Débats d’urgence

Le Règlement donne aux députés l’occasion d’examiner une question urgente en proposant une motion d’ajournement qui peut faire l’objet d’un débat. En effet, un député peut demander au Président l’autorisation de « proposer l’ajournement de la Chambre en vue de la discussion d’une affaire déterminée et importante dont l’étude s’impose d’urgence73 ». Il doit cependant s’agir d’une question qui se rapporte « à une véritable urgence74 » et, si le Président accueille la demande, la Chambre peut renoncer au préavis habituel de 48 heures pour en débattre sans tarder.

Jusqu’au tournant du XXe siècle, tout député pouvait, à pratiquement n’importe quel moment des délibérations, lancer la discussion sur un nouveau sujet en proposant une motion d’ajournement de la Chambre. Comme ce genre de motion pouvait être proposé n’importe quand et pouvait toujours faire l’objet d’un débat, il en résultait une interruption des travaux de la Chambre qui perturbait souvent le programme de toute la journée. En 1906, le gouvernement a décidé de remédier à la situation par l’adoption d’une nouvelle règle, qui a depuis évolué, selon laquelle seules les motions d’ajournement portant sur des affaires déterminées et dont l’étude s’impose d’urgence pourraient faire l’objet d’un débat75.

De 1906 à 1968, une fois acceptées, les motions demandant un débat d’urgence étaient examinées immédiatement. Les autres travaux étaient alors mis de côté. En décembre 1968, la Chambre a modifié la règle de façon à ce que le débat commence à 20 heures (15 heures le vendredi) lorsque la question est mise à l’étude le jour même76. En plus de perturber les travaux habituels de la Chambre, cela occasionnait toujours un conflit. Avec l’abolition, en 1982, des séances normales de travail en soirée77, le conflit entre les débats d’urgence et les travaux courants de la Chambre a été éliminé, mis à part le vendredi.

Comme un Président l’a fait remarquer, un débat d’urgence doit porter sur un sujet « présentant un intérêt immédiat pour toute la population78 ». Il s’ensuit qu’on a eu tendance à rejeter les problèmes chroniques comme la situation économique, le chômage et les affaires constitutionnelles, tandis qu’on a jugé que les sujets comme les arrêts de travail et les grèves, les catastrophes naturelles ainsi que les crises et événements internationaux exigeaient une attention immédiate79. D’autres sujets comme la pêche, l’exploitation forestière et l’agriculture ont été jugés acceptables à divers moments80. Les questions jugées très partisanes ne sont pas agréées aussi volontiers81.

Lancement du débat

Qu’il soit simple député ou ministre82, tout député qui désire proposer l’ajournement de la Chambre afin de discuter d’une question précise et importante sur laquelle il est urgent de se pencher doit en aviser le Président par écrit au moins une heure avant de se lever à la Chambre pour en faire la demande officiellement83. À la fin des Affaires courantes84, tout député qui en a ainsi prévenu le Président peut se lever pour demander l’autorisation de proposer l’ajournement de la Chambre afin de débattre du sujet précisé dans l’avis85. Le député fait alors une brève déclaration qui se résume habituellement à lire le texte de la demande déposée auprès du Président ou à y faire référence86. La présentation ne doit s’accompagner d’aucune discussion ou argumentation87, car, comme un Président l’a souligné, un long exposé risque de provoquer un débat88. À l’occasion, toutefois, un député sera autorisé à étoffer sa demande si la présidence indique qu’un supplément d’information pourrait l’aider à prendre sa décision89.

Le Règlement interdit que plus d’une motion d’ajournement de la Chambre en vue de la tenue d’un débat d’urgence ne soit proposée au cours d’une même séance90. Par ailleurs, il est arrivé que plusieurs demandes soient soumises au Président. Lorsqu’il reçoit ainsi plus d’un avis, le Président donne la parole aux députés dans l’ordre où les demandes lui sont parvenues91.

Si l’on n’atteint pas, dans les affaires à l’ordre des travaux, la période réservée à l’audition des demandes, ou si la Chambre décide de passer à autre chose en adoptant, par exemple, une motion durant les Affaires courantes visant à passer à l’ordre du jour, la présidence ne peut pas entendre les demandes de débats d’urgence. À moins que la Chambre n’autorise, du consentement unanime, le Président à les entendre à un autre moment durant la séance, ces demandes doivent être présentées à une séance ultérieure et précédées d’un nouvel avis92.

Il est important de déposer l’avis de motion au bon moment. À une occasion, le Président a prié un député qui s’était levé pour présenter une motion dont il avait donné avis quelques jours plus tôt d’en redonner avis93. Même si la Chambre peut, du consentement unanime, autoriser un député à présenter une motion dont avis n’a pas été donné le jour même94, la présidence a exprimé des réserves au sujet du report des avis de motion. Un Président a maintenu qu’une question qui exige des mesures urgentes un jour n’exigera pas nécessairement la même attention le lendemain ou qu’elle peut, au contraire, devenir encore plus critique, ce qu’il faut laisser au motionnaire le soin de déterminer95.

Latitude du Président

Après avoir entendu une demande de débat d’urgence, le Président décide, sans discussion aucune, si la question est suffisamment déterminée et importante pour justifier son étude urgente par la Chambre96. Pour décider s’il y a lieu ou non d’autoriser la demande, il se fonde sur le Règlement, les textes faisant autorité et la pratique. S’il le désire, le Président peut également reporter sa décision à plus tard au cours de la séance, à un moment où les travaux de la Chambre peuvent être interrompus97. Dans des cas exceptionnels, le Président n’est revenu à la Chambre pour rendre sa décision que le lendemain98.

Si plusieurs demandes de débat d’urgence sur un même sujet sont présentées au cours d’une même séance et qu’elles sont jugées recevables, le Président autorise l’auteur du premier avis de motion soumis et jugé admissible à proposer l’ajournement de la Chambre99.

Le Président n’est pas tenu de motiver sa décision d’accueillir ou de rejeter une demande de débat d’urgence100. Il arrive cependant que des raisons soient données, même si la présidence cherche à s’en garder pour éviter d’ajouter à la jurisprudence, qui est elle-même susceptible de susciter un débat à la Chambre101.

Critères de décision

Bien que le Règlement lui laisse passablement de latitude pour décider si une question doit être portée d’urgence devant la Chambre, le Président doit tenir compte de certains critères. Pour décider si la question a trait à une urgence réelle et dont il ne serait pas possible de saisir la Chambre dans un délai raisonnable par d’autres moyens, comme à l’occasion d’un jour réservé aux travaux des subsides, ou lors d’un débat exploratoire102, le Président prend dûment en considération, outre l’importance et la nature précise de la question103, la mesure dans laquelle celle-ci relève des responsabilités administratives du gouvernement ou pourrait relever de la compétence ministérielle104.

Le Président vérifie ensuite si la demande répond à d’autres critères. La motion proposée doit porter sur une seule question105. De plus, la motion d’ajournement de la Chambre en vue d’un débat d’urgence ne saurait relancer, d’une part, la discussion sur une question qui a déjà fait l’objet de pareils débats au cours de la même session106 ni soulever d’autre part une question de privilège107. Elle ne peut, d’autre part, porter sur une question qui exige normalement, pour faire l’objet d’un débat, une motion de fond dont avis a été donné et sur laquelle la Chambre doit se prononcer108.

D’autres conditions découlant de décisions antérieures sont également examinées. La présidence a établi comme principe que, en temps normal, le sujet proposé ne doit pas être uniquement d’intérêt local ou régional, se rapporter uniquement à un groupe ou à une industrie en particulier109 ni concerner l’administration d’un ministère du gouvernement110. Des demandes de débat sur des situations chroniques111, sur des questions découlant des travaux de la session en cours112 ou des délibérations du Sénat113, sur des questions dont des tribunaux ou d’autres organismes administratifs sont saisis114 et sur des motions de confiance ou de censure115 ont été rejetées. La présidence a par ailleurs décrété qu’il ne saurait y avoir de débat d’urgence sur l’interprétation d’un article du Règlement116 et que ce mécanisme ne saurait « servir de véhicule pour exposer les déclarations et les allégations faites en dehors de la Chambre par des organismes ou des personnes qui ne doivent pas y répondre de leurs actes117 ». Un Président a déterminé par ailleurs qu’on ne peut pas se servir des dispositions relatives aux débats d’urgence pour discuter de choses « qui, dans un programme législatif de la Chambre des communes et au cours de l’étude normale des textes législatifs, peuvent être présentées à la Chambre sous forme de modifications à des lois existantes ou lui seront de toute façon présentées sous une forme différente118 ».

Dans un cas exceptionnel, un débat d’urgence a toutefois été autorisé à cause « de la révélation soudaine et imprévue d’événements qui, faute d’intervention, pourrait précipiter l’adoption de mesures que l’on pourrait incontestablement qualifier d’urgentes119 ».

Enfin, si la Chambre manifeste le désir de tenir un débat d’urgence, le Président peut en tenir compte pour acquiescer à une demande en ce sens120. La présidence a de même autorisé périodiquement des débats d’urgence sur des questions qui n’étaient pas nécessairement urgentes au sens de l’article du Règlement, mais duquel le calendrier de la Chambre des communes empêchait de discuter en temps opportun121.

La responsabilité de décider si une question constitue un sujet acceptable de débat d’urgence est parfois retirée à la présidence. Il est en effet arrivé que la Chambre décide elle-même, du consentement unanime, de tenir un débat d’urgence ou exploratoire122. À une occasion notable, le Président n’a pas eu à rendre de décision sur plusieurs demandes semblables, la Chambre ayant, plus tard au cours de la séance, donné son consentement unanime à la présentation d’un projet de loi sur le même sujet et décidé de passer immédiatement au débat sur la motion visant la deuxième lecture du projet de loi123.

Heure et jour du débat

Une fois que la demande de débat d’urgence a été acceptée, le Président reporte le débat jusqu’à l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien le même jour, sauf le vendredi, où il a lieu immédiatement124. Dans tous les cas cependant, le Président peut reporter le débat à une certaine heure le jour de séance suivant125. La Chambre a également adopté périodiquement des ordres spéciaux fixant l’heure de commencement d’un débat d’urgence126. Dans trois cas, une demande de débat d’urgence a été accordée à un moment où la Chambre avait prolongé ses heures de séance en juin127.

Lorsque le débat d’urgence est prévu pour le lundi, mardi, mercredi ou jeudi, le Débat d’ajournement n’a pas lieu. Ainsi, la Chambre passe au débat d’urgence à l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien et le député dont la demande a été autorisée propose à la Chambre la motion suivante : « Que la Chambre s’ajourne maintenant ». S’il se déroule un vendredi, le débat occupe environ les deux heures qui auraient dû normalement être consacrées à d’autres activités, nommément les Ordres émanant du gouvernement et les Affaires émanant des députés, puisqu’il est déclenché peu de temps après la fin des Affaires courantes, qui débutent à midi128. De plus, le débat d’urgence peut se poursuivre au-delà de l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien, prévu à 14 h 30, plus précisément jusqu’à 16 heures129.

Le Règlement accorde ainsi la priorité aux débats d’urgence le vendredi ou lorsque le Président en fixe l’heure pendant les heures normales de la séance suivante. Il appartient alors au Président de décider quand toute question laissée de côté à cause de la tenue du débat d’urgence sera reprise ou mise aux voix130.

Règles du débat

Au cours d’un débat d’urgence, les interventions sont limitées à un maximum de 20 minutes par député, suivies d’une période de questions et d’observations d’au plus 10 minutes, le cas échéant. De plus, s’ils le souhaitent, les députés peuvent partager leur temps de parole avec d’autres collègues131. Par ailleurs, ils n’ont pas à intervenir de leur place attitrée132.

Les règles établies pour les débats s’appliquent aux débats d’urgence133. Une motion d’ajournement de la Chambre pour discuter d’une question importante dont l’étude s’impose d’urgence ne peut, comme toute autre motion d’ajournement, faire l’objet d’amendements134.

Finalement, il est assez fréquent que la Chambre adopte aussi un ordre spécial visant à interdire, lors de la tenue de débats d’urgence, les demandes de quorum, de consentement unanime ou la présentation de motions dilatoires135.

Conclusion du débat

Comme la motion visant la tenue d’un débat d’urgence est libellée simplement « Que la Chambre s’ajourne maintenant », la Chambre n’a pas à prendre de décision sur le sujet débattu à la fin du débat136. À minuit (16 heures le vendredi), ou lorsqu’aucun député ne se lève pour prendre la parole, la motion est déclarée adoptée par le Président et la Chambre s’ajourne jusqu’au jour de séance suivant137. Toutefois, si le débat se tient pendant les heures de séance normales de la Chambre et prend fin avant l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien, la motion est réputée retirée et la Chambre passe à d’autres questions138.

Le Règlement autorise un député, dans l’heure qui précède l’heure normale d’ajournement du débat, c’est-à-dire entre 23 heures et minuit ou entre 15 heures et 16 heures le vendredi, à présenter une motion en vue de poursuivre le débat au-delà de minuit (16 heures le vendredi)139. Si moins de 15 députés se lèvent pour signifier leur opposition, la motion est réputée adoptée. Un petit nombre seulement de débats ont été prolongés au-delà de minuit en application du Règlement140, alors que plusieurs ont été prolongés du consentement unanime141.

Il est arrivé que la Chambre veuille s’exprimer sur le thème d’un débat d’urgence par l’adoption d’une motion ou d’une résolution. En 1970, la Chambre a tenu un débat d’urgence sur le conflit nigérien-biafrais. Selon un ordre spécial adopté plus tôt au cours de la séance, le débat a été interrompu à 22 h 30. La Chambre a ensuite adopté une motion sur le même sujet, puis s’est ajournée sans mettre la question aux voix142. En 1983, après un débat d’urgence sur l’incident de l’avion civil sud-coréen abattu par l’Union soviétique, la motion d’ajournement de la Chambre a été réputée retirée ; la Chambre a ensuite adopté une résolution dénonçant les actes du gouvernement soviétique, puis s’est ajournée du consentement unanime jusqu’au jour de séance suivant143. En 1989, un débat d’urgence sur le massacre de la place Tiananmen, à Beijing (Chine), a été interrompu pour permettre à la Chambre d’adopter une résolution condamnant cet acte144. En 2007, une résolution pressant le gouvernement à prendre tous les moyens possibles pour faire cesser le détournement des eaux du lac Devils dans le réseau hydrographique canadien a été adoptée lors d’un bref rappel au Règlement durant un débat d’urgence portant précisément sur les activités d’exploitation de la décharge du lac Devils145.