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SHUR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 28 avril 1998

• 1540

[Traduction]

La présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest— Mississauga, Lib.)): Comme nous avons peu de temps en raison d'un vote à 17 h 15, nous ferons comme si nous étions en nombre suffisant. Il y a sans doute beaucoup de députés qui arriveront sous peu, et c'est pourquoi j'ouvre la séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international.

Nous sommes vraiment très contents de vous accueillir ici aujourd'hui. À la dernière session du Parlement, nous avons reçu Shell et des défenseurs du régime au Nigeria, mais le comité a depuis adopté une résolution visant à demander au ministre de mettre en oeuvre un embargo pétrolier contre le Nigeria. Il a fait preuve de leadership et a présenté cette résolution aux pays du Commonwealth, mais n'a pas réussi à obtenir les appuis nécessaires. Nous vous souhaitons la bienvenue et nous poursuivons nos efforts, et nous continuerons le combat.

Nous recevons aujourd'hui Mme Melanie Gruer, de l'Institut Nord-Sud, et Dapo Olorunyomi. Je suis désolée. En fait, vous le savez, ces noms ne sont pas difficiles à prononcer si l'on en dit toutes les lettres.

Nous sommes ravis que vous soyez ici. Je ne sais pas si vous connaissez la façon de travailler du comité, mais vous ferez un exposé, puis chacun des membres du comité pourra vous poser des questions.

Mme Mélanie Gruer (Institut Nord-Sud): Je vais commencer par faire les présentations.

L'Institut Nord-Sud a invité ici M. Olorunyomi. La fin de semaine dernière, il a participé à la conférence annuelle de l'Association canadienne des journalistes, au sein d'un groupe, pour parler de la liberté de la presse en Afrique, dans des pays qui, comme le sien, vivent des conflits armés. Il est encore à Ottawa pour deux jours, afin de rencontrer les fonctionnaires de divers ministères, ainsi que votre comité.

Pour vous donner un peu de contexte, je vais vous parler de ce qui est arrivé aux médias au Nigeria au cours des dernières années. Comme vous le savez, en 1993, les militaires nigérians ont annulé une élection libre et juste et se sont emparés du pouvoir. Depuis, le général Sani Abacha, le chef du régime, s'est acquis une notoriété internationale pour certaines de ses actions. Il a notamment offert la sécurité et l'appui militaires à la société Shell, pour son exploitation nuisible à l'environnement, il a fait exécuter l'activiste Ken Saro-Wiwa et huit de ses compagnons qui s'en prenaient à Shell, et a fait emprisonner plus de 7 000 Nigérians, dont beaucoup de journalistes.

La presse nigériane était l'une des plus libres et des plus diversifiées de l'Afrique. Mais depuis la prise du pouvoir par Abacha, les journalistes indépendants ont été arrêtés, battus, forcés de s'exiler, et même assassinés. C'est au Nigeria qu'on a pu constater la plus grave détérioration des conditions de travail de la presse, en Afrique. À la fin de 1997, il y avait plus de journalistes en prison au Nigeria que dans tout autre pays africain.

Avec Abacha au pouvoir, plus de 40 journaux ont fermé leurs portes. Les principaux rédacteurs ont été emprisonnés à la suite de fausses accusations ou ont été incarcérés sans procès, et les nouvelles lois sur la presse exigent des droits pour des permis. Comme un journaliste le disait récemment au New York Times: «La plupart des salles de presse du Nigeria sont vides, parce qu'en restant assis à son pupitre un journaliste risque l'arrestation.»

Dapo Olorunyomi est un journaliste qui a été forcé de s'enfuir après avoir été condamné à 15 ans d'emprisonnement pour trahison. Il était le rédacteur en chef de The News et de Tempo, deux des plus importants journaux d'opposition nigérians, et deux journaux auxquels Abacha s'est attaqué plus particulièrement. Le régime a mis le cadenas sur la porte de ces deux journaux la semaine dernière.

En 1995, M. Olorunyomi a reçu le International Editor of the Year Award, puis, l'année suivante, le PEN Freedom to Write Award. Il vit actuellement à Washington, et est un associé au Panos Institute.

M. Dapo Olorunyomi (témoigne à titre personnel): Merci beaucoup. Je tiens bien entendu à vous exprimer ma profonde gratitude pour la possibilité que vous me donnez de vous parler. Je veux aussi saisir l'occasion de remercier votre comité et le Parlement canadien, et, par votre intermédiaire, le peuple canadien, pour le merveilleux appui que vous avez donné au mouvement démocratique au Nigeria.

Comme vous le savez, le gouvernement canadien est celui qui a proposé la déclaration de Harare dans les années 80, pour adopter une résolution visant à mettre fin aux régimes militaires au sein du Commonwealth. D'une certaine façon, nous sommes ici aujourd'hui par suite de cette résolution, parce qu'elle a donné un sens à notre cause, parce qu'elle nous a encouragés à faire ce que nous avons réussi à faire.

• 1545

Nous voudrions aussi remercier les Canadiens pour l'initiative prise après l'assassinat de Ken Saro-Wiwa, en amenant le Commonwealth à prendre au moins les modestes sanctions qui sont actuellement en vigueur. Nous espérons pourvoir obtenir de votre comité qu'il demande au gouvernement canadien et au Parlement de ne pas nous laisser tomber malgré les déceptions que nous avons eues dans notre lutte contre le régime militaire au Nigeria, afin que vous continuiez de faire preuve de leadership pour nous aider à résoudre le problème de la dictature militaire au Nigeria.

Si j'ai bien compris, je dois vous parler plus précisément de la liberté de la presse. J'ai travaillé comme journaliste au Nigeria. Je vais vous raconter un peu mon histoire, mais, plus important, l'histoire de la presse nigériane en tant qu'institution et les raisons qui ont poussé le régime à commettre les atrocités que l'on sait contre la presse indépendante.

Pour vous situer, disons en commençant que 1993 a été un point tournant. Je ne vais pas vous ennuyer avec une trop longue histoire. Après l'annulation, le 23 juin, des élections présidentielles du 12 juin, la presse indépendante a décidé de ne pas se soumettre, mais dans sa pratique, son style d'écriture et les choix éditoriaux, a déclaré que pour une fois il fallait mettre fin au régime militaire. La presse a réagi par la plume et a exposé beaucoup de choses.

D'un point de vue philosophique, il faut savoir que tous les événements journalistiques de cette époque découlaient du chaos créé par les militaires. Nous ne pouvons espérer ni croire que les militaires seront les architectes d'un renouvellement du Nigeria.

Nous avons donc cherché, trouvé et divulgué des cas de corruption. Dans la mesure du possible, nous écrivions des textes. Bien entendu, les militaires étaient mécontents et ont fait souffrir la presse pour cela. Beaucoup de journalistes ont été emprisonnés. Beaucoup de rédactions ont été fermées.

En outre, pour la première fois dans l'histoire du Nigeria, puisque la télévision et la radio étaient un monopole jusqu'à il y a deux ans, on a même fermé certaines stations de radio régionales qui étaient en ondes, parce qu'elles n'étaient pas bien vues.

Voilà quelle était la tendance. Si l'on regarde les statistiques, la presse a souffert davantage sous le régime actuel que pendant toute l'histoire du Nigeria.

Il y a des raisons très évidentes, très compréhensibles, à cela. La convergence du pouvoir politique entre les mains des militaires et la coïncidence des recettes considérables pour le pays alors que les militaires étaient au pouvoir ont créé une situation très attirante pour eux. Il était très difficile de demander aux militaires de partir, après qu'ils aient vu tout l'argent qu'ils pouvaient faire. Vous savez sans doute qu'aujourd'hui même les recettes annuelles pour les militaires, provenant de la vente de pétrole, sont de 10 milliards de dollars.

Pourtant, on n'a vu aucun développement du pays. Nous continuons d'importer du pétrole du Venezuela. Les quatre raffineries du pays sont au point mort depuis quelque temps. Il y a un chaos incroyable. Les voitures font la queue pendant trois jours simplement pour obtenir un ou deux gallons d'essence.

Voilà le genre de désordre qui provient de la dictature militaire. La presse indépendante, en l'absence d'un Parlement et d'une opposition organisée, a dû se désigner elle-même comme porte-parole de la société. Voilà pourquoi il y a un combat continuel entre nous et les militaires.

Quelles sont les méthodes habituelles auxquelles recourent les militaires? Parfois ils vous arrêtent. Ils vous arrêtent et vous gardent, sans vous détenir officiellement. Comme je vous l'ai déjà dit, 21 journalistes nigérians ont été mis en prison sans procès. Au cours des deux ou trois derniers jours, trois personnes ont été libérées, mais en une semaine on en a aussi emprisonné 14 autres. Ce n'est qu'une opération de relations publiques quand on vous dit qu'on en libère trois, alors qu'on en prend 14; ce sont toujours les mêmes méthodes.

• 1550

Il ne s'agit pas seulement de garde; certains ont été incarcérés à long terme. En 1996, quatre de nos collègues ont été emprisonnés pour complicité dans ce qu'on a appelé un complot. Nous avons constaté qu'il n'y avait en fait rien de tel. Les procès étaient truqués. Ils n'avaient pas droit à des avocats. Certaines des questions posées au procès étaient tout à fait ridicules. On leur demandait quelle était leur attitude par rapport à certaines politiques gouvernementales. C'était censé être là l'accusation. Ils purgent tous actuellement des peines d'emprisonnement de 15 ans, simplement pour avoir été journalistes en notre pays.

Dans ce cas-là aussi, il ne s'agit pour le gouvernement que de faire un exemple, parce que la presse est la seule institution qui reste et qui peut offrir une certaine résistance. Il leur a toujours importé de nous briser, pour faire un exemple. Ce qu'ils ont fait en 1996, pour les rédacteurs, devait servir d'exemple pour frapper les esprits. Je ne pense pas toutefois que cela ait marché, parce que la presse continue de travailler très activement.

Ce qui est très amusant, c'est qu'ils publient parfois de faux numéros des journaux. S'ils savent que l'orientation de la rédaction d'un journal est antimilitaire, ils fabriquent de faux numéros. Ils vont voir leurs propres imprimeurs et font des copies simplement pour discréditer le journal. Ce sont des choses qui ont toutes été faites par le passé.

Et bien entendu ils lancent de très sérieuses poursuites en libelle contre les journaux, au point de leur faire perdre leurs moyens et leur part du marché.

Et puis l'an dernier, pour la première fois dans l'histoire des médias africains, ils ont mis sur pied ce qu'ils appellent un tribunal de la presse, un tribunal destiné particulièrement aux journaux. Nous n'avions vraiment jamais rien vu de ce genre. Ils ont mis sur pied des comités d'enregistrement. Cet enregistrement vise à déterminer qui peut être rédacteur. Même pour les journaux privés, ils ont fixé des critères d'âge et d'instruction, des choses qui n'ont aucune pertinence. Mais si vous comprenez leurs intentions, vous voyez que tout cela fait partie des attaques contre l'indépendance de la presse. C'est pourquoi ils ont créé tous ces...

J'ai quitté le Nigeria en avril 1996 parce que nous avions publié un texte discréditant les prétentions des militaires selon lesquelles ils avaient mis aux arrêts 40 officiers qui allaient faire l'objet de procès. Après enquête, nous avons constaté qu'il n'y avait jamais eu de complot contre le régime et que le tribunal militaire lui-même avait laissé entendre qu'une erreur avait été commise quelque part.

Ils ont estimé que nous étions allés trop loin et ont lancé une chasse à l'homme contre moi. Comme ils ne pouvaient me trouver, l'un de mes collègues... Il avait été hospitalisé trois mois pour des problèmes rénaux. Il est revenu au bureau pour la première fois, simplement pour dire à ses collègues qu'il allait un peu mieux et qu'il pouvait revenir au travail. Ils sont tombés sur lui et lui ont demandé où se cachait Dapo Olorunyomi. Il leur a répondu qu'il revenait tout juste au bureau, après trois mois, et qu'il ne pouvait pas le savoir. Ils lui ont dit: «Très bien; pourriez-vous venir avec nous aux bureaux de la sécurité, remplir des papiers pour dire que cet homme s'est échappé, si vous voulez revenir à la maison?»

Depuis, personne ne l'a revu. Il purge une peine de prison de 15 ans. Voilà le genre de choses que vit la presse chez nous. Le coût en a été terrible. Ils s'assurent que si vous êtes un journal antimilitaire, personne ne vous achètera de publicité. Ils s'assurent que vous n'aurez pas accès au papier journal. Ils font tout ce qu'il faut pour cela.

La presse indépendante, qui est si critique, et qui demeure ce qui approche le plus d'un Parlement de remplacement, actuellement, au Nigeria, est donc soumise à des attaques très, très agressives.

En me présentant, Melanie a brièvement parlé de mon journal. Mon groupe publie trois journaux: un journal du soir, le P.M. News, et deux hebdomadaires. L'hebdo du lundi s'appelle The News; c'est une revue. L'hebdo du jeudi s'appelle Tempo.

Ces journaux ont connu toutes sortes de problèmes. Ils les ont proscrits. Ils ont constaté que cela ne marchait pas. Ils ont mis en prison nombre de nos collègues.

• 1555

La semaine dernière, ils ont décidé de simplement apposer des scellés sur nos bureaux. Ils sont venus un lundi et ont emmené cinq personnes. Le mardi, ils sont revenus, ont fait sortir trois personnes et ont emporté nos dix ordinateurs. Mais ils n'étaient pas encore satisfaits. Le mercredi, ils sont revenus—je parle de mercredi dernier—et ont apposé des scellés sur nos bureaux. Des soldats continuent de monter la garde aux bureaux du journal, aujourd'hui même.

Voilà le genre de situations que nous vivons. Nous pouvons nous poser la question: que ferons-nous maintenant? Je pense que le général Abacha a besoin de faire ce genre de choses parce qu'il est clair que sa succession n'est pas assurée. Ce genre de journaux lui causeront des problèmes, et il faut qu'il les en empêche, d'une façon ou d'une autre. Ils veulent simplement la solution finale, si l'on peut dire.

Mais il y a encore une marge de manoeuvre. Jusqu'à vendredi dernier, on continuait de publier clandestinement. Je pense que le sentiment de la plupart des membres de la presse indépendante, c'est qu'il ne faut aucunement accepter le régime militaire. Même si cela nous coûte très cher, nous trouverons le moyen de nous exprimer.

Il faut remercier certaines ONG canadiennes. Elles nous ont beaucoup aidés, non seulement en nous offrant des occasions comme celle-ci, mais aussi en nous donnant des ordinateurs portatifs et en nous aidant à brancher nos services de courrier électronique. C'est ainsi que nous avons pu communiquer avec le monde, dire ce qui nous arrivait, et essayer d'échapper à la censure.

Voilà donc un bref résumé de l'histoire de la presse des dernières années. L'avenir n'est vraiment pas brillant, mais je pense que le moral est encore très bon, et il faut espérer que la presse continuera ce qu'elle a entrepris.

Je m'arrête ici, en espérant que vous avez des questions plus précises. Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de vous parler.

La présidente: Merci.

Monsieur Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci, madame Beaumier.

Merci beaucoup, monsieur Olorunyomi, d'être venu de si loin pour mettre en lumière les problèmes que vit votre pays. Et merci à vous, madame Gruer.

Il y a quelque temps, la compagnie Shell est venue nous dire ce qu'elle faisait. Je vais vous poser des questions précises, si vous le permettez. Shell prétend jouer un rôle actif dans l'Ogoniland, et tenter de s'occuper de deux questions, d'une part la détérioration de l'environnement, dont elle est largement responsable, et d'autre part la question des droits de la personne. J'aimerais que vous nous disiez ce que Shell fait ou ne fait pas.

Deuxièmement, pourriez-vous nous dire précisément ce que nous pouvons faire pour faire connaître la situation, soit de manière unilatérale, soit de manière multilatérale, par notre rôle au sein des Nations Unies, du FMI ou de la tribune qui conviendra le mieux?

Pourriez-vous aussi nous parler un peu du statut du chef Abiola, et nous dire si vous êtes en communication avec vos compatriotes et vos collègues de tout le globe pour faire pression où il le faut et pour faire connaître ce qui se passe au Nigeria?

Merci.

M. Dapo Olorunyomi: Merci beaucoup, monsieur.

Shell est en mesure de faire beaucoup de propagande, parce qu'elle a les ressources nécessaires. Depuis la résolution de l'an dernier sur les pratiques éthiques, une résolution appliquée par les actionnaires, il est évident qu'au Nigeria Shell fait davantage de relations avec la communauté. Rien ne prouve toutefois qu'elle travaille à faire avancer la cause des droits de la personne.

Ils s'en sont tenus à leur histoire selon laquelle ils n'ont pas de lien direct avec le gouvernement, visiblement fausse. Des documents ont servi à prouver le lien direct entretenu par le passé avec les militaires. On est donc loin de la vérité.

Au point de vue environnemental, on n'a pas encore constaté... C'est vrai que certains des derniers déversements de pétrole n'étaient pas la responsabilité de Shell, mais d'autres sociétés, comme Agip et ELF. La situation de l'environnement dans le delta du Niger demeure désolante, en partie à cause de ce qui reste des dégâts causés par Shell. On fait encore du torchage.

M. Keith Martin: Il y a deux ans, Shell a promis de s'en occuper rapidement. Rien n'a été fait?

• 1600

M. Dapo Olorunyomi: Eh bien, on n'a constaté aucun effort. Dans l'immédiat, Shell pourrait au moins mettre en marche un système de réinjection des gaz, ce qui n'a pas été fait, que nous sachions. Seul Agig l'a fait.

Quant à Moshood Abiola, d'après nos informations, personne n'a pu lui rendre visite depuis trois ans. Les membres de la délégation américaine venus il y a trois ans sont les dernières personnes à l'avoir vu, et d'après leur rapport il semblait en bonne santé, dans la mesure où il est vivant, au moins. Nous savons au moins cela.

En outre, la façon dont le gouvernement nigérian leur a permis de le voir, pendant à peine cinq minutes, très tard le soir, ne leur a pas permis de pouvoir vraiment se prononcer sur son état d'esprit.

Dans les journaux, on dit toujours au Nigeria qu'il refuse de s'entendre avec Abacha, mais ce n'est toujours que la dernière opinion donnée, puisque le gouvernement refuse de dire quoi que ce soit à son sujet. Je serais étonné que le gouvernement consente à le libérer sous peu.

Comme vous le savez, lors de la visite du pape, c'était l'une des principales demandes présentées au pape par le peuple. Le général a affirmé qu'avant une ou deux semaines il examinerait la situation. Cela doit faire maintenant six ou huit semaines, et rien ne s'est produit.

M. Keith Martin: Et que pensez-vous que nous pouvons faire comme pays, soit unilatéralement, soit...?

M. Dapo Olorunyomi: Comme je l'ai dit dans mon exposé, le Canada peut intervenir de toutes sortes de façons. Le Commonwealth hésite, tout en reconnaissant au Nigeria les aspects positifs de son programme de transition. La dernière position du général Abacha montrait l'orientation morale de cette transition, et il serait maintenant opportun de lui faire respecter sa parole. La transition est terminée. Il est clair qu'il sera le prochain président du pays.

Le Canada devrait donc contribuer à réorienter le Commonwealth dans le sens de sanctions contre le régime. Les sanctions contre le pétrole demeurent les plus efficaces pour s'attaquer aux militaires. Je le répète, ils font 10 milliards de dollars par an, et la société nigériane n'en voit pas les effets. C'est vraiment la seule chose qui pourrait les faire revenir dans le droit chemin.

M. Keith Martin: Il serait vraiment très utile que vous puissiez nous fournir des preuves, quand vous le pourrez. Quand nous aurons des discussions avec Shell, il serait bon d'avoir des preuves en main, pour leur dire: «Voici les preuves.»

M. Dapo Olorunyomi: Bien.

M. Keith Martin: Merci beaucoup.

M. Dapo Olorunyomi: Très bien, monsieur.

La présidente: Merci.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, madame Gruer et monsieur Olorunyomi.

Monsieur mon collègue vous a posé une question très précise concernant le rôle du Canada au Nigeria. On sait que le Canada a été, en effet, très actif au sein du Groupe ministériel d'action du Commonwealth. Plusieurs gestes ont été posés et il n'y a plus de relations diplomatiques.

Les différentes commissions multilatérales ont déposé des résolutions condamnant le Nigeria et il n'y a plus de relations commerciales entre un certain nombre de pays et le Nigeria. Par contre, je sais qu'au niveau du Commonwealth, certains pays continuent à entretenir des relations avec le Nigeria.

Je pense que le Canada a quand même fait un bon bout de chemin. Qu'est-ce qu'il pourrait faire de plus maintenant? Il y a des sanctions économiques et il n'y a a plus de relations commerciales. Vous avez félicité le Canada pour son intervention au sein du Groupe ministériel d'action du Commonwealth, mais il semble que tous ces gestes-là n'ont pas porté fruit.

Qu'est-ce qu'il faudrait faire de plus? Je pense entre autres à l'intervention du Canada au sein du Groupe ministériel du Commonwealth. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il y a certains pays du Commonwealth qui ont encore des relations diplomatiques et commerciales avec le Nigeria.

• 1605

Cela veut-il dire que le rôle du Canada n'est plus d'intervenir directement au Nigeria puisque cela ne donne absolument rien?

On se rappelle aussi très bien que le ministre des Affaires étrangères avait rencontré le ministre des Affaires étrangères du Nigeria et que M. Axworthy nous avait dit qu'on avait accusé une fin de non-recevoir. Je pense donc qu'il n'y a plus grand-chose à tirer de ce côté-là. Est-ce que ce ne serait pas plutôt maintenant le rôle du Canada que d'intervenir au sein des pays membres du Commonwealth et, non pas de demander des comptes, mais d'exercer des pressions pour que les autres pays du Commonwealth appuient le Canada un peu plus fortement qu'ils ne le font en ce moment? Est-ce que ce serait la solution? Si vous pensez qu'il y en a d'autres, dites-le nous.

Ma deuxième question concerne les conditions de vie des Nigériens. J'aimerais que vous nous en parliez un peu. Je pense en particulier aux différents groupes ethniques. Je sais qu'il y a plusieurs groupes ethniques. Nous connaissons en particulier les Ogoni et les Yoruba. J'aimerais que vous nous disiez à quel groupe ethnique appartient M. Abacha.

Je vous pose cette question sans aucun préjugé. Après ce qui s'est passé au Rwanda, on a toujours un peu peur. Est-ce qu'il n'y a pas au Nigeria, un problème latent de rivalité entre les différents groupes ethniques? Apparemment, c'est la majorité de l'ethnie de M. Abacha qui... Enfin, vous comprenez ce que veux dire.

[Traduction]

M. Dapo Olorunyomi: Merci beaucoup. Vous aviez de nombreuses questions.

D'abord, je dois dire qu'entre nous nous nous sommes dit qu'il serait difficile pour nous de demander au Canada de faire davantage, puisqu'il a déjà fait preuve de leadership en ce sens, et nous l'apprécions. Ce qui compte, c'est qu'en faisant preuve de leadership moral le Canada fasse aussi preuve de constance. Il l'a fait en Afrique du Sud, et cela a porté fruit.

Nous sommes tous bien sûr très contents de l'accord sur les mines terrestres, où le Canada a montré un leadership tel que même les États-Unis ne pouvaient s'y opposer. Il était clair que ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils se joignent aux mesures prises contre les mines terrestres.

Mais par ailleurs il est vrai que même après les sanctions imposées par le Commonwealth, des sanctions modestes, il y avait encore du commerce. Je sais que CanOxy, ou la Canadian Occidental Petroleum Ltd., a conclu une nouvelle alliance avec Elf et veut aussi aller au Nigeria.

Ce genre de sanction fait en sorte que le gouvernement nigérian estime n'avoir rien à changer. L'interdiction existe, elle est modeste, et elle n'est pas efficace. Même des sociétés canadiennes envisagent déjà de faire des affaires au Nigeria. Mais si le Canada peut faire bouger des pays comme l'Afrique du Sud et la Grande-Bretagne, nous pensons qu'il peut faire beaucoup pour donner un sens à tout ce que nous avons fait là-bas.

Je crois qu'il serait bon que je vous fournisse un peu d'information. L'opposition nigériane elle-même estime qu'il doit y avoir une initiative africaine. Nous nous sommes déjà entretenus avec l'archevêque Tutu, qui a accepté de créer une coalition d'Églises, de syndicats, etc., pour faire pression sur le gouvernement sud-africain, afin qu'il agisse aussi.

On ne peut donc qu'espérer que le Canada servira de modèle à suivre.

• 1610

Nous pensons aussi que le Canada peut appuyer les ONG au Nigeria qui contribuent à reconstruire les bases de la société civile que les militaires ont essayé de détruire. J'encourage certainement le Canada à aider la presse indépendante nigériane, dans la mesure du possible.

Depuis quelques années, le niveau de vie au Nigeria a considérablement baissé, simplement à cause d'une mauvaise gestion publique. Comme vous le savez, l'économie dégringole. L'inflation augmente aussi quelque peu.

Il y a autre chose. Vous avez un peu parlé de la question ethnique. En Afrique, la mauvaise gestion que nous constatons s'est toujours manifestée chez des leaders corrompus qui volent le Trésor public. Ils ramènent cet argent chez eux, si l'on peut dire, pour créer des preuves de croissance. Même si on rejette leur argent au niveau national, il se trouvera toujours des gens qui se le disputeront dans leurs régions.

Ce n'est pas ce qui se produit actuellement. Lorsque j'ai rencontré des gens du gouvernement ce matin, je leur ai donné des preuves de la désertification au Nigeria, pour montrer certains des effets horribles de la dictature et de la mauvaise administration. Au cours des cinq dernières années, les déserts du Nord se sont étendus sur 35 000 milles carrés. Ironiquement, la région gravement touchée par ce problème est celle du général Abacha.

Cela aura éventuellement pour résultat une très grande migration du secteur rural vers les villes. Les gens des régions rurales ne sont pas vraiment préparés au choc et à la tension qui les attendent dans les zones urbaines. Ils n'ont pas d'emploi. La seule chose qu'ils amènent avec eux, c'est la religion, à laquelle ils peuvent s'accrocher.

Entre 1978 et 1983, au Nigeria, j'ai assisté à trois émeutes religieuses très violentes après des migrations de ce genre. Cela se produit chaque fois qu'il y a une sécheresse et que des gens doivent quitter leurs terres pour venir se chercher un emploi en ville. Le fondamentalisme religieux est aussi l'une des conséquences de ce genre de choses.

Il y a une frustration générale au pays. L'économie va mal. Les jeunes ne peuvent s'instruire parce que les universités sont fermées pour de très longues périodes. Il n'y a pas d'emplois. Les groupes frustrés sont si nombreux et si variés—je suis persuadé que vous l'avez lu dans la presse—qu'il y a eu des séries d'attentats à la bombe au Nigeria, dont les auteurs pourraient être l'un ou l'autre de ces groupes. On a réuni tous les éléments d'un déclin et d'une crise que personne n'espère voir se produire au Nigeria.

Je signale que le général Abacha est du Kano, du nord-est du Nigeria. Cela ne lui donne pas une majorité pour ce qui est de la structure ethnique du pays, mais il n'a pas vraiment besoin de cela, parce que, dès que vous possédez une arme au Nigeria et que vous pouvez vous emparer de l'armée, vous pouvez vous bâtir un fief, comme il l'a fait, en s'appuyant sur les sergents. Ses partisans sont issus de ce que l'on appelle le «brevet E» de l'armée—c'est-à-dire les gars qui ne sont jamais allés à l'école, etc., reste mais qui sont d'une loyauté farouche.

Si vous avez les moyens de payer ces gens, de les retenir à votre service, vous pouvez établir votre emprise sur la société, et c'est ce qu'il fait.

Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à toutes vos questions.

[Français]

Mme Maud Debien: Merci.

[Traduction]

La présidente: La question de savoir qui il y a dans l'armée et qui la contrôle revêt une importance vitale, parce que vous avez là une armée qui est composée des mêmes personnes qu'elle persécute. C'est toujours un phénomène qui échappe à la compréhension de beaucoup.

• 1615

Il y a des personnes dans ma circonscription qui croient que mon attitude à l'égard du Nigeria est incorrecte, et ils me disent que des membres de leur famille vivent dans les villes et qu'ils vivent fort bien.

Nous savons que les reporters sont en danger là-bas. Nous savons que quiconque dénonce les insuffisances d'Abacha est en danger. Les Ogonis perdent leur territoire, et il y a de la pollution environnementale là-bas, mais s'agit-il d'un conflit ethnique ou d'un conflit inspiré par la corruption? Même si bon nombre d'entre nous savent que la situation est très grave, nous avons du mal à en comprendre la cause. S'agit-il tout simplement de corruption?

M. Dapo Olorunyomi: Non. Le fait est que la situation au Nigeria est complexe.

D'abord, il faut reconnaître qu'il s'agit là d'une dictature militaire. Mais il est également vrai que l'armée n'est pas amorphe. Sa structure, pour ce qui est de son orientation ethnique, révèle qu'il y a dans l'armée plus de gens du Nord. Historiquement, les gens du Sud ont tendance à éviter des institutions comme celle-là parce qu'elles ont toujours été au service des intérêts coloniaux, et les gens pensaient que seuls les individus sans espoir d'avancement s'engageaient dans l'armée. Aujourd'hui, tout le monde se rend compte que cette hypothèse était fausse.

Le fait est que tout cela peut dégénérer en conflit ethnique. Cependant, la question ethnique ne se pose pas encore. Les mauvais traitements faits aux Ogonis s'inscrivent tout simplement dans les persécutions dont les peuples minoritaires ont toujours été victimes au Nigeria. Parce que ce sont de petites ethnies, on fait comme si elles n'avaient aucun droit. On se dit qu'elles n'ont qu'à suivre la majorité.

On se retrouve devant ce genre de situation parce que ce problème minoritaire coïncide ici avec le fait qu'il s'agit d'une région productrice de pétrole. Donc, au premier plan, il s'agissait d'un genre de génocide environnemental que l'on perpétrait, mais il y avait aussi le fait que les gens qui souffraient constituaient une minorité, et le peuple ogoni, parmi toutes les minorités aux abords du fleuve, est celui qui s'est fait le plus entendre. C'est le premier peuple qui s'est démarqué et qui a dit non à ce genre de gâchis. Donc, étant donné qu'on s'est attaqué à eux, la situation a pris l'allure d'un génocide visant le peuple ogoni.

La présidente: J'aimerais que vous me donniez plus de détails ici. Ma question paraîtra peut-être idiote pour certains, mais je me demande comment vous déterminez ce que c'est qu'une minorité. Quelles sont les différences? Parlons-nous de différences religieuses, ou simplement de différences géographiques? Je sais ce que c'est une minorité ici au Canada. On peut voir les minorités, on peut les entendre. Le concept minoritaire est assez facile à comprendre ici. Mais de quel genre de minorité est-il question ici?

M. Dapo Olorunyomi: On parle de minorité ethnonationale.

La présidente: Comme des minorités tribales.

M. Dapo Olorunyomi: Oui. Il s'agit en fait d'ethnies dans la mesure où ce sont des peuples qui comptent moins d'un million de personnes. Si l'on prend tout cela en compte, ce n'est qu'une coïncidence si la majorité sont probablement chrétiens aussi, mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'une minorité au Nigeria désigne principalement une ethnie. Il y a 250...

La présidente: Est-ce que c'est basé sur la religion ou sur la géographie?

M. Dapo Olorunyomi: Il y a une assise géographique, mais la minorité n'a pas de caractère géographique, étant donné qu'il y a tellement de peuples minoritaires au Nigeria. On compte 250 groupes ethniques au Nigeria, et à la radio et à la télévision d'État seulement sept d'entre eux ont droit de cité. On avait l'habitude de les appeler les sept groupes linguistiques du Nigeria. Mais même au sein de ces sept groupes, seuls les trois principaux retiennent l'attention, ceux qui comptent 20 millions ou plus de citoyens, comme les Yoruba, qui est l'ethnie à laquelle j'appartiens.

La présidente: Donc on parle aussi de différences linguistiques.

M. Dapo Olorunyomi: De groupes linguistiques.

La présidente: D'accord.

• 1620

Monsieur Bonwick.

M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Comme mes collègues, j'ai quelques questions à poser sur les moyens qui permettraient au gouvernement d'être plus efficace.

Premièrement, avez-vous en votre possession la liste des entreprises canadiennes qui font affaire au Nigeria en ce moment?

Deuxièmement, un comité parlementaire ou un groupe de travail s'est-il rendu au Nigeria dernièrement? J'entends par «dernièrement», les quelques dernières années. Comparativement aux autres pays du Commonwealth et du G-7, ou du G-8 maintenant, dans quelle mesure les concurrents industriels du Canada ailleurs dans le monde ont-ils exigé que le Nigeria respecte ses engagements, et dans quelle mesure l'ont-ils aidé à le faire?

Il se peut que j'aie une question supplémentaire si j'en ai le temps.

La présidente: Bien sûr.

M. Dapo Olorunyomi: Je pourrais aisément vous fournir cette liste, mais je ne l'ai pas en ma possession aujourd'hui.

J'ignore si un comité parlementaire s'est rendu au Nigeria après la visite de Mme Flora MacDonald, qui a eu lieu en 1994, je crois. Ce fut la dernière délégation officielle à se rendre au Nigeria. Je crois qu'elle a produit un excellent rapport qui a offensé au plus haut point le gouvernement nigérian avant le dernier...

Pour ce qui est des autres pays, si on y va au hasard, je dirais que les pays scandinaves font beaucoup pour soutenir le mouvement démocratique au Nigeria—ils en font autant que le Canada. Mais pour ce qui est des grands blocs, les États-Unis ont été hésitants, et je pense que le gouvernement nigérian s'en rend compte. Si j'en crois le New York Times, le gouvernement nigérian a dépensé beaucoup d'argent l'an dernier pour maintenir son lobby à Washington et éviter les sanctions et ce genre de choses.

Puis, bien sûr, vous savez que le gouvernement nigérian a joué la carte de la race avec la communauté afro-américaine, et comme c'est une question délicate, il peut trouver des personnes sans scrupules au sein de cette communauté qui vont s'opposer à toute mesure visant le Nigeria.

Mais encore là, je pense que ça change. Nous avons un nouveau groupe de penseurs au sein de la communauté afro-américaine qui exige des mesures plus énergiques à l'encontre du Nigeria.

Il est également évident que le secrétaire adjoint aux affaires africaines du département d'État à Washington s'est prononcé très clairement sur ces questions, et il a dit qu'un budget provisoire ne serait pas acceptable et que tout dialogue avec le Nigeria passe par la libération des détenus politiques, l'ouverture de tous les journaux et un programme de transition transparent, mais évidemment, rien de tout cela ne s'est produit jusqu'à ce jour.

Les mêmes autorités se sont également prononcées sur les dernières élections, qu'Abacha considérait comme le dernier chapitre de sa transition vers la présidence. Je pense que les autorités américaines ont également refusé d'accepter cela.

Mais l'Union européenne maintient ses pressions de son côté. Il est vrai qu'elle ne peut pas en faire plus pour le moment.

M. Paul Bonwick: D'accord. Si je posais la question sur les entreprises, c'est parce que le comité peut évidemment discuter de la question de savoir s'il n'y a pas lieu d'écrire aux grands entrepreneurs qui font affaire au Nigeria pour leur demander de faire savoir au gouvernement nigérian qu'ils sont mécontents de son inaction. Il y a des moments où l'argent donne de meilleurs résultats que la communication.

• 1625

Deuxièmement, pour ce qui est du comité parlementaire, étant donné que vous passez de plus en plus de temps dans notre pays, vous constatez qu'il y a de plus en plus d'échanges d'information entre les parlementaires et les associations parlementaires. Par conséquent, disons que le comité ou l'association parlementaire décide de se rendre au Nigeria à nouveau et de prendre connaissance directement des choses dont vous parlez. Comme M. Martin l'a dit, il nous faut des preuves matérielles, non pas que j'ai des doutes sur ce que vous dites, mais comme on pourrait revenir et transmettre le message non seulement à notre gouvernement, mais peut-être... M. Martin et Mme Debien sont membres de l'association parlementaire américaine, italienne ou allemande. Cela leur donne la possibilité, à eux comme à mes autres collègues, de dénoncer ces simulacres et de sensibiliser d'autres gouvernements. Je réfléchis donc davantage en fonction d'une stratégie qui vous permettra de nous utiliser au maximum afin de corriger ces torts. Voilà qui donne peut-être matière à réflexion.

M. Dapo Olorunyomi: Le rapport des Nations Unies était celui d'une délégation. Il a été publié, je crois, il y a environ trois semaines. Ce rapport serait également utile, mais je doute fort que le gouvernement nigérian accepte de recevoir une délégation parlementaire du Canada. Cela me surprendrait beaucoup.

La présidente: Madame Bradshaw.

Mme Claudette Bradshaw (Moncton, Lib.): On ne sait jamais. Peut-être qu'on nous recevrait parce que nous sommes Canadiens. Je rentre d'un voyage qui m'a menée au Bangladesh, en Thaïlande et en Chine, et j'ai été très surprise de tout le respect qu'on nous témoigne. Non, je n'étais pas surprise; j'étais agréablement surprise.

Je vous ai écouté. Étant donné que je rentre d'un voyage qui s'est effectué sous les auspices de l'ACDI, pouvez-vous me parler de la situation des enfants au Nigeria pour ce qui est de l'alimentation, de l'éducation et de la santé? Est-ce que tous les enfants ont accès à cela? Qu'en est-il? Quand on parle d'une situation comme celle-là, ce sont les enfants qui sont les premiers touchés normalement.

M. Dapo Olorunyomi: D'abord, permettez-moi de mentionner les indicateurs qui viennent d'être publiés par les Nations Unies, ce qui vous donnera une idée de la situation là-bas.

D'abord, en 1994, il y a en une épidémie de choléra au Nigeria. Ça s'est passé également dans le Nord du pays. Le gouvernement ne pouvait rien faire. Il a fallu que l'Organisation mondiale de la santé réunisse 2,8 millions de dollars pour acheter des vaccins et résoudre ce problème. Les hôpitaux sont encore en ruine aujourd'hui.

Les écoles ne sont pas ouvertes, en partie parce que le gouvernement craint l'agitation de la jeunesse. Mais, encore là, cela a amené même les éléments d'opposition à penser que l'heure est peut-être venue de constituer des associations civiques autour des mères, qui sont plus susceptibles de se soucier de l'éducation de leurs enfants. Mais le gouvernement fait tout ce qu'il peut pour retarder l'entrée des enfants à l'école parce que les étudiants sont les éléments les plus explosifs. Dans des circonstances très difficiles comme celles-là, ce sont toujours eux qui réclament des changements en manifestant, et tout le reste.

J'ai des petits frères qui ne vont plus à l'école depuis neuf mois uniquement parce que le gouvernement interdit la réouverture des écoles. C'est horrible. Je pense que l'AAUS, l'Academic Association of University Staff, s'est aussi manifestée publiquement récemment—ce qui est sans précédent—pour adresser ses excuses au peuple nigérian, étant donné qu'elle ne peut donner à nos enfants une éducation de qualité pour cette seule raison.

Le gouvernement rend tout cela très difficile.

Mme Claudette Bradshaw: Merci.

La présidente: Merci.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien: Je voulais juste donner la mesure exacte de la volonté des dirigeants du Nigeria de n'accepter personne, à quelque titre que ce soit. À la 53e Commission des droits de l'homme des Nations unies, l'année passée, le Canada a parrainé une résolution demandant l'envoi d'un rapporteur spécial qui, après un échange de correspondance, n'a même pas réussi à obtenir une réponse à ses lettres. Évidemment, ce sont les Nations unies qui demandent cela. Si c'est un groupe de parlementaires, vous pouvez imaginer de quelle manière ils seront reçus.

• 1630

[Traduction]

La présidente: Absolument. Le Canada investit 2 millions de dollars dans le développement démocratique au Nigeria. Est-ce que cela a donné des résultats?

M. Dapo Olorunyomi: Oui, je le crois. Je sais que le Canada soutient la radio de l'opposition. Cela nous aide beaucoup. Je crois qu'il finance huit heures de ces émissions radio. Comme Oliver Twist, nous disons toujours que nous espérons davantage et plus.

Étant donné que le gouvernement monopolise les ondes, c'est essentiel. Les Nigérians se couchent très tard la nuit rien que pour entendre cette station de radio. Pour ce qui est de l'alliance des forces démocratiques qui en ont appelé au boycott du 1er mai, je sais que le Canada soutient également ces efforts. Donc je crois que tout cela aide beaucoup.

La présidente: Une autre chose également fort importante, c'est qu'il y aura des élections en octobre. Cependant, tous les candidats potentiels ont retiré leur candidature. J'imagine qu'on a exercé des pressions quelconques. Y a-t-il cohésion entre les diverses factions de l'opposition démocratique? Y a-t-il cohésion par rapport à l'armée?

M. Dapo Olorunyomi: Eh bien, elles sont maintenant rassemblées sous le même parapluie. C'est une organisation interne. On l'appelle l'UAJ, qui est un front d'action commun.

À l'externe, nous avons deux organismes qui ont toujours milité de concert avec l'effort prodémocratique. Les deux se sont unis il y a environ trois semaines pour former un seul organisme appelé le JACOM.

On peut donc dire que la cohésion s'accroît. Chose certaine, chacun se rend à l'évidence, à savoir que si l'on ne travaille pas ensemble, vous savez...

La présidente: Pensez-vous que quelqu'un s'opposera à Abacha, ou allons-nous avoir un référendum avec un oui ou un non?

M. Dapo Olorunyomi: Eh bien, je crois qu'il y aura...

La présidente: Pensez-vous que quelqu'un sera capable...

M. Dapo Olorunyomi: Vous savez, le problème a toujours été de savoir quoi faire d'Abiola. Cela n'a pas de sens de mettre quelqu'un à la tête du mouvement et de dire que ce gars-là va faire la lutte au général Abacha. Donc, l'absence d'une personnalité incarnant l'opposition n'a jamais fait problème, parce qu'on ne pouvait trouver personne. C'est seulement que le problème demeure que la personne...

La présidente: Chacun tient à sa peau.

M. Dapo Olorunyomi: ... qui va gagner l'élection sera encore en prison; il faut donc faire quelque chose pour cela.

La présidente: Disons que quelqu'un se présente contre Abacha. Si cette personne remporte l'élection, est-il permis d'espérer que le gouvernement actuel tiendra sa promesse de retourner à l'autorité civile s'il perd?

M. Dapo Olorunyomi: Eh bien, non. Chose certaine, si l'on en croit les derniers développements, personne ne va se présenter contre Abacha dans les cinq partis qu'il a créés lui-même de toute façon.

La présidente: Je vois.

M. Dapo Olorunyomi: Les cinq partis en ont fait leur candidat unique. Personne ne va se présenter contre lui.

En fait, il y avait une seule personne qui comptait se présenter contre lui, mais je pense qu'ils ont commis une erreur tactique en l'écartant. Cela aurait donné une certaine crédibilité aux élections. Mais comme on l'a écartée, plus personne ne veut se présenter. Abacha est le seul candidat. Ce n'est pas vraiment une élection. L'un de ses ministres a dit que cela ne servait à rien de gaspiller de l'argent pour des élections, et tout cela, étant donné que nous avons...

La présidente: Oui. Ça se tient.

M. Keith Martin: Monsieur Olorunyomi, comme Mme Bradshaw et M. Bonwick l'ont dit plus tôt, notre pays est tout à fait disposé à faire ce qu'il peut pour vous aider. Nous l'avons prouvé par le passé. Vous êtes un homme qui connaît son pays. Vous êtes un homme qui sait ce qui se passe sur le terrain. Que pouvons-nous faire exactement pour mieux vous aider à effectuer des changements démocratiques dans votre pays?

• 1635

M. Dapo Olorunyomi: Si l'on veut être précis, je crois qu'il faudra aider deux forces à réaliser leurs programmes. Il y a l'opposition à l'extérieur, dont un élément est basé à Londres et l'autre à Washington. Étant donné qu'ils ont réussi à s'unir pour parler d'une seule voix, je pense qu'il sera nécessaire de parler à ce groupe et de l'aider. Il y a aussi la coalition ou l'alliance chez nous qui milite.

Je pense qu'on a réussi à prouver quelque chose lors des élections de samedi dernier, lorsqu'on a demandé aux gens de s'abstenir. Même les ministres du gouvernement ont admis que les élections législatives de samedi dernier, qui devaient constituer le soi-disant parlement, ont été un fiasco épouvantable. Ce fut un désastre pour le régime. Cela prouve que les gens s'emploient déjà à effectuer un changement. Ce sont là les forces qui ont vraiment besoin de notre aide.

M. Keith Martin: Puis-je vous demander, si vous le pouvez, de communiquer avec ces deux groupes afin qu'ils adressent à notre comité des suggestions précises que nous pourrons faire valoir, soit directement auprès du général Abacha, soit à l'échelle internationale dans le cadre des groupes multilatéraux dont nous sommes membres? Si vous pouviez obtenir ces suggestions de source autorisée, vous nous aideriez à mieux faire notre travail

M. Dapo Olorunyomi: Fort bien. Je le ferai.

M. Keith Martin: Merci, madame la présidente.

La présidente: Voilà qui met un terme à nos questions. Nous vous remercions vivement d'avoir accepté de témoigner. Nous nous attendons à entendre parler de vous de nouveau.

M. Dapo Olorunyomi: Merci beaucoup. Je vous sais gré de m'avoir écouté. Merci.

La présidente: Merci.

Bien, quelques détails administratifs maintenant. Quelqu'un veut-il proposer une motion qui nous permettrait de réduire le quorum uniquement pour l'audition des témoins?

Il est proposé que la présidence soit autorisée à tenir des audiences pour entendre des témoignages en l'absence de quorum, pourvu qu'au moins trois membres du sous-comité soient présents, dont un membre de l'opposition. Quelqu'un veut-il proposer cette motion?

Une voix: Je le propose.

(La motion est adoptée—voir Procès-verbaux)

La présidente: Il nous reste maintenant à régler le cas d'une ou deux demandes. L'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde souhaite comparaître pour discuter du conflit dans la région du Sahara occidental.

M. Keith Martin: Je crois qu'il serait bon de réfléchir à ce que nous sommes, madame la présidente. Ne devrions-nous pas déterminer entre nous le genre de témoins que nous aimerions entendre? La liste de ceux que nous pourrions entendre est infinie. Voulons-nous être des généralistes et entendre tout le monde, ou voulons-nous nous concentrer sur certaines régions particulières et sur quelques cas particuliers?

La présidente: Nous venons tout juste de terminer notre rapport sur l'enlèvement international d'enfants. Oui, nous aimerions avoir un projet précis. Mais je crois que nombre de ces groupes de défense des droits de la personne aimeraient être entendus, et notre comité est probablement le lieu et l'endroit où les entendre.

M. Keith Martin: Je me demande simplement si—bien entendu, c'est une décision qui doit être collective—nous allons entendre tous les groupes qui demandent à être écoutés. Répondrons-nous favorablement à toutes les demandes successives?

La présidente: Pas forcément.

M. Keith Martin: Devons-nous tenir compte du caractère plus ou moins urgent de certains cas d'atteinte aux droits de la personne? Il faudrait peut-être que nous nous mettions ensemble d'accord.

La présidente: Vous savez quoi? Nous pouvons décider immédiatement de l'opportunité d'entendre l'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde et le Comité inter-Églises des droits humains en Amérique latine pour discuter de la question du respect des droits de la personne au Mexique dans le contexte des problèmes au Chiapas.

M. Keith Martin: Je pose simplement la question suivante: dans une perspective plus large, inviterons-nous des gens à venir nous parler du Soudan? D'autres à venir nous parler de l'Afrique du Nord, du Maroc et de l'Algérie, etc.? Ou voulons-nous être plus précis et consacrer nos réunions à un cas particulier?

• 1640

La présidente: Il faudra en discuter. Il faudrait organiser une réunion consacrée uniquement à nos travaux futurs afin de pouvoir justement discuter de ce genre de choses.

M. Keith Martin: Ainsi nous saurons exactement ce que nous voulons.

La présidente: Oui. Je crois que nous voulons tous un projet précis.

M. Keith Martin: Est-ce que je peux présenter une motion proposant d'accepter l'audition de ces deux groupes et proposant en même temps que du temps soit mis de côté pour que nous débattions de ce que nous voulons faire? Cela vous semble raisonnable?

La présidente: D'accord?

[Français]

Mme Maud Debien: Je voudrais juste ajouter quelque chose à ce qu'a dit le Dr Martin. Jusqu'à maintenant, depuis que le Sous-comité des droits de la personne siège, la plus grande partie de notre temps a été dévolue à un objet d'étude bien précis. L'année dernière, nous nous sommes occupés de l'exploitation du travail des enfants; cette année, nous nous sommes occupés du problème de l'enlèvement international d'enfants. Je pense qu'il faut—en tout cas, c'est mon avis—continuer à avoir de grands sujets d'étude, comme ceux dont on a discuté depuis presque un an et demi déjà.

Par contre, ça ne doit pas nous empêcher de réagir quand il y a des situations d'urgence comme celle du Chiapas ou du Sahara occidental, où il y a toute la question du recensement qui se fait actuellement en vue des élections de décembre 1998 et qui est très litigieux.

Je pense qu'on ne doit pas non plus se priver de rencontrer des gens qui veulent soulever des problèmes sur lesquels le Canada va devoir se prononcer de toute façon. On ne doit donc pas éliminer ces sujets-là. Par contre, quand nous avons des demandes d'entrevue, Mme Beaumier nous les soumet toujours pour approbation. Personnellement, je pense que c'est un mode de fonctionnement assez souple, ce qui ne nous empêcherait pas d'en discuter de façon plus approfondie lors d'une rencontre que demanderait le Dr Martin. Je pense qu'il faudrait dès maintenant trouver le prochain sujet d'étude du sous-comité et, si nous n'en avons pas, voir quels groupes nous aimerions rencontrer dans le cadre de ces deux sujets en particulier, entre autres.

Je pense que ce fonctionnement est assez souple. Je ne sais pas ce que le Dr Martin en pense, puisque c'est lui qui a soulevé la question de cette discussion qu'on ferait lors d'une prochaine rencontre.

[Traduction]

M. Keith Martin: Je dis simplement que nous pouvons passer beaucoup de temps—et je comprends très bien ce que dit Mme Debien—mais nous devons décider ensemble de notre manière d'opérer. Allons-nous nous concentrer sur un sujet, ou allons-nous nous disperser et écouter tout un tas de personnes différentes qui nous prendront tout notre temps pour ne nous laisser en fin de compte que tout un tas...

La présidente: Il n'en est pas question.

M. Keith Martin: Je propose simplement que nous répondions par l'affirmative à ces deux groupes et qu'ensuite nous décidions collectivement de nous réunir pour débattre de cette question quand il y aura un peu plus de gens présents de tous les partis. Je crois que ce serait utile. Nous ne sommes que trois...

La présidente: Nous pourrions nous réunir officieusement pour voir si un consensus peut se dégager sur un projet de plus grande envergure.

Madame Bradshaw.

[Français]

Mme Claudette Bradshaw: Je suis d'accord. Le rapport que nous venons de terminer est excellent. Cependant, docteur Martin, je pense qu'il est important que nous fassions une pause. On dit en anglais take a breather. Ensuite nous écouterons les groupes qui veulent venir nous voir parce que nous sommes souvent leur porte-parole. Je suis aussi d'accord pour prendre du temps la semaine prochaine, madame la présidente, lorsque plus de membres du comité seront présents, afin de décider du sujet auquel nous allons travailler.

• 1645

Il faudra aussi ouvrir nos portes à des groupes qui vont venir nous faire des présentations. Je pense qu'il est très important d'écouter et de poser des questions. Je ferai certainement tout mon possible pour être libre. Nous pourrions peut-être organiser un souper ou quelque chose comme ça, parce qu'habituellement, nous nous rencontrons seulement à nos pupitres à ce comité. Nous n'avons pas souvent l'occasion de nous rencontrer ailleurs. Ce serait donc peut-être une bonne idée pour discuter de notre prochain travail.

[Traduction]

M. Keith Martin: Nous pourrions manger de la bonne cuisine acadienne. Ce serait merveilleux.

Mme Claudette Bradshaw: Je pourrais apporter du homard si la présidente veut bien payer.

La présidente: Je crois que cela ne devrait pas poser de problème.

M. Keith Martin: À condition de ne pas nous disperser. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les groupes qui voudraient que nous les entendions ne manquent pas.

La présidente: Absolument. Je crois que nous partageons le même sentiment, mais que nous ne l'exprimons peut-être pas de la même manière. Je crois que nous aimerions avoir un projet précis tout en conservant une certaine latitude.

M. Keith Martin: Bien entendu.

La présidente: D'accord?

Mme Claudette Bradshaw: Je ne voudrais pas que cela soit enregistré, mais je suis prête à apporter du homard.

La présidente: Si je paie? Parfait.

La séance est levée.