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SHUR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 1er décembre 1998

• 0947

[Traduction]

La présidente (Mme Colleen Baumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): Bonjour et bienvenue. Nous sommes désolés d'être un peu en retard, mais nous avons passablement de temps devant nous, je pense.

Certains d'entre vous étaient ici pour assister à la réunion du comité de jeudi dernier avec Raymond Chan. Aujourd'hui, nous aurons l'occasion de nous entretenir avec des particuliers sur la violence ethnique en Indonésie. Soyez les bienvenus.

M. Jonas Ma (coprésident du Sous-comité sur les médias et l'éducation du public, Canadians Concerned about Ethnic Violence in Indonesia): Je m'appelle Jonas Ma. Je suis le coprésident du comité sur les médias de Canadian Concerned about Ethnic Violence in Indonesia. M'accompagnent M. Herman Tan, qui est le coprésident sur les médias, ainsi que M. Yusni Hilwan. Nous avons un témoin spécial avec nous, Natali Indrawidjaja. Sont également présents d'autres membres de notre coalition, dont Ayrini et Trisna Wijaya. Un ami d'Ottawa s'est également joint à nous.

• 0950

Je devrais peut-être commencer par la présentation. Le groupe Canadians Concerned about Ethnic Violence in Indonesia—CCEVI—est une coalition formée de particuliers et d'organismes communautaires qui ont à coeur de mettre fin à la violence ethnique et de protéger les droits de la personne en Indonésie en sensibilisant la population et en participant à l'élaboration de la politique du Canada, particulièrement en ce qui touche la situation de la communauté d'origine chinoise d'Indonésie, comme c'est le cas aujourd'hui.

Notre exposé d'aujourd'hui portera d'abord sur le contexte historique de la discrimination et de la violence dont sont victimes les Chinois en Indonésie. Nous parlerons ensuite des émeutes qui sont survenues à la mi-mai de cette année, ainsi que des récents développements. Enfin, nous présenterons les recommandations de la coalition relativement à ce que le Canada peut faire dans ce dossier.

J'inviterais M. Hilwan à présenter le contexte historique de la violence et de la discrimination dont sont victimes les Chinois en Indonésie.

M. Yusni Hilwan (secrétaire, Canadians Concerned about Ethnic Violence in Indonesia): Je vous remercie M. Ma.

Bonjour, distingués membres du comité des droits de la personne.

Je vais décrire le contexte historique de la violence et de la discrimination dont ont été victimes les Chinois avant l'arrivée au pouvoir de Suharto. Sous la structure coloniale mise en place par les Hollandais, la population des Indes orientales néerlandaises était divisée en Européens, orientaux étrangers et autochtones, selon un ordre décroissant approximatif de privilèges juridiques et sociaux.

Les Hollandais ont contraint les Chinois, considérés comme des orientaux étrangers, à vivre dans des régions urbaines bien précises et à se munir de sauf-conduits pour en sortir, limitant ainsi considérablement les contacts les Indonésiens non chinois. De plus, les Chinois furent confinés dans les sphères du commerce et les primubi, les autochtones de l'Indonésie, dans celles de l'agriculture et de l'administration coloniale.

Cette ségrégation a eu pour résultat que les Chinois les plus actifs sur la scène politique n'ont pas soutenu le mouvement nationaliste indonésien et que les groupements nationalistes indonésiens étaient peu enclins à considérer même les Chinois sympathiques à leur cause comme des partenaires égaux dans leur lutte pour l'indépendance.

Au cours de la décennie qui a suivi l'obtention de la pleine souveraineté de l'Indonésie aux dépens de la Hollande, le gouvernement indonésien a mis en oeuvre des politiques économiques discriminatoires envers ses citoyens d'origine chinoise, dans le but de rendre moins apparente leur prédominance sur le plan économique. Ainsi, en 1959, le gouvernement interdit aux Chinois de pratiquer la vente au détail dans les régions rurales. Alors que les Chinois pauvres furent durement touchés par ces mesures, des gens d'affaires chinois purent continuer à prospérer en nouant des relations avec les militaires. Ce sont eux qui, devenus financiers auprès de certains commandants et généraux, dirigeaient en fait les sociétés appartenant aux militaires.

En 1959, le régime Sukarno a mis en place une «démocratie dirigée» axée sur le nationalisme, le socialisme et l'autonomie du pays. Les citoyens d'origine chinoise furent explicitement intégrés à un des suku ou groupes ethniques de la nation indonésienne. En outre, le président Sukarno donna son appui à l'organisation sino-indonésienne de tendance socialiste Baperki ou Conseil consultatif de la citoyenneté indonésienne. Elle exigeait que les citoyens d'origine chinoise jouissent des mêmes droits que les pribumi indonésiens.

En 1965 un coup d'État contre Sukarno se solda par un mouvement de ressac anticommuniste encouragé par les militaires. Pendant deux ans, de nombreux actes de violence furent commis à l'endroit de la communauté chinoise, la presse populaire se déchaîna contre ses membres et des gens d'affaires pribumi se mirent à réclamer d'autres mesures économiques discriminatoires envers les Indonésiens d'origine chinoise.

Dans la foulée de la tentative de coup d'État, le Baperki a été interdit parce que prétendument inféodé au Parti communiste. Ses dirigeants furent jetés en prison et un grand nombre de ses adhérents furent massacrés dans tout le pays.

Passons maintenant aux années Suharto. Après l'arrivée au pouvoir de Suharto en 1965, la politique du gouvernement consista à assimiler de force les Indonésiens d'origine chinoise par le truchement de mesures ouvertement discriminatoires. De nombreuses mesures législatives et de nombreux décrets émanant du pouvoir exécutif furent imposés qui visaient à éliminer toute trace d'identité pour l'ethnie chinoise. Mentionnons entre autres l'interdiction de délivrer d'autres permis de résidence ou de travail aux nouveaux immigrants chinois, leurs femmes et leurs enfants; l'interdiction de tout transfert à l'étranger de capitaux produits par des «étrangers» en Indonésie; et l'interdiction d'«écoles étrangères» si ce n'est à l'usage des membres du corps diplomatique et leurs familles. Dans toute école nationale, le nombre des élèves indonésiens doit être supérieur à celui des étrangers.

• 0955

On a condamné la manifestation publique de pratiques culturelles chinoises au motif qu'elles ont une influence psychologique, mentale et morale néfaste sur les citoyens indonésiens et entravent le processus d'assimilation. Il est interdit de célébrer les festivals religieux chinois en public, et l'observation du culte et des traditions chinoises n'est tolérée qu'à l'intérieur des édifices et à la maison. Il est interdit d'acquérir un terrain pour y édifier un temple chinois, de construire de nouveaux temples et d'agrandir ou de rénover des temples. La presse écrite chinoise se réduit à un seul journal, Harian Indonesia; c'est que, prétend-on, la diffusion de documents chinois ou en caractères chinois nuit à la réalisation des objectifs d'unité nationale et à l'assimilation de l'ethnie chinoise. L'usage du chinois sur les livres, calendriers, almanachs, étiquettes de produits alimentaires, médicaments, cartes de voeux, vêtements, décorations, logos et enseignes est interdit.

On oblige également les Indonésiens à remplacer le terme «Tionghoa», comme les citoyens d'origine chinoise se désignent eux-mêmes, par le terme «Cina», qui est peu flatteur, et on appose des codes spéciaux sur les cartes d'identité pour bien faire ressortir l'appartenance à l'ethnie chinoise.

La violence contre les Chinois est un thème récurrent dans l'histoire de l'Indonésie moderne. Selon un rapport de Human Rights Watch, la violence contre les Chinois, sous une forme ou une autre, a presque toujours accompagnée le déclenchement des troubles sociaux et politiques qui se sont succédé au cours des 30 ans de pouvoir du président Suharto. Depuis l'invasion du Timor oriental en décembre 1975, où quelque 40 citoyens d'origine chinoise ont été massacrés dans le port de Dili le jour de l'arrivée des troupes indonésiennes jusqu'à l'énorme rassemblement de travailleurs de Medan, dans le nord de Sumatra, en avril 1994, où le décès d'un homme d'affaires d'origine chinoise a amené le gouvernement chinois a exprimé par écrit ses inquiétudes.

Il se peut que plus de 1 000 membres de la communauté chinoise aient été tués au cours des accès de violence contre les Chinois qui se sont produits dans le nord de Sumatra, à Aceh, Kalimatan et Bali à la suite de la tentative de coup d'État de 1965, alors même que la vaste majorité des centaines de milliers de personnes tuées lors du pogrom anticommuniste qui a accompagné l'arrivée au pouvoir de Suharto étaient des Indonésiens non chinois.

Au cours des deux dernières années, la violence contre les Chinois a pris de plus en plus la forme d'attaques contre les églises, autre élément qui vient s'ajouter au mélange explosif, de nombreux Chinois étant chrétiens.

Je voudrais maintenant laisser la parole à mon collègue M. Herman Tan.

M. Herman Tan (secrétaire en chef, Canadians Concerned about Ethnic Violence in Indonesia): Je m'appelle Herman Tan. Comme M. Hilwan a exposé brièvement le contexte historique de la violence et de la discrimination envers les Chinois, je vais m'attarder à la situation de violence qui a eu lieu à la mi-mai. En gros, cela coïncide avec le paroxysme de la violence qu'a connu alors l'Indonésie.

La violence est née de la crise économique en Indonésie. Cette crise s'aggravant dans la dernière moitié de 1997 et se poursuivant en 1998, les troubles sociaux ont pris de l'ampleur. Comme toujours, les Indonésiens d'origine chinoise ont été les boucs émissaires quand les autres citoyens ont protesté contre la montée des prix des aliments et des autres choses nécessaires à la vie. Dans de nombreuses villes du pays, des boutiques chinoises ont été pillées ou détruites lors des émeutes.

La violence a atteint son paroxysme à Jakarta, en mai, après une longue série de manifestations étudiantes. Le 12 mai, quatre étudiants ayant participé à ces manifestations ont été tués par balle à la prestigieuse université Trisakti de Jakarta. Dans les 24 heures qui suivirent, des émeutes ont éclaté dans le pays tout entier, avec leur cortège de pillages et d'incendies criminels. Au cours de ces événements, près de 1 200 personnes sont mortes; 40 centres commerciaux, près 2 500 boutiques et 1 200 voitures ont été pillés ou détruits.

• 1000

Il a été récemment admis par plusieurs, dont le gouvernement indonésien, que la violence qui a éclaté en mai a peut-être été planifiée dans une certaine mesure par des factions militaires renégates.

Le 2 mai, la National Commission on Human Rights a fait une déclaration condamnant la violence et semblant indiquer qu'elle avait été organisée.

Le 23 juillet le gouvernement a créé un groupe d'étude, composé de membres des forces armées, de représentants d'organismes gouvernementaux et de défenseurs des droits de la personne. L'équipe avait pour mandat de se pencher sur les allégations voulant que la violence ait été organisée.

Le 13 août, le général Wiranto, le commandant des forces armées, s'est excusé publiquement du fait que les forces armées n'aient pas empêché la violence. Dans son discours du 21 août, il a reconnu que les soldats avaient contribué à la violence.

Nous aimerions insister sur le fait que les chiffres ne reflètent pas le nombre réel des actes de violence. Bien des victimes et leurs familles se sont tues, craignant pour leur sécurité.

En juin, on a commencé à faire état de nombreux viols et autres abus sexuels d'Indonésiennes d'origine chinoise. Le 13 juillet, le Volunteer Team for Humanity, un groupe dirigé par le père Sandyawan, un prêtre bien connu, a diffusé un rapport indiquant que 168 cas d'abus sexuels, dont environ 130 viols. Le rapport signale que 20 victimes sont mortes. Il fait état d'horribles tortures sexuelles, dont des mutilations génitales, certaines subies par des fillettes d'à peine neuf ans.

Ces cas de viols, voilà ce qui distingue la violence de mai de tous les épisodes antérieurs de violence dirigée contre les Chinois en Indonésie et a soulevé l'indignation des communautés chinoises dans le monde entier. En réaction aux pressions et aux condamnations internationales, le gouvernement indonésien a promis de faire enquête sur les viols, d'apporter son soutien aux victimes et de poursuivre leurs auteurs en justice.

Dernièrement, toutefois, certains dirigeants du gouvernement ont accusé les défenseurs des droits de la personne d'avoir fabriquer des récits de viols pour discréditer le gouvernement indonésien. Le 17 août, le commandant de la police nationale, le général Roesmahadi, a menacé les organismes qui ont contribué à la diffusion des cas de viols de femmes d'origine chinoise de les traîner devant les tribunaux pour avoir répondu de fausses rumeurs.

Le 24 août, le lieutenant-général Moetojib, chef du renseignement, a déclaré publiquement qu'il n'y avait aucune preuve que les viols ont été commis et que les informations sur des incidents d'abus sexuels ont peut-être été fabriquées dans le but de diffamer l'Indonésie et de provoquer la désintégration de l'unité nationale.

Les 26 et 26 mai, le commandant des forces armées, le général Wiranto, et le ministre de la condition de la femme, Tuty Alawiyah, ont fait des déclarations publiques selon lesquelles les viols de femmes d'origine chinoise lors des émeutes de mai étaient sans fondement et les informations sur les abus sexuels ont pu être fabriquées.

Le 21 septembre, le groupe d'étude a soumis un rapport provisoire au gouvernement et à l'armée. Selon le président de l'équipe, Marzuki Darusman, le rapport provisoire de l'équipe confirme que des agressions sexuelles, y compris des viols, ont eu lieu durant les émeutes de mai. Dans une déclaration au Jakarta Post, Marzuki a dit qu'il était important pour l'équipe de faire savoir à la population que des agressions sexuelles ont eu lieu et pour le gouvernement indonésien, de le reconnaître.

D'après les plus récents développements survenus en juin, juillet, août et septembre, il y a eu plusieurs cas de viol, parfaitement documentés, de femmes d'origine chinoise. On a signalé que des conducteurs de cyclo-pousse avaient reçu de l'argent pour agresser leurs clients chinois ou les voler. Des pamphlets anti-chinois ont circulé dans plusieurs grandes villes indonésiennes. En réaction, de nombreux Indonésiens d'origine chinoise en sont venus à acheter des armées à feu sur le marché noir et à barricader leurs maisons et leurs commerces pour se protéger.

Comme les troubles sociaux se poursuivent face à la crise économique, les actes de violence contre les Chinois se multiplient dans toute l'Indonésie.

Le 10 octobre 1998, une adolescente travaillant pour Volunteer Team for Humanity a été retrouvée sauvagement assassinée chez elle. Deux jours plus tard, la police a accusé son voisin du crime, affirmant qu'il s'agissait d'une tentative de cambriolage qui avait mal tournée. La rapidité avec laquelle l'arrestation a été faite a amené les défenseurs des droits de la personne à penser que l'enquête a été bâclée. Quel qu'il en soit, le meurtre de Martadinata Haryono témoigne de la situation dangereuse dans laquelle vivent les victimes d'abus sexuels commis lors des émeutes de mai, leurs familles et ceux et celles qui les défendent.

• 1005

Le 3 novembre 1998, l'équipe a publié son rapport sur les émeutes du mois de mai. Elle a conclu que 85 femmes principalement d'origine chinoise ont été agressées sexuellement au cours des émeutes du mois de mai, dont 52 cas de viol selon les preuves recueillies.

En outre, l'équipe a trouvé des preuves selon lesquelles des militaires, y compris le lieutenant-général Prabawo, le gendre de Suharto, ont contribué à l'incitation à la violence. L'équipe a demandé la tenue d'une enquête complète sur les principales causes et les principaux instigateurs de la violence.

Le 10 novembre, les manifestations et les émeutes dans les rues ont commencé et se sont poursuivies pendant plusieurs jours par suite de la réunion de l'Assemblée législative.

Jusqu'à maintenant, 18 personnes ont été tuées, et plus de 450, blessées. Le gouvernement a fait appel aux militaires aussi bien qu'aux gardes civils pour maîtriser les manifestants et on pense que de vraies balles, plutôt que des balles en caoutchouc, ont été tirées sur la foule.

Le week-end du 13 novembre, les militaires ont détenu neuf dissidents, mais l'agitation n'a pas cessé. La violence a continué. Au cours du week-end du 20 novembre seulement, la violence s'est aggravée. Plus de 20 églises et cinq écoles chrétiennes ont été détruites et incendiées. Tout cela se poursuit.

Nous venons tout juste de recevoir les dernières nouvelles d'Indonésie. Le 1er décembre, une autre éruption de violence a frappé les petites villes, et, encore une fois, deux églises ont été détruites.

Je voudrais maintenant me tourner vers le témoin oculaire, Natali, qui était en Indonésie durant les émeutes du mois de mai. Elle pourra vous donner son propre témoignage.

Mme Windu Astuti Indrawidjaja (membre, Canadians Concerned about Ethnic Violence in Indonesia): Vivre en Indonésie, pour les personnes d'origine chinoise, n'a jamais été confortable. De nombreuses règles nous différentient des autres Indonésiens. Nous avons besoin de plus de documents. On peut voir la différence dans notre numéro d'identification, qui montre si nous sommes des descendants chinois ou non.

Ce n'est peut-être pas confortable, mais certains d'entre nous considéraient tout de même cela comme supportable jusqu'aux émeutes de mai à Jakarta. Nous sommes restés sur nos gardes durant les émeutes et après. Nous n'avions pas le courage de nous montrer parce que lorsque nous le faisions, tous les yeux étaient rivés sur nous. Peut-être que ce n'était qu'une impression, mais nous avions tous ce sentiment terrifiant.

Au fil des jours, nous sortions de moins en moins de chez nous. Ce n'est pas sûr à l'extérieur après les émeutes. Les taxis n'étaient pas sûrs. Certains chauffeurs ont dit à leurs passagers qu'ils étaient payés pour violer des Chinoises, de sorte que nous ne sortons pas à moins d'avoir notre propre voiture ou de nous faire conduire par un membre de la famille.

Des vols se produisent encore de temps à autre depuis que les policiers laissent faire les voleurs. Ou peut-être le font-ils par crainte de représailles. On a même entendu un ministre affirmer que voler 5 p. 100 des biens d'autrui était acceptable. Je me suis demandée dans quel genre de pays je vivais.

Peu de temps après s'être attaqués aux femmes, les violeurs se sont tournés vers les garçons. C'est incroyable, ils enlevaient des garçons dans les centres commerciaux ou dans la rue et leur coupaient le pénis. Par la suite, j'ai appris que certains de mes amis se sont joints à la Volunteer Team for Humanity. Ils m'ont beaucoup parlé des victimes puisqu'ils savaient que j'aillais au Canada et qu'ils espéraient que je parlerais de ce qui se passait en Indonésie.

J'ai entendu des histoires à propos des victimes de viols. Une femme a été recouverte d'un imperméable quand un prêtre est venu à son secours. Ce dernier a demandé à une bénévole de l'aider parce qu'il ne pouvait pas supporter ce qu'il voyait. La bénévole a constaté que les mamelons de la femme avaient été tranchés et qu'elle avait une pellicule dans le vagin.

Un prêtre indonésien a raconté avoir été insulté par un passant dans la rue qui disait: «Vous êtes des barbares. Vous avez violé à mort ma fille d'un an et demi.» Je suppose que cela l'a rendu fou parce qu'il aurait été battu à mort s'il avait dit cela à quelqu'un d'autre.

Un homme a donné sa vie pour ses soeurs et sa mère. Il s'est battu contre ceux qui violaient des membres de sa famille. En retour, il a été torturé à mort. Un mur de sa maison est couvert de son sang. Ses tortionnaires l'ont frappé violemment contre le mur jusqu'à ce qu'il meure. Sa mère et ses soeurs ont survécu et n'ont pas été violées, ayant assisté à cet horrible spectacle. Finalement, les tortionnaires sont partis.

• 1010

Les personnes qui se sont fait voler ont dit que les voleurs ne faisaient pas que les voler, mais qu'ils le faisaient avec de la haine. S'ils ne pouvaient pas s'emparer de choses, ils les détruisaient. Ils mettaient leurs marques partout sur les murs, même sur le plafond. Dieu sait ce qu'ils ont fait dans la maison parce qu'ils ont laissé une odeur pestilentielle qui est restée pendant des mois.

Une semaine avant mon départ, une autre émeute a éclaté, mais elle était moins grave que celles du mois de mai. Des groupes civils armés se sont formés pour contrer le mouvement étudiant. Nous ne comprenions pas pourquoi le gouvernement laissait des gens ainsi armés errer dans la ville. Nous avons également vu les militaires tirer sur les étudiants, les battre même quand ils étaient au sol.

Après les incidents du vendredi 13 novembre, certains se sont livrés à du pillage et du vol comme au mois de mai. Des immeubles ont été détruits et incendiés.

Les rues et les routes à péage n'ont plus jamais été sûres. Des masses de gens pouvaient arrêter des voitures et forcer les passagers à leur donner leur argent. Ces gens étaient armés de pierres, de barres de fer, de n'importe quoi. On peut voir à la télé comment un homme a été battu dans sa voiture; les glaces de la voiture ont été fracassées et l'homme saignait abondamment. Aucun policier n'est intervenu. C'était comme dans un monde revenu à l'état sauvage. Le simple trajet vers l'aéroport ou en provenance de celui-ci n'était plus sûr parce que les voleurs étaient convaincus que ceux qui prennent l'avion ont beaucoup d'argent.

Le lendemain de mon départ, il y a eu une autre émeute, tout juste une semaine après la dernière. C'est arrivé le dimanche 22 novembre. Au moins 13 personnes ont perdu la vie dans ce conflit religieux entre chrétiens, d'origine ambonaise surtout, et musulmans.

L'émeute s'est transformée en destruction de masse par le feu d'au moins 20 églises et cinq écoles chrétiennes appartenant principalement à des Indonésiens d'origine chinoise. Les chrétiens avaient déjà été la cible d'attaques comme la mise à feu d'une église et des voies de fait contre des membres de notre clergé. Dans la pétition adressée au président Habibie par l'Indonesian Christian Communication Forum, il est précisé qu'en date du mois d'août 483 églises avaient été fermées, endommagées ou incendiées et que 20 membres du clergé ou travailleurs chrétiens avaient été tués à cause de leur religion.

La présidente: Merci, Natali. Je sais que ce n'était pas facile pour vous, et je vous remercie de votre témoignage.

Ce que je voudrais que nous fassions maintenant, parce que nous avons commencé en retard, c'est que les membres du comité posent quelques questions. Voulez-vous que nous posions quelques questions, après quoi vous pourrez terminer? C'est un peu différent de ce que nous faisons habituellement, mais je pense que cela conviendrait parce que nous nous assurions ainsi que tous puissent poser des questions.

M. Martin.

[Français]

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, madame la présidente.

[Traduction]

Je vous remercie infiniment d'être venu aujourd'hui.

En ce qui concerne M. Habibie et ses actes depuis qu'il a été porté au pouvoir, peut-être que vous pourriez nous dire ce qu'il a fait, ce qu'il n'a pas fait, ce qu'il devrait faire et quel espoir M. Habibie peut-il donner à la population chinoise sur le plan de la sécurité et de la stabilité économique en Indonésie?

Enfin, à ma connaissance, le général Wiranto était auparavant considéré comme assez impartial, mais il apparaît maintenant, selon des rapports récents, qu'il est un laquais du gouvernement précédent et que l'on ne peut lui faire confiance. Je ne sais pas si le général Wiranto protégera les droits des Chinois ou s'il tentera de camoufler ces injustices.

M. Yusni Hilwan: Le général Wiranto était considéré comme un modéré. Nous fondions des espoirs sur lui quand Suharto a cédé le pouvoir et que Habibie a été en quelque sort élu président. Nous avions espéré que Wiranto rétablisse l'ordre, mais, évidemment, tout le monde sait maintenant ce qui s'est produit.

Il y a un conflit au sein des forces militaires. Son pouvoir n'est pas suprême, comme vous pouvez le voir. Une des recommandations de la mission d'enquête mixte est de traduire en justice le général Prabowo Subianto.

• 1015

Tout le monde sait donc, y compris certains journaux, que le Kopassus, le commandement d'élite stratégique dirigé par le général Prabowo, le gendre de Suharto, a été impliqué dans ces raids, viols et meurtres. Il apparaît maintenant que Habibie est en train de perdre le pouvoir.

Si vous suivez l'histoire indonésienne, vous savez qu'il y a eu une assemblée spéciale pour les élections au mois de mai, l'an dernier. Beaucoup d'étudiants protestataires étaient présents. Le général Wiranto n'était pas censé utiliser de vraies balles. Des étudiants ont été tués par des francs-tireurs, et certains témoins ont dit que ceux-ci ont tiré de vraies balles. De vraies balles ont été également trouvées dans les corps des étudiants tués. De toute évidence, le général Wiranto n'a pas la maîtrise totale de l'armée.

Telle est donc la situation. Cela répond-il à votre deuxième question au sujet de Wiranto?

M. Keith Martin: Oui.

M. Yusni Hilwan: À l'heure actuelle, les étudiants ont même demandé sa démission. La masse de la population de l'Indonésie considère Habibie comme un autre Suharto parce qu'il été nommé vice-président par celui-ci. C'est difficile quand vous êtes dans cette position.

Une des choses les plus connues est arrivée au moment de la nomination du procureur général. En quelque 60 jours, il devait enquêter sur les pratiques de Suharto, sa corruption, etc., mais il a été remplacé par le procureur général actuel. Ainsi, on assiste essentiellement à des jeux de pouvoir. Habibie ne donne pas suite aux demandes du mouvement en faveur de la réforme et de la démocratie.

M. Keith Martin: Suharto tire-t-il les ficelles derrière les rideaux ou Habibie agit-il de façon indépendante?

M. Yusni Hilwan: Certains médias disent que, compte tenu de sa fortune colossale, qui s'élève à des milliards de dollars, c'est possible, mais on n'en a pas la preuve maintenant. On soupçonne son gendre, Prabowo Subianto, d'être un instigateur des émeutes et du meurtre des étudiants.

M. Herman Tan: Puis-je ajouter quelque chose aux observations de M. Hilwan au sujet du président Habibie? Qu'a-t-il fait depuis qu'il est devenu président en mai? Qu'est-ce que la communauté chinoise voudrait qu'il fasse à cet égard en Indonésie?

On constaterait probablement que, depuis son arrivée à la présidence en mai, la violence n'a jamais cessé. En fait, l'escalade se poursuit. Depuis le jour de son élection à la présidence, on constate qu'au moins 45 églises ont été incendiées. En outre, il lui a fallu beaucoup de temps pour reconnaître et condamner publiquement la violence contre la communauté chinoise. Initialement, il a nié l'existence d'un plan systématique, que quelqu'un tirait les ficelles en coulisse.

Qui plus est, dans son rapport, l'équipe mixte chargée d'enquêter sur les événements qui a été formée par le gouvernement et qui comprenait des membres de ce dernier ont mis en doute la véracité du rapport.

M. Ma en dira plus long là-dessus quand il parlera des recommandations.

Les citoyens d'origine chinoise voudraient bien que le président Habibie prenne des mesures plus fermes pour arrêter la violence. Plus particulièrement, nous voudrions qu'il cesse de recourir à la violence contre les étudiants qui veulent avoir un pays vraiment démocratique. Voilà, essentiellement, ce que le président Habibie devrait faire.

• 1020

La présidente: Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Vous savez sans doute que l'honorable Raymond Chan est allé, en octobre, faire une visite à Jakarta, en Indonésie. Il a évidemment rencontré des personnalités indonésiennes, dont le président Habibie et des ministres. Dans son rapport, M. Chan nous livre ses impression générales et dit avoir vu un certain nombre de signes encourageants, dont je vais vous parler un peu plus tard. J'aimerais que vous me donniez votre opinion là-dessus.

Évidemment, il conclut aussi de façon quand même très honnête que, depuis sa visite en octobre, il y a un certain nombre d'événements qui confirment cette impression d'instabilité qu'il avait eue quand il est allé en Indonésie.

Parmi les signes encourageants qu'il décrivait, M. Chan nous disait qu'il y avait maintenant un débat plus ouvert concernant l'avenir du pays. J'imagine que vous faites partie de cet avenir à titre de communauté chinoise.

On nous a aussi parlé des ONG et de la société civile qui émerge, qui est de plus en plus présente et qui formule des recommandations au gouvernement. On nous a également dit que des réformes politiques et économiques avaient été entreprises et qu'à la suite des émeutes de mai 1998, la Commission des droits de l'homme et l'équipe d'enquête étaient aussi des interlocuteurs qu'écoute le gouvernement Habibie.

J'aimerais que vous me donniez votre perception de ces signes encourageants dont parle le ministre Chan. D'autre part, je ne nie pas que M. Chan a souligné depuis que des événements graves s'étaient de nouveau produits et qu'il y avait à nouveau une menace que ces signes encourageants dont il avait parlé précédemment ne se manifestent plus.

J'aimerais donc que vous me parliez plus particulièrement des ONG, de la Commission des droits de l'homme et de la société civile en général. Est-ce que vous sentez que la force ou la présence de ces gens-là s'est améliorée depuis la venue du président Habibie?

M. Jonas Ma: J'aimerais souligner qu'au moment même de la visite de M. Chan en Indonésie, il y a eu le meurtre d'une bénévole qui travaillait pour une ONG. Je ne crois donc pas qu'il y ait une amélioration à ce niveau. Les pressions internationales exercées, surtout de la part de la communauté chinoise des États-Unis, du Canada et d'autres pays du monde, ont fait une différence, et je crois que le gouvernement indonésien est conscient que le regard du monde entier est tourné vers lui. Cela le poussera peut-être à prendre certaines mesures pour permettre aux ONG de parler, mais je ne pense pas que le risque soit tout à fait disparu. Cela n'est qu'un des signes. À mon avis, la situation ne s'est pas beaucoup améliorée. Le gouvernement a peut-être posé des gestes pour apaiser les pressions internationales, mais je ne pense pas qu'il y ait vraiment eu de changement. Je laisserai les autres membres de notre organisme vous donner d'autres précisions.

Mme Maud Debien: J'aimerais que vous parliez de la Commission des droits de l'homme.

• 1025

M. Jonas Ma: La Commission des droits de l'homme a déjà fait des efforts très louables.

[Traduction]

M. Herman Tan: En novembre, l'équipe mixte chargée de l'enquête a publié son rapport.

M. Jonas Ma: En novembre, l'Indonesian Human Rights Commission a fait des déclarations au sujet du rapport. La commission a fait des déclarations contradictoires sur ce rapport?

M. Yusni Hilwan: Oui, elle veut y souscrire.

[Français]

M. Jonas Ma: La Commission des droits de l'homme avait recommandé que le rapport soit accepté et qu'on reprenne les objectifs qu'on poursuivait lorsque le général Suharto était au pouvoir. Les ONG ont également fait beaucoup de progrès depuis.

[Traduction]

La présidente: Madame Davies.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Je remplace Svend Robinson, qui représente le NPD au sein du comité. Il faisait en fait partie d'une délégation qui s'est rendue en Indonésie en septembre avec Mme Augustine et le Conseil canadien pour la coopération internationale. Nous avons eu l'occasion de rencontrer certains défenseurs des droits de la personne et d'entendre de première main des comptes rendus de la situation là-bas, de la tension et la violence qui s'aggravent, notamment celles qui sont dirigées contre les Indonésiens d'origine chinoise. Je voudrais donc vous remercier d'être venus aujourd'hui et de nous avoir livré votre témoignage personnel. Je pense que c'est très important qu'il soit entendu.

Dans ma circonscription, Vancouver-Est, il y a également une coalition qui s'est engagée à fond. De plus, la population locale se préoccupe beaucoup de la situation en Indonésie. Je vous remercie donc de vos recommandations. Un souhait que l'on entend toujours de la part des témoins, c'est que le Canada doit faire entendre sa voix et prendre position en tant que membre de la communauté internationale.

Nous avons beaucoup entendu parler à Vancouver et à Jakarta de la responsabilité des militaires dans les émeutes du mois de mai. Je me demande si vous avez d'autres informations à jour sur le rapport de la mission d'enquête et sur ce que l'équipe a pu découvrir au sujet de la participation des militaires, qu'elle soit systématique ou officieuse. Y a-t-il eu des signes ou des indications du gouvernement qu'il avait l'intention de prendre des mesures contre les militaires à cet égard? Nous avons entendu des commentaires très réprobateurs à propos de l'intervention et de la participation des militaires dans tous les aspects de la société.

Nous avons reçu des lettres d'électeurs à ce sujet, et cela couvre partiellement une de vos recommandations. Nous avons appris qu'il devenait de plus en plus difficile pour les gens demandant asile au Canada de franchir le système de permis. Il y des obstacles.

Si vous avez des renseignements à cet égard au sein de votre organisme, cela nous aiderait beaucoup parce que les gens se disent inquiets à Vancouver. J'aimerais beaucoup être renseignée davantage.

M. Herman Tan: En ce qui concerne la participation des militaires, comme il est dit dans le rapport de l'équipe chargée de l'enquête, la question fait l'objet d'une enquête et d'une vérification. C'est pourquoi on a fait état dans le rapport de la participation des militaires. Et le rapport comprend presque 16 pages. Si vous voulez, nous pourrions vous communiquer le rapport au complet plus tard.

• 1030

Dans ce rapport, la participation des militaires est clairement attestée. C'est pourquoi, le jour de la publication du rapport, le membre de l'équipe représentant le gouvernement n'était pas présent. Comme le gouvernement était au courant de la participation des militaires dans les émeutes, notamment, il a choisi d'être absent afin d'éviter d'être embarrassé.

Même aujourd'hui, il n'a pas encore reconnu officiellement le rapport. C'est pourquoi nous avons besoin de pressions internationales pour forcer le gouvernement à prendre des mesures fondées sur les recommandations du rapport. C'est très, très important.

En ce qui a trait à la situation de l'immigration, le principal problème, à mon avis, c'est que tout de suite après les émeutes, aux mois de juin, juillet et août, les Indonésiens, ceux d'origine chinoise surtout, ont eu de plus en plus de difficulté à se faire admettre comme visiteurs ou étudiants. J'ai en main quelques cas—des étudiants répondant à toutes les conditions, y compris le soutien financier de leur famille et la motivation, pour entrer au Canada. Le Canada est très ouvert aux étudiants étrangers qui veulent faire des études supérieures, et l'étudiant en cause n'avait aucunement l'intention de rester au Canada après ses études. En fait, un Canadien s'était même porté garant qu'il retournerait en Indonésie, et ses droits de scolarité étaient payés au complet. Tout était payé. Sa demande a été rejetée, sans raison valable. Il y a donc quelques cas semblables.

M. Yusni Hilwan: Je peux ajouter quelque chose. J'ai vécu une expérience personnelle. En juin, j'ai assisté à un mariage familial à Winnipeg, et il a été très difficile d'obtenir un visa pour tous les invités. Il fallait qu'ils produisent un rapport du prêtre attestant que le mariage aurait bien lieu à Winnipeg. Ils ont dû produire une foule de documents avant d'obtenir un visa de visiteur.

C'est donc très difficile pour des Indonésiens d'origine chinoise d'entrer au Canada comme touristes ou visiteurs, et, comme Herman l'a dit, il y a quelques cas où la demande d'étudiants a été rejetée même s'ils étaient de bonne foi.

J'ai quelques renseignements à ajouter à vos propos là-dessus. Comme vous le savez, il y a un conflit interne au sein de l'équipe mixte chargée de l'enquête. Cette dernière a déposé un rapport détaillé de 1 000 pages. Vous avez ici la traduction anglaise du résumé. L'équipe a éprouvé beaucoup de difficulté à le publier. Elle prévoyait de le faire en juin, mais il y a eu tellement d'obstruction de la part de l'autre faction, soit les militaires... Six membres de l'équipe sont des officiers de l'armée. En fin de compte, les autres membres de l'équipe ont donc fait preuve de courage en rendant public le rapport, malgré toutes les pressions qui s'exerçaient sur eux.

Comme vous pouvez le constater, ainsi que Herman l'a dit, il y avait un conflit interne au sein de l'équipe mixte chargée de l'enquête à cause de cette question, Mme Davies.

Mme Libby Davies: Merci.

La présidente: Merci. C'est au tour de Mme Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je le répète, je suis heureuse de vous voir et de savoir que vous gardez cette question bien vivante auprès du comité. Vous avez déjà comparu devant le comité au complet et vous comparaissez maintenant devant le sous-comité qui est chargé, en cette année de célébrations des Nations Unies, d'étudier la situation en Indonésie.

J'étais moi aussi avec Libby, et j'ai participé à de longues visites et d'autres activités qui nous ont permis d'avoir une bonne idée de ce qui se passe là-bas. Je pense que Libby sera d'accord avec moi pour dire que nous avons suivi avec inquiétude l'escalade et la poursuite de la violence... Le problème des militaires a été soulevé à maintes reprises. Si j'ai bien compris, ils ont dit que 40 p. 100 des sièges du Parlement indonésien sont réservés à des militaires.

• 1035

M. Yusni Hilwan: Quelque 75 sièges sur 500 environ sont réservés aux militaires. À l'heure actuelle, 75 sont nommés, mais d'autres peuvent se présenter comme membres d'une sorte de parti. De façon générale, il y a pas mal de militaires au Parlement, comme vous l'avez dit, mais je ne sais combien il y en a exactement.

M. Herman Tan: Je crois que c'est à cause des pressions exercées par les manifestations étudiantes, entre autres. Je pense que le gouvernement a réduit à 40 p. 100 le nombre de sièges du Parlement réservés aux militaires.

Mme Jean Augustine: Il me semble que la plupart des gens disaient qu'ils préféreraient que les militaires retournent à ce que font en général les militaires et qu'ils laissent la politique aux politiques. J'ignore si vous pouvez parler du colloque de novembre, de la réunion de novembre où, si je ne m'abuse, des discussions se sont tenues sur le processus démocratique ou le mouvement vers des élections, etc. J'ai cru comprendre qu'il y aurait une session—je ne sais trop si vous utiliseriez ce terme—du Parlement au cours de laquelle on discuterait de ces questions. Nous avons entendu parler de la possibilité que le Parlement se penche, à un moment donné, sur l'engagement des militaires dans la politique.

M. Yusni Hilwan: Cela remonte aux années 50, quand les militaires ont commencé à exercer les deux fonctions. En plus d'exercer leurs fonctions militaires, les militaires gouvernaient et sont devenus les exécuteurs du gouvernement. C'était essentiellement pour acquérir plus de pouvoir, évidemment, de sorte qu'ils ont même commencé à le faire durant le règne de Sukarno, sous le général Nasution à l'époque. Sukarno a donné beaucoup de pouvoir à Nasution. Depuis lors... Fondamentalement, quand on a le pouvoir, on craint de le perdre, c'est compréhensible.

À l'heure actuelle, évidemment, les manifestants étudiants ne cessent de dire que ce cumul de fonctions devrait cesser, que les militaires devraient exercer uniquement leurs fonctions militaires. Mais les militaires, autres que les députés désignés, font également partie de ce que l'on appelle le parti Golkar. C'est le principal parti indonésien qui règne sur l'Indonésie depuis les années de Suharto, et, pour l'essentiel, presque tous les membres du Golkar qui sont entrés au Parlement viennent de l'armée ou ont des liens avec l'armée ou encore des antécédents militaires. Maintenant, le parti Golkar est en train de perdre son pouvoir, mais Habibie s'appuie encore sur lui. Et, bien sûr, les militaires sont encore la clé du pouvoir parce qu'ils sont les seuls à détenir des bases dans la totalité des 27 provinces de l'Indonésie. Ce n'est pas le cas de tous les partis. Même les partis musulmans sont séparés en diverses factions.

Donc il est très douteux que les militaires céderont leur pouvoir et qu'ils retourneront à leurs casernes dans un proche avenir. Tel est mon avis.

M. Herman Tan: Je voudrais ajouter quelque chose à ce point de vue.

Je pense que le point de vue des étudiants ou celui de la population en général sur cette question est que tant que les militaires continueront de jouer un rôle de premier plan au sein du gouvernement, il sera tout simplement impossible de faire de l'Indonésie un pays vraiment démocratique. Certes, on dit que l'Indonésie est un pays démocratique, mais il ne l'est que de nom. En réalité, il n'est pas démocratique du tout. C'est pourquoi les étudiants, lors des assemblées préélectorales préliminaires de novembre ont manifesté et demandé au gouvernement d'abolir la double fonction des militaires en Indonésie. Telle est fondamentalement leur préoccupation.

• 1040

Mme Jean Augustine: J'ai une dernière question. En ce qui concerne ce que vous dites dans votre recommandation relativement à l'adoption d'une loi prévoyant la séparation des trois pouvoirs—l'exécutif, le législatif et le judiciaire—comment le Canada peut-il participer à ce processus?

M. Jonas Ma: Il y a des liens entre le Canada et l'Indonésie au niveau des ONG et aussi au niveau diplomatique. Je pense que le rôle du Canada est de fournir une sorte de soutien technique et aussi de faire valoir les points de vue du monde sur l'application de ce processus dans un pays. Nous avons constaté bien des progrès dans nombre de pays sur le plan des droits de la personne, de la démocratisation, et je pense que l'on peut montrer au gouvernement indonésien comment procéder. Peut-être y aura-t-il un recours à la violence, ce que nous ne prévoyons pas, mais j'estime que notre rôle en Indonésie devrait être seulement d'apporter notre soutien technique.

La présidente: Merci.

M. Martin, aviez-vous une autre question?

M. Keith Martin: Oui, je vous remercie. Elle sera brève.

En ce qui concerne les recommandations du FMI à l'Indonésie, je me demande quel est votre avis là-dessus? Qu'est-ce qui est bon, qu'est-ce qui ne l'est pas? Qu'est-ce qui compromet la situation économique en Indonésie et qu'est-ce qui lui est favorable? Avez-vous des observations à faire sur les recommandations du FMI?

M. Yusni Hilwan: C'est une position très difficile pour le FMI à l'heure actuelle, comme vous pouvez le constater. Il y a des émeutes en ce moment même; Herman a dit qu'il y a eu des émeutes le 1er décembre. Vous pouvez constater que la devise indonésienne est essentiellement stable à 7 500 rupiahs. C'est étonnant. Au moment où Suharto était sur le point de tomber, c'était près de 20 000 rupiahs pour un dollar américain. Pourquoi cette devise est-elle aussi stable maintenant? C'est parce que l'économie sait que le FMI a commencé à verser un milliard de dollars par mois. L'économie le reconnaît.

Qu'arriverait-il si le FMI cessait tout? Encore une fois, les plus pauvres seraient toujours obligés d'acheter certains produits, et certains d'entre eux sont fort importants. À l'heure actuelle, les produits médicaux coûtent très cher pour le commun des mortels—et Nalali peut en témoigner. Essentiellement, les pauvres en meurent, ce qui prouve que la situation est critique. Si le FMI arrête tout, on verra de plus en plus de pauvres mourir à cause de cela.

M. Keith Martin: À ma connaissance, M. Habibie n'a pas entrepris les changements structurels importants qui sont nécessaires pour diminuer le pouvoir de l'ancien président Suharto et de sa famille, ce qui est essentiel pour que votre pays puisse se redresser. Pouvez-vous nous préciser dans quelle mesure M. Habibie a réussi à arracher le pouvoir au président Suharto et à mettre un terme à la domination économique du pays par M. Suharto et sa famille?

• 1045

M. Yusni Hilwan: Fondamentalement, si vous demandez aux étudiants, ils vous diront que c'est une blague ou quelque chose du genre. Lorsqu'on reçoit des dignitaires étrangers, comme Raymond Chan, Madeleine Albright, ou qui que ce soit d'autre, M. Habibie affirme qu'il a mis en oeuvre toutes sortes de réformes. Ainsi, les cartes d'identité chinoises ont des chiffres spéciaux qui les différencient des autres cartes d'identité des non-Chinois. M. Habibie affirme que la différence sera abolie, mais nous ignorons quand cela va se faire. Fondamentalement, selon nous, il se livre simplement à des manoeuvres pour essayer de se maintenir au pouvoir par tous les moyens.

Le mouvement démocratique avait placé ses espoirs dans des dirigeants importants comme Magawati Sukarnoputri, qui est la fille de l'ancien président Sukarno, Gusdur, qui le président du plus important parti musulman, Abdurrahaman Wahid et Amien Rais, qui est le dirigeant d'un autre parti musulman important. Nous espérions que ces quatre personnes pourraient commencer à faire quelque chose, mais elles ont toutes jugé qu'elles n'avaient pas suffisamment d'appuis.

M. Keith Martin: Ainsi, M. Habibie ne fait pas le travail.

M. Yusni Hilwan: Pas vraiment. En fait, ce sont des choses comme celle-là qui font que la situation est très volatile.

M. Herman Tan: Si je pouvais simplement ajouter quelque chose à ce sujet, je pense que le FMI fait face à un scénario extrêmement difficile également. On a beaucoup parlé du fait aujourd'hui que si le FMI cesse d'apporter son aide financière parce que ses recommandations ne sont pas suivies par le président Habibie, les violations des droits de la personne vont empirer. Chaque fois qu'il y a une crise économique, il y a des troubles, et nous ferons à nouveau face à de la violence contre certains ethnies, en Indonésie.

Par contre, je pense que M. Habibie essayait simplement de se plier à certaines exigences ou recommandations du FMI. Par exemple, vous avez peut-être remarqué qu'il a ordonné le retrait de quelque 2 000 soldats du Timor oriental. Souvent, c'est simplement pour essayer de donner l'impression de se plier aux exigences, mais fondamentalement, aucune mesure concrète n'est prise. Je crois que le FMI doit continuer à exercer des pressions sur le gouvernement de l'Indonésie pour veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises conformément aux recommandations formulées, et pour s'assurer que l'argent sert à répondre aux véritables besoins en Indonésie, à redresser l'économie, au lieu de servir à enrichir une certaine élite, comme cela s'est fait dans le passé.

M. Keith Martin: Merci beaucoup.

La présidente: Merci.

Jonas, voudriez-vous terminer?

M. Jonas Ma: Merci, madame la présidente.

Depuis qu'on a appris que des émeutes avaient éclaté en juin, les Canadiens d'origine chinoise, ainsi que de nombreux Canadiens d'autres origines qui se préoccupent des droits de la personne, exhortent de plus en plus notre gouvernement à jouer un rôle plus actif pour mettre un terme aux atrocités. De plus, nous demandons au gouvernement d'apporter son soutien et son aide aux victimes de la violence durant les émeutes de mai. À Toronto seulement, nous avons recueilli plus de 10 000 signatures et je sais qu'à Vancouver, Montréal, Calgary, Edmonton et Ottawa, il y a également un certain nombre d'organisations et de coalitions comme la nôtre qui effectuent un travail semblable. Ces gens attendent également avec impatience que notre gouvernement fasse preuve de leadership relativement à cette question.

Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de parler au sous-comité se penchant sur la situation en Indonésie aujourd'hui. Cependant, il y a de nombreux Canadiens dans notre ville qui sont inquiets et qui voudraient s'adresser au sous-comité. Nous recommandons que le comité tienne des audiences dans d'autres villes, comme Vancouver, Montréal et Calgary, afin d'entendre les préoccupations de ces autres Canadiens.

Étant donné la situation récemment en Indonésie, situation qui est très volatile, notre coalition croit que le gouvernement doit prendre quatre mesures concrètes pour aider à rétablir la stabilité en Indonésie, dans l'immédiat et à l'avenir.

• 1050

Tout d'abord, nous exhortons le gouvernement à aider à s'assurer que le gouvernement indonésien accepte le rapport de la Commission mixte d'enquête et met en oeuvre ses recommandations, surtout en ce qui concerne les enquêtes à effectuer et la nécessité de punir les responsables de crimes.

Nous savons que depuis le début de novembre, le gouvernement a mis le rapport sur les tablettes et n'y a pas donné suite. Nous croyons que nous devons suivre cette situation. Si l'Indonésie n'applique pas les recommandations, le Canada devrait demander au Conseil de sécurité des Nations Unies d'établir un tribunal international chargé de porter des accusations contre Prabowo Subianto, Suharto et d'autres membres de la junte militaire qui sont non seulement responsables des viols collectifs de mai 1998, mais également de crimes de guerre et de génocide et d'autres atrocités contre les habitants du Timor oriental, contre les Acehs, de l'enlèvement et du meurtre d'étudiants, ainsi que du massacre, en 1965, de plus d'un million de personnes.

De plus, le Canada peut aider l'Indonésie à poursuivre sur la voie de la démocratisation en mettant en place des lois qui font une distinction entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Le Canada peut notamment surveiller les élections de 1999. Elles se tiendront probablement entre mai et juin. Nous recommandons que le Canada envoie une délégation parlementaire pour surveiller ces élections.

De plus, nous demandons que le Canada use de sa persuasion et de son influence sur l'Indonésie pour amener ce pays à supprimer tous les règlements empêchant l'opposition au gouvernement actuel de se faire élire.

Nous recommandons que le Canada use de son influence et collabore avec la Commission indonésienne des droits de la personne pour parvenir à éliminer ou à interdire le racisme, grâce à la promulgation et l'application de lois sur les crimes haineux.

Ces mesures et d'autres mesures à mettre en oeuvre visent à assurer une meilleure protection à tous les citoyens contre la terreur, étant donné surtout ce qui s'est produit dans le cas d'Ita Haryono, le meurtre de 160 enseignants musulmans modérés, ainsi que la violence accrue dont sont victimes les chrétiens et les Indonésiens d'origine chinoise.

Enfin, nous exhortons le gouvernement à créer un programme spécial d'asile pour les victimes de violence durant les émeutes de mai, surtout les Indonésiens d'origine chinoise qui sont ciblés. Je sais que nous devrons nous entretenir avec la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à ce sujet et nous exhortons également la ministre à envisager des solutions de rechange immédiates pour aider ces victimes.

Nous avons entendu parler d'un programme élargi pour les réfugiés. Selon un article paru le 14 novembre dans le Globe and Mail, le ministère de l'Immigration accepte maintenant des demandes de groupes qui étaient persécutés dans leur propre pays mais qui n'y sont pas restés et ne respectent pas la définition de réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies. Ainsi, nous espérons que les groupes ethniques qui sont persécutés en Indonésie et vivent encore en Indonésie peuvent être ajoutés à cette liste.

Ce sont nos recommandations. Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de vous parler.

La présidente: Merci beaucoup. J'apprécie vraiment que vous ayez pris le temps de venir à Ottawa. Cela a été un grand effort. Je sais que vous avez travaillé jusqu'aux petites heures du matin toute la fin de semaine. Vous avez communiqué avec moi à 23 h 30, samedi.

Ceux d'entre vous qui ont assisté à la réunion du comité jeudi dernier savent que notre secrétaire d'État, Raymond Chan, suit la situation en Indonésie, s'en préoccupe vivement et joue un rôle actif.

Le comité va certainement étudier vos recommandations. Je suis persuadée que le gouvernement canadien n'a pas dit son dernier mot au sujet des problèmes en Indonésie. Je pense que le gouvernement canadien s'intéresse de près à ce qui se passe en Indonésie, qu'il s'agisse de la reprise économique ou des violations des droits de la personne.

• 1055

M. Keith Martin: Je voudrais présenter une motion. Voici: Que le Sous-comité des droits de la personne et du développement international recommande au gouvernement du Canada d'exhorter le Conseil de sécurité des Nations Unies à porter des accusations de génocide et de crimes contre l'humanité contre l'ex-président Suharto de l'Indonésie et ses collaborateurs.

La présidente: Vous devrez nous fournir une copie de cette motion.

M. Keith Martin: Nous la ferons traduire, mais aux termes du Règlement, je peux présenter une motion.

La présidente: Oui, je comprends cela. Est-ce que cela vous convient si la motion est réservée et examinée à notre prochaine séance?

M. Keith Martin: Allons-nous faire cela lors de la prochaine réunion et voter à ce moment-là?

La présidente: Oui. Est-ce satisfaisant?

M. Keith Martin: Oui, nous l'obtiendrons en français de Mme Debien.

Mme Libby Davies: Je veux simplement poser une question.

Il s'agit d'un sous-comité, et en ce qui concerne les recommandations de la délégation qui sont, selon moi, des recommandations vraiment de fond et tout à fait pratiques relativement aux mesures que le Canada peut prendre pour remédier à la situation, vont-elles maintenant être soumises au comité lui-même? Avons-nous une idée du moment où elles seront débattues? La délégation a-t-elle été avisée de cela?

La présidente: Toutes les motions qui sont mises aux voix, toutes celles qui sont adoptées au sous-comité seront transmises au comité.

Mme Libby Davies: Oui, mais les recommandations de la délégation seront-elles renvoyées au comité?

La présidente: Ce sont des recommandations de la délégation. Le comité a tenu une audience sur l'Indonésie mardi.

Mme Libby Davies: Oui. J'étais là.

La présidente: Elles ne sont pas renvoyées en tant que recommandations officielles au comité...

Mme Libby Davies: À moins que nous les présentions ici, n'est-ce pas?

Je voudrais proposer: Que ces recommandations soient renvoyées au comité aux fins de discussion et d'étude plus approfondie en vue de les transmettre au gouvernement pour qu'elles soient mises en oeuvre.

La présidente: Voulez-vous dire aux fins d'étude par le comité lui-même?

Mme Libby Davies: Oui.

(La motion est adoptée)

[Français]

Mme Maud Debien: Madame la présidente, est-ce que la motion de M. Martin fera partie des recommandations?

[Traduction]

M. Keith Martin: Non, nous allons continuer avec... Nous allons voter, car cela va aller directement au gouvernement.

[Français]

Mme Maud Debien: D'accord. Ça va.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup.

La séance est levée.