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CHER Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 11 mars 1998

• 1535

[Français]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité du patrimoine canadien, lequel entreprend une étude sur le rôle du gouvernement fédéral par rapport à la culture en anticipation du siècle à venir.

Tout d'abord, je voudrais accueillir et remercier les invités de marque qui sont parmi nous, qui ont bien voulu se déranger pour venir participer à cette table ronde. Je salue particulièrement l'ancien ministre, Michel Dupuy, qui a été à la tête de ce ministère pendant plusieurs années. Bonjour, monsieur Dupuy.

Je voudrais vous expliquer qu'au lieu du format habituel des rencontres de comités, où on entend des témoins et on reçoit des mémoires, nous avons pensé cette fois à tenir une série de tables rondes pour regrouper différents secteurs d'activités dans les milieux culturels. Nous en avons eu trois jusqu'à présent, qui ont été très réussies. Nous avons commencé par les arts et, hier, nous avons eu les institutions culturelles, musées et archives. Dans l'après-midi, nous avons accueilli le monde de l'édition et des libraires.

L'objectif de l'étude est vraiment d'examiner les formes existantes de soutien du gouvernement fédéral et toutes les règles se rapportant au contenu, à la propriété, aux subventions, aux incitatifs fiscaux du gouvernement et aux défis, et de voir quelle place sera celle de ces incitatifs face aux défis plus nombreux et plus grands auxquels nous aurons bientôt à faire face.

[Traduction]

Nous avons concentré notre étude sur trois questions principales. Il y en a bien d'autres, bien sûr, mais nous avons estimé que celles-là étaient les plus importantes, compte tenu du temps que nous avions et de la structure du comité. Nous aimerions étudier ces trois questions, c'est-à-dire, l'arrivée de nouvelles technologies, l'évolution de l'économie mondiale et du commerce international, ainsi que l'évolution démographique au Canada.

Voici comment nous procédons. Pour commencer, nous entendons les experts et les fonctionnaires du ministère fédéral et d'autres ministères afin d'être mieux informés des faits entourant ces trois questions. Cette partie-là est terminée.

Ces tables rondes constituent la deuxième étape. Nous vous avons invités, vous et d'autres, afin que vous nous fassiez part de l'angle sous lequel vous abordez ces choses-là sur le terrain.

Une fois cette étape terminée—nous tiendrons six tables rondes en tout—après avoir entendu aujourd'hui les représentants des industries du cinéma et du vidéo, de la radiodiffusion et de l'enregistrement sonore, nous voyagerons pour rencontrer les gens chez eux et voir comment ils relèvent les défis auxquels ils sont confrontés, plus particulièrement dans les petites localités.

Les personnes ici présentes représentent un échantillonnage très représentatif de votre secteur. Dans les documents que nous avons distribués, nous vous avons remis une liste de cinq questions auxquelles nous aimerions que vous répondiez. Chacun de vous n'a pas nécessairement à répondre à toutes ces questions, vous pouvez choisir celles auxquelles vous souhaitez répondre. Nous voulons bien sûr avoir une discussion libre,

[Français]

dans les deux langues officielles, au choix de l'intervenant. La discussion sera tout à fait libre. Si vous voulez parler, vous n'aurez qu'à lever la main et nous inscrirons votre nom sur une liste.

Pour débuter, je voudrais vous demander de vous présenter. Ne donnez que votre nom et votre fonction, afin qu'on puisse commencer le plus tôt possible. Je veux vous dire que vers 16 heures, on va interrompre la table ronde, parce que la ministre sera parmi nous pendant quelques minutes pour nous parler de sa perception du sujet de la table ronde d'aujourd'hui.

• 1540

Je vais d'abord donner la parole à Mme Corbeil.

Mme Marie-Josée Corbeil (vice-présidente et chef du Service des affaires juridiques et commerciales, Cinars Films): Je m'appelle Marie-Josée Corbeil. Je suis vice-présidente et chef du Service des affaires juridiques et commerciales de Cinars Films, société basée à Montréal et qui s'occupe essentiellement de produire et de distribuer des films pour les enfants et la famille.

[Traduction]

M. Mark Muise (West Nova, PC): Bonjour. Je m'appelle Mark Muise et je suis le député de la circonscription de West Nova, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Je suis également porte-parole du Parti progressiste-conservateur en matière de patrimoine.

[Français]

M. Louis Plamondon (Richelieu, BQ): Louis Plamondon. Je suis député de la circonscription de Richelieu.

M. Michel Dupuy (ancien ministre du Patrimoine canadien): Michel Dupuy, ancien ministre de Patrimoine Canada.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf): Je suis Deepak Obhrai. Je représente la circonscription de Calgary-Est et je suis porte- parole adjoint de la loyale opposition de Sa Majesté.

M. Ted East (vice-président, Production et acquisitions, Alliance Pictures): Ted East. Je suis vice-président de la production et des acquisitions de Alliance Pictures, qui est la division de la production cinématographique de Alliance Communications, la plus grand entreprise canadienne de production et de distribution cinématographique et télévisuelle.

M. Jim Abbot (Kootenay—Columbia, Réf.): Je m'appelle Jim Abbott et je représente la circonscription de Kootenay—Columbia. Je suis le porte-parole du Parti réformiste en matière de patrimoine.

M. Keith Ross Leckie (président, Tapestry Films): Je m'appelle Keith Ross Leckie. Je suis scénariste et je travaille tant pour la télévision que pour le cinéma. Je suis président de la firme Tapestry Films, à Toronto.

Entre autres productions canadiennes, j'ai écrit le texte de The Avro Arrow.

M. Jefferson Lewis (scénariste): Je m'appelle Jefferson Lewis. Je suis également scénariste, et je n'ai pas écrit le texte de The Avro Arrow.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Je m'appelle Sarmite Bulte et je suis la députée de la circonscription de Ross et Mary Leckie.

The Avro Arrow a remporté un certain nombre de prix Gémini—en fait, il a remporté le prix Chrysler lors de la remise des prix Gémini.

Je suis très fière d'être avec vous aujourd'hui. Je représente la circonscription de Parkdale—High Park.

M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Je m'appelle Paul Bonwick et je suis député de Simcoe—Grey.

M. David Latchman (président, The River Production Company Inc): Je m'appelle David Latchman. Je suis cinéaste et scénariste.

[Français]

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Mauril Bélanger, député libéral d'Ottawa—Vanier en Ontario.

[Traduction]

Le président: Thank you, merci beaucoup.

La discussion peut maintenant commencer. Qui veut commencer?

[Français]

Monsieur Dupuy, vous pourriez peut-être ouvrir le bal.

M. Michel Dupuy: Je crois que le premier problème auquel nous devons faire face, c'est de décider vers quel secteur de cette industrie cinématographique et du vidéo nous allons porter nos regards. C'est une industrie immense. C'est une industrie complexe. Il y a le secteur de la production. De l'intérieur, vous avez la préproduction, la postproduction, des laboratoires. Vous avez la distribution, qui est une distribution exclusive, des distributeurs exclusifs, et enfin il y a la distribution selon le lieu: salles, théâtres et cinéparcs.

C'est donc une industrie divisée en un certain nombre de secteurs. Je crois que, dans l'ensemble, on peut dire que c'est une industrie puissante, qui se développe bien, qui est forte, qui a crû grâce à l'appui du gouvernement ou des gouvernements, car la plupart des gouvernements provinciaux et fédéral ont appuyé cette industrie, depuis une trentaine d'année dans le cas du gouvernement fédéral et peut-être même plus. Donc, c'est un monde extrêmement complexe.

Mais certains de ces secteurs sont des secteurs à problème. J'inviterais mes collègues à réfléchir et à se concentrer sur eux. Je dirais que c'est principalement la production de longs métrages par des sociétés canadiennes et, ensuite, leur commercialisation ainsi que leur accès aux salles, aux théâtres, aux cinémas qui peuvent les montrer.

Le reste de l'industrie dans l'ensemble, comme je le disais, se porte assez bien. J'ai rassemblé quelques chiffres qui montrent jusqu'à quel point ce qui est production de longs métrages et projection de ces longs métrages canadiens est faible. Il y a, d'après les statistiques de Statistique Canada, 11 producteurs de longs métrages au Canada, alors qu'il y a 706 firmes qui produisent du film et du vidéo, y compris bien sûr annonces, produits commerciaux et autres.

• 1545

La production de ces 11 firmes, en 1994-1995, les dates plus récentes que nous puissions vérifier auprès de Statistique Canada, était de 38 films contre 14 000 au total. Le revenu de ces films était de 42 millions de dollars contre un revenu global de 797 millions de dollars. Voici donc la première constatation: alors que les longs métrages sont la partie la plus brillante, la plus attirante, la plus populaire de toute l'industrie de haute visibilité, en réalité, pour celle du Canada, c'est un tout petit segment.

Pour ce qui est de la distribution, une documentation très étendue a été distribuée au cours des dernières années. Tout le monde déplore le fait qu'il n'y a que deux grandes chaînes de distribution au niveau des théâtres, qui sont très largement propriété étrangère, et on a pu constater que le temps d'écran des productions canadiennes était extrêmement faible. Il varie entre 2 et 4 p. 100. Il n'y a pas beaucoup d'augmentation, et c'est une situation considérée comme intolérable.

Je voudrais ne pas m'attarder sur le sujet tout de suite, mais y revenir. C'est une des questions sur lesquelles il va falloir se pencher. Je dirai tout de suite qu'il y a deux approches: une approche presque punitive à l'égard des propriétaires de salles pour les forcer à montrer plus de films canadiens, et des approches incitatives. J'aimerais y revenir.

Finalement, comme dernière remarque préliminaire, je dirai que l'industrie, dans son ensemble, l'industrie du film et de la vidéo au Canada, est en train de s'internationaliser. C'est là un facteur extrêmement important.

D'abord, il y a un volume d'investissements étrangers dans la production canadienne qui est en augmentation, ce qui est un phénomène quand même assez remarquable, alors que les investissements canadiens progressent beaucoup plus lentement.

Deuxièmement, un des aspects les plus dynamiques de cette industrie est l'exportation. Au cours des cinq années se terminant en 1995, les exportations ont doublé. Elles représentent plus de 160 millions de dollars par année, et cela croît très vite. C'est un signe que cette industrie répond aux défis de la mondialisation comme le font beaucoup d'autres industries. Constatant que le marché canadien est un marché limité, cette industrie essaie de se projeter à l'étranger. En soi, cela pose toutes sortes de questions de politique, d'appui, de politiques gouvernementales, étant donné que la percée sur les marchés internationaux de ces firmes canadiennes n'est pas facile et a probablement besoin de cet appui gouvernemental.

Je m'arrête là, mais ce sont des sujets sur lesquels j'aimerais revenir en cours de discussion.

[Traduction]

Le président: Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte: Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Dupuy. Permettez-moi de continuer un peu dans la même veine. Pourriez-vous nous dire en quoi ces mesures sont punitives. Parlez-vous de l'exigence en matière de contenu canadien? Quelles mesures prises par le gouvernement estimez-vous punitives?

Dans le cas de l'investissement étranger, je crois savoir—et nous pourrons peut-être en parler, madame Corbeil—que tout cela a grandement à voir avec les crédits d'impôt au titre des investissements que le gouvernement consent à l'heure actuelle.

J'ai aussi une question à poser sur le crédit d'impôt au titre des investissements, sous le régime du Fonds de télévision et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes. Quinze millions de dollars de ce fonds sont réservés aux films. Je sais également qu'à l'heure actuelle, il existe une anomalie quant à cet argent et à la façon dont il est traité aux fins du crédit d'impôt.

S'il y a une augmentation de l'investissement étranger, ma question est donc la suivante: que pouvons-nous faire pour cette industrie afin d'accroître les investissements canadiens, tant dans le contenu que dans son exportation?

Le président: Qui veut répondre à cette question? Madame Corbeil.

[Français]

Mme Marie-Josée Corbeil: Pour répondre à cette question, je dirai que je suis tout à fait d'accord avec M. Dupuy. On a vu clairement, au cours des récentes années, les productions, particulièrement télévisuelles, être de plus en plus exportées et les investissements étrangers dans les productions canadiennes augmenter de plus en plus.

• 1550

Malheureusement, actuellement, avec l'introduction de nouvelles règles concernant les crédits d'impôt fédéral, de même que celles qui s'appliquent à ce que j'appelle le fonds câblo, il se pourrait que les investissements étrangers de ce type rendent les productions canadiennes inadmissibles aux crédits d'impôt fédéral et, par ricochet, au fonds pour les productions canadiennes. Ce n'est pas encore tout à fait clair. Nous attendons confirmation du ministère des Finances à ce sujet.

Je pense que toute politique mise en place par le gouvernement portant sur les productions canadiennes ne devrait pas nuire à ce type d'investissements par des étrangers mais plutôt les encourager. Il va de soi que le gouvernement doit s'assurer que les sommes qu'il investit soient vraiment destinées à des productions canadiennes contrôlées par des Canadiens et dont le droit d'auteur est détenu par des Canadiens. Par ailleurs, je pense qu'il faut favoriser à tout prix les investissements étrangers et favoriser également l'exportation dans un contexte de globalisation si on veut avoir des compagnies de plus en plus profitables.

[Traduction]

M. Michel Dupuy: Permettez-moi de répondre au commentaire fait sur ce terme de «punitif». C'est le résumé d'une réalité beaucoup plus vaste. À l'heure actuelle, les producteurs de cinéma ont deux principaux marchés, outre l'exportation. Il y a le marché de la télévision, et l'autre, celui du cinéma. Il y a aussi le marché du vidéo, mais n'en parlons pas pour l'instant.

Dans le cas du marché de la télévision, le CRTC et d'autres organismes imposent tout un ensemble de règlements qui régissent le contenu canadien afin de réserver du temps d'antenne aux productions canadiennes; ces mesures limitent en fait l'importation de produits étrangers. Loin de moi l'idée de dire qu'il s'agit d'une mesure punitive. Cela fait partie de la politique. Pour ma part, j'estime que c'est une bonne politique et que c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles les producteurs canadiens ont eu beaucoup plus de succès à la télévision qu'au cinéma.

Pour le marché du cinéma, il y a deux façons d'exercer des pressions sur les propriétaires étrangers. Premièrement, on peut imposer des quotas. Certains pays le font. Le Canada ne l'a jamais fait. C'est une mesure qui pourrait être envisagée, et elle l'a été à l'occasion. Mais si nous nous engagions dans cette voie, nous pourrions nous attendre à des réactions très vives, compte tenu des accords internationaux que nous avons signés en Amérique du Nord, avec les États-Unis et d'autres pays. Ce n'est pas une orientation facile et il est certain que les intérêts étrangers concernés estimeraient qu'il s'agit d'une mesure punitive.

L'autre moyen constituerait à obliger ces intérêts étrangers à se départir de leur droit de propriété. C'est également un recours possible, mais les propriétaires des entreprises estimeraient qu'il s'agit d'une expropriation injustifiée. C'est donc également difficile à appliquer. C'est que ce que nous entendions lorsque nous avons parlé de mesure punitive.

Il y a un autre élément extrêmement important, et c'est que si nous voulons augmenter la présentation de films canadiens dans les cinémas, ce n'est pas auprès des distributeurs qu'il faudra agir, mais plutôt du côté des producteurs. Il faudrait permettre aux producteurs canadiens de produire des oeuvres mieux financées et plus accrocheuses, si vous me permettez ce terme, afin de rendre plus facile la commercialisation de leurs produits dans les cinémas appartenant à des intérêts étrangers.

Le président: C'est peut-être un bon moment pour écouter M. East et M. Lewis.

M. Ted East: C'est un sujet dont nous discutons depuis bien des années. Avant de s'engager dans la voie des quotas ou de la cession de la propriété des Américains vers les Canadiens, il faut comprendre dans quel monde tout cela se produit. Ce qui importe, c'est de vendre du maïs soufflé. Les salles de cinéma se fichent pas mal d'où vient le film, tant qu'elles peuvent vendre beaucoup de maïs soufflé.

• 1555

Si vous jetez un regard honnête sur le cinéma canadien des 10 dernières années, vous constaterez que les films qui ont remporté du succès dans les cinémas partout au monde sont à peu près les mêmes qui ont eu du succès ici au Canada, à quelques exceptions près. Également, ces films ont pu être montrés dans d'autres pays.

Avant d'envisager une telle stratégie, il faudra se demander quel prix politique devra être payé et si cela en vaut la peine. Également, il faudrait déterminer quelles sont les attentes en bout de ligne. Si tous les cinémas canadiens devaient appliquer des exigences de 20 p. 100 de contenu canadien, les cinémas se trouveraient-ils en faillite? Augmenterait-on l'auditoire pour les films canadiens?

Dans les faits, certains cinémas seraient peut-être obligés de fermer leurs portes et vous augmenteriez peut-être l'auditoire des films canadiens, même si je ne crois pas que ce soit de façon importante. Mais le vrai défi consiste à mon avis à créer un ensemble d'oeuvres cinématographiques de grande qualité, et à trouver les moyens nécessaires pour cela.

Le président: M. Lewis, puis M. Leckie.

M. Jefferson Lewis: Si vous me le permettez, je dirai que c'est à peu près exactement le même argument qu'on a fait valoir, mot pour mot, lorsque le Canada a décidé d'imposer des quotas à la radio. Cette mesure a eu pour effet de créer une industrie canadienne de la musique qui n'existait pas auparavant.

Il est faux de dire que les films canadiens qui sont faits à l'heure actuelle n'en valent pas la peine, que les Canadiens ne veulent pas les voir parce qu'ils préfèrent les films américains. Je me suis assis au fond de salles de cinéma dans lesquelles jouaient des films dont j'avais écrit le scénario, et j'ai entendu les gens rire, pleurer, se parler, je les ai vus sortir des cinémas et raconter ce qu'ils avaient vu. Il en est de même de centaines d'autres films canadiens.

C'est complètement ridicule. Il est absurde de comparer la réussite commerciale d'un film canadien à celle d'un film américain dont le budget de distribution et de promotion était dix fois supérieur au budget de production du film canadien. C'est une farce de dire que les deux sont sur le même pied et qu'en faisant de meilleurs films au Canada, l'auditoire canadien fera la queue devant les cinémas.

Le président: Monsieur Leckie, la discussion devient intéressante.

M. Keith Ross Leckie: Je suis d'accord avec Jefferson. En 1972, j'étais en première année de mon programme d'études cinématographique à l'école Ryerson, et j'ai beaucoup participé aux pétitions qui ont été lancées pour que soit imposé un quota de 15 p. 100 de films canadiens dans nos cinémas. En 1972—la même année—on a imposé un quota visant la musique diffusée à la radio; tous s'opposaient à une telle mesure, des propriétaires de stations de radio jusqu'aux présentateurs. Mais le quota a néanmoins été imposé et vous pouvez voir aujourd'hui que nous avons une merveilleuse industrie de la musique. Notre industrie, à notre grand plaisir, a même maintenant la part du lion des prix Grammy.

En 1972, mes collègues du collège et moi pensions qu'un tel quota serait imposé également aux films montrés dans nos cinémas un an ou deux plus tard. Cela ne s'est jamais fait, mais les années ont passé et nous pensions que quand viendrait le moment d'obtenir notre diplôme, on aurait sûrement déjà mis en place une politique du cinéma qui permettrait aux films canadiens d'être montrés dans les cinémas dominés par les Américains. Quelques années plus tard, Flora MacDonald a fait de son mieux pour faire adopter une loi qui garantirait l'accès des films canadiens à nos cinémas, mais la résistance américaine a été plus forte. On a imposé au lieu une mesure volontaire qui n'a eu aucun effet et qui a fini par être abandonnée.

Le mot «quota» a une connotation douteuse. Lorsque je l'utilise dans des réunions comme celle-ci, les gens disent qu'ils n'en veulent pas, car ce serait une mesure punitive contre les Américains. Mais je dis qu'il faut agir, car nous devons tous convenir que le cinéma canadien, à quelques rares exceptions, est un échec. Il faut prendre des mesures très agressives, car le cinéma et la télévision, mais surtout le cinéma, sont peut-être l'expression la plus forte et la plus dynamique de ce qu'est un pays. Il faut donc mettre en place des lois efficaces.

Merci.

• 1600

Le président: Merci beaucoup, monsieur Leckie.

Monsieur East, je me souviendrai que vous avez demandé la parole.

Entre-temps, permettez-moi de vous présenter la ministre. Vous la connaissez tous. Je lui laisse la parole.

Merci de vous joindre à nous, madame la ministre.

[Français]

L'hon. Sheila Copps (ministre du Patrimoine canadien, Lib.): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Merci, monsieur le président.

Je suis très contente que le comité permanent se penche sur cette question. C'est une merveilleuse occasion.

Au cours des derniers jours, vous avez eu des discussions assez franches et très créatrices. Votre comité a étudié les moyens pratiques de renforcer l'industrie cinématographique canadienne. C'est également l'objectif de l'examen approfondi que nous avons entrepris quant à la politique cinématographique.

Contrairement à Keith, notre estimé scénariste, je ne voudrais pas porter de jugement quant à la forme d'expression qui est la plus puissante, mais quelqu'un a déjà dit, n'est-ce pas, qu'une image vaut mille mots. C'est suffisant.

J'ai demandé à ce que le document suivant vous soit distribué. On y étudie le problème de façon illustrée, puisqu'une image vaut mille mots, et on y discute un peu les questions dont Keith a parlé, quant aux objectifs et à notre orientation.

[Français]

Est-ce que tous ont une copie du document? Certains le connaissent déjà.

[Traduction]

Aujourd'hui, dans n'importe quelle librairie, nous avons l'embarras du choix. Nous pouvons choisir parmi des auteurs canadiens de renommée internationale comme Margaret Atwood, Michael Ondaatje, Michel Tremblay et Carol Shields.

À la radio, nous pouvons entendre des voix canadiennes. Nous avons ce choix. Nous pouvons écouter Céline Dion, Paul Brandt, Susan Aglukark et Bruno Pelletier. À la télé, nous pouvons voir John Manley dans l'émission Traders, nous pouvons regarder Due South ou L'Ombre de l'Épervier.

Mais soyons honnêtes. Comme le montrent clairement les chiffres de ce tableau, comparativement aux spectacles, au choix de magazines, d'émissions de télévision, de livres et même d'oeuvres sonores auxquels ont accès les consommateurs, il faut avouer que les films canadiens sont trop rares sur les écrans, sur les tablettes de nos magasins de vidéo ou à la télévision.

[Français]

Une chose est claire. Dans les autres secteurs culturels, s'ils ont le choix, et je dis bien le choix, les Canadiennes et les Canadiens préfèrent voir, entendre et lire les histoires de chez nous. Ils veulent entrer dans une salle de cinéma et voir plus de films comme The Hanging Garden ou The Sweet Hereafter. Mais la population canadienne n'a pas toujours cette chance. Le monde est en pleine mutation et nos politiques doivent suivre cette évolution. Les nouvelles technologies et l'essor du marché ont changé les règles du jeu.

Pour le Canada, cela signifie qu'il faut adopter une approche plus globale quant à la production, la mise en marché et la présentation des films. Voilà l'essentiel et les raisons d'être de cette table ronde.

[Traduction]

Passons en revue les chiffres, parce que certains pourraient user de l'argument que j'appelle... J'aimerais renverser cet argument du choix, car j'ai lu dans certains éditoriaux de journaux que si les Canadiens aimaient les films canadiens, ils les regarderaient. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils n'en veulent pas.

Regardons les chiffres dans d'autres secteurs de la culture. Prenons d'autres produits culturels auxquels les Canadiens ont accès, à commencer par les magazines. La moitié des magazines que nous lisons au Canada sont produits ici. Cela présente en soi un autre défi, quant à la façon dont nous réagirons à la réponse de l'OMC, si nous voulons garantir que ces chiffres demeurent les mêmes.

Certains d'entre vous sont peut-être suffisamment vieux pour se rappeler qu'à une certaine époque, il n'y avait au Canada que trois magazines canadiens. Certains d'entre vous se rappelleront du magazine Liberty. Je suis beaucoup trop jeune moi-même, mais je vois que quelques membres du comité s'en rappellent. Il n'y avait pas d'industrie canadienne du magazine, et nous l'avons créée grâce à une série de politiques—pas d'une politique unique, car il n'y a pas de taille unique dans ce domaine—qui ont permis la création de plus de 700 magazines, et le chiffre est à la hausse.

• 1605

Pour ce qui est des émissions de télévision, je reviens d'une réunion du Conseil de l'Europe qui a eu lieu à Thessaloniki, en Grèce, en décembre. Les émissions de télévision grecques représentent 2 p. 100 de la programmation dans ce pays. Et pourtant, la Grèce est l'une des plus anciennes démocraties au monde. Les gens de ce pays ne s'intéressent-ils pas à leur histoire?

Mais en regardant les chiffres sur la programmation télévisuelle canadienne, rappelez-vous que lorsque Radio-Canada a entrepris d'offrir toute une soirée d'émissions canadiennes, on disait que cela ne marcherait pas, que les gens changeraient de poste. En fait, la part du marché de Radio-Canada a augmenté car la société offrait des émissions de caractère entièrement canadien. À la télévision, la part de la programmation est de 42 p. 100.

Du côté des livres, personne ne peut vous obliger à acheter des ouvrages canadiens, mais si vous allez dans une librairie canadienne, c'est un choix possible. On constate que les Canadiens, en grand nombre, veulent lire des oeuvres qui les représentent, et c'est pourquoi notre pourcentage atteint les 40 p. 100.

Keith a parlé plus tôt des enregistrements sonores. Lorsqu'on a eu l'idée d'un contenu canadien pour la radio, les chiffres étaient loin d'être ce qu'ils sont aujourd'hui. Ces chiffres continuent de grossir, mais il faut atteindre une masse critique sur le plan artistique pour assister au genre d'explosion qu'on a eu l'été dernier avec Sarah McLaughlin et la tournée Lilith. Phénomène incroyable. Il y en avait qui disaient que ça ne pouvait pas se faire et que les gens ne se déplaceraient pas que pour entendre des femmes chantées. Voyez ce qu'elle a réussi à faire. Génial!

On en est maintenant au cinéma. Il y en a qui disent que ça va mal parce que nous faisons de mauvais films. Certains affirment qu'il n'y a vraiment rien à faire et qu'on doit laisser au marché le soin de voir à tout cela. Voyez ce qui se passe en Europe. Il y a quelques années; j'étais à Berlin, la patrie du cinéma novateur. Voyez les chiffres de l'Union européenne et leur évolution au cours des dix dernières années, on voit que tous ces pays avancent dans la mauvaise direction. Pour notre part, nous ne faisons qu'aller plus vite à partir d'un point de départ qui est beaucoup plus bas.

[Français]

On parle justement de la France, de l'Angleterre, de l'Espagne, de l'Italie, de la Suède, dont les cinéastes, comme Ingmar Bergman, sont déjà renommés. Dans toutes ces parties du monde, on voit que, depuis 10 ans, la part du marché proprement domestique est tombée en général de 22 à 12 p. 100, alors que le marché américain est passé de 57 à 75 p. 100 durant la même période.

[Traduction]

Il y a quelques mois, j'assistais à Paris à une rencontre de l'UNESCO qui portait sur la culture, et je me promenais sur les Champs-Élysées et je suis passée à côté...

[Français]

Vous savez qu'actuellement, le grand débat entre le Canada et la France consiste à décider qui doublera les films américains. Vous marchez sur les Champs-Elysées et vous voyez que dans sept salles de cinéma, on passe un film en anglais, cinq films américains et un film véritablement français, ce qui reflète actuellement la situation des salles de cinéma en France.

Donc, le problème du long métrage n'est pas propre au Canada. Cependant, nous avons une longue frontière commune avec les Américains.

[Traduction]

C'est la plus longue frontière libre du monde. Il y a la proximité géographique. La plupart des Canadiens vivent à moins de 150 kilomètres de la frontière américaine. Deuxièmement, nous avons une langue en commun, ce qui facilite de beaucoup la vente de produits américains au Canada. Tout ce que nous demandons, et je pense que la question à laquelle vous devez...

[Français]

La question sur laquelle vous devez vous pencher n'est pas d'abolir ou de restreindre l'entrée d'autres formes de culture.

[Traduction]

Le Canada est le forum le plus ouvert du monde aux diverses cultures, et c'est pourquoi diverses formes d'expression prennent pied dans notre pays. Mais nous devons nous assurer, par un dosage judicieux de politiques gouvernementales et d'investissements privés, de faire entendre notre propre voix dans toutes ces formes d'expression.

Je suis la mère d'une enfant qui a près de 11 ans. Je ne veux pas qu'elle hérite d'un pays où elle ne pourra pas voir sa propre image reflétée dans toutes les formes d'expression. Si la culture est l'âme d'un pays, on acquiert son identité de toutes les formes d'expression culturelle. Je me demande—pour ceux qui veulent invoquer l'argument commercial, invoquons-le justement—si c'est une question de choix, comment se fait-il que dans un monde où les frontières sont censées disparaître et où il faut égaliser davantage les chances, la distribution semble toujours se faire à sens unique?

• 1610

Voyez ce que nous avons fait à la radio, ce n'est pas parfait, et Dieu sait qu'on pourrait trouver des exemples où l'on pourrait raffiner, modifier et moderniser les exigences relatives au contenu canadien. Voyez ce que nous avons fait pour les revues. Voyez ce que nous avons fait pour les enregistrements sonores. Voyez ce que nous avons fait pour assurer la création d'un système de distribution canadien pour le livre, si bien que lorsqu'on entre dans une librairie on ne se retrouve pas devant une base de données gérée à partir de New York ou de Washington, par exemple. Tout cela fait partie intégrante de l'articulation d'une politique culturelle qui marche.

Là où l'on note une lacune béante, c'est au niveau du long métrage. Voyez les autres modèles que nous avons mis en oeuvre au cours des 25 dernières années. Je pense que nous pouvons créer un climat propice permettant à nos enfants d'avoir les mêmes choix pour le long métrage qu'ils ont aujourd'hui pour la télévision, le livre, le magazine et l'enregistrement sonore.

J'ajouterais—et je pense que ce sera ma dernière observation avant de passer à la discussion libre—que nous devons nous assurer, dans l'articulation de politiques visant à soutenir notre culture, d'adhérer à la thèse primordiale suivante, à savoir que le Canada ne peut pas se permettre de devenir une monoculture à l'heure où le monde devient un village global. Nous devons créer un climat où diverses langues et cultures peuvent s'épanouir ensemble.

[Français]

Nous vivons actuellement la seule période de l'histoire du monde où le nombre des langues diminue. Pensons, par exemple, à l'inforoute. Quatre-vingt-dix-sept pour cent de ce qui est sur l'inforoute est dans une seule langue. C'est monolinguistique et cela peut devenir monoculturel si nous ne nous donnons pas les outils pour nous assurer de faire entendre notre propre voix.

Cela ne veut pas dire qu'on refuse d'entendre la voix des autres. Mais donnons-nous la possibilité d'avoir une culture vibrante, dans tous les domaines d'expression, y compris les films de long métrage. C'est le défi que vous devez tenter de relever avec nous.

La discussion que vous avez commencée et qui va se poursuivre dans le groupe de travail au niveau ministériel, portera fruit et donnera à ma fille la possibilité de voir exprimer ce qu'elle est, aussi bien dans un film que dans les autres médias actuellement à sa disposition.

Le président: Thank you very much. Merci beaucoup de vous être jointe à nous.

[Traduction]

Allez-vous pouvoir rester ou avez-vous d'autres obligations?

L'hon. Sheila Copps: Je peux rester.

[Français]

Le président: Je vais prendre la liste et vous y inscrire.

[Traduction]

Je vais donner la parole à M. East, puis à M. Latchman, M. Abbott, M. Muise, M. Lewis et M. Plamondon.

M. Ted East: Je veux seulement répondre à M. Lewis. Je ne suis pas tout à fait en désaccord avec ce qu'il dit. Si l'on devait imposer des quotas quelconques dans notre pays au niveau des salles, je ne m'y opposerais pas nécessairement. Mais il faut savoir ce que cela veut dire, il faut savoir comment on va faire ça, et quelles sont nos attentes.

Alliance Communications, que je représente, distribue des films canadiens depuis plus de 20 ans. Chose certaine, au cours des cinq ou six dernières années, nous n'avons pas eu de mal à trouver des salles pour nos films canadiens, particulièrement ceux que nous jugions assez bons et assez populaires pour rejoindre un auditoire national. Allez parler aux distributeurs de Les Boys, The Hanging Garden ou Margaret's Museum, vous ne les entendrez pas se plaindre. Le problème pourrait se poser avec la bonification du cinéma canadien. Le jour où nous allons produire notre propre Full Monty, il se peut fort bien que nous nous butions à ce problème.

• 1615

Quand on regarde ça, il faut vraiment s'interroger sur ce que sont nos propres attentes, quel serait le prix politique à payer—et je crois en effet qu'il y aurait un prix politique à payer ici—et quel rôle joueraient les propriétaires de salles après qu'on leur aura dit qu'il faut réserver 10 p. 100 ou 20 p. 100, ou peu importe le pourcentage, de leur temps de salle à nos films. Est-ce qu'ils nous aideraient à produire des films? Parce que je pense que ça aussi, c'est intéressant.

Donc, je pense que c'est une chose qu'il faut envisager, mais je ne crois pas qu'il faut y voir la seule solution à ce problème, et ce n'est pas parce que vous aurez des quotas que, tout à coup, l'industrie du long métrage canadien va bien se porter, car les choses ne se passeront pas ainsi. Si vous choisissez de faire ça, vous allez constater qu'il n'y aura pas de résultats avant bien des années.

Voyez ce qui se fait dans d'autres pays, comme la France. En France, où il existe des quotas, les propriétaires de salles préfèrent très souvent payer l'amende et montrer des films américains parce qu'ils gagnent plus d'argent comme ça.

Je crois donc que c'est un problème très compliqué.

Le président: Monsieur Latchman.

M. David Latchman: Je n'ai pas l'habitude de parler devant un comité parlementaire, je vous demanderai donc d'être indulgents.

Le président: Nous sommes très gentils ici.

M. David Latchman: Vous m'avez l'air très gentils. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité. C'est un véritable honneur et un plaisir que de pouvoir discuter avec vous de ces enjeux très importants pour notre pays.

J'ai quelques observations à faire. Comme il y a plusieurs années que je suis dans le métier, je diviserai mes observations en trois: le problème, l'impact et la solution.

Je suis cinéaste. Je fais de la cinématographie et de la photographie depuis 30 ans. J'ai à mon actif 200 heures de films et 50 000 photographies. Je me suis sali les ongles dans la rivière Don, littéralement—et à ce propos, j'essaie encore de terminer le film que j'ai commencé à tourner il y a huit ans sur cette rivière. Même si j'ai trouvé trois diffuseurs et 35 commanditaires différents, et même s'il m'a fallu adresser 14 000 propositions aux entreprises et organismes canadiens, dont le gouvernement fédéral, qui a participé, et même si le film est terminé à 90 p. 100, il est loin d'être terminé dans mon esprit, et personne ne l'a encore vu. Ce film compte plus de 600 prises de vue, que j'ai tournées, que j'ai montées, et ça a vraiment l'air d'une rivière.

Hormis ce problème, qui se pose toujours—j'ai rencontré aujourd'hui quelqu'un d'Environnement Canada et j'ai parlé à un investisseur ce matin des nouvelles technologies et des nouveaux médias, choses qui m'intéressent beaucoup aussi; ça fait 25 ans que je m'amuse avec des ordinateurs, je sais donc l'impact que le multimédia aura, et l'impact qu'auront ces diverses cultures qui vont entrer au Canada avec l'univers des 10 millions de canaux—et à mon avis, ce qui doit vraiment retenir notre attention, c'est notre faculté de nous raconter. Se raconter, ce peut être par exemple l'histoire d'une famille américaine qui s'établit dans notre pays. C'est ça, raconter une histoire canadienne.

Le fonds de production du câble, si l'on me permet d'être très précis, permet à un producteur canadien d'acheter les droits sur un sujet américain avec de l'argent américain, probablement 100 p. 100 du montant, et le producteur a toujours droit au 10 p. 100 ou davantage du fonds de production du câble. C'est intéressant. Si toute cette infrastructure est en place, comment puis-je faire concurrence avec un sujet canadien même si l'on va finir par tourner un film sur un sujet canadien, mais ce sera une compagnie américaine qui va le faire?

On se retrouve donc un peu dans une impasse ici. Mais je vis ici. Les Américains ne vivent pas ici. Ma mère est américaine. J'ai fait mes études là-bas. Mon grand-père est un Américain de troisième génération.

Je pense que c'est vraiment le sujet canadien qui doit retenir notre attention, parce que, ce que je vois, comme mes amis me l'ont dit—et j'ai écrit cela quelque part—c'est qu'on en est arrivé à faire des films postmodernes, déconstructionnistes, avec un pseudo-contenu dénué de toute expérience humaine, avec des gens qui sont habillés en noir et qui ne pensent qu'à la mort.

Des voix: Ah, ah!

L'hon. Sheila Copps: En fait, Men in Black a fort bien réussi.

Des voix: Ah, ah!

M. David Latchman: Je pense qu'il faut stimuler le milieu du cinéma en tournant des films sur nos héros, en fabriquant nos mythes. Il y a de nombreux exemples de cela dans l'industrie américaine, pratiquement tout au long de son histoire. Il s'agit de films sur des héros, sur des héroïnes. Ce sont des sujets héroïques.

C'est peut-être pour ça que le public canadien ne vient pas voir... et c'est peut-être pour ça qu'ils sont attirés par le cinéma américain.

• 1620

Il y a quatre modes de film. Je ne veux pas m'enfoncer dans une trop longue digression ici, mais dans la théorie du cinéma, le Sud exprime la passion; le Nord exprime la découverte intellectuelle, une quête; l'Est montre le personnage essentiel entravé par des obstacles, qui ne peut pas surmonter ses obstacles; l'Ouest, cependant—et cela a été noté en 1956 par John Ford dans The Searchers—c'est l'histoire d'un homme qui surmonte ses obstacles et parvient à une plus grande conscience du monde.

Un changement fondamental... et nous n'avons pas nécessairement ça ici parce que nous vivons constamment dans le voisinage du géant américain. Pourquoi ne concluons-nous pas, par exemple, un traité de coproduction comme le Pacte de l'automobile, comme l'a fait le gouvernement libéral il y a longtemps? On pourrait peut-être égaliser les chances et obtenir du temps de salle ici, et comme ça, les gars comme moi qui traînent dans les cafés et qui écrivent ou qui rêvent à leur fenêtre sur ce que nous faisons dans notre grand pays... J'ai pris l'avion de 8 heures ce matin, et j'ai vu un fort beau paysage.

Soit dit en passant, où ai-je vu cela à la télévision? Je n'ai pas vu mon pays à la télé. Il n'est donc pas étonnant qu'il s'effondre, d'une manière.

Pourquoi ne pas avoir un traité de coproduction? C'est ce que mes collègues disent. Que diriez-vous d'un traité de coproduction avec tous les autres pays sauf les États-Unis? Cela égaliserait peut-être les chances. C'est une suggestion.

Mon autre suggestion...

L'hon. Sheila Copps: On en a déjà. Nous avons environ 31 traités de coproduction.

M. Jefferson Lewis: Oui, mais pas avec les États-Unis.

M. David Latchman: Exactement. C'est ce que je veux dire. Est-ce une bonne idée? Ne serait-il pas bon d'avoir un traité de coproduction?

Le président: Vous voulez dire un traité de coproduction avec les États-Unis?

M. David Latchman: Nous avons le Pacte de l'automobile qui permet aux Canadiens de construire des voitures américaines— quelque chose de cette nature. Nous pourrions avoir un pacte du cinéma qui nous permettrait de rapatrier nos salles. Remontez un peu dans l'histoire de notre pays. Dans le cours de ma vie—et j'ai 48 ans—j'ai vu mon pays se faire envahir.

Autre chose, c'est que l'un des gros problèmes que j'ai comme producteur—et c'est une des questions qu'on pose ici—c'est qu'il y a une pléthore d'organismes subventionnaires alors qu'il ne devrait n'y en avoir qu'un, et je ne parle pas des entreprises privées comme Alliance et les autres. Il ne devrait y en avoir qu'un. Pourquoi dois-je m'adresser à 12 entreprises et organismes différents, dois-je aller frapper à une porte, à une autre, puis à une autre? C'est ahurissant. Je ne veux pas passer le reste de ma vie au Canada à faire ça. C'est la raison pour laquelle les Canadiens de Hollywood ne veulent pas revenir ici. Première chose, ils ne veulent plus composer avec toute cette infrastructure; deuxième chose, ils ne veulent rien savoir de la police du contenu. Nous avons une police du contenu dans certains de ces organismes— dans l'un d'entre eux en particulier.

Il ne faut pas gérer ça comme si c'était le Conseil des arts. Il faut gérer ça comme une entreprise commerciale vouée au divertissement et axée sur le marché. Une fois que le fonds de production du câble donne son accord et une fois que le diffuseur, le propriétaire de la salle, disent oui, comment se fait-il que Téléfilm, qui a tout cet argent depuis tant d'année, vous répond encore, non, vous ne pouvez pas mettre tel ou tel mot dans le scénario, ou il vous faut engager tel ou tel directeur de production? Ça ne va pas. C'est une mauvaise politique.

Le président: Vous avez soulevé beaucoup de questions, qui vont devenir des sujets de discussion, j'en ai la certitude. Pourquoi ne pas entendre d'abord des réactions, après quoi nous vous redonnerons la parole?

Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Merci.

Le président: L'homme qui vie de la controverse.

M. Jim Abbott: J'étais en train de me demander ce que Céline Dion et Bryan Adams ont en commun avec les planches à roulettes et les pantalons bouffants, et ce qu'ils ont en commun, c'est qu'on les trouve à Paris, à Hong Kong et à Sydney, en Australie. Autrement dit, nous ne vivons plus en 1972, à l'époque où nous avons établi la règle du contenu canadien. Nous vivons à l'époque de CNN, où vous pouvez être n'importe où dans le monde et voir Saddam Hussein se faire bombarder, ou peu importe ce qui se passe là-bas.

Nous vivons aussi dans le monde de l'ALENA. Il y le GATT et l'OMC. J'ai la sympathie la plus sincère pour M. Lewis—et comme je l'ai dit au comité hier, mon gendre est musicien et compositeur, et j'ai deux petits enfants merveilleux qui vivent de son métier. J'ai donc un intérêt ici, mais je suis aussi pragmatique.

• 1625

Un consultant commercial de Washington, William Merlin, a dit qu'il serait très intéressant de faire quelque chose comme ça, soit limiter l'accès aux écrans, et je cite:

    Si le gouvernement canadien essayait d'imposer de nouvelles mesures qui limiteraient l'action des distributeurs de films américains au Canada, cela créerait un problème politique à Washington, a-t-il déclaré. L'industrie du cinéma américaine a beaucoup d'amis au Congrès.

Sachant la réaction très hostile à l'initiative libérale visant Sports Illustrated, et le fait que le débat dure encore, je maintiens que nous vivons en 1998 et non en 1972, et que l'OMC et l'ALENA existent... Sauf tout le respect que je vous dois, la ministre peut nous dire qu'elle va faire toutes ces jolies choses, mais elle pourrait peut-être aussi nous donner une idée de la manière dont elle entend s'y prendre.

Par exemple, si on veut annuler les exemptions américaines existantes, qu'allons-nous donner en retour aux États-Unis? Ils vont nous dire: «Ah, oui, on aimerait bien annuler certaines exemptions.» Combien est-ce que ça va coûter? Les idées exprimées par la ministre du Patrimoine ici sont-elles réalisables, ou est-ce qu'elle ne fait que flatter ceux qui en rêvent?

Le président: Monsieur Abbott, nous ne sommes pas réunis aujourd'hui pour débattre avec la ministre. Nous voulons un échange.

Mais, madame la ministre, si vous voulez donner une brève réponse, n'hésitez pas.

L'hon. Sheila Copps: Jim, je pense que vous avez parfaitement raison: nous vivons dans un village global. Voilà pourquoi il est encore plus important aujourd'hui pour nous d'avoir les instruments qu'il nous faut si nous voulons faire entendre notre propre voix.

Je crois que nous aurions tort de vouloir privilégier une seule formule magique. Il n'y a pas de solution magique à ce problème qui consiste pour nous à conserver un certain espace, mais voyez notre politique sur les revues, par exemple, et si vous vous donnez la peine d'en prendre connaissance dans le détail, vous allez voir que nous n'avons rien fait au sujet de Sports Illustrated. Les États-Unis se sont dit qu'avec l'installation d'imprimeries au Canada, ils pourraient contourner les lois canadiennes qui disent que pour avoir droit à des allégements fiscaux, il faut faire de la publicité dans des revues canadiennes. Ils envoient leurs produits par transmission électronique chez nous, font imprimer leurs revues au Canada et les appellent des revues canadiennes.

Lorsque je suis allée au Conseil de l'Europe—et quelques députés ici présents m'accompagnaient—j'ai apporté avec moi un exemplaire de l'édition canadienne de la revue Time. La page couverture portait sur le processus d'Ottawa pour l'interdiction des mines antipersonnel. Mais on ne mentionnait pas le rôle joué par le ministre canadien des Affaires étrangères, le rôle joué par le premier ministre du Canada et le rôle joué par le Parlement du Canada. On y parlait du président Clinton et de Jody Williams. On ne faisait aucune mention... Mais il s'agissait de l'édition canadienne de la revue Times.

Ce n'est pas parce que nous vivons dans un village global qu'il faut exclure d'autres formes d'expression ou d'autres cultures. Ce que nous disons, c'est que si l'on regarde l'expérience que nous avons vécue au cours des 25 dernières années, on constate que s'il existe aujourd'hui une masse critique d'artistes canadiens qui réussissent bien, c'est précisément parce que nous avons une loi qui impose un certain pourcentage de contenu pour les Canadiens.

Antonine Maillet, l'écrivaine, qui est très respectée, ne peut pas vivre de sa plume aujourd'hui à cause de la nature de son métier. Ce n'est pas tout le monde qui est Céline Dion ou Bryan Adams, mais d'un autre côté, nos lois nous ont permis de créer une masse critique de matériel qui rejoint les auditoires et ouvre des débouchés.

Mon rêve le plus cher, c'est d'atteindre un stade au XXIe siècle où notre culture sera tellement bien développée que nous n'aurons plus besoin du soutien de l'État. Mais, à mon avis, parce que nous vivons dans un monde qui est de plus en plus globalisé et de plus en plus monoculturel... Quand on lit l'édition canadienne de Time et qu'on y parle du président Bill Clinton et que tout porte sur la vie américaine, je pense que nous avons besoin de certains instruments.

Je ne veux pas m'en tenir à la question des quotas parce que les quotas ne constituent peut-être pas une solution dans ces circonstances.

Vous avez parlé du succès de certains films et du fait que les gens ne veulent pas voir certains genres de films. Je pense que Robert Lantos a donné un excellent discours récemment devant le Canadian Club et le Empire Club, où il a dit essentiellement que le film The Sweet Hereafter, en proportion de l'investissement, avait rapporté davantage que le Titanic—si l'on tient compte du niveau d'investissement—parce que le Titanic avait un budget de 250 millions de dollars et même davantage... Il a fait ce discours il y a trois semaines environ, je pense, et les chiffres ont dû grossir depuis. Mais le fait est que le budget de promotion pour la plupart des films américains est plus gros, jusqu'à 100 fois plus que le budget de la plupart des films canadiens.

• 1630

On compare ici des pommes et des oranges. On ne dit pas qu'il faut cesser de manger des pommes, mais s'il n'y qu'un seul fruit dans votre verger, ce n'est pas très intéressant. Je pense que nous devons cultiver des fruits qui sont différents dans notre verger à nous. C'est ce qu'il s'agit de faire. Il n'existe pas de solution magique, mais il faut peut-être un dosage judicieux de diverses mesures.

Le président: Il nous reste une heure, et j'ai reçu beaucoup de demandes. Pouvons-nous montrer plus de concision dans les minutes à venir afin que chacun ait la chance d'intervenir.

Monsieur Muise.

M. Mark Muise: Sachant que c'est une question très compliquée, comme l'a dit M. Latchman, quelles mesures ou quels incitatifs le gouvernement doit-il mettre en place pour aider l'industrie cinématographique?

Deuxièmement, quels éléments faut-il inscrire dans la politique culturelle pour aider cette industrie?

Le président: Vous voulez la réponse des représentants de l'industrie?

M. Mark Muise: Eh bien, ce n'est que l'une des questions qui me sont venues à l'esprit en vous écoutant. J'aimerais avoir une réponse à un moment donné.

M. Jefferson Lewis: Je pense que le problème avec lequel nous sommes aux prises—et je vais répondre à votre question très bientôt—c'est que je suis pas mal au bas de l'échelle en ma qualité de scénariste, mais on dit que tout commence avec le scénario. Sans scénario, il n'y a rien qui se fait, on n'obtient pas un sou, il n'y a pas de distribution, il n'y a pas de metteur en scène, de réalisation ou quoi que ce soit d'autre.

Donc ce qui se passe à ce niveau reflète assez bien l'ensemble de l'industrie. En ce moment, nous exportons notre talent et non nos films. Ça se voit à tous les niveaux. Dans le dernier numéro du bulletin de la Writers Guild of Canada figuraient 58 nouveaux membres, et c'est ce qu'on fait dans chaque numéro, dont 25 avaient des adresses à Los Angeles.

Ce sont des scénaristes qui ont la citoyenneté canadienne, qui l'ont demandée, ou qui ont émigré, dans plusieurs cas, de villes comme Toronto afin de pouvoir travailler ici. Ils font ça parce que beaucoup de compagnies de production canadiennes font presque tout leur travail à partir de Los Angeles, et non plus à partir de Toronto ou de Montréal.

Si c'est comme ça, d'où vont venir les sujets canadiens s'il n'y a plus de scénaristes canadiens vivant chez nous? Je pense qu'il n'y a pas plus qu'une dizaine de scénaristes canadiens qui ont vu trois de leurs longs métrages portés à l'écran. Keith peut me corriger si j'ai tort. Nous ne sommes pas nombreux, et nous sommes bien seuls.

Tous les autres sont partis. À la première occasion, après le premier ou le deuxième film, ces scénaristes voient bien qu'on vit beaucoup mieux ailleurs. Franchement, j'ai été là-bas, et c'est formidable. Comparativement à l'industrie que nous avons ici, aux États-Unis, c'est une industrie qui dit «oui». Vous arrivez là-bas et vous êtes aux petits oignons. On vous fournit la limousine et l'hôtel. On vous donne l'impression que vous faites partie d'une équipe qui vous adore. Ils vous aiment, et ils vont faire de l'argent avec vous, et vous allez vous amuser beaucoup. Puis arrivent les désillusions, mais des désillusions, il y en a partout.

La différence ici, c'est que ça commence par un «non». On dit toujours non. Non, désolé, vous avez eu votre tour. Non, désolé, on n'a pas un sou pour ça. Non, désolé. Non, attendez votre tour.

Ici on dit non; là-bas, on dit oui. Donc après un bout de temps...

Le président: Les choses s'arrangent-elles après les désillusions?

M. Jefferson Lewis: Eh bien, oui, ça arrive. Vous vous battez comme un fou pendant cinq ans et vous aboutissez enfin à un «peut- être». Vous parvenez à la ligne d'arrivée hors d'haleine, vous n'avez plus un sou, votre maison est hypothéquée et votre chien vous a quitté. Plus personne ne vous adresse la parole. Donc, oui, il y a parfois de belles surprises au bout, mais il y a bien des cas où le premier coup de manivelle n'est même pas donné.

Je ne crois donc pas qu'il faille fermer le circuit ici. Il y a trois mois, j'étais en Chine et je travaillais à une coproduction qui est l'adaptation pour le cinéma d'un roman canadien écrit par une sino-canadienne. Ce film pourra rejoindre un auditoire de 1,2 milliard de Chinois.

Avant ça, j'ai travaillé en Amérique du Sud avec un metteur en scène brésilien sur un film qui trouvera un producteur canadien. Il sera tourné en partie ici et en partie là-bas.

Il est inévitable de coproduire avec d'autres pays, mais très rarement avec les États-Unis. C'est parce qu'il s'agit des pays qui ont besoin du financement que nous pouvons trouver. Ils veulent faire affaire avec des pays de la taille du nôtre.

Le fait est que le milieu de divertissement regorge de talent canadien. À Los Angeles, on engage toujours des Canadiens parce que les gens là-bas disent que les Canadiens livrent la marchandise. Ils nous trouvent intelligents. Ils aiment notre sens de l'humour bizarre. Ils nous trouvent un peu étranges, mais enfin, on leur parle anglais, on porte les vêtements qu'il faut et on fait de bons films. Donc les expatriés canadiens sont prospères là-bas.

• 1635

C'est vrai partout ailleurs dans le monde. Nous occupons une place très importante ailleurs dans le monde. Pour quantité d'autres pays, le Canada est la porte d'entrée aux États-Unis.

C'est pourquoi ils trouvent bon d'engager un scénariste, un producteur et des acteurs canadiens. Michael J. Fox vit aux États- Unis, mais il est canadien. Dès qu'on l'engage, le film a un caractère canadien. Alors on va conclure un marché avec des Canadiens en espérant toucher le pactole aux États-Unis avec The Full Monty ou un film de ce genre-là.

Le président: Donnons à M. Plamondon l'occasion d'intervenir.

[Français]

M. Louis Plamondon: Avant de poser une question à Mme la ministre, je voudrais rappeler que les réductions budgétaires de 350 millions de dollars qu'ont subies Radio-Canada ont dû avoir des conséquences terribles pour les producteurs, y compris les réductions de 84 millions de dollars à Téléfilm et de 40 millions de dollars à l'Office national du film.

Bien sûr, j'apprécie énormément qu'on demande au gouvernement de consentir de nouvelles sommes d'argent, mais ces sommes qu'on a perdues lors de ces grandes réductions ont énormément fait souffrir le secteur.

Dans le document que vous nous remettez, madame la ministre, vous n'avez pas distingué le marché français du marché anglais. Je vous pose la question parce que les statistiques qui figurent dans l'analyse peuvent être prises dans un sens global au Canada et faire un peu de tape-à-l'oeil. Mais dans les faits, on constate que le marché français est très très fort dans le livre. Peut-être est-ce parce qu'au Québec, quelque 80 p. 100 des gens ne lisent pas l'anglais. Forcément, ils achètent français ou ils achètent canadien-français. Cette forte proportion peut s'expliquer par le fait qu'on n'a peut-être pas d'autre choix puisqu'on méconnaît l'autre langue. Ceci fait donc bien paraître les statistiques.

Au cinéma, bien que les longs métrages sortent instantanément dans les deux langues grâce à la traduction, on ne voit pas d'effets. Par exemple, la fin de semaine où le Titanic est sorti au Québec, il a connu le même succès et a attiré les mêmes foules qu'un film québécois qui s'appelle Les boys. Le producteur américain a même téléphoné et fait une enquête, tout étonné qu'un film québécois remporte le même succès que le Titanic qui sortait en même temps. Les Boys est un film qui s'identifie vraiment à la culture québécoise et c'est pourquoi il a remporté ce succès instantané. Toutefois, il n'aurait pas connu un tel succès s'il avait été projeté au Canada anglais ou ailleurs dans le monde.

C'est la même chose pour la pièce Broue, le plus grand succès théâtral de l'Amérique du Nord. Ce succès québécois a attiré plus de 2 millions de personnes, joue depuis 10 ans et joue continuellement à pleine capacité. On l'a traduite en anglais et ça n'a pas marché. On retrouve vraiment une identification à la culture québécoise typique dans cette pièce de théâtre.

Le ministère fait parfois preuve d'incompréhension à cet égard lorsqu'il reçoit les demandes de certains producteurs québécois. Selon l'analyse qu'on en fait ici de loin, on conclut que ça ne marchera pas, cela. Mais ça marche quand on le voit avec l'autre vision, la vision francophone. Dans ce sens-là, c'est surprenant.

Vous êtes auteur au Canada anglais.

M. Jefferson Lewis: Et autant au Canada français. J'écris davantage en français qu'en anglais.

M. Louis Plamondon: Vos textes sont souvent publiés. Quand je vous entendais tout à l'heure parler et livrer votre introduction, j'avais l'impression d'entendre Falardeau. C'est exactement la même argumentation qu'il donne dans son scénario.

M. Jefferson Lewis: Pas de commentaire.

M. Louis Plamondon: On refuse de subventionner le scénario qu'il propose en se basant sur des critères politiques, et non pas sur ses chances de réussite. Ses films ont toujours été de grands succès. Alors, quand j'écoutais vos arguments tout à l'heure, ça me faisait penser à son introduction dans son document de présentation partout au Québec.

En décortiquant cet aspect, est-ce que vous ne...

L'hon. Sheila Copps: Tout d'abord, vous parlez de là-bas, mais ne vous ai-je pas entendu parler des francophones de la Saskatchewan lors de la période des questions?

M. Louis Plamondon: Non, je n'ai pas parlé de la Saskatchewan.

L'hon. Sheila Copps: Non, non, à la Chambre des communes plus tôt.

M. Louis Plamondon: Pardon?

L'hon. Sheila Copps: À la Chambre des communes, votre parti a posé des questions sur les appuis qui sont accordés aux francophones de toutes les régions du Canada.

• 1640

M. Louis Plamondon: Oui, mais ce n'est pas du tout ce dont je parle.

L'hon. Sheila Copps: Non, je le sais. Je suis un peu confuse parce qu'on parle maintenant des...

M. Louis Plamondon: On a parlé du budget la semaine dernière aussi, mais ce n'est pas ça.

L'hon. Sheila Copps: Non, mes propos faisaient suite à vos commentaires sur la disponibilité des films en français ou en anglais. Ce ne sont pas des films québécois ni des films de langue anglaise. Je présume que les représentants de Saskatchewan que M. Duceppe a rencontrés la semaine passée étaient eux aussi intéressés.

M. Louis Plamondon: En tout cas, je comprends. Je vous remercie d'intervenir, mais il n'y a pas de lien avec ce que je dis aujourd'hui.

L'hon. Sheila Copps: Non, je le sais.

M. Louis Plamondon: Ce que je dis, c'est qu'il me semble que, pour la réussite d'un film canadien, on devrait davantage tenir compte des réalités géographiques, si je puis les appeler ainsi, ou des réalités de régions lorsqu'on veut appuyer cette industrie. En donnant toujours une image et des graphiques comme cela, on ne sent ni cette réalité régionale ni l'existence d'une grande notion pancanadienne, si bien que l'on appuie peut-être moins bien qu'on pourrait le faire le secteur de la production, surtout dans le domaine du cinéma.

[Traduction]

Le président: Monsieur Leckie.

M. Keith Ross Leckie: Ce que j'allais dire n'a pas grand-chose à voir avec l'argument de ce monsieur.

Le président: Peu importe. Vous pouvez dire ce qui vous plaît.

M. Keith Ross Leckie: D'accord.

Je conviens que le forum devrait porter sur l'avenir de l'industrie cinématographique, car c'est celle-là qui est en crise. Toutefois, je voudrais dire quelque chose au sujet de la production et du financement de la télévision.

À une exception près, l'industrie de la télévision est en très bonne posture. Nous avons un fonds de câblodistribution et Téléfilm. La production télévisuelle est très efficace, j'en suis très content et j'en profite moi-même. Cela revient encore une fois au système des points et au contenu canadien.

Le fonds de câblodistribution et Téléfilm ont dit que le contenu canadien représentait 8 points sur 10, ce qui à mon avis est une bonne chose. En fait, le fonds de câblodistribution a pris une nouvelle initiative en exigeant que les scripts soient rédigés par des scénaristes canadiens, et c'est une excellente idée. Toutefois, le CRTC applique encore à l'égard du contenu canadien la politique des 6 points sur 10. À cause de cette politique, la plupart des scénarios sont rédigés par des producteurs américains et souvent, mais pas toujours, par des metteurs en scène des États- Unis. Dans les faits, la règle du 6 sur 10 du CRTC subventionne la production américaine. Les diffuseurs sont contents, car ils peuvent acheter le produit à bas prix, puisque l'argent vient du marché américain, mais on ne saurait parler de production canadienne. À mon avis, le CRTC devrait lever la barre, imposer une règle de 8 points sur 10, comme c'est le cas dans d'autres organismes. Il semble que ce soit la norme.

Voilà ce que je voulais dire. Pour le reste, mes associés et moi estimons que le cinéma et la télévision sont en assez bonne posture.

Le voulais également dire à M. East et à M. Abbott qu'une industrie cinématographique canadienne viable n'est pas nécessairement négative du point de vue du commerce. Vous semblez vous demander ce qui arrivera si l'on instaure un régime de quotas. Mais si nous pouvons créer une industrie cinématographique canadienne...

Je suis l'évolution du régime australien depuis de nombreuses années. J'ai discuté avec des gens des agences de financement cinématographique de ce pays. Ils ont d'excellentes idées. En fait, certaines de ces idées sont reprises par Alex Raffé, dans un document qu'il a rédigé pour l'Association of Provincial Film Funding Agencies. On dit dans ce document que nous pourrions reprendre certaines mesures australiennes qui ont donné de bons résultats.

• 1645

Par exemple, parlons un peu du film Crocodile Dundee. Dans les trois années qui ont suivi la sortie de ce film, le tourisme a augmenté de 400 p. 100 en Australie et le commerce des cosmétiques, du vêtement, des boissons gazeuses et autres a également connu une augmentation spectaculaire. J'aurais dû amener les chiffres avec moi.

Lorsque vous faites connaître un pays, les gens veulent commercer avec lui. Il est donc financièrement profitable que nos oeuvres soient vues ailleurs, que nous fassions connaître notre pays.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

Mme Corbeil, M. Bélanger, M. Bonwick, M. Dupuy, puis M. Latchman.

[Français]

Madame Corbeil.

Mme Marie-Josée Corbeil: Pardonnez-moi, car je vais probablement passer du coq à l'âne puisque j'aimerais présenter un ensemble de points en réponse à différentes interventions. D'abord, peut-être qu'une avenue de solution consisterait à s'assurer que les longs métrages aient un meilleur accès aux salles de cinéma et des budgets de promotion appropriés. Je crois également qu'il faut regarder du côté des diffuseurs, plus particulièrement du côté des diffuseurs publics que sont Radio-Canada et CBC. Je trouve déplorable que ces diffuseurs soient très très peu présents dans la coproduction ou le préachat de longs métrages québécois et de longs métrages canadiens en général.

Il pourrait être intéressant de regarder des modèles comme celui de Canal Plus en France qui est un partenaire fort important dans la production de longs métrages français. On doit non seulement considérer les salles comme étant un maillon de la chaîne, mais aussi considérer les diffuseurs comme des partenaires de premier ordre dans la production de longs métrages.

J'aimerais revenir sur le point qu'a soulevé M. Latchman au sujet des coproductions. J'ai toujours cru et appuyé le fait que les coproductions que nous faisons en ce moment avec une trentaine de pays ont été mises en place pour nous permettre d'être mieux équipés pour faire face aux Américains et pour réaliser des produits avec des budgets probablement plus hauts et des forces de distribution combinées. Il n'est donc pas du tout souhaitable d'avoir un traité de coproduction avec les Américains.

D'autre part, je pense que dans le cadre d'un village global, on doit être extrêmement fermes dans toutes nos négociations pour s'assurer que soit maintenue l'exception culturelle. Je sais que des négociations ont lieu présentement. On doit crier haut et fort et se tenir debout pour ne pas perdre ça.

Je suis totalement d'accord avec M. Lewis qu'il y a une exportation de talents qui est extrêmement malheureuse. Cela représente un énorme problème pour nous, chez Cinars. Dans le secteur de l'animation, le Canada est reconnu mondialement pour ce type de programmation. Malheureusement, on a de la difficulté à convaincre les animateurs et les scénaristes de rester avec nous et de travailler sur nos productions. On a de la difficulté à compétitionner.

L'école canadienne Sheridan College est reconnue mondialement pour ses cours d'animation. On tente de faire la même chose au Québec, et c'est une initiative qu'il faut vraiment poursuivre. On a un talent créateur et un potentiel extraordinaire au Canada. Il faut s'assurer qu'on donne à nos gens le goût et les moyens de rester ici et qu'on puisse leur offrir la formation voulue.

Quant au CRTC et au contenu canadien, j'aimerais rappeler que seul le fonds câblo exige ces 8 points sur 10, tandis que CAVCO et le CRTC n'exigent que 6 points sur 10. À mon avis, il ne faut pas avoir des visées à court terme. Il faut maintenir ces 6 points sur 10 pour permettre aux producteurs d'avoir le plus de flexibilité possible.

• 1650

Je ne pense pas que cela ait pour résultat de nous diriger vers des productions de service, des productions moins canadiennes. Par contre, cela nous permettra de produire des choses qui plus facilement exportables.

Je dirais que dans l'histoire de Cinars, et c'est probablement vrai pour la majorité des compagnies de production, même au Canada anglais, l'immense majorité des productions sont à 8 sur 10 ou 9 sur 10. Certaines sont à 7. Mais je n'en vois pas qui soient à 6. Je ne voudrais pas que les règles soient plus rigides. Au contraire, je pense qu'on doit avoir un peu plus de flexibilité.

Par contre, je trouve déplorable que les productions de service étrangères, qui se sont vu accorder un nouveau crédit d'impôt, puissent également obtenir un numéro du CRTC. Je pense qu'il y a un loophole qu'il faut fermer, et des démarches sont faites en ce sens. Je pense que le CRTC va nous écouter.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Mauril Bélanger: J'avais un point à soulever. J'en suis maintenant à quatre. Je vais les exposer assez rapidement.

Premièrement, j'aimerais adresser un commentaire à M. Plamondon. Ce n'est pas méchant. Hier, nous avons eu cette même discussion au sujet des livres. Il concerne votre invitation à décortiquer ce que la ministre présentait. La question a été posée à M. Hervé Foulon, président des Éditions Hurtubise HMH. Au Canada français, qui comprend plus que le Québec, et au Québec, on parle d'à peu près le même pourcentage, soit 30 à 40 p. 100. Le reste vient de la France. Alors, ce n'est pas tout à fait ce que vous pensez.

Il serait bon de clarifier cela. On a l'impression, selon les discussions qui se sont tenues jusqu'à maintenant, que c'est sensiblement la même chose dans les autres industries culturelles, que la différenciation que vous cherchez à établir ne s'applique vraiment pas.

M. Louis Plamondon: Et à la télé?

M. Mauril Bélanger: Même au niveau de la télé selon qu'il s'agit de la télé d'État ou non. Les chiffres sont peut-être un peu différents pour la télé, mais pas autant qu'on pourrait le penser ou qu'on pourrait ou voudrait le croire.

[Traduction]

Je tiens à mentionner que si nous discutons de la politique cinématographique, c'est dans le cadre d'un examen général qui vise à trouver une orientation à la politique culturelle canadienne. Mais dans le cas du cinéma, il faut savoir qu'il y a ici une double possibilité.

En février, la ministre a publié un document de travail sur l'examen de la politique cinématographique canadienne. J'espère que tous les gens qui participent à notre réunion d'aujourd'hui et ceux que vous représentez alimenteront cette discussion, car elle est très importante.

Pour ce qui est de la deuxième option, qui est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, monsieur le président, j'aimerais entendre davantage ce que les gens pensent. Je ne veux pas nécessairement promouvoir leurs idées, ni les contester, mais j'aimerais en entendre davantage.

Nous avons entendu deux de ces messieurs parler d'une agence de financement unique, par exemple, et cela montre bien qu'il y a un problème. Il y a peut-être des choses que nous pouvons faire ou au moins proposer. Dans le dernier tour de table, dans la dernière demi-heure de discussion, s'il était possible de proposer des idées, ce serait à mon avis très utile.

J'ai une question à poser à M. East.

Monsieur East, vous avez dit à deux reprises qu'il y aurait un prix politique à payer. J'aimerais savoir ce que vous entendez par là. Vous ne vouliez pas dire qu'un gouvernement qui instituerait une politique cinématographique différente ou qui essaierait de promouvoir les films canadiens serait menacé par ce prix politique, n'est-ce pas? Je me demande simplement pourquoi vous vous inquiétez du prix politique à payer, si ce n'est pas vous qui devez le payer. C'est une question très sérieuse.

Vous avez également dit qu'il faudrait bien des années avant de voir des résultats, et j'aimerais savoir quel est votre échéancier.

La politique culturelle canadienne n'a pas un horizon de quelques mois ou d'une année; elle est à bien plus long terme que cela. Par conséquent, même si les résultats escomptés ne se concrétisent pas avant un certain temps, en seriez-vous contrarié?

J'aimerais avoir vos observations à ce sujet, parce que cette question du prix politique à payer m'intrigue.

[Français]

Un dernier commentaire pour faire un gentil reproche à Mme Corbeil. Je l'ai fait hier à quelqu'un d'autre. Cela va devenir une manie chez moi jusqu'à ce qu'on cesse d'utiliser cette expression que M. Plamondon a également utilisée, «le Canada anglais». Cela me tape sur les nerfs. Je suis un Canadien français. Je représente une circonscription qui compte 40 p. 100 de francophones. Il y a des centaines de milliers de francophones en Ontario. Il y a des centaines de milliers de francophones partout au pays, d'un océan à l'autre.

• 1655

Il y en a aussi des milliers au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue jusqu'à maintenant, qu'on englobe dans ce Canada anglais. Cela m'embête un peu.

Alors, je vous inviterais à ne pas trop utiliser cette expression, si vous me le permettez.

Merci.

Mme Marie-Josée Corbeil: Je vais faire un effort.

M. Louis Plamondon: Tu viens de t'exprimer en anglais quasiment tout le temps.

M. Mauril Bélanger: Pardon?

M. Louis Plamondon: Tu es francophone et tu viens de t'exprimer en anglais quasiment tout le temps.

M. Mauril Bélanger: Vous ne savez même pas de quoi vous parlez, monsieur Plamondon.

M. Louis Plamondon: Non?

M. Mauril Bélanger: J'ai soulevé quatre points, deux en français et deux en anglais.

M. Louis Plamondon: Tu as parlé 90 p. 100 du temps en anglais.

L'hon. Sheila Copps: Il n'y a pas de police de la langue ici.

M. Mauril Bélanger: Ça ne fait pas leur affaire qu'un francophone parle français; il n'y en a qu'au Québec. On le sait. C'est malheureux, mais c'est la réalité canadienne.

M. Louis Plamondon: Mais vous vivez en anglais et puis...

[Traduction]

Le président: Monsieur East.

M. Ted East: Je ne fais pas de politique et je ne saurais parler en détail du prix politique. Je sais par contre qu'il y aurait sans doute un prix politique à payer si le gouvernement décidait, unilatéralement, d'imposer un quota important à l'égard des oeuvres cinématographiques canadiennes.

Voilà longtemps que je travaille dans cette industrie. Je connais bien la mesure législative sur la distribution qui n'a jamais été adoptée—même si elle a été présentée à deux reprises. Ne soyons pas naïfs. En quoi cela me dérange-t-il personnellement? J'estime que c'est une question à étudier, mais il ne faut pas avoir la naïveté de croire que cette solution résoudra tous les problèmes et qu'il n'y aura pas de prix à payer.

Quant au temps qu'il faudra avant de voir les résultats, je n'en sais rien, mais il faudra plus d'un an, certainement plus de six mois. Mais cela ne me pose pas de problème.

Pour revenir sur ce qu'a dit Mme Copps au sujet de la monoculture, si vous regardez ce tableau, vous constaterez que le reste du monde commence à souffrir des mêmes problèmes qu'a connus le Canada depuis le début du cinéma. Le monde commence maintenant à faire partie du marché intérieur américain. Ce phénomène s'est accru au cours des cinq dernières années, grâce au lancement de films comme Independence Day et Titanic. Le monde des médias rapetisse constamment. Les studios étudient maintenant les chiffres du box-office mondial, plutôt que celui de leur propre pays. Le Canada a toujours fait partie du box-office mondial et les films sont lancés lorsque le directeur de la division locale du pays estime que c'est à propos. De plus en plus, c'est à Los Angeles que les décisions sont prises quant aux films qui seront lancés. Les secteurs cinématographiques nationaux ont donc de plus en plus de difficultés à survivre.

Je suis persuadé que cette question sera l'un des grands débats du début du XXIe siècle. Je suis heureux que nous en discutions maintenant, car c'est nous qui souffrons de ce problème depuis le plus longtemps et nous pouvons faire profiter le reste du monde de cette expérience. J'étais en Australie, lorsque le film Independence Day a été lancé, et cela a donné lieu à un débat très intéressant. Un journaliste a demandé si le lancement de ce film était un indice de ce que l'Australie commençait à s'intégrer au marché intérieur américain du film.

Le président: C'est un bon moment pour vous joindre à la discussion, monsieur Bonwick.

M. Paul Bonwick: Il y a deux ou trois questions que je voudrais poser aux témoins. Je demanderais seulement qu'ils fassent quelques observations.

Deux commentaires m'ont pris par surprise. M. Bélanger a mentionné le prix politique. On devient toujours un peu nerveux lorsqu'on entend des témoins dire cela, car peu importe la décision que prend un gouvernement, il y a certainement un prix politique à payer et nous espérons que pour ce prix on obtient quelque chose de bon pour les Canadiens, ce qui est exactement ce que nous essayons de faire ici aujourd'hui.

Quant à mon collègue le porte-parole du Parti réformiste, M. Abbott, qui citait des journalistes américains proférant des menaces au sujet de ce qui pourrait se passer si les Canadiens font telle ou telle chose pour renforcer l'industrie, une telle attitude ne devrait pas nous faire peur, elle devrait plutôt nous rendre encore plus déterminés à sauvegarder le contenu canadien et la culture canadienne... Ils disent qu'il n'y aura absolument pas d'obstacles à l'entrée dans notre pays, que les règles du jeu soient égales ou non. Je pense qu'une telle déclaration devrait par elle-même inciter M. Abbott et certainement tous mes collègues à relever le défi et à nous assurer de mettre en place des mesures de protection pour l'industrie.

Plus précisément—et je demanderais à n'importe lequel des témoins de répondre—existe-t-il des moyens pour favoriser le contenu canadien, à part de simples mesures d'application de la loi?

Je vais poser encore quelques questions.

Quels types d'investissements un gouvernement peut-il faire pour favoriser la production? Enfin—et ceci va un peu à l'encontre de ma première déclaration—un gouvernement a-t-il le droit de dire quels types de spectacles une entreprise doit présenter? En somme, avons-nous le droit d'aller dans les cinémas et de dire que s'il y a 5 salles dans le complexe, il faut projeter des films canadiens dans une ou deux des salles? Avons-nous le droit de dire une telle chose? Avons-nous le droit de dire qu'il faut un élément régional, et votre industrie n'y verrait-elle pas une forme de censure?

• 1700

Quand devons-nous arrêter de le faire, où nous arrêtons-nous, qu'il s'agisse de peinture, de sculpture ou de toute autre forme d'art? Ce sont les questions sur lesquelles j'aimerais peut-être entendre...

Le président: Pardonnez-moi de vous interrompre, mais je veux prendre un instant pour remercier la ministre. Elle a un rendez-vous à 17 heures et je tiens donc à la remercier d'être venue.

L'hon. Sheila Copps: Bonne chance dans vos délibérations.

Le président: Nous apprécions vraiment votre visite. Merci.

Avez-vous terminé, monsieur Bonwick?

M. Paul Bonwick: Oui. J'avais seulement quelques questions à poser, mais chaque fois qu'on entend quelqu'un d'autre parler, il nous vient une foule de nouvelles idées et c'est pourquoi ces tables rondes sont tellement intéressantes.

Le président: J'espère que les participants ont pris note de vos questions et y répondront tour à tour.

Monsieur Godfrey.

M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): J'ai aussi une question à poser. Il y a divers éléments du secteur dont nous pourrions parler. Nous avons parlé de la distribution et de la promotion, mais je veux parler du contenu.

Je ne sais pas si mon impression est juste ou inexacte, mais je veux poser une question à laquelle bon nombre des participants pourraient sans doute répondre. J'ai l'impression que nous sommes très bons dans la catégorie haut de gamme, si je peux me permettre de classer le contenu de cette façon, c'est-à-dire dans les films d'art—The Sweet Hereafter, The Hanging Garden, Un zoo la nuit, si vous voulez. Nous sommes assez bons aussi dans la catégorie bas de gamme, si je peux ainsi qualifier Les Boys, et certainement Meatballs, qui lequel y verrait certainement un grand compliment.

C'est dans la catégorie médiane où nous avons connu certains succès dans le passé. Plus récemment, il y a eu Air Bud ou My American Cousin, précédés de The Apprenticeship of Duddy Kravitz, ou de Mon Oncle Antoine, ou encore, dans les films étrangers, The Full Monty, Four Weddings and a Funeral, Fargo, Muriel's Wedding, et d'autres films qu'on pourrait appeler non artistiques, c'est-à- dire des films de divertissement qui ont quand même un contenu réel et un certain style. J'ai l'impression qu'à l'heure actuelle, il y a chez nous une lacune dans cette catégorie.

J'ai deux questions à poser. Mon impression est-elle juste et existe-t-il des raisons structurelles pour expliquer un tel état de choses? Est-ce parce que Téléfilm n'aime pas ce genre, ou parce que les banquiers ne l'aiment pas? J'ignore pourquoi il en est ainsi. Ce sont les deux questions que je pose au sujet du contenu de la catégorie médiane.

[Français]

Le président: Monsieur Dupuy.

M. Michel Dupuy: Ce n'est pas une réponse à ce que M. Godfrey disait.

Le président: Non, mais je pense que...

[Traduction]

J'invite quiconque a une réponse aux questions de M. Godfrey à bien vouloir y répondre lorsque vous aurez la parole.

[Français]

Allez-y, monsieur Dupuy.

M. Michel Dupuy: Je voudrais remercier M. Lewis de nous avoir fait part de ses expériences personnelles à Los Angeles. En effet, il a très bien illustré certains des problèmes qui touchent à la production. Il y a cette immigration du talent canadien et il y a le fait que de bons films ne sont pas faits, des films qui pourraient être faits par des Canadiens. Il y a le fait également que les Canadiens sont traités là-bas comme des employés.

Je pourrais ajouter à ces anecdotes celle qui m'avait été contée par Harold Greenberg, de Astral, qui est bien connu à Hollywood. Il s'intéressait à un film particulier, il y a quelques années de cela. Il avait téléphoné à ses amis d'Hollywood en disant qu'il était tellement intéressé à participer à ce film qu'il était prêt à contribuer à son financement pour, véritablement, faire quelque chose en commun. Il s'était fait répondre: «Harold, we love you but we don't need your goddammed money». Cela résume tout à fait bien la relation avec les majors d'Hollywood.

• 1705

Il y a quelques années, lorsque je portais un autre chapeau, je me suis rendu à Los Angeles, précisément pour rencontrer les capitaines des majors et voir si quelque chose changeait. Le principal interlocuteur du côté américain était Jack Valenti, que vous connaissez certainement. Essentiellement, le propos que je tenais était le suivant: vous traitez les contributions faites par les Canadiens comme étant de bonnes contributions et vous allez même les chercher; nous vous payons et ensuite on se fait dire au revoir.

Alors, où est la valeur d'un film? C'est dans les droits d'exploitation qu'est l'essentiel de la valeur du film. Ça ne se vend pas comme des petits pois ou des automobiles. Pourquoi, leur disais-je, n'êtes-vous pas prêts à permettre à une industrie canadienne qui est en train d'entrer dans la maturité de partager les droits? Vous partagez la main-d'oeuvre, vous partagez la technique, vous pompez et partagez le talent, mais vous ne partagez jamais les droits.

Je leur ai demandé si c'était parce qu'ils voulaient faire des films américains. La réponse que j'ai reçue donnera peut-être une petite piste à mon ami M. Bélanger. On m'a répondu qu'on ne savait plus ce qu'était un film américain. Ça n'existe quasiment plus parce que, comme vous venez de le dire, le talent peut être canadien, anglais ou australien, disait-on. Les techniciens viennent d'un peu partout dans le monde. Nous allons souvent filmer en terre canadienne parce que votre dollar a moins de valeur que le nôtre. Les capitaux nous viennent du Japon ou d'ailleurs où il y a des sous. Nous allons chercher ça où cela existe. Alors, qu'est-ce qu'il y a d'américain là-dedans?

Je leur ai dit: Si effectivement vous ne tenez pas pas à avoir un tel contenu américain, pourquoi ne venez-vous pas faire des films et nous, nous partagerons les droits chez nous? Ils ont dit n'y voir aucune espèce de difficulté parce qu'ils changent eux aussi. Ils sont très conscients qu'ils ne peuvent pas continuer de vivre avec la prétention d'utiliser le talent comme on utilisait jadis des esclaves, sans jamais faire partager les bénéfices du travail. Cela m'a laissé avec beaucoup de points d'interrogation.

En premier lieu, je me demande s'il n'est pas temps de repenser en profondeur nos relations avec les producteurs américains, plutôt que de toujours se dire que c'est ce qui se passe, de souffrir et de faire un peu ce que vous avez fait. Votre témoignage me touche profondément parce que je suis un grand amateur de films canadiens. Mais cela n'apporte pas de solutions.

Qu'est-ce que nous avons fait par le passé? Nous avons effectivement essayé de négocier des traités de coproduction qui nous assureraient une participation financière au niveau des droits et nous permettraient de les exploiter ensemble. En même temps, ça nous ouvrait le marché de l'autre pays.

Je peux vous dire qu'il n'y aura jamais d'accord de coproduction entre le Canada et les États-Unis parce que le gouvernement américain ne réglemente pas l'accès au marché américain, tandis que d'autres gouvernements peuvent donner une autre nationalité, qui est la leur, et réglementer l'accès. Nous aussi, nous le réglementons, du moins sur l'aspect de la radiodiffusion.

Nous n'aurons jamais de traité de coproduction avec les États-Unis, mais plutôt un système de co-ventures, où on stipulerait que l'on peut déterminer exactement le caractère canadien, avec les points que nous connaissons et selon tout le système de certification. On peut faire des co-ventures* avec des entreprises qui sont des entreprises étrangères, là où il n'y a pas de traité de coproduction. Jamais personne n'a examiné s'il y avait moyen de faire des co-ventures avec les majors américains. Jamais. Je signale en passant que ces co-ventures contiennent des dispositions particulières pour les francophones. Il est dommage qu'il soit parti, car il aurait été content de m'entendre. Quant aux membres du Commonwealth, le pointage a baissé jusqu'à 5. C'est quelque chose qu'on oublie généralement.

• 1710

Le système de certification a une certaine flexibilité et le pointage varie de 5 à 10. Les avantages fournis par les gouvernements peuvent varier selon le niveau du pointage.

Le président: Monsieur Dupuy, le temps qu'il nous reste est limité. Vous avez soulevé une nouvelle notion de co-ventures avec les majors. Peut-être devrais-je céder la parole à M. Latchman qui pourra poursuivre le fil de vos pensées.

Monsieur Latchman.

[Traduction]

M. David Latchman: En effet, cela amène la question du financement. Je ne pense pas qu'il y ait suffisamment d'argent au Canada pour faire le genre de choses que nous voulons faire. On peut avoir accès à des capitaux énormes aux États-Unis. Ici, il existe des fonds de pension et des fonds de capitaux de travailleurs qui totalisent 100 milliards de dollars, et il y a des investisseurs privés qui aimeraient probablement voir revenir les abris fiscaux dans ce domaine, qu'on a éliminés à cause d'extravagances et de gaspillages de toutes sortes qui ont eu lieu il y a 15 ou 20 ans. La plupart des films produits à cette époque se trouvent maintenant dans des coffres et n'ont jamais été vus.

Je pense qu'il y aurait ainsi un stimulant. Vous demandez des solutions au problème. Ce sont des problèmes réels. Comme mon grand-père le disait, il faut retourner le problème à l'envers et nous trouverons la solution—l'accès aux capitaux.

Il y a 100 milliards de dollars dans les fonds de pension, ou 66 milliards de dollars dans la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario. Établissez une mesure fiscale que vous pourrez offrir à ces gens. Vous obtiendrez 10 milliards de dollars sur les 100 milliards qui sont là. On peut créer beaucoup de contenu canadien avec 10 milliards de dollars. C'est ce qu'on fait à New York et à Hollywood.

Nous pouvons répliquer de la même manière, soit comme les Américains avec leur richesse, ou comme les Britanniques avec leur régime fiscal, qui a été un grand succès... Il a permis de créer l'industrie cinématographique britannique, et le modèle qu'est le canal 4 en Grande-Bretagne. C'est ce que nous devrions faire avec la société Radio-Canada. Retournez le problème à l'envers et vous trouverez la solution. Je suis désolé, mais il faut se défaire des syndicats. Prenez un milliard de dollars par année, et vous aurez 10 milliards de dollars en dix ans. Dégonflez Radio-Canada— laissez-lui les nouvelles, si vous voulez, et RDI et d'autres services semblables—et remettez le tout aux producteurs qui font les émissions.

M. Mauril Bélanger: Eh bien, voilà où se trouve le prix politique.

M. Jim Abbott: Il a absolument raison.

M. David Latchman: Je me permets de dire que la seule autre solution est le statu quo. Prenez l'Office national du film. Regardez le budget de cet organisme. Je sais que leur budget est d'environ 70 millions ou 80 millions de dollars—et il va probablement diminuer chaque année—mais sur cette somme, seulement 2 millions de dollars vont à la production indépendante dans cinq secteurs. Cela représente 400 000 $ par année en Ontario. Combien sont-ils à réclamer une part de ces 400 000 $?

C'est encore un autre organisme de financement dont il faut actionner la manette. J'ai un ami qui vient d'obtenir un marché de radiodiffusion du History Channel, une rare émission spéciale de 90 minutes sur la Déclaration des droits de la personne au Canada, dont nous célébrons l'anniversaire cette année. Il a dû s'adresser à six ou huit organismes. Si l'un ou l'autre se retire du projet, toute l'affaire tombe. C'est un échec.

Nous devrions créer des mécanismes qui rendent les règles du jeu équitables, permettant essentiellement une expression culturelle diversifiée, afin que nous soyons tous heureux avec nos cultures différentes, la culture francophone et anglophone. Il n'y a même pas un seul long métrage au sujet du conflit entre les anglophones et les francophones. Je ne pense pas qu'il existe un conflit comme tel. Je pense que les francophones veulent protéger leur mode de vie intéressant. Nous voulons aussi protéger le nôtre. Mais il n'existe pas un seul long métrage au sujet de cette question. Pourquoi? Pourquoi n'y a-t-il pas un seul long métrage sur ce sujet? C'est remarquable.

Le président: On attend que vous en fassiez un.

M. David Latchman: Je dis simplement qu'à mon avis, il existe des solutions. Je pense que vous devriez imposer des quotas ou conclure une sorte de traité exigeant qu'on ait 10 ou 15 p. 100 du temps de projection. Je pense que vous devriez proposer une taxe sur les recettes. Et si vous voulez entendre quelque chose de controversé, je pense que vous devriez aussi imposer...

Le président: Monsieur Latchman, vous semblez avoir une foule d'idées sur des solutions possibles. Pourquoi ne prenez-vous pas la peine—et je parle sérieusement—de les mettre par écrit sur votre ordinateur et de les faire parvenir au comité? Nous distribuerons ce document à tous les membres du comité. Nous veillerons à ce que nos attachés de recherche en tiennent compte.

M. David Latchman: Merveilleux. Merci.

• 1715

Le président: Pourrions-nous passer à M. Abbott?

M. Jim Abbott: Merci. J'ai vraiment apprécié certains des commentaires et sans vouloir faire de blagues, je pense que ces commentaires au sujet de la société Radio-Canada procède d'une brillante idée. Je suis d'accord avec le président. Vous avez formulé des idées excellentes.

Je tiens à préciser à l'intention de M. Bonwick que la personne que je citais est un consultant commercial à Washington. Mon argument était évidemment que nous ne vivons plus en 1972, nous sommes en 1998. Nous avons l'Organisation mondiale du commerce et l'ALENA.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les commentaires au sujet de l'Australie, mais la difficulté réside dans le fait que l'Australie a un régime qui remonte à 1972 au moins. Pendant cette période, le Canada n'a pas pris les mesures que l'Australie et d'autres pays comparables ont prises. Je dis seulement que nous devons être réalistes, que nous devons être pragmatiques, et que nous devons examiner des solutions, mais à la lumière de facteurs comme l'OMC et l'ALENA.

Je commençais à me sentir trop attiré dans le tourbillon de l'Alliance, parce que nous semblions avoir tellement de choses en commun. Je voudrais reprendre certains des commentaires de M. Lantos:

    Si nous voulons attirer des capitaux considérables afin de créer une infrastructure économique forte pour l'industrie cinématographique canadienne, une grande partie devrait provenir du secteur même, c'est-à-dire de ceux qui font des profits en vendant des films au Canada.

C'est une bonne idée, sauf qu'il parlait d'une sorte de taxe sur les films.

Les remarques de M. Lantos venaient à la suite d'une annonce faite par la ministre au début du mois au sujet de la politique concernant les longs métrages. On rapporte qu'il a dit:

    Certains croient que tous ceux qui tirent des profits de l'industrie cinématographique au Canada, y compris les distributeurs, les salles et les magasins de vidéo, devraient apporter une contribution et un appui aux films canadiens [...]

N'est-ce pas un tout petit peu pervers?

Quand on y pense un instant, on sait bien que les taxes sur ma maison servent à payer les services d'égout, ainsi que l'éducation pour les gens de mon quartier. J'espère bien que les impôts que je paie à titre de particulier servent à payer les services que je reçois.

Sauf le respect que je vous dois, la perversité de cette suggestion réside dans le fait que si une personne choisit de voir autre chose qu'un film canadien, cette personne paiera quand même pour qu'on puisse produire un film canadien. Est-ce vraiment raisonnable?

Le président: Eh bien, vérifions.

Mme Sarmite Bulte: Le fonds de câblodistribution fonctionne exactement de cette façon. Le succès du Fonds de télévisions et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes vient de ce qu'il réunit les intervenants du secteur du câble ainsi que le gouvernement et Téléfilm. Cela fonctionne et c'est un succès incroyable. Je dirais donc que l'idée de M. Lantos est brillante, si l'on se fie à l'exemple du fonds de câblodistribution.

M. Jim Abbott: Je ne suis absolument pas d'accord avec vous. Je ne pense pas qu'on puisse vraiment établir un bon parallèle permettant de soutenir cette affirmation.

Le président: Je donne maintenant la parole à M. Lewis, qui sera suivi de M. Leckie,

[Français]

Mme Corbeil et M. Bélanger. Je pense que le temps sera alors écoulé.

[Traduction]

M. Jefferson Lewis: Je veux faire quelques très brèves suggestions précises.

Le président: Monsieur Leckie, vous avez demandé la parole. Devez-vous partir maintenant, ou voulez-vous intervenir tout de suite?

M. Keith Ross Leckie: Je suis désolé, mais j'ai un avion à prendre.

Le président: Je vois. Eh bien, merci beaucoup de votre participation. J'ai beaucoup apprécié. Si vous voulez nous faire part d'autres idées, n'hésitez pas à écrire au comité. Nous serons très heureux d'en prendre connaissance.

M. Keith Ross Leckie: C'est ce que je ferai. Merci, monsieur le président, et je m'excuse auprès des membres du comité.

Le président: Non, je comprends. Merci.

M. Jefferson Lewis: En ce qui concerne le secteur des longs métrages, l'organisme auquel il faut s'adresser, au sujet de la formulation d'une politique ministérielle, est Téléfilm Canada. C'est cet organisme qui contrôle tous les fonds fédéraux—la grande majorité des fonds—qui entrent dans l'industrie cinématographique.

Je suis surpris que Téléfilm Canada n'ait pas participé à tout ce processus—mais à vrai dire je ne suis pas vraiment surpris. Je pense que cet organisme devrait participer et je ne le dis pas parce que je suis amer à la suite d'un refus de Téléfilm. Au contraire, Téléfilm est un organisme qui se montre beaucoup trop généreux dans le cas de projets auxquels je participe, à mon avis.

• 1720

En ce qui concerne les politiques, toutefois, l'argent doit être versé aux étapes préliminaires du développement, afin de permettre le lancement des projets. C'est l'étape qui coûte le moins cher et c'est là qu'on optimise son investissement. Il s'agit de faire écrire des scénarios, de commencer la mise en oeuvre de projets, de faire préparer des plans de commercialisation par les producteurs, des subventions de démarrage de cette nature, accordées à tous les niveaux ou aux producteurs—certains des meilleurs producteurs avec lesquels je collabore travaillent chez eux avec deux partenaires. Ils constituent de très petites entreprises qui survivent littéralement d'un projet à l'autre. Ces gens utilisent ce qui leur reste des honoraires de production du dernier projet, peut-être 10 000 $ ou 15 000 $, pour investir dans le suivant.

Ce sont des gens que nous devons aider parce que ce sont eux qui vont faire des films comme The Full Monty et The Secret Garden. Ils réalisent tous ces merveilleux films haut de gamme.

Pour ce qui est du niveau intermédiaire, ces films se font à Hollywood. Ils sont faits par des gens comme Ivan Reitman, Bill Murray et tous les autres Canadiens qui sont là-bas en train de travailler à cela—James Cameron, réalisateur de Titanic. Ils changent simplement leur adresse. Ils sont là-bas. Ils font partie de l'industrie cinématographique canadienne d'une manière étrange.

M. John Godfrey: Pourraient-ils faire ces films au Canada?

M. Jefferson Lewis: Ils pourraient faire ces films au Canada. Songez à l'industrie que nous aurions dans ce pays si nous adoptions des mesures qui rendent vraiment intéressante la réalisation de films ici, au point où nous pourrions rapatrier tous ces acteurs: Christopher Plummer, Donald Sutherland, Geneviève Bujold. Il y a toute une liste de gens qui se trouvent à Los Angeles. Il y a probablement 150 000 Canadiens qui vivent là-bas.

Lorsque je travaille avec des Brésiliens et des Chinois et que nous parlons de la distribution des rôles, je leur dis: «Cet acteur est canadien.» Maintenant, chaque fois qu'ils me nomment quelqu'un, ils demandent si cette personne est canadienne, parce qu'il y en a un si grand nombre. C'est ainsi que l'industrie est faite. Notre industrie existe. Les gens sont tout simplement là-bas au lieu d'être ici.

Je pense que Téléfilm Canada représente la solution au problème. Les politiques doivent encourager le développement et le financement aux étapes préliminaires. Elles doivent encourager le financement en coproduction.

Oubliez les États-Unis. Nous pourrons peut-être un jour travailler sur un pied d'égalité avec les grands studios, mais nos partenaires naturels sont les Français, les Brésiliens, les Irlandais et les Anglais. Tous ces pays sont à peu près de notre taille et veulent faire à peu près le même type de films que nous. Et ils adorent travailler avec nous.

Nous trouvons merveilleux tout ce qui peut être fait pour favoriser les coproductions, parce qu'elles mènent à des productions vraiment internationales, ce qui nous donne le crédit supplémentaire dont nous avons besoin. À l'heure actuelle, Téléfilm est obligé de réduire ses activités. On a diminué son budget, mais l'organisme veut continuer de subventionner le même nombre de projets et il est donc obligé de réduire les budgets des films à 1,5 million de dollars ou 2 millions de dollars. D'après les statistiques, nous savons que les Canadiens ne vont jamais voir ces films. Ils sont à budget trop réduit. C'est une niche merveilleuse et on y réalise d'excellents films, mais on ne peut pas parler d'une industrie.

J'ai encore une dernière chose à dire. Nous décernons à chaque année un trophée, le Golden Globe Award, qui est remis au film canadien qui a connu le plus de succès. En règle générale, ces films ont rapporté peut-être 1,5 ou 2 millions de dollars dans l'année précédente, ce qui signifie une perte de 2 ou 3 millions de dollars. Nous décernons notre trophée le plus prestigieux pour récompenser quelqu'un qui a le sens aigu des affaires et la capacité de promouvoir et de commercialiser un film qui n'a perdu que 3 millions de dollars ou 2 millions de dollars.

Des voix: Oh, oh!

M. Jefferson Lewis: Messieurs, ce n'est pas une industrie. C'est une allocation que nous recevons du gouvernement.

Le président: Quel régal que d'entendre quelqu'un qui est aussi passionné que vous dans ses opinions. C'est vraiment très encourageant pour nous de voir que ces questions vous tiennent tellement à coeur.

En passant, je vous signale que Téléfilm figure sur notre liste de témoins. Nous voulions d'abord entendre des suggestions de gens comme vous, afin de pouvoir poser des questions aux représentants de Téléfilm lorsqu'ils comparaîtront. Cet organisme figure donc sur notre liste, de même que diverses autres institutions fédérales, pour nos réunions des 24 et 26 mars.

Monsieur Muise.

M. Mark Muise: Monsieur le président, j'ai seulement une brève question supplémentaire à vous poser. Pourrions-nous demander à M. Lewis de nous transmettre ses opinions par écrit? Nous n'aurons pas assez de temps pour l'entendre et je tiens à savoir ce qu'il a à dire.

Le président: C'est la même chose pour tous les témoins ici présents. N'hésitez pas à nous écrire.

Je vous signale en passant que si vous pouvez rester encore quelques minutes, nous pourrons poursuivre un peu notre séance. Nous pensions que nous devions céder la salle à quelqu'un d'autre.

Madame Corbeil.

Mme Marie-Josée Corbeil: Je voulais seulement dire que je suis totalement d'accord avec Mme Bulte. Je répète que lorsque nous cherchons une solution pour le secteur des films commerciaux, nous devons nous assurer que nos radiodiffuseurs, et plus spécifiquement, CBC et Radio-Canada, feront partie de la solution et deviendront des partenaires essentiels dans la production et le financement de ces films.

Le président: Merci beaucoup.

• 1725

M. Bélanger, suivi de M. Latchman.

M. Mauril Bélanger: Merci, monsieur le président.

M. Abbott a mentionné dans sa dernière intervention l'idée que ceux qui bénéficient de l'industrie y contribuent, mais il ne pensait pas que c'était une brillante idée.

Tout le pays s'est construit à partir de concepts comme les paiements de péréquation, l'interfinancement, qu'on trouve dans la Constitution. C'est ainsi que nous avons abordé également nombre de nos services sociaux. Chacun contribue par ses impôts au régime de santé, mais tous n'en profitent pas—Dieu merci; autrement, nous ne pourrions pas arriver. Mais le fait que quelqu'un soit en santé ne signifie pas qu'on ne lui demande pas de contribuer.

L'objet de tous ces débats est de déterminer dans quelle mesure le gouvernement du Canada, ou la population du Canada par l'entremise de son gouvernement, veut se donner

[Français]

des mécanismes pour créer une industrie culturelle dans certains domaines, en l'occurrence aujourd'hui dans le domaine du film. Il est parfaitement légitime qu'on puisse aller puiser des sources de revenus chez certains qui profitent de cette industrie ou qui jouissent de cette industrie, dont les spectateurs, et qu'on applique ces revenus pour développer l'industrie encore plus. C'est une question où tout le monde gagne en fin de compte.

Alors, je n'ai aucune difficulté à prime abord face à cette notion. Il nous demandait d'y réfléchir un instant, mais on aurait peut-être avantage à y réfléchir un peu plus longtemps. On peut conclure tout de suite qu'il y a peut-être bien un rôle d'intervention pour le gouvernement, comme ce fut le cas dans les domaines du livre, de la musique et des périodiques. On n'est peut-être pas assez intervenu du côté des longs métrages. Moi, je n'ai aucune difficulté devant la notion qu'on puisse puiser des sources de revenus de part et d'autre en vue de développer cette industrie. Si on a des difficultés à ce niveau-là, il faudra à un moment donné tenir ce débat au comité, parce que j'ai l'impression que ça sera la pierre angulaire d'une politique canadienne culturelle.

Le président: C'est un très bon argument qui mérite sûrement d'être examiné plus tard.

[Traduction]

Nous allons terminer avec vous, monsieur Latchman. Vous aurez le dernier mot.

M. David Latchman: Je ne devrais peut-être pas avoir le dernier mot.

Je voulais seulement parler du secteur multimédia. Il joue un rôle de plus en plus grand et il ne semble pas être... à part Téléfilm, qui a un fonds pour ce secteur, et il s'agit d'un programme de prêt qui n'est pas doté de beaucoup d'argent. Je ne veux pas ajouter à ce qu'on a dit au sujet de Téléfilm et de la société Radio-Canada, sauf pour dire qu'il y a eu des changements dans ces organismes.

Je pense qu'on a énormément d'esprit d'entreprise et de vision dans ce pays, du côté des producteurs, des auteurs et des entreprises qui réussissent. Il faut aussi penser aux petites sociétés. Les grandes sociétés ont très bien utilisé les systèmes, elles réussissent et c'est merveilleux. Mais il faut aussi rendre les règles du jeu équitables pour les petites sociétés, afin de les aider à bâtir leurs entreprises.

Le président: Merci.

M. David Latchman: Merci.

[Français]

Le président: Je vous remercie encore une fois d'être venus ici aujourd'hui. Je vais essayer, en quelques mots, de résumer les points névralgiques qui sont ressortis de notre discussion aujourd'hui.

Les propos de M. Dupuy et de plusieurs autres intervenants ont fait ressortir que le problème se situe certainement au niveau des longs métrages ou des feature films. Il faudra nous pencher sur ce problème d'une façon ou d'une autre. De nombreuses suggestions ont été émises et il faudra certainement étudier ce problème de façon approfondie. Il est clair que tous les intervenants conviennent que c'est là que se situe le problème, bien que les méthodes ne soient pas nécessairement les mêmes.

J'ai retenu les propos de Mme Corbeil selon lesquels il ne faut pas bloquer les investissements étrangers, mais nous assurer que nous formulions des conditions stipulant que les investissements doivent être voués à la production canadienne, sous le contrôle des Canadiens.

Une chose est ressortie. Il y a certainement un consensus

[Traduction]

pour dire que les films canadiens sont aussi bons que les autres, et que le problème réside peut-être dans la méthode de distribution.

• 1730

Monsieur Lewis, vous avez dit que la différence se situait au niveau de la distribution et de la commercialisation, des secteurs auxquels nous consacrons un dixième au plus de l'argent qu'on y consacre pour les films américains.

On a discuté de quotas, certains estimant qu'il faut en imposer, et M. East, par exemple, dit qu'il faut se méfier des quotas, qu'ils n'ont pas fonctionné en France; examinons toutes les autres solutions de remplacement, parce que les quotas ne représentent peut-être pas la solution magique.

M. Latchman, par exemple, a dit qu'il existait un grand nombre d'organismes de financement, et il se demandait si un seul ne serait pas préférable. Devrions-nous conclure un traité de coproduction avec les États-Unis?

Ensuite, M. Dupuy a dit que c'était une illusion parce que les Américains n'accepteront jamais. Mme Corbeil a aussi fait remarquer que les traités de coproduction que nous avons conclus avec 31 autres pays sont vraiment là pour faire contrepoids aux États-Unis, et que cela ne serait peut-être pas une bonne idée.

Il y a donc certainement différents points de vue que nous devrons examiner.

J'ai cru déceler parmi les diverses personnes qui ont pris la parole qu'on s'entendait pour dire que la CBC, Radio-Canada et Téléfilm devraient certainement travailler davantage en partenariat avec des producteurs indépendants. C'est une idée qui nous sera utile, parce que nous allons rencontrer les représentants de la société Radio-Canada, et en particulier M. Beatty. Nous allons rencontrer plus tard les représentants de Téléfilm. Ce sont des questions de cette nature que nous allons leur poser, nous allons leur demander pourquoi cela ne se fait pas déjà.

J'ai également retenu la suggestion de M. Dupuy quant à des coproductions avec les grands studios. Si vous avez par hasard d'autres idées à ce sujet... Monsieur East, si vous pensez que c'est une possibilité et si vous pouvez nous donner des idées, elles seront vraiment les bienvenues.

J'ai certainement été frappé également par votre argument, M. East, selon lequel on ne pense plus vraiment de nos jours en termes de marchés nationaux, que les Américains travaillent vraiment pour le marché mondial et qu'ils ont décidé que nous faisons partie du marché mondial, tout comme l'Australie et la France. C'est une réalité dont nous devrons tenir compte.

Les défis sont certainement énormes. Nous devons réexaminer toute la question des priorités. M. Bélanger a dit que nous devrions peut-être y transférer plus d'argent, parce que c'est peut-être là que le besoin existe; examinons la possibilité d'offrir des stimulants fiscaux, et examinons les divers scénarios que vous nous avez proposés.

Je pense que tout cela nous a été extrêmement utile.

[Français]

Je vous remercie de toutes vos suggestions et je vous invite à rester en contact avec nous. Merci beaucoup d'être venus.

[Traduction]

Merci beaucoup de votre participation aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

La séance est levée.