Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : ministre et secrétaire parlementaire qui auraient délibérément induit la Chambre en erreur

Débats, p. 26694.

Contexte

Le 18 mars 2019, Peter Julian (New Westminster—Burnaby) soulève une question de privilège au sujet de déclarations trompeuses qu’auraient faites David Lametti (ministre de la Justice et procureur général) et Arif Virani (secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et procureur général) lors des périodes des Questions orales des 7 et 8 février 2019. M. Julian note que ces déclarations au sujet d’un possible accord de suspension des poursuites contre SNC-Lavalin ont contredit des déclarations faites par Jody Wilson-Raybould (Vancouver Granville), l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada[1], et par Gerald Butts[2], ancien secrétaire principal du premier ministre, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, ainsi que par Justin Trudeau (premier ministre) devant les médias, et accuse le ministre et le secrétaire parlementaire d’avoir induit la Chambre en erreur. Pour M. Julian, ces déclarations du ministre et du secrétaire parlementaire constituent un outrage et une violation des privilèges de la Chambre. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[3].

Résolution

Le 4 avril 2019, le Président rend sa décision. Le Président déclare que de telles accusations peuvent être très graves puisque l’on s’attaque à l’intégrité d’un député, ce qui explique le fardeau de la preuve élevé qui doit être rempli pour conclure qu’un député a délibérément induit la Chambre en erreur. Le Président rappelle les trois conditions nécessaires et explique qu’il doit baser sa décision sur l’information dont il dispose, à savoir les déclarations faites à la Chambre. À ce sujet, le pouvoir du Président de juger le contenu des réponses aux questions orales est plutôt limité. Par conséquent, il n’y a pas lieu de conclure qu’il y a eu, de prime abord, atteinte au privilège.

Décision de la présidence

Le Président : À l’ordre, s’il vous plaît. Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 18 mars 2019 par l’honorable député de New Westminster—Burnaby concernant des déclarations trompeuses qu’auraient faites le ministre de la Justice et procureur général et son secrétaire parlementaire.

Dans son intervention, le député de New Westminster—Burnaby a accusé le ministre de la Justice et procureur général et son secrétaire parlementaire d’induire délibérément la Chambre en erreur en niant de manière répétée les accusations d’ingérence politique visant le Cabinet du premier ministre dans le travail de l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale.

À titre de preuve, le député a cité des réponses fournies lors des questions orales le 7 février par le ministre et le 8 février par le secrétaire parlementaire dans lesquelles il a été indiqué qu’à aucun moment le ministre de la Justice actuel ou l’ancienne ministre de la Justice n’ont subi de pressions ni reçu de directives de la part du premier ministre ou de quiconque au sein du Cabinet du premier ministre en ce qui a trait à la prise de décision dans ce dossier ou tout autre dossier.

Il a affirmé que ces réponses contredisent les témoignages donnés au Comité permanent de la justice et des droits de la personne par l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale, la députée de Vancouver Granville le 27 février 2019, et par Gerald Butts le 6 mars 2019, ainsi qu’une déclaration du premier ministre aux médias le 7 mars 2019.

Il a conclu ce qui suit, et je cite :

Toutes les parties impliquées, soit l’ancienne procureure générale, le procureur général actuel, l’ex-secrétaire principal du premier ministre et, surtout, le premier ministre lui-même, admettent que des pressions ont été exercées sur la députée de Vancouver Granville dans son ancien rôle.

Bien qu’il reconnaisse que les accusations d’induire la Chambre en erreur constituent habituellement un désaccord sur les faits, il souligne que les deux versions des événements présentées constituent une atteinte aux privilèges de la Chambre.

Voici ce que j’ai mentionné dans ma décision du 29 janvier 2019, qui figure à la page 24980 des Débats :

La présidence considère toujours qu’il est très grave d’accuser un député d’induire la Chambre en erreur, car en plus des aspects techniques de l’accusation, l’intégrité du député est en cause.

Ceci explique en grande partie le fardeau de la preuve élevé qui doit être rempli pour arriver à la conclusion qu’un député a induit la Chambre en erreur. À la page 85 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, on décrit les trois éléments à prouver, et je cite :

[…] premièrement, la déclaration était trompeuse; deuxièmement, l’auteur de la déclaration savait, au moment de faire la déclaration, que celle-ci était inexacte; troisièmement, le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Lorsque des questions de privilège sont soulevées à l’égard d’un député qui aurait sciemment induit la Chambre en erreur, on demande en fait au Président de juger les déclarations faites; en l’espèce, il s’agit des réponses données par le ministre de la Justice et procureur général et son secrétaire parlementaire aux questions orales.

Il est entendu que les députés savent bien que la présidence dispose d’un pouvoir limité en cette matière. Le Président n’est pas responsable de la qualité ou du contenu des réponses aux questions.

Toutefois, comme il a été mentionné, il est vrai qu’il pourrait y avoir des circonstances exceptionnelles où la présidence pourrait arriver à la conclusion, en se fondant sur une preuve suffisante, que certaines déclarations faites à la Chambre portent atteinte aux privilèges.

Après un examen approfondi, le Président ne peut conclure que les déclarations en question étaient trompeuses, que leurs auteurs savaient que ces déclarations étaient inexactes et qu’elles ont été faites avec l’intention d’induire la Chambre en erreur. Par conséquent, la présidence ne peut conclure qu’il y a à première vue une question de privilège.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, 27 février 2019, réunion no 135.

[2] Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, 6 mars 2019, réunion no 137.

[3] Débats, 18 mars 2019, p. 26043–26047, 22 mars 2019, p. 26465–26468, 1er avril 2019, p. 26526, 2 avril 2019, p. 26607–26608, 3 avril 2019, p. 26631.