Les procédures financières / Travaux des subsides

Phase législative : budget principal des dépenses; recevabilité d’un crédit

Débats, p. 20647–20649

Contexte

Le 29 mai 2018, Daniel Blaikie (Elmwood—Transcona) invoque le Règlement au sujet du crédit 40 du Conseil du Trésor du budget principal des dépenses 2018-2019, qu’on appelle aussi « crédit d’exécution du budget ». Selon M. Blaikie, le crédit 40 constitue un fonds central permettant au Conseil du Trésor d’affecter des sommes à divers ministères et organismes. Il affirme que cette approbation préalable de financement pour toutes les nouvelles initiatives budgétaires du gouvernement ne respecte ni le mandat que la loi confère au Conseil du Trésor conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques ni le processus d’affection des crédits. Il demande au Président d’ordonner que le crédit 40 soit retiré du budget principal des dépenses 2018-2019[1]. Le 30 mai 2018, M. Blaikie invoque à nouveau le Règlement au sujet du crédit d’exécution du budget. Il soutient que certaines initiatives qui y sont prévues ne reposent sur aucune autorisation législative, particulièrement deux initiatives semblant dépendre du projet de loi C-74, Loi no 1 d’exécution du budget de 2018, qui n’a pas encore force de loi. M. Blaikie fait également valoir que le crédit 40 aurait dû être renvoyé aux divers comités responsables des ministères et organismes pour lesquels des initiatives sont prévues au crédit 40[2]. Le 1er juin 2018, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) intervient pour informer la Chambre que, à son avis, le crédit relève du mandat du Conseil du Trésor et que de nombreux précédents existent en ce qui a trait à l’affectation de fonds à un fonds central. La vice-présidente adjointe (Carol Hughes) prend de nouveau la question en délibéré[3].

Résolution

Le 11 juin 2018, le Président rend sa décision. Il rappelle à la Chambre que le gouvernement a la responsabilité de déterminer les comités auxquels les crédits sont renvoyés. À son avis, seule une interprétation stricte de la Loi sur la gestion des finances publiques permettrait de conclure que le Conseil du Trésor ne peut gérer ce fonds au motif qu’il n’est pas de la même nature que les autres fonds centraux. Il réitère également qu’il incombe au gouvernement de définir la forme que prendra sa demande de fonds et affirme qu’il ne peut statuer que les initiatives identifiées par M. Blaikie n’ont pas de fondement législatif existant. Il explique que les Présidents ont déclaré comme étant irrecevables seulement des crédits n’ayant clairement aucun fondement législatif ou visant à modifier une loi en vigueur. Il conclut que le crédit est recevable.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé les 29 et 30 mai 2018 par l’honorable député d’Elmwood—Transcona concernant le crédit 40 sous la rubrique Secrétariat du Conseil du Trésor du Budget principal des dépenses 2018-2019, qu’on appelle aussi « crédit d’exécution du budget ».

Le 29 mai, j’ai rendu une décision sur un autre rappel au Règlement soulevé par le même député et portant sur le même crédit. Dans cette décision, jai souligné que les Présidents ont toujours hésité à déclarer un crédit d’un budget des dépenses irrecevable, sauf s’il était manifeste que le crédit relevait du domaine législatif et qu’il ne portait pas sur une question purement budgétaire.

Dans son intervention du 29 mai, l’honorable député a soutenu que les fonds demandés au titre du crédit 40 ne semblaient pas conformes au mandat du Secrétariat du Conseil du Trésor établi dans la Loi sur la gestion des finances publiques. Il s’agit plutôt, selon lui, d’un fonds central qui permet au Conseil du Trésor d’affecter des sommes à divers ministères et organismes pour que ces derniers puissent s’acquitter de leur mandat. L’honorable député estime que cette pratique permet de se soustraire au processus habituel d’affectation des crédits. Il a en outre fait valoir que le fonds prévu par le crédit en question ne peut raisonnablement être comparé aux autres fonds centraux de la rubrique Conseil du Trésor, car ces derniers sont conformes au mandat du Conseil du Trésor ou se justifient d’une autre façon.

Le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre a répliqué que l’honorable député interprétait le mandat du Conseil du Trésor de façon beaucoup trop stricte. À son avis, il ne fait aucun doute que l’objet du crédit relève du Conseil du Trésor. Le secrétaire parlementaire a en outre cité mon autre décision pour affirmer qu’il existe de nombreux précédents où des fonds ont été affectés à un fonds central.

Le 30 mai, l’honorable député d’Elmwood—Transcona a fait valoir que certaines initiatives prévues dans le crédit 40 n’avaient aucun fondement législatif. En particulier, il a souligné que les initiatives concernant l’assurance-emploi et la cybersécurité semblent dépendre de mesures prévues dans le projet de loi C-74, Loi no 1 d’exécution du budget. Puisque ce projet de loi n’a pas encore force de loi, le député estime qu’il n’est pas opportun que le gouvernement demande des crédits en vue de sa mise en oeuvre.

Enfin, vu que le crédit 40 permettra le financement d’un éventail d’initiatives par divers ministères et organismes, le député estime que le crédit 40 n’aurait pas dû être renvoyé à un seul comité, soit le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires. À son avis, il aurait été plus judicieux que les initiatives prévues dans le crédit 40 soient étudiées par les comités responsables de chaque ministère et organisme concerné.

Je trancherai cette dernière prétention en premier. Le budget des dépenses, une fois déposé, est automatiquement renvoyé pour étude en comité en application du paragraphe 81(4) du Règlement. À l’instar des documents déposés conformément à l’article 32 du Règlement, c’est le gouvernement qui décide à quel comité est renvoyé chaque crédit. Pareil renvoi était auparavant fait par motion, mais le Règlement a été modifié en 2001, et ces renvois sont désormais faits de façon automatique. Selon la pratique actuelle, le ministre fournit au Bureau la liste des comités auxquels les votes sont renvoyés pour étude. Le crédit 40, pour sa part, a été renvoyé au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, et le mandat du Comité à l’égard des questions budgétaires est passablement étendu. Le Comité peut convoquer tout témoin qu’il juge opportun d’entendre dans le cadre de son étude du crédit 40. Je ne crois pas que le Président devrait jouer quelque rôle que ce soit dans le choix des comités auxquels les crédits sont renvoyés.

En ce qui concerne la question de l’autorisation de dépenser, voici ce qu’on peut lire à la page 873 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes :

La présidence a maintenu que les crédits ayant un objectif législatif direct et spécifique (les crédits visant clairement à modifier une loi) devraient être présentés à la Chambre au moyen d’un projet de loi modificatif.

Mes prédécesseurs ont traité de cette question dans un certain ordre de décisions. Le Président Jerome, dans une décision publiée à la page 607 des Journaux du 22 mars 1977, a expliqué ce qui suit :

[…] le Parlement autorise le gouvernement à agir en adoptant des lois et lui alloue l’argent pour financer les programmes autorisés en adoptant une loi portant affectation de crédits. À mon avis, il ne faudrait donc pas qu’un crédit serve à obtenir une autorisation qui doit normalement faire l’objet d’une loi.

Selon mon interprétation, rien dans le libellé du crédit 40 ne vise à modifier une loi en vigueur. L’honorable député l’a d’ailleurs reconnu dans son intervention. Il a remis en question le fait que le Conseil du Trésor a l’autorisation de dépenser des fonds à l’égard des initiatives prévues dans le crédit 40. Il ressort toutefois clairement du libellé du crédit que les fonds sont affectés au Conseil du Trésor afin qu’il puisse les transférer à d’autres ministères ou organismes. Comme l’honorable député l’a lui même admis, le libellé du crédit prévoit expressément que les dépenses doivent « […] être conformes au mandat du ministère ou de l’organisme pour lequel les dépenses sont effectuées ».

Lobjection du député repose pour l’essentiel sur la question de savoir quel ministère demande des fonds. Il estime que le Conseil du Trésor ne devrait pas demander des fonds visant à constituer un fonds central au bénéfice des autres ministères et organismes. Comme je l’ai dit dans la décision rendue le 29 mai 2018, il existe de nombreux exemples de fonds centraux. L’honorable député d’Elmwood—Transcona en a d’ailleurs nommé plusieurs dans ses observations. Il soutient que le fonds central prévu dans le crédit 40 n’est pas de la même nature que les autres fonds centraux, mais je ne suis pas convaincu que le Conseil du Trésor ne soit pas autorisé à gérer ce fonds. Comme le secrétaire parlementaire l’a fait valoir, seule une interprétation stricte de la Loi sur la gestion des finances publiques nous permettrait d’en venir à cette conclusion. Je ne crois pas que le crédit visé puisse être déclaré irrecevable sur ce fondement.

Comme je l’ai précisé dans mon autre décision, il revient au gouvernement de déterminer la forme que prend sa demande de fonds. Il revient ensuite aux députés, lors de l’étude et de la mise aux voix du budget des dépenses, de décider si les fonds devraient être affectés. En ce qui concerne le crédit 40, certains députés pourraient souhaiter que la demande ait été faite sous une forme différente. En définitive, ils doivent se prononcer sur la demande en la forme présentée par le gouvernement. Le rôle du Président se borne à déterminer si la forme de la demande de fonds nécessite ou non une autorisation distincte de la part du législateur et si elle respecte les contraintes du processus d’affectation des crédits.

Cela m’amène au dernier point qu’a soulevé l’honorable député d’Elmwood—Transcona. Le député a fait valoir que certaines initiatives ne semblent avoir aucun fondement législatif existant; elles semblent plutôt dépendre de projets de loi qui sont actuellement à l’étude au Parlement ou qui n’ont pas encore été présentés. La Présidente Sauvé, dans une décision qui se trouve à la page 10546 des Débats du 12 juin 1981, a indiqué que « [l]e gouvernement doit […] se contenter de demander l’autorisation de consacrer certaines sommes à des programmes qui ont déjà été approuvés par une loi » et a précisé qu’en demandant des fonds pour des programmes lorsque aucun projet de loi n’avait encore été présenté, le gouvernement « mettrait la charrue avant les bœufs ».

Le 21 mars 1983, la Présidente Sauvé s’est penché sur un cas semblable. Le crédit 10c sous la rubrique Industrie et Commerce du Budget supplémentaire des dépenses, cette année-là, prévoyait des paiements en vertu de la Loi sur la bonification d’intérêts au profit des petites entreprises, soit le projet de loi C-136 qui était alors à l’étude. La présidence a déclaré que le crédit irrecevable à la page 23968 des Débats de la Chambre des communes :

Par le crédit 10c, on précède manifestement la loi et, en ce sens, on cherche à établir un nouveau programme en l’absence d’un autre texte de loi l’autorisant; par ce crédit, on réclame également les fonds nécessaires pour mettre ce programme en application.

Il faut donc déterminer s’il manque un fondement législatif pour les initiatives relevées par l’honorable député d’Elmwood—Transcona. Sans ce fondement, il serait prématuré pour le gouvernement de demander des fonds. D’anciens Présidents ont indiqué qu’il n’est pas toujours facile d’identifier le fondement législatif d’initiatives données dans le budget des dépenses. Malheureusement, le secrétaire parlementaire, dans sa réponse, n’a pas abordé ce point directement. Cette information aurait aidé la présidence à déterminer s’il y a ou non pareil fondement.

L’honorable député a affirmé que, étant donné que le budget précisait que certaines initiatives feraient l’objet de mesures législatives, il s’ensuit que le budget des dépenses ne devrait affecter aucuns fonds à ces initiatives avant l’adoption de ces mesures législatives. Il n’apparaît pas clairement à la présidence toutefois que ces activités n’ont pas de fondement législatif existant. Prenons, par exemple, les questions concernant la cybersécurité. Selon l’annexe 1 du Budget principal des dépenses, les fonds doivent être transférés au Centre de la sécurité des télécommunications (CST), dont le mandat est prévu par la Loi sur la défense nationale. Bien que le projet de loi C-74 prévoie effectivement le transfert de certains employés d’autres ministères au CST, jestime que le CST a bel et bien un mandat sous le régime des lois actuelles pour faire les dépenses nécessaires à ces fins. Si le gouvernement proposait d’accorder des fonds à une organisation qui n’est pas encore créée ou de consentir des fonds pour une toute nouvelle initiative, il existerait une objection valable à mon avis, mais cela ne semble pas le cas dans les exemples donnés par l’honorable député.

Je dois avouer que, d’entrée de jeu, les questions concernant l’assurance-emploi me préoccupaient. On peut lire dans le Budget principal des dépenses, aux pages I-9 et I-10 :

Les coûts liés aux prestations d’assurance-emploi et aux prestations pour enfants sont les principales composantes des postes non compris dans les budgets des dépenses. La majorité des coûts de l’assurance-emploi sont payés directement sur le compte des opérations de l’assurance-emploi plutôt que sur un crédit ministériel et sont donc exclus des budgets des dépenses.

Le pouvoir de dépenser pour payer des prestations d’assurance-emploi est prévu par une loi, soit la Loi sur l’assurance-emploi. Il n’est pas tout à fait clair pourquoi cette demande a été incluse dans le crédit 40 et s’il s’agit véritablement de fonds additionnels ou si le montant a été inclus à titre d’information. Indépendamment de la raison, il importe de déterminer s’il manque un fondement législatif pour la demande. L’honorable député d’Elmwood—Transcona a affirmé que les fonds devaient servir à rendre permanent un projet pilote dans le cadre duquel des personnes peuvent travailler pendant qu’elles reçoivent des prestations. Bien que les dispositions du projet de loi C-74 apportent ce changement à la Loi sur l’assurance-emploi, il est clair qu’il existait un fondement législatif pour le projet pilote sous le régime de la loi en vigueur.

Bien que le député ait soulevé d’importantes questions, les Présidents ont d’ordinaire déclaré des crédits du budget des dépenses non conformes seulement si le crédit n’avait clairement aucun fondement législatif ou si le crédit même visait à modifier une loi en vigueur. Je ne crois pas que ce soit le cas en ce qui concerne le crédit 40 et je conclus donc que le crédit est bel et bien recevable.

Je remercie l’honorable député de la vigilance dont il a fait preuve pour veiller au respect des bonnes pratiques concernant le budget des dépenses. Comme il s’agit de la première fois que la Chambre est saisie d’un crédit d’exécution du budget de ce genre, il est important de veiller à ce que les contraintes du processus d’affectation des crédits soient respectées. Cela dit, je tiens également à rappeler à l’honorable député la décision que j’ai rendue le 4 juin 2018, dans laquelle j’ai souligné l’importance de la concision dans les rappels au Règlement. Même pour un dossier aussi complexe que le budget des dépenses, il ne devrait pas être nécessaire de faire plusieurs longues interventions pour faire valoir son point de vue. Je suis convaincu que tous les honorables députés en tiendront compte dans la préparation de leurs interventions.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

Note de la rédaction

Le 25 mai 2018, M. Blaikie invoque le Règlement alléguant que le crédit 40 du Conseil du Trésor ne fournit pas suffisamment d’information concernant les plans de dépenses du gouvernement[4]. Le Président conclut, dans sa décision rendue le 29 mai 2018, que le gouvernement a la responsabilité d’établir la forme que prendra sa demande de fonds et que le rôle de la présidence est de s’assurer du respect du processus d’affectation des crédits[5]. On trouvera la décision à la page 294.

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[1] Débats, 29 mai 2018, p. 19801–19804.

[2] Débats, 30 mai 2018, p. 19902–19906.

[3] Débats, 1er juin 2018, p. 20058–20059.

[4] Débats, 25 mai 2018, p. 19671–19674.

[5] Débats, 29 mai 2018, p. 19778–19779.