Depuis des années, voire des dizaines d’années, toute l’étude de la procédure parlementaire se ramène à la recherche du juste milieu entre le droit de parler aussi longuement qu’il semble opportun de le faire et le droit du Parlement de prendre des décisions.

STANLEY KNOWLES, député (Winnipeg-Nord-Centre)

(Débats, 20 mai 1965, p. 1530)

  1. Suivant

L’un des principes fondamentaux de la procédure parlementaire est que le débat à la Chambre des communes doit pouvoir aboutir à une décision dans un délai raisonnable1. Certes, ce qui peut sembler raisonnable à un parti peut fort bien être injuste aux yeux d’un autre, mais rares sont les parlementaires qui contestent l’idée que, à un moment donné, le débat doit prendre fin2. Une grande partie des travaux de la Chambre est menée à bien sans qu’il faille recourir à des procédures spéciales pour limiter le débat ou y mettre fin, mais il existe des dispositions permettant de le restreindre lorsqu’on estime que, sans cette intervention, aucune décision ne sera prise, en tout cas pas dans des délais raisonnables. Ces dispositions sont celles relatives à la limitation du débat. Lorsqu’elles sont invoquées, elles permettent à la Chambre de se prononcer sur l’opportunité de restreindre le débat sur une affaire particulière.

D’entrée de jeu, une distinction s’impose entre la liberté de parole, privilège parlementaire fondamental, et la possibilité donnée au député de participer au débat. La liberté de parole du député lui permet de s’exprimer librement en Chambre et en comité sans craindre d’être poursuivi devant les tribunaux pour ses propos. Toutefois, la liberté de parole comme privilège parlementaire n’équivaut aucunement à une possibilité illimitée de prendre la parole.

Lorsqu’on lui demande de se prononcer sur la recevabilité d’une motion tendant à limiter le débat, le Président n’a pas à juger de l’importance de l’affaire à l’étude ou si une période de temps raisonnable est consentie pour le débat, mais uniquement de la recevabilité de la procédure3. Des Présidents ont donc déterminé qu’une motion recevable tendant à limiter la participation des députés au débat sur une motion dont la Chambre est saisie ne constitue pas de prime abord une atteinte au privilège parlementaire4.

Au début de la Confédération, peu de règles permettaient de limiter le débat. Cela étant, même à cette époque, il était reconnu qu’un débat sans limites n’était pas souhaitable et qu’il fallait faire preuve d’une certaine retenue ou trouver quelque arrangement pour que la Chambre puisse expédier ses travaux avec une célérité raisonnable5. Pendant les 45 premières années de la Confédération, le seul moyen à la disposition du gouvernement était la question préalable, décrite plus loin dans ce chapitre. Non seulement n’y avait-il aucun autre moyen de mettre fin à un débat dans des délais convenables, mais aucune disposition formelle ne restreignait la durée des débats. Les interventions n’étaient aucunement limitées. Le déroulement et la durée des travaux de la Chambre reposaient largement sur un franc jeu mutuel, et les arrangements officieux ou la « clôture par consentement » régissaient les débats. Pour reprendre les propos du premier ministre Robert Borden :

[…] à une certaine phase du débat, lorsque, de l’avis des principaux membres de toute la députation, la discussion était rendue assez loin, il a été d’usage de s’entendre et de fixer un jour, et les députés qui ne pouvaient pas attirer l’attention de monsieur [le Président] dans le délai prescrit étaient empêchés de prendre part aux débats par les arrangements des deux partis et la question était tranchée de cette manière6.

Toujours au début de la Confédération, les travaux de la Chambre étaient constitués en bonne partie de délibérations reliées aux projets de loi d’intérêt privé et à d’autres travaux proposés par de simples députés. Comme le rôle du gouvernement dans l’économie était modeste, les affaires de celui-ci ne représentaient qu’une faible partie de la charge de travail de la Chambre7. Après 1900, l’évolution de la nature des affaires dont la Chambre était saisie, notamment le volume croissant des mesures émanant du gouvernement, a provoqué une augmentation constante de la proportion du temps de la Chambre réservée aux Ordres émanant du gouvernement. Le temps de la Chambre est devenu une denrée précieuse, ce qui a donné lieu à des affrontements partisans parfois féroces. L’opposition tendait en effet de plus en plus à faire obstacle à l’adoption des projets de loi émanant du gouvernement en retardant le débat et en recourant à des tactiques d’obstruction8.

Cette évolution de l’attitude des parlementaires et de la charge de travail du gouvernement a amené la Chambre à adopter des règles et des usages qui allaient, d’une part, faciliter la gestion courante de son temps9 et, d’autre part, limiter le débat et accélérer le cours normal des choses dans les cas jugés importants ou urgents.

Le présent chapitre porte sur ce dernier aspect et examine comment le débat peut être limité en plus de ce que prévoient déjà certaines règles habituelles10. Ainsi, nous aborderons la question préalable, la clôture, l’attribution de temps, les motions pour affaire courante ou les motions pour autoriser des comités à se déplacer proposées par un ministre pour passer outre à l’exigence du consentement unanime, ainsi que les motions visant à suspendre l’application de certains articles du Règlement relativement à une affaire jugée urgente.