionne un article paru le 23 juin 2020 dans les médias turcs selon lequel le ministère azerbaïdjanais de la Défense « venait d’annoncer publiquement qu’après avoir reçu l’approbation du Parlement, le pays cherchait à acheter des drones fabriqués en Turquie ». Un autre article du 17 juillet 2020 « rapportait que le chef de la Direction des industries turques de la défense (SSB), Ismail Demir, venait de déclarer publiquement que la Turquie soutiendra toujours l’Azerbaïdjan avec ses drones, ses munitions, ses missiles et ses systèmes de guerre électroniques ». Selon un mémoire présenté au Comité par le Stockholm International Peace Research Institute [Institut international de recherche sur la paix de Stockholm] (SIPRI), la Russie a été le principal exportateur d’armes lourdes vers l’Azerbaïdjan de 2011 à 2020, suivie d’Israël, du Bélarus et de la Turquie. Voir Pieter D. Wezeman, Alexandra Kuimova et Jordan Smith, Les transferts d’armes vers les zones de conflit : le cas du Haut-Karabakh, SIPRI, 30 avril 2021.

[76]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[77]            Ibid.

[78]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[79]            FAAE, Témoignages, 11 mai 2021.

[80]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[81]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[82]            Ibid.

[83]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[84]            Ibid.

[85]            Ibid.

[86]            Ibid.  Selon L3Harris Wescam, les capteurs MX-15D sont idéals pour les missions secrètes de surveillance, de reconnaissance et d’acquisition d’objectifs à moyenne altitude à partir de plates formes aéroportées avec ou sans pilote. Voir L3Harris, Wescam MX™-15D, Airborne Targeting and Designating.

[87]            FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[88]            Par exemple, Cesar Jaramillo, directeur exécutif du Project Ploughshares, a exprimé le point de vue de son organisme, selon lequel « la plupart des exportations d’armes canadiennes contribuent à soutenir des régimes autocratiques, à perpétuer des conflits armés ou à permettre la violation des droits de la personne ». Voir FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020.

[89]            FAAE, Témoignages, 4 mai 2021.

[90]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021 (Michael Byers, professeur, Département de sciences politiques, Université de la Colombie-Britannique).

[91]            Ibid. (Kelsey Gallagher, chercheur, Project Ploughshares).

[92]            En plus des « deux objectifs de politique contradictoires » qu’Affaires mondiales Canada doit chercher à atteindre, une autre question se pose selon Peggy Mason : « quand le ministre annonce une enquête d’Affaires mondiales, il demande en fait aux fonctionnaires de déterminer s’ils lui ont donné de mauvais conseils la première fois. Quelle est la probabilité qu’ils le fassent? » Voir FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020. Un mémoire écrit soumis par deux avocates, Anaïs Kadian et Émilie Béatrice Kokmanian, a aussi remis en question la capacité d’Affaires mondiales Canada de mener une enquête impartiale. À cet égard, elles ont souligné que le rapport d’avril 2021 sur les licences d’exportation du Canada vers la Turquie « n’analyse aucunement les erreurs ayant mené à la décision du ministre d’approuver des licences d’exportation des capteurs de ciblage vers la Turquie en mai 2020 ».

[93]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[94]            Aux Pays-Bas, la Chambre des représentants est avisée – dans un délai de deux semaines suivant la prise de décision – de toute nouvelle licence autorisant l’exportation permanente de systèmes complets d’une valeur supérieure à 2 millions d’euros vers des pays autres que l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et les États membres de l’Union européenne ou de l’OTAN. Ces notifications peuvent être confidentielles ou non et sont accompagnées d’une note explicative. Voir Dutch Arms Export Policy in 2019 – Report by the Minister for Foreign Trade and Development Cooperation and the Minister of Foreign Affairs on the export of military goods, septembre 2020, p. 13.

[95]            FAAE, Témoignages, 11 mai 2021.

[96]            Ibid. L’Australie réalise chaque trimestre des rapports statistiques sur les licences. Voir Australie, ministère de la Défense, contrôles des exportations de défense, Our performance.

[97]            FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[98]            Ibid.

[99]            AMC, Le Canada revoit son contrat pour la vente de véhicules blindés légers, et renforce son examen de permis d’exportation, déclaration, 9 avril 2020. Le rapport du Gouvernement du Canada intitulé 2020 Exportations de marchandises militaires, précise que le comité consultatif d’experts « ne sera pas chargé d’évaluer les demandes de licences ».

[100]          FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[101]          FAAE, Témoignages, 4 mai 2021.

[102]          Nations Unies, Traité sur le commerce des armes, préambule et art. 11. Dans le rapport publié en avril 2021 par le gouvernement du Canada sur son examen des licences d’exportation vers la Turquie, le détournement est défini comme « l’utilisation d’un article exporté vers une destination non autorisée, pour une utilisation finale non spécifiée ou par un utilisateur final non identifié dans la demande de licence ». Les mesures prises par le Canada pour prévenir et contrer le détournement s’appliquent à des catégories d’armes classiques allant au-delà de celles indiquées au par. 2(1) du TCA, puisque, selon le gouvernement du Canada, elles sont « également applicables à l’ensemble des articles militaires et stratégiques énumérés dans la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée ». Voir Gouvernement du Canada, Rapport initial sur les mesures prises pour mettre en œuvre le Traité sur le commerce des armes, conformément à son article 13(1), 16 septembre 2020.

[103]          Affaires mondiales Canada, réponses écrites aux questions, reçue le 2 juin 2021.

[104]          Gouvernement du Canada, Manuel des contrôles du courtage et à l’exportation.

[105]          Règlement sur les licences d’exportation, DORS/97-204.

[106]          Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19, art. 15. À l’heure actuelle, un seul pays figure sur la Liste des pays visés, soit la Corée du Nord. La Liste des pays désignés (armes automatiques) est établie par règlement. Voir Liste des pays désignés (armes automatiques), DORS/91-575.

[107]          Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19, art. 16.

[108]          Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19, art. 17.

[109]          Voir Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, ch. E-19, art. 7.3. Selon la politique, lorsque des demandes de licences sont soumises à d’autres ministères aux fins de consultations, il est notamment demandé à ceux-ci d’indiquer s’il existe « une forte probabilité que l’exportation proposée soit détournée de l’utilisateur final ou de l’utilisation finale prévus ». De plus, les exportateurs et les courtiers canadiens sont informés « qu’ils ont aussi la responsabilité de procéder à une vérification diligente de leurs clients étrangers (actuels et potentiels) et de fournir toutes les informations pertinentes dans leurs demandes de licences ». Voir Gouvernement du Canada, Rapport initial sur les mesures prises pour mettre en œuvre le Traité sur le commerce des armes, conformément à son article 13(1), 16 septembre 2020.

[110]          FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020.

[111]          Liens possibles entre les licences d’exportation et l’utilisation alléguée de drones turcs en zones de conflits, note d’information jointe au courriel de Judy Korecky, Affaires mondiales Canada, 1er octobre 2020, 19 h 15, dans Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement – documents soumis, p. 240.

[112]          FAAE, Témoignages, 13 avril 2021.

[113]          Ibid.

[115]          Ibid.

[116]          Le Manuel des contrôles du courtage et à l’exportation du gouvernement du Canada, donne un exemple de destinataire dans le cas où un exportateur canadien fournit des marchandises à une entreprise dans un autre pays qui a remporté un marché en vue de fournir les marchandises en question au ministère de la Défense de ce pays. Dans ce scénario, l’entreprise dans le pays de destination serait le destinataire et le ministère de la Défense, l’utilisateur final. Si en revanche, les marchandises avaient été fournies directement au ministère de la Défense, ce dernier serait le destinataire et l’utilisateur final. Un destinataire pourrait aussi être un fabricant dans un autre pays qui utilise une marchandise ou une technologie produite par un exportateur canadien dans le cadre de la fabrication d’un autre système (p. ex. parachutes fabriqués au Canada aux fins d’utilisation dans les sièges éjectables fabriqués par une entreprise d’un autre pays qui seront installés dans un aéronef produit dans un troisième pays). Bien que l’entreprise du deuxième pays (celle qui fabrique les sièges éjectables) soit indiquée comme destinataire et utilisateur final, l’utilisation subséquente par l’entreprise du troisième pays qui produit l’aéronef « doit être décrite en détail dans la demande de licence d’exportation canadienne ».

[117]          Gouvernement du Canada, Rapport final : examen des licences d’exportation vers la Turquie. Selon un recueil de pratiques exemplaires publié par le Secrétariat de l’Accord de Wassenaar, un régime multilatéral de contrôle des exportations auquel le Canada participe, il est courant de préciser que « l’utilisation finale » consistera en l’intégration des composants et des sous-systèmes. Une autre ligne de conduite peut consister à dresser « une liste agréée de destinations » acceptables pour les exportations. De plus, « [d]es contrôles d’utilisation finale peuvent également être mis en place afin de restreindre l’utilisation finale d’un produit exporté, que ce soit à une zone géographique, ou une autre forme de restriction ». Voir Accord de Wassenaar sur les contrôles à l'exportation des armes classiques et des produits et technologies à double usage, Introduction aux contrôles d’utilisation/utilisateurs finaux pour l’exportation des équipements de la liste militaire, document adopté à la réunion plénière du 3 juillet 2014, p. 1.

[118]          Gouvernement du Canada, Rapport final : examen des licences d’exportation vers la Turquie. Dans la même section du rapport du gouvernement, il est indiqué que, « [l]’article 11 du TCA exige que les États parties impliquées dans le transfert des armes classiques visées au paragraphe 2(1) prennent des mesures pour empêcher leur détournement. L’article 11 ne s’applique pas aux pièces ni aux composants d’armes classiques ».

[119]          FAAE, Témoignages, 27 avril 2021.

[120]          Ibid.

[121]          Ibid.

[124]          FAAE, Témoignages, 10 décembre 2020.

[125]          Andrea Edoardo Varisco, Kolja Brockmann et Lucile Robin, Les mesures de contrôle après l’expédition : les approches européennes à l’égard des inspections sur place du matériel militaire exporté, document d’information, Stockholm International Peace Research Institute, décembre 2020, p. 9.

[126]          Ibid., p. 5.

[127]          FAAE, Témoignages, 4 mai 2021.

[128]          Affaires mondiales Canada a informé le Comité qu’à l’heure actuelle, la Loi sur les licences d’exportation et d’importation « n’autorise pas Affaires mondiales Canada à effectuer des vérifications après livraison ». Voir les réponses écrites aux questions, reçue le 2 juin 2021.